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Les chroniques d'Arcanie T0 : Les festivités
Par Cyrlight
Originales  -  Général  -  fr
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Une journée importante

Les ténèbres voilaient la pièce et seul le bruit régulier d'une respiration venait troubler le silence. Au coeur d'un lit rendu invisible par l'obscurité alentour, quelqu'un dormait paisiblement. À l'exception de cet individu assoupi, la chambre était totalement déserte.

Soudain, un cliquetis métallique survint. Il provenait de la poignée de la porte, forgée dans un métal lourd, que l'on actionnait depuis le couloir. Ce son ne suffit pas à éveiller celui qui somnolait sans crainte. Le grincement lugubre qu'émit le battant en pivotant sur ses gonds, toutefois, y parvint.

Le prince Cybard d'Arcanie sursauta, arraché à sa rêverie par son impromptu visiteur. Il fallut quelques secondes à son esprit pour se mettre en alerte, mais dès que ce fit le cas, sa première initiative fut de fondre sur son épée. Cette venue nocturne ne lui inspirait aucune confiance.

Il gardait toujours son arme à proximité de son lit afin d'être paré à affronter n'importe quelle situation, dont celle-ci. Lorsqu'il voulut se pencher dans le vide pour l'atteindre, cependant, son torse fut retenu par la couverture dans laquelle il était emmêlé et il bascula vers l'avant pour tomber sur le sol dans un bruit sourd.

Bruyamment, il se redressa en prenant appui sur sa table de chevet, mais se cogna maladroitement le pied dans un angle, ce qui le contraignit à pousser un gémissement de douleur. Lorsqu'enfin sa main se resserra autour de la garde, il entendit un rire délicat s'élever dans son dos.

- Je vous félicite, mon frère. Si j'avais été quelque ennemi hostile, vous seriez déjà mort depuis longtemps.

Un candélabre à la main afin de l'éclairer, une jeune femme se tenait désormais sur le seuil de la chambre. Les flammes se mariaient avec ses somptueux cheveux roux, qui encadraient un visage clair aux traits fins et au menton un peu proéminent. Un nez à la courbe élégante rehaussait une bouche charmante et des yeux pareils à des émeraudes sertissaient ce beau minois.

Elle ne portait sur elle rien d'autre qu'une chemise de nuit presque transparente, ainsi qu'un châle avec lequel elle avait entouré ses épaules, de manière à se préserver des courants d'air froid qui soufflaient parfois dans les corridors du château. Peu soucieuse de son apparence, elle adressa un sourire à son interlocuteur.

- Freya chérie, quelle idée saugrenue a pu vous venir à l'esprit ? Vous m'avez causé une telle frayeur ! L'espace d'un instant, j'ai cru que l'on m'attaquait.

- Une chance pour vous, cela n'était pas le cas.

- Vous devez être frigorifiée. Venez donc ici.

Cybard reprit sa place sous les couvertures encore tièdes et invita sa soeur à le rejoindre. Comme elle était pieds-nus et que la pierre était glacée sous eux, elle ne se fit pas prier. Elle posa son chandelier sur la table de nuit, puis s'installa dans le lit, aux côtés du prince.

À présent que la lumière dansante l'illuminait également, il était possible de distinguer ses cheveux blonds, qui prenaient des allures orangées sous le reflet des chandelles. Ils étaient mal coiffés et quelques mèches sauvages tombaient devant ses prunelles bleu ciel à l'expression ingénue. Avec son nez retroussé et les fossettes qu'il possédait à la commissure des lèvres, il était doté d'un air angélique qui allait de pair avec son doux caractère.

Freya et Cybard étaient si proches l'un de l'autre et nourrissaient une telle affection mutuelle que quiconque, eux les premiers, en oubliait qu'ils n'étaient pas frère et soeur de sang. En effet, le prince était né du premier mariage de son père, le roi Gildas d'Arcanie. Après la mort de la reine, celui-ci avait épousé en secondes noces une noble dont tout le royaume louait la beauté, dame Auréa. Elle-même, à ce moment-là, était déjà mère d'une petite fille, que le monarque avait rapidement appris à considérer comme la sienne.

