Bonjour,
Me voici de retour, avec un projet que j'espère voir devenir plus vaste que mes fics précédentes. Déjà parce qu'il me tient à coeur, comme toutes les oris dont on accouche à 100%, dans la douleur et sans l'aide d'un univers déjà monté...
Bref, j'ai lvl up en difficulté.
J'imagine bien que ceci sera moins lu qu'un bon vieux HP/DM, donc je remercie AMPLEMENT tous ceux qui prendront le temps de lire ce que j'aurai pu mettre ici.
Bien à vous,
Masa
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J'étais étalé dans l'obscurité du fond de la pièce qui nous servait de salle à manger, de cuisine et de dortoir quand j'entendis le bruit caractéristique des pas de Lia dans l'escalier.
Les marches grinçaient sous son poids, traînant derrière eux toute une longue journée, lourds de l'atmosphère pesante d'humidité et de sourde chaleur qui s'était abattue sur Paris depuis plusieurs semaines, et qu'on portait tous sur nos épaules comme une chape de plomb.
Je la vis passer la porte qui était encore entrouverte. On ne la fermait jamais. Des fois, on voyait les voisins anonymes passer la tête dans l’entrebâillement des clochards qui s'aventuraient dans les étages de l'immeuble décrépi venaient comme attirés par l'odeur jusqu'à nous.
Lia avait les bras chargés de paquets et avait poussé la porte du coin du coude, soufflant très fort sur les mèches de cheveu poisseuses collées sur son front par la sueur, agacée rien qu'à ma vue.
-Encore en train de glander? Tu aurais au moins pu te mettre quelque chose sur le poil, quitte à rester au lit...
Je la trouvai optimiste. Je n'aurais jamais pensé à qualifier de lit le matelas défoncé, posé à même le sol, bien parallèle avec trois autres faux futons jaunis à force d'être utilisés sans draps ni housses. Je haussai les épaules sans répondre et regardai Lia se diriger vers le frigo pour vider ses paquets: des bières, une demi-pastèque, quelques clémentines, des yaourts. Elle n'avait jamais su se nourrir et mangeait exclusivement sucré depuis qu'elle vivait ici, des fruits principalement, se justifiant en prétextant une enfance dénuée de douceur.
Comme si ç'avait été un passage agréable pour quiconque.
Elle jeta à même le sol dans une grimace de dégoût quelques grains de raisin qui pourrissaient derrière une rangée de vernis à ongle- elle les avait toujours mis au frais- avant de prendre une bière glacée. Elle s'assit par terre, devant la porte du frigo qu'elle laissa ouverte pour mieux se refroidir la peau et commença à se frotter avec la canette glacée. Front, joues, bras, seins, cuisses.
Je pouvais la sentir puer de transpiration du fond de la pièce. Une odeur acide mêlée aux effluves d'une vaisselle salie il y avait des semaines, entassée au-dessus du petit frigidaire, lui faisant comme une drôle d'auréole. Les cuisses écartées sur le carrelage, elle vidait sa bière d'une traite.
-Les autres sont pas encore rentrés?
-Je crois qu'Alex a pris son frangin sous le bras pour le traîner chez un ami à elle. Une petite fête. Ils ne rentreront pas ce soir.
-Tu veux les rejoindre?
-Pas vraiment. Ouvres un peu la fenêtre.
-Non, il fait trop chaud, si j'ouvre la fenêtre faut que j'ouvre les volets. Attends un peu que le soleil tombe, ça devrait plus tarder. Il est déjà 21 heures.
Elle me donnait envie, à vider le liquide mousseux dans un bruit de succion épouvantable, j'avais la bouche sèche; elle devait remplir son ventre d'air, elle serait encore ballonnée. Je me levai, enjambai un autocuiseur à riz, des sous-vêtements posés en vrac sur un coussin au sol, une colonie de fourmis barrant le chemin et donnai un petit coup d'orteil dans sa cuisse nue pour qu'elle se décale de devant le frigo.
Elle se leva directement, terminant sa bière pendant que j'en prenais une, la décapsulais d'un geste machinal et l'entamais, elle parlait de se laver, se changer... Je jetai un oeil à son mini-short en jean et son T-shirt crasseux.
Lia avait toujours eu la dégaine d'une pute de bas étage, même si elle était persuadée d'être sexy, juste sexy. Elle exhibait ses jambes maigrichonnes pleines de bleus en espérant rameuter les hommes, couvrait de maquillage bon marché son visage juvénile, collait pendant des heures des strass sur ses sacs avant de partir bosser au MacDo.
