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au 31 Mai 21 :
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contenant 15226 chapitres
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4 lettres
Par Lady Rose
Originales  -  Tragédie  -  fr
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    Chapitre 1     2 Reviews    
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Auteur : Lady Rose

Disclaimer : Y en a pas,tout à moiiiii \o/ (note,j'gagne toujours rien)

Raiting : T+, parce que ben j'me voyais pas transformer ça en un truc vraiment hard. Et puis pour que Vavanemo ai pas besoin de s'inscrire aussi. Mais franchement, les lemons, j'en ai ras-le-bol. Zut, hein.

Note : J'avoue,j'ai eu l'inspiration en relisant Le corps exquis.Saimal.

Comme le dit le genre,c'est une tragédie.J'voudrais pas spoiler mais ça risque de pas être super joyeux.

La date de publication n'a pas été choisie au hasard, si vous êtes observateur :p

Thanks to : MANA \o/ Tu roxx, t'es grande, te n'aime.

Et merci à toi pour les conseils,pour la bêta-lecture, pour tes encouragements, pour tes ondes, pour tout ç_ç j'te n'aime j'te n'aime j'te n'aime <3

Dédicace : VAVA \o/ Tu roxx, t'es grande, te n'aime.

Parce que Le corps exquis est pour moi inextricablement lié à toi (voir naissance de cette fic plus haut) et que j'ai envie de te faire plein de cadeaux \o/ <3 (c'est un espèce d'entre-deux, trop tard pour un cadeau de bon rétablissement, trop tôt pour Noël)

Bonne lecture,sinon.

____________________________________________________________________________________

 

"Est-ce qu'on meurt du sida, Luke, ou est-ce qu'on vit avec lui ?"

 

- Je suis séropositif.

- Pardon ?

Pierre ne répondit que par un déglutissement peu élégant. Mehdi jeta un coup d'oeil en coin vers son passager qui, lui, gardait les yeux fixés sur la route - ce n'était pourtant pas lui qui conduisait. Ses poings étaient crispés sur ses cuisses maigres, les traits de son visage maladif étaient tirés, sa peau bleuissait sous ses yeux vitreux. Depuis quand était-il dans un état aussi lamentable ? Ils ne se voyaient pas assez souvent pour qu'il ait un ordre d'idée. Dormait-il mal ? Ou était-ce...autre chose ? Mehdi fronça les sourcils, seul signe de son émoi intérieur tant il s'efforçait de garder son calme. Séropositif, ça pouvait ne rien vouloir dire, bon sang ! Il desserra les mâchoires :

- Depuis quand ?

- Ma naissance.

Mehdi ferma les yeux un court instant. Un frémissement imperceptible faisait trembler ses mains.Ca ne voulait rien dire, ça ne voulait rien dire...

- J'ai le sida, reprit Pierre.

Il essaya de ne pas penser à ce que signifiait cette phrase, et mit de côté la terreur qui le prenait à la gorge et menaçait de le rendre fou. Un tic nerveux agitait la commissure de ses lèvres.

- Depuis quand ? répéta-t-il.

- Un mois.

La fureur effaça la panique. Mehdi eut soudain envie d'arracher le volant et de le jeter à la tête de cet enfoiré. Après-demain, cela ferait deux ans qu'ils sortaient ensemble. Il n'avait pas le sida, lui. Ce con l'avait trompé.

La dernière fois qu'ils s'étaient vu remontait à deux semaines et demi. Il donna un brusque coup de volant à gauche dans un virage qui mit à mal les pneus.

- Qu'est-ce que tu fais ? s'inquiéta Pierre.

- J'vais à l'hosto. J'veux voir si tu m'as refilé ta merde, répondit d'un ton sec Mehdi (dont le coeur palpitait secrètement de peur).

Pierre baissa les yeux sur ses mains aux veines saillantes.

 

______________________

 

Pierre se leva précipitamment, fébrile, au retour de Mehdi dans la salle d’attente. Il se rua vers lui et le prit par les épaules en le secouant légèrement.

- A...Alors ? bégaya-t-il.

Mehdi lui jeta un regard méprisant et indifférent et Pierre retira vivement ses mains, comme si ces yeux morts les avaient brûlées elles et pas son âme. Mehdi le bouscula délibérément et se dirigea vers la sortie sans lui répondre, sans l'attendre, et Pierre comprit qu'il s'apprêtait non seulement à sortir de la salle d'attente mais aussi de sa vie.