Freya, qui n'avait jamais réellement connu une autre famille que celle qu'elle avait rejointe à l'âge de dix ans, l'aimait et la chérissait également de tout son coeur. Le peuple lui-même lui accordait toute sa sympathie, au point de la considérer comme une princesse légitime.

- Que me vaut le plaisir de votre venue, très chère ? s'enquit Cybard. Souffriez-vous d'insomnie au point de n'avoir mieux à faire que de venir me visiter en pleine nuit ?

- Le soleil sera levé d'ici peu de temps, aussi n'ai-je que peu d'avance sur votre réveil. Je tenais simplement à être celle qui vous souhaiterait avant tous les autres un heureux anniversaire.

- Ne cesserez-vous donc jamais de me surprendre ?

- Pourquoi donc ? Je sais que vous m'adorez grâce à cela.

Ils échangèrent un sourire complice, puis Freya embrassa avec tendresse la joue de son frère, tout en lui pressant la main dans une étreinte affectueuse. Bien qu'elle soit plus jeune que lui de quelques années, elle ne pouvait s'empêcher de veiller sur lui avec autant de soin que si elle avait été son aînée. Cybard avait beau célébrer en ce jour ses vingt-cinq ans, il n'en demeurait pas moins un doux rêveur un peu étourdi qu'elle cherchait toujours à protéger.

- Votre sollicitude me touche et m'honore, petite soeur, mais je crains qu'à présent, il ne me faille vous conseiller de partir. Si votre servante découvre votre chambre vide, je redoute qu'elle ne fasse un malaise. Vous lui causez suffisamment de tourments ainsi au quotidien.

Une lueur malicieuse éclaira les yeux de Freya, suite aux paroles du prince. En dépit de son caractère respectable et de sa gentillesse naturelle, elle commettait souvent de nombreuses frasques qui déplaisaient à son entourage, bien que celui-ci finisse toujours par en rire.

Elle appréciait la solitude et la liberté, deux sentiments qui l'emmenaient souvent à fausser compagnie aux gardes ou aux domestiques chargés de veiller sur elle afin de partir à se promener sans escorte dans les environs du château. Contrairement à Cybard, docile et plus timoré, elle était dotée d'un fort tempérament aventureux.

Elle rassembla sa chemise de nuit dans ses bras et laissa ses jambes glisser hors du lit. Elle frissonna légèrement lorsque sa peau retrouva le contact désagréable du sol et se dressa sur la pointe des pieds afin de le limiter le plus possible. Avec enthousiasme, elle affirma :

- Je vous vois tout à l'heure. Oh ! Qu'il me tarde d'être au début des festivités !

- Quelle engouement ! Dois-je en conclure que Père a organisé dans le plus grand secret et, je le suppose, sur votre recommandation, un tournoi d'épée ?

Les joues de Freya rosirent alors que son frère venait de la percer à jour. Elle avait effectivement convaincu le roi de mettre en oeuvre un tel évènement, or elle savait pourtant que ce divertissement n'était pas le favori de Cybard, médiocre épéiste. C'était en revanche le sien et elle n'avait pu résister à la tentation.

- Si cela peut vous réconforter, il y aura également une représentation théâtrale, ainsi qu'un spectacle de saltimbanques. Vous me connaissez assez bien, mon frère, pour vous doutez que je ne me suis pas montrée égoïste au point de vous priver de ce plaisir.

- Et vous me connaissez assez bien pour vous douter que cette nouvelle me comble de joie.

- Feignez tout de même un air étonné le moment venu. Je m'en voudrais que Père découvre que je vous ai révélé tout ceci alors qu'il devait s'agir d'une surprise. Sur ce, Altesse, permettez-moi de prendre congé.

Freya s'inclina devant Cybard avec bonne humeur, tandis que celui-ci lui adressait un signe de la main radieux. Après ce dernier échange complice, elle tourna les talons et quitta la pièce, pour rejoindre sa chambre avant que sa domestique ne s'alerte de sa disparition.

***

Bien qu'il soit encore très tôt et que le soleil soit à peine levé sur le royaume d'Arcanie, les invités commençaient progressivement à arriver au château de Maarmé, capitale du pays où était installée la famille royale. Le premier à franchir le seuil des fortifications fut le roi Lydéric de Calverne, la contrée voisine.