C'était pas la plus jeune d'entre nous, Alex et Jay avaient dix-sept ans; mais elle ne faisait pas ses dix-neuf. Elle avait beau se bourrer de sucre, elle ne devait pas dépasser de beaucoup les 45 kilos.
La plupart du temps elle me faisait marrer, mais là, je sentais bien que je l'aurais dans les jambes toute la soirée et que je ne pourrais jamais me concentrer sur mon mémoire si je ne m'en débarrassais pas. Lia était la seule à avoir arrêté ses études, officiellement nous étions tous étudiants, Alex, Jay et moi; je touchais une pension assez confortable de mes parents pour suivre un master en lettres à peu près aussi bidon que les brillants à oreille de Lia.
Je l'observai jeter ses fringues un peu partout dans la pièce, se débarrassant du short qui était resté accroché au bout d'un de ses pieds en sautillant sur une jambe, jetant sa canette en passant dans un gros sac poubelle noir posé près de la porte d'entrée. Lia multitâches.
Elle passa nue, impudique au possible, dans la pièce minuscule ou s'entassaient en vrac ses produits de beauté et ceux d'Alex, quelques magazines empilés sur la cuvette des toilettes, qu'elles lisaient en s'épilant, des serviettes humides suspendues un peu partout autour d'une cabine de douche aux vitres opaques. Un vieux miroir reflétait les murs tapissés d'un vieux papier peint vert d'humidité et ses fesses pâles pendant qu'elle finissait de se débattre avec l'élastique de ses cheveux.
Lia avait les cheveux les plus improbables du groupe, elle changeait leur couleur avec des colorations qui laissaient aussi bien sur sa crinière qu'au fond de notre lavabo des couches superposées de bleu, rouge, orange, vert. Ces derniers temps, elle arborait une sorte de rose un peu fluo qui faisait ressortir sa peau ingrate, rougie et irritée par tous les produits de beauté qu'elle y collait.
Quitte à l'avoir sur le dos, autant renoncer tout de suite à travailler. J'enterrai mentalement mes idées de révision en me saisissant d'un paquet de tabac, de longues feuilles à rouler, et commençai à faire chauffer une longue barrette odorante sous le feu d'un briquet.
Une senteur suave m’enveloppa pour se propager dans la pièce, couvrant pour le moment celles plus aigres de la transpiration, des grains de raisin passés de date que Lia avait balancés au sol, de la vaisselle sale, et celle plus âcre, ancrée profondément dans tout l’appartement, comme une note continue dans une mélodie, mélange de fumée collée aux murs, odeur de nos corps ancrée dans les fringues, les matelas, les serviettes, partout. Même les innombrables crèmes et autres produits consommés par les filles en quantités industrielles n’auraient pu masquer tous ces relents aussi bien que celle, puissante, du cannabis.
Je léchais la feuille quand Lia sortit de sa douche rapide, comme attirée elle aussi par l’imminence d’une petite séance de détente, seuls : pas besoin de partager avec Jay et Alex, ce soir elle était tranquille. Avec un sourire de contentement, elle se glissa dans une minirobe effilochée aux coutures et aux manches et referma enfin la porte du réfrigérateur –elle devait avoir retrouvé une température corporelle normale, et sa bonne humeur au passage, puisqu'elle m'adressa un large sourire.
C'était certainement la perspective de fumer.
Je ne pouvais pas en dire autant ; Lia m’agaçait, elle contrecarrait tout le temps mes programmes de révision, hormis quand elle sortait. Je l’aurais volontiers expédiée voir Alex et Jay, si j’avais su où ces foutus jumeaux étaient partis s’exhiber. La première bouffée avait un goût d’amertume et de regret, de honte puisque tout de même je me sentais l’aspirer avidement ; j’aurais voulu me résigner à passer encore une fois la nuit à ne rien faire à côté des bonbons, fruits, gâteaux que Lia consommerait les uns après les autres, trop défoncée pour s’arrêter, trop stupide aussi pour s’arrêter de parler- même la bouche pleine. Mais j’étais nerveux, j’étais aussi un peu en colère contre elle.
Elle n’avait rien fait de spécial, mais j’aurais voulu pincer chaque veine apparaissant sur ses cuisses pâlichonnes pour me venger d’elle tout de même, peut-être pour la forcer à ranger toute cette chair qu'elle étalait en permanence sous mes yeux, me filant la nausée. Je ne pouvais le supporter, même si je savais qu'avec cette chaleur, je ne pouvais pas lui demander d'enfiler un pantalon.
Qu'on se mette d'accord, j'étais tout de même sexué; mais Lia, avec sa débauche permanente de viande, me dégoûtait hors des mots.