- Attends ! s'écria-t-il d'une voix aigu.

Mehdi hésita un instant et il en profita pour murmurer d'une voix suppliante :

- S'il te plait...dis-moi...

- Séronégatif, jeta Mehdi laconiquement.

Et il partit.

Pierre s'effondra sur une chaise et le soulagement le fit frissonner. Il était heureux comme si c'était à lui qu'on avait annoncé ce résultat. Il ne lui avait pas transmis sa maladie. Il vivrait. Sans lui, mais il vivrait. Il n'avait pas donné sa mort à quelqu'un d'autre.

Puis, seulement après qu'il se soit consolé dans cette idée, il pleura. Vomit par les yeux serait plus exact. Et il pleurait, et il toussait, et il crachait sa bile dans ses mains. Jamais il n'avait été aussi seul, jamais il n'avait été aussi malade, jamais il n'avait été aussi découragé, désespéré et pitoyable qu'en ce moment-là où il pensait avoir tout perdu.

La vieille dame qui s'était faite toute petite sur son siège depuis l'arrivée des deux amants se détendit enfin en comprenant que depuis le début elle était invisible pour ces hommes aveuglés par leurs sentiments.

 

_______________________

 

Mehdi n'avait d'arabe que son nom. Il avait les traits hautains des britanniques, la fine ossature des asiatiques, la peau pâle et les yeux bleus des pays nordiques. De plus, il était français. Pourtant il n'était pas un condensé de toutes ces cultures, plutôt un assemblage à l'aveuglette qui aurait par miracle donné quelque chose de beau. Il n'avait à vrai dire pas vraiment de coupe de cheveux, pensant simplement à les couper maladroitement avec des ciseaux de temps en temps. Pierre lui disait que ça lui donnait un air sexy de garçon négligé. Il aimait passer la main dans ses cheveux. Il les trouvait doux. Il disait que c'était peut-être la seule chose douce chez lui. Il n'avait jamais su si c'était un compliment ou pas.

Oui, Pierre aimait ses cheveux. Lorsque tout son corps tremblait d'extase, c'était là que ses doigts s'agrippaient pour ne pas perdre pied. Lorsque qu'il avait honte de l'indécence de ses gémissements, c'était là qu'il venait crier son amour, dans cette noirceur soyeuse, tout contre son cou. Mehdi pouvait encore sentir la marque de sa bouche gravée dans sa peau, comme si elle avait fini par s'encastrer dedans. A force de faire l'amour, ils s'étaient façonnés l'un l'autre, modelant leur corps au fur et à mesure que chaque membre prenait sa place dans la chair de l'autre, si bien qu'à présent ils s'emboîtaient parfaitement, comme un puzzle qu'on ne se lasse pas de faire et de défaire.

Mais le puzzle avait été éventré et les pièces éparpillées semblaient ne pas appartenir à la même boîte. Le connard qui avait attiré Pierre dans ses filets pour lui injecter son vice avait donné un grand coup de pied dedans, apposant de force sa marque et celle de sa maladie dans la peau, la chair et le sang de Pierre, et Mehdi ne trouvait plus sa place auprès de ce corps, dans ce corps.

Mais il ne pleurait pas cette compatibilité charnelle perdue, il pleurait la perte de son Pierre. Il pleurait peut-être aussi un peu à cause du coup que lui avait asséné dans la mâchoire son amant du soir, sûrement parce qu'il avait crié Pierre pendant l'acte et que ce n'est pas super appréciable quand on s'appelle Thibaud. C'était d'ailleurs pour ça qu'il n'avait que des amants d'un soir. Etait-ce de sa faute s'il n'arrivait à bander sur aucun autre que Pierre ? S'il n'arrivait à prendre son pied avec aucun autre que Pierre ? Si ce con l'avait tellement habitué à son corps parfait qu'à présent tous les autres lui paraissaient fades ?

Un jour, enfin, un soir, une de ces conquêtes avait pris le parti de la pitié, ce qu'il avait moyennement apprécié, et lui avait dit d'un ton qui se voulait compatissant : "Si tu tiens tant que ça à ton Pierre, va le