Son carrosse s'immobilisa au milieu de la cour, où des écuyers se pressaient déjà autour des chevaux, afin de leur prodiguer les meilleurs soins destinés à les aider à se remettre du voyage. Des serviteurs attendaient également, prêts à exaucer les moindres désirs du souverain.

Le roi Gildas en personne était venu saluer celui qu'il considérait comme un ami sincère. Cela faisait plus d'une décennie, désormais, que les deux pays avaient tissé des liens étroits, bien qu'aucune alliance officielle n'ait été signée. Ils projetaient toutefois de le faire dans un futur proche, grâce à un arrangement qui les comblerait aussi bien l'un que l'autre.

Les deux monarques se saluèrent avec déférence. Ils étaient en tout point l'opposé l'un de l'autre. Lydéric, qui fut autrefois un grand chef de guerre avant de monter sur le trône, avait conservé la musculature puissante et la stature robuste d'un chevalier. Dans la force de l'âge, il demeurait très séduisant, en dépit de la cicatrice qui lui barrait la joue, récoltée lors d'une sanglante bataille.

Il s'efforçait de la dissimuler en rabattant une mèche de ses longs cheveux cuivrés devant son visage, mais dès que le vent l'en écartait, elle redevenait visible. Elle n'altérait cependant en rien sa beauté altière, qu'il devait à son menton carré, son nez longiligne et ses yeux si expressifs.

Gildas, au contraire, prenait désormais de l'âge et perdait peu à peu toute sa grâce d'autrefois. Il approchait de ses soixante-ans, comme en témoignaient sa chevelure blanchissante et les rides qui striaient sa peau. Il avait également tendance à s'empâter, à force de participer à davantage de festins que de combats.

Ses prunelles claires, cependant, pétillaient de façon à démontrer que son âme, elle, resterait éternellement jeune. Même s'il s'efforçait actuellement d'enseigner à son fils comment agir le jour où il le remplacerait, il espérait encore régner au moins une décennie supplémentaire, voire davantage.

Malgré leurs grandes différences, Lydéric et Gildas partageaient un point commun : leur bienveillance. Tous deux étaient extrêmement appréciés par leur peuple respectif, pour la compréhension et la gentillesse dont ils faisaient preuve à leur égard. En montrant de la loyauté envers eux, ils s'étaient attachés la leur.

- Quel joie de vous revoir, mon ami ! Avez-vous fait bonne route ? s'enquit le roi d'Arcanie.

- Les voies de Maarmé sont sûres, nous n'y avons rencontré aucune embuche. J'ose espérer que vous vous souvenez de ma reine, sa Majesté Valdrade.

Une femme très guindée descendit du carrosse à son tour, avec l'aide d'un valet qui vint la soutenir en lui offrant sa main. Elle était un peu pâle et dotée d'une silhouette très mince. Cette apparence lui conférait une allure maladive, pourtant elle paraissait en bonne santé.

Gildas s'inclina devant l'épouse de son interlocuteur, puis baisa sa main en lui adressant un compliment poli. Cela fait, il s'étonna de constater que leur fille, la princesse Enimia, ne s'était pas jointe à eux pour venir assister à l'anniversaire du prince.

- Elle vous prie de bien vouloir l'excuser, mais elle n'apprécie guère les déplacements. Comme nous ne pourrons nous attarder en Arcanie plus de trois jours, elle craignait que cela ne lui fasse endurer trop de route en trop peu de temps.

- Voila qui est bien fâcheux. J'espérais qu'elle serait présente, de façon à ce que Cybard puisse la rencontrer.

- Il en a déjà eu l'occasion, souvenez-vous. C'était il y a six ans, lorsqu'il vous avez accompagné à Encerran lors d'une visite officielle.

- À cette époque-là, son Altesse Enimia n'était encore qu'une enfant, sans vouloir l'offenser. Je ne doute pas qu'à présent, elle est devenue une sublime jeune femme, tout à fait apte à conquérir son coeur.

- Elle le fera, je n'en ai aucun doute.