J'aurais voulu trouver une femme lisse comme les pages d'un livre, sereine comme les mots alignés sur une feuille, une femme avec qui on saurait que l'histoire aurait un début, des joyeuses péripéties et une fin. Une femme linéaire et douce. Reposante.
Je tentai de faire cesser les babillements sans fin de Lia en lui tendant le joint- peine perdue. Des mots s'évaporaient de sa bouche et allaient résonner en percutant les murs, entraînant la fumée de ses poumons avec eux. Je pouvais suivre les reflets de lumière passant entre les volets entrouverts, qui jouaient sur des montagnes nuageuses aux parfums de tabac tout devant mes yeux, se métamorphosant à chaque nouvelle anecdote dont Lia accouchait.
Je ne faisais plus attention à ce qu'elle disait, et elle finit par me secouer. Je compris au bout de la troisième ou quatrième fois qu'elle me proposait de sortir, de quitter "ce foutu appart morose, d'ailleurs tu passes ta vie allongé ici, bouges-toi un peu..."
-Je sors pour aller en cours, j'objectai avec réticences, sortant de ma rêverie.
J'ai toujours été un contemplateur.
-Alors tu devrais sortir pour faire autre chose, te sociabiliser.
Je me demandai brièvement où elle avait appris ce mot. Sûrement pas chez Mac Donald's.
-Parce que tu t'imagines que j'y suis seul, en cours?
-Tu ramènes jamais personne ici.
-Parce que je vois les gens à la fac, voilà!
-Ranges ta démonstration, ce soir je veux aller en boîte, d'ailleurs je ne vais pas garder cette vieille robe. Attends-moi deux minutes, je vais accessoiriser.
Elle se lève, file directement jusqu'à un petit sac caché dans un coin de la pièce et en sort victorieusement une affreuse robe rose, à l'aspect plastique, qu'elle devait avoir en tête depuis longtemps vu la vitesse à laquelle elle avait plongé dessus. Peut-être même qu'elle ne voulait sortir que pour l'exhiber.
Je finis le joint qu'elle m'avait passé pour bondir sur sa nouvelle acquisition pendant qu'elle enfile l'affreuse chose plastifiée et fluorescente, sans cesser de parler.
-J'ai même un vernis qui va avec. Fais pas cette tête-là, il sèche hyper-rapidement, ils disent moins de deux minutes... Et puis tu étais pas si pressé, tout à l'heure.
Elle ajoute après s'être regardée dans le vieux miroir de notre salle de bains:
-Je mets des chaussures compensées? Quels bracelets?
J'écrasai le joint au fond d'un verre à demi-plein d'une bière tiède qui devait traîner sur le coin du lavabo depuis quelques jours, pshiiiiit, fait le mégot mourant, et je file de l'appartement en claquant la porte.
Si elle veut sortir, elle me rejoindra.
Dans l'escalier qui grince, on entend chaque pas; on sent l'odeur de graillon et d'oignons frits venir de l'appartement voisin, on entend la télé par les fenêtres grandes ouvertes sur chaque brin de fraîcheur qu'on pourrait grappiller pendant la nuit, la vie des autres étalée sur le pavé, des fenêtres vomissant des flopées de culottes, strings, soutien-gorges mis à sécher, et enfin la cage d'escalier envahie elle aussi par des graffitis, des seaux, des balais, des poubelles éventrées directement devant les portes par les chats affamés du quartier.
J'enjambe le tout à une vitesse éclair et je déboule dans la rue comme un voleur, pressé de quitter les lieux. Je n'ai plus envie que Lia me suive.
J'entends les talons de ses sandales compensées en plastique rose claquer contre les premières marches, là-haut, et je me dirige vers l'angle de la rue, je parcours les avenues jusqu'à me retrouver des les petites allées de Paris, encombrées au point que nulle voiture ne pourrait y accéder.
Ce sont des trottoirs pavés, interdits aux autos, qui sillonnent en parallèle les grands boulevards dont on entend encore la rumeur au loin. J'évite comme je peux les touristes, les boutiques étalées largement en travers du chemin, proposant sur des portants cartes postales, chapeaux de paille et tours Eiffel miniatures, ne sachant pas vraiment où aller. Une chose est sûre: pas en boîte, je risquerais d'y croiser Lia, et puis de toute façons il est encore bien trop tôt.
J'achète un sandwich à trois euros dans un échoppe et je le mâche en flânant, je me dis, ce serait bien de retrouver les bords de Seine, puis je me rappelle qu'ils seront envahis de touristes fuyant la chaleur. Ici, pas moyen d'être tranquille, hormis dans les lieux vraiment désagréables à fréquenter. Les parcs, les musées, tout semble plein à craquer d'une même masse humaine, à l'haleine unique. Je tourne un peu en rond, et puis je me décide à revenir aux lieux que je connais.
On fait ce qu'on peut pour se changer de l'ordinaire, mais au final on retourne toujours dans les endroits familiers.
Je pense que c'est à cause de ça que Lia m'a retrouvé si facilement.
J'entre dans la librairie encore fermée de Samie, un type un peu vieilli mais qui adore nous voir faire la fête autour de lui, et plus particulièrement les étudiantes, et là, Jackpot, Alex et Jay sont là avec quelques inconnus.
La librairie n'ouvre quasiment jamais, Samie la fait privatiser par des classes étudiantes de temps à autres pour renflouer ses caisses, et laisse le grand volet roulant fermé le reste du temps. La porte métallique ne semble vouloir accueillir personne, vue de l'extérieur, et on pourrait même croire les lieux clos depuis des temps immémoriaux.
Mais une fois à l'intérieur, pas de doute; la musique, la fumée et les rires frappent de plein fouet. Première vision: un sein d'Alex sort de sa robe dont une bretelle a glissé et sa bouche hyper-glossée rit avant d'embrasser celle de son jumeau.
La librairie se résume à une unique vaste pièce, aux murs anciens et pierreux, au plafond très haut, ce qui n'empêche pas Samie de la surchauffer en permanence; des petits poufs sont disposés un peu partout. D'habitude, on y voit des étudiants juchés en équilibre instable, leurs cahiers ouverts directement sur des genoux bohémiens surchargés de cahiers de seconde-main, plongés dans leurs études en faisant fi de l'absence de tables, ou même de chaises.
Là, quelques amis ivres regardent d'un air pâteux Alex se donner en spectacle. Il y a aussi un type asiatique que je n'avais jamais vu avant et qui prend des photos d'elle en rafale, avec un appareil gigantesque qui me fait penser à une arme, Flash, Flash, Flash.
Je me glisse silencieusement dans la pièce, rend un salut discret à Samie et observe tout ce petit monde déjà passablement éméché, les pilules et cachets déversés en vrac sur l'unique table qui sert de caisse quand il prenait à Samie l'envie de vendre ses fournitures- encore cette névrosée d'Alex, qui a dû se shooter aux plantes aromatiques en faisant passer le tout pour des drogues de synthèse. Elle rit beaucoup et très fort, fait semblant de ne pas m'avoir vu entrer, fait semblant de ne voir personne d'ailleurs alors que tous la fixent. Elle n'attend que ça, je le sais, j'allume tranquillement une clope en attendant qu'elle aie fini de jouer avec Jay qui se laisse faire, hébété par l'alcool.
Le pauvre n'a sûrement pas conscience que sa jumelle l'a rangé provisoirement parmi ses accessoires, avec la bretelle qui tombe, le soutien-gorge rangé à la maison au fond d'un tiroir et les cachets divers (Aspirine? Doliprane? Magnésium? Vitamines? Je me demande, amusé), et continue de l'embrasser pour le divertissement de tous. L'inceste semble choquer et fasciner à la fois, j'entends quelques rires quand Jay titube, trébuche sur un pouf et se casse la figure dessus; je le vois rire d'un air égaré et rester assis là, une fesse posée de manière bancale sur le moelleux coussin taillé dans un tissu bariolé.
Alex, perdant son faire-valoir, n'attirait plus les regards; redevenue une personne banale et non plus l'étrange moitié d'un duo incestueux, elle restait plantée debout tout comme son jumeau avait préféré continuer sa soirée sur un pouf et regardait les conversations reprendre autour d'elle. Elle m'adressa enfin un regard, à moi sa solution de secours, moi le frère spirituel de toutes les pantoufles si confortables mais si laides, si vieilles et usées qu'on les cache quand des invités se pointent pour dîner.
Pour moi, c'était tout de même du pain béni.
-Si tu veux, je te fais un peu visiter.
-Je connais, ici, rigole Alex derrière une mèche de cheveux blonds et courts, castratrice.
-Je pourrais te montrer les bouquins...
Elle rigole encore et se tourne un peu gênée vers l'asiatique qui a lâché son appareil.
-Et toi, tu viens souvent, ici?
Jackpot pour l'asiate qui se liquéfie en paroles précipitées, trop heureux d'avoir attiré sur lui le regard d'une fille si séduisante.
Je me sens soudain seul, sous son regard de dégoût un peu gêné, qui laissait glisser sur ma peau comme un film sur lequel chacun pourrait me voir sous les traits du pervers draguant une lycéenne encore mineure.