- En ce cas, je me fie à votre jugement, Majesté. À présent, permettez-moi de demander à l'un de mes domestiques de vous conduire jusqu'à vos appartements.

- Bien volontiers.

Gildas héla l'un des serviteurs qui n'était pas en train de descendre les malles du carrosse et ordonna à ce que l'on montre au roi et à la reine de Calverne l'endroit où ils logeraient pour la durée de leur séjour en Arcanie.

***

- Votre Altesse n'a jamais été plus belle qu'aujourd'hui.

Freya était assise sur un tabouret devant son miroir et sa domestique venait d'achever de démêler ses cheveux, qu'elle s'apprêtait désormais à nouer d'un ruban vert, dont la nuance était assortie à celle de ses yeux. La princesse la remercia d'un sourire, enchantée par ce compliment.

Elle portait une nouvelle robe, dont sa mère avait fait l'acquisition en vue de cette journée si spéciale. Également couleur émeraude, afin de se marier avec le reste de son apparence, elle lui seyait à merveille, révélant les formes gracieuses de son buste, dont elle paraissait affiner la taille. Sa gorge était dégagée, dévoilant sa pureté, mise en valeur par le collier de péridot dont elle l'avait ornée.

- Merci beaucoup, Alpaïde. Dis-moi, sais-tu si notre cousin Judicaël est arrivé ? Il me tarde qu'il soit là.

- Je ne crois pas, votre Altesse. J'ai seulement aperçu le roi Lydéric, ainsi que la reine, et le seigneur Médard. Il est encore très tôt, les invités vont sans doute arriver au cours de la matinée.

- Sans doute...

- Je suis persuadée qu'il vous trouvera tout à fait ravissante, votre Altesse.

Freya eut un petit rire. Judicaël était le cousin de Cybard, non le sien, mais à l'instar de ce dernier, elle le considérait également comme sa propre famille, ce dont il ne se plaignait pas. Ils étaient très proches l'un de l'autre, au point qu'à plusieurs reprises, l'idée de les voir un jour s'unir avait effleuré leur entourage.

Ils se trompaient tous, cependant, s'ils espéraient voir le jeune homme demander sa main, car il n'en avait aucunement l'intention, pas plus qu'elle de l'épouser. Il était doté de nombreuses qualités qui faisaient de lui l'un des êtres les plus chers à son coeur, mais elle connaissait sa passion pour l'art de la séduction. Véritable charmeur, il avait le don de s'attirer les faveurs de n'importe quelle dame.

Il respectait cependant trop Freya pour se jouer d'elle de la sorte. Elle était sa confidente, témoin de ses conquêtes indénombrables, mais jamais il n'avait tenté de la courtiser et elle ne le désirait pas davantage. Le mariage ne faisait pas partie de ses préoccupations.

- Puis-je faire autre chose pour vous, votre Altesse ? interrogea Alpaïde dès qu'elle en eut terminé avec sa coiffure.

- Non, je te remercie, cela suffira. Je pense descendre immédiatement, afin de guetter la venue de Judicaël.

- Bien.

La domestique s'écarta pour permettre à Freya de se lever et lui emboîta le pas lorsqu'elle se dirigea vers la porte de sa chambre. Son rôle lui imposait de suivre constamment sa maîtresse, afin d'être prête à exécuter chacun de ses ordres à tout instant. Si cela pouvait s'avérer pratique dans certains cas, cela se révélait le plus souvent problématique.

La princesse avait de plus en plus de mal à se soustraire à elle. Sa mère lui avait sans doute demandé de garder un oeil sur elle dans le but de réduire le nombre de ses fredaines. La reine Auréa, sans être autoritaire, insistait sur le respect des convenances et du protocole, face auquel sa fille n'était pas à son aise.

Elle attendait avec impatience l'arrivée de son cousin car elle savait qu'il pourrait l'aider. Il ne laissait aucune femme indifférente, qu'elle soit noble ou roturière, et par conséquent, elle trouverait grâce à lui une occasion de fausser compagnie à Alpaïde. Elle avait besoin de se rendre au village, or la servante insisterait certainement pour s'y rendre à sa place si elle le découvrait.

***

- Votre Majesté, vous êtes encore plus belle que le souvenir que j'ai gardé de vous. Le temps n'a décidément aucune emprise sur votre beauté.