Je suis parano, je le vois dans le regard vide de Jay fixé sur sa soeur, dans les conversations indifférentes alentours. Tous sont encore soigneusement penchés sur eux-mêmes; j'entends une fille faire semblant de discuter avec un type habillé comme un clochard, croyant masquer le fait qu'elle se raconte en long, en large, en travers. Elle critique un film sorti récemment:
-De toutes façons, tout le monde se foutait de cette guerre avant qu'elle décide de faire un film là-dessus, personne n'en avait même entendu parler, et là, parce que c'est elle qui l'a réalisé, même le dernier des péquenots fait semblant d'avoir une licence en histoire pour en parler...
Je la coupe:
-Et tu l'as vu, toi, ce film?
Elle me toise d'un air courroucé et reprend sa conversation après un sec:
-Ce n'est pas là la question...
Et je me retrouve de nouveau esseulé, mais pas tant que ça me glissent encore une fois les yeux bienheureux et embrumés de Jay qui suit d'une oreille vague ce qui se dit sans pour autant participer, spectateur muet et béat.
Une douce chaleur se répand entre les corps, sinuant de pouf en pouf, vectorisée par la lumière orangée qui baigne la pièce entière, renfermée dans chaque livre, présente au coeur de chaque pierre des murs, et la somnolence me guette pendant que l'espèce de pétasse à côté de moi continue de descendre le film -dont le seul défaut est apparemment d'avoir été réalisé par une femme plus jolie qu'elle.
Je lui aurais bien fait remarquer, mais une certaine torpeur pèse sur mon esprit et l'embrume peu à peu. Je n'ai pas bu, mais je respire à pleins poumons l'encens qui pique mes narines, la fumée des joints et des cigarettes, je suis bien, bercé par les voix d'amis et d'inconnus qui ne se demandent pas une seconde qui je suis, vautré au fond d'un pouf géant.
C'est à ce moment-là que Lia est arrivée.
Je l'ai vue tout de suite; elle avait fait rentrer avec elle la moiteur de l'extérieur, dérangeant le subtil équilibre de chaleur douce mais pas étouffante, chassant en grande partie la fumée de la pièce dans un grand claquement de porte. Elle a un sourire pailleté et artificiel.
-Lia! s'exclame en se levant, les bras grands ouverts et un air extatique collé sur le visage Alex, qui laisse son aînée franchir le chemin les séparant -coussins, elle enjambe quelques hommes qui jettent un oeil sous la minirobe au passage, perd à moitié une de ses mules compensées et la rattrape d'une crispation des orteils- et elles s'enlacent, proches comme des soeurs.
Comme si Alex n'avait pas assez de son discret jumeau dont elle semblait avoir pris toute la vitalité lors de leur gestation. Avec Lia, elle avait trouvé une source inépuisable d'énergie, un formidable faire-valoir, une pharmacie vivante et un fournisseur en produits de beauté divers toujours plus enthousiaste. D'un seul coup, l'asiatique à l'appareil, qui se révélerait être un étudiant en histoire venu directement de Taïwan, sembla pris d'une frénésie incontrôlable. Je n'avais jamais vu une pareille caricature de touriste, sauf que Lia et Alex faisaient figure de monuments, flash-flash-flash, elles riaient en prenant la pose.
Je crus un instant que le pauvre allait nous faire un syncope derrière son objectif, le visage rougi, la respiration erratique. Je l'imaginai pendant une seconde sous la forme primaire d'un personnage de dessins animés, la bave écumante aux lèvres, le nez ensanglanté, le pantalon congestionné.
Et après, quand moi je voulais simplement montrer quelques livres à Alex, je passais pour le pervers de service. Répugnant.
Je ne voulais pas assister à ce spectacle. Aussi discrètement que possible, je m'éclipsai- de toutes manière, je n'avais parlé à presque personne durant mon passage éclair dans la librairie, et seule Lia me regarda partir avec un petit air désappointé. Je priai pour qu'elle ne me suive pas et retournai dans la touffeur de Paris, mes idées de révisions envolées pour le soirée, désœuvré.
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Voilà pour le premier chapitre, c'est juste une introduction très courte. Je pense écrire quelque chose de vraiment plutôt long, donc courage à vous lecteurs-lectrices, ce sera un parcours difficile pour vous comme pour moi!
Ceci vous présente seulement les personnages principaux. J'espère que les chapitres suivants seront plus en mesure d'attirer votre intérêt! Vous savez comme il est difficile d'être accrocheur lorsqu'on pose une situation... :)
Merci de votre indulgence.
Bien à vous,
Masa |