Auréa était aussi magnifique que Judicaël n'était flatteur. Elle approchait désormais de ses quarante ans, pourtant presque aucune ride ne venait strier son visage. Il était fin, élégant et exprimait une douceur constante. Encadré par une chevelure auburn, il possédait des lèvres charnues, ainsi que des yeux sombres, rehaussés par deux sourcils à la ligne incurvée.

De taille moyenne, elle était plus petite que sa propre fille, cependant elle portait sous sa robe bleue des talonnettes qui lui permettaient de gagner quelques centimètres supplémentaires. Toujours parée des plus ravissantes toilettes, tout le royaume louait son apparence.

Sa main, qu'elle offrit à baiser à Judicaël, était en partie recouverte par une mitaine en dentelle. Le jeune homme effleura le tissu de sa bouche, avant de se redresser promptement avec un sourire éclatant. Il maîtrisait à la perfection les bonnes manières et l'éloquence.

Il avait pour lui la jeunesse, de même que le charme et le raffinement, et il n'hésitait jamais à jouer de ses atouts. Son teint légèrement hâlé lui conférait l'allure d'un vaillant aventurier et des cheveux châtains aux multiples nuances, toujours décoiffés, donnaient l'impression qu'il sortait d'un combat à l'épée.

Sans avoir le physique d'acier d'un chevalier, il était relativement musclé et son corps se dessinait sous la tunique blanche qu'il portait ce jour-là, salie par endroits à cause du voyage qu'il avait réalisé à cheval, en compagnie de son escorte et de son père, le duc Rustic de Véronas, également cousin du roi Gildas.

Ils avaient déjà salué ce dernier, qu'ils avaient croisé alors qu'il supervisait les derniers préparatifs pour la célébration de l'anniversaire de Cybard, avant de venir honorer son épouse. Celle-ci se détourna d'ailleurs poliment de Judicaël pour entamer la conversation avec son géniteur.

Le Duché de Véronas, dont il se trouvait à la tête, était soumis à l'Arcanie depuis toujours. Leurs liens s'étaient raffermis davantage lorsque la tante de Gildas avait épousé le père de Rustic, unissant à jamais leurs deux familles.

Tandis que la reine Auréa poursuivait sa conversation avec son interlocuteur, Judicaël décida de partir se promener dans les couloirs du château. Après de longues heures passées à cheval, il avait grand besoin de se dégourdir les jambes. Il espérait également croiser le prince et la princesse, dont on lui avait dit qu'ils n'étaient pas encore apprêtés.

Il connaissait bien les lieux pour y avoir passé des mois entiers, lorsqu'il était plus jeune, à jouer en compagnie de ses cousins. Dans ce dédale de couloirs où n'importe quel étranger se serait déjà égaré, il n'avait aucune difficulté à retrouver son chemin. Il se souvenait encore des chemins à suivre, des tapisseries devant lesquelles il lui fallait des passer, des portes à franchir.

Si la bienséance aurait voulu qu'il aille d'abord honorer les vingt-cinq ans de Cybard, il choisit malgré cela de visiter tout d'abord Freya. Même s'il les appréciait infiniment tous les deux, elle demeurait sa favorite.

La famille royale logeait dans l'aile ouest, qu'il avait presque atteinte. Il marchait désormais dans un long corridor, uniquement éclairé par la fenêtre située à son extrémité. Alors qu'il en était à mi-chemin, il entendit des bruits de pas. Il s'immobilisa de justesse, manquant de heurter les deux personnes qui débouchèrent d'un passage à sa droite.

- Je suis confuse, je... Oh ! Judicaël !

Avant même qu'il n'ait eu le temps de réagir, une cascade de cheveux roux vint obscurcir sa vision et deux bras entourèrent son cou. Freya aurait dû réfréner son enthousiasme, néanmoins elle en était incapable. Retrouver le jeune homme la comblait de joie.

- Ma cousine, quel accueil ! Suis-je certain de mériter une telle effusion ?

- Assurément, car la présence d'aucun invité aujourd'hui ne saurait me procurait plus de bonheur que la vôtre.

Elle glissa ses mains entre les siennes et le fixa avec affection durant quelques secondes, avant de s'enquérir de la santé de sa famille, ainsi que des nouvelles en provenance de Véronas.

- Père n'aurait manqué cela pour rien au monde. Quant à Mère, son équipage arrivera certainement à temps pour le déjeuner. Elle sera tout aussi enchantée que moi à l'idée de vous revoir. Elle éprouve beaucoup d'estime à votre égard, comme vous le savez.

- Ce sentiment est réciproque. Puisque vous évoquez le voyage, êtes-vous venu sur le dos de ce magnifique cheval noir avec lequel je vous ai vu la dernière fois ?

Judicaël était le meilleur cavalier de sa connaissance, ce qui lui conférait un avantage certain lorsqu'il participait à des joutes. Freya n'avait jamais cessé d'admirer le don qu'il possédait avec les équidés. Il parvenait à dompter le plus fougueux d'entre eux et à réaliser ensuite de véritables prouesses en sa compagnie.

- En effet. L'un de vos écuyers l'a mené aux écuries pour l'y panser. Souhaiteriez-vous le voir ?

- Ce serait avec un immense plaisir. Alpaïde ?

La domestique, jusqu'alors restée en retrait par politesse, fit un pas en direction de sa maîtresse. Elle inclina docilement la tête, signe qu'elle était prête à écouter sa requête. Judicaël l'observa avec un intérêt certain. Son rang de roturière n'altérait en rien la joliesse qui était la sienne.

Ses boucles blond vénitien disparaissaient en partie sous un carré de tissu destiné à les retenir. Il dégageait ainsi un visage pâle au grand front et au nez pointu. Ses lèvres nacrées était fines, ses joues légèrement rosies. Quant à ses yeux, elle les gardait baissés, en preuve de son respect pour la princesse.

- Veux-tu aller chercher ma cape, s'il te plaît ? demanda Freya. J'ai trouvé qu'il faisait frais à la fenêtre et je ne tiens pas à prendre froid, ce matin.

- Tout de suite, Altesse.

La servante s'inclina précipitamment, puis s'éloigna d'un pas rapide dans le corridor étroit par lequel elles venaient d'arriver ensemble. La jeune femme attendit patiemment que le bruit de ses chaussures sur le sol ait totalement disparu pour ramener son attention sur Judicaël.

- Votre domestique n'est pas celle dont j'ai gardé souvenance, n'est-ce pas ?

- Rien n'échappe à votre regard aguerri, je puis le constater. En effet, celle-ci est nouvelle. Elle est à mon service depuis à peine quelques mois. Je me doutais néanmoins qu'elle serait elle aussi à votre goût.

Un sourire malicieux fendit le visage de Freya et son cousin en fut intrigué. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu'un tel comportement signifiait qu'elle avait une idée à l'esprit. Comme elles étaient toujours saugrenues, il lui fallut attendre qu'elle la lui révèle afin de découvrir de quoi il en retournait.

- Cousin, votre talent avec les femmes, comme avec les chevaux, n'est plus à démontrer. Alpaïde est extrêmement dévouée, mais je crains que, justement, elle ne le soit un peu trop. Voyez-vous, j'ai besoin d'un moment où elle ne serait pas en train de m'épier et de me suivre partout, comme sa tâche l'exige. Pensez-vous que cela soit dans vos cordes ?

- Douteriez-vous de moi ? répondit Judicaël avec une oeillade complice. Vous pouvez me faire confiance, ma chère. Je vous accorderai tout le temps que vous désirerez. Je suis tout de même curieux de savoir à quelle mystérieuse escapade vous vous apprêtez, cette fois-ci.

- Cela n'a rien d'aussi mystérieux que vous pourriez le penser. Je prépare une surprise pour Cybard et je tiens à m'en occuper personnellement. Puisqu'il s'agit de mon frère, je me refuse de déléguer cela à d'autres.

- Je suis certain que ce sera fantastique, comme toujours avec vous, Freya.

Elle approuva ses propos d'un hochement de tête. Elle-même était assez fière du présent qu'elle réservait au prince et elle ne craignait pas une seconde qu'il n'en soit pas satisfait.

 
 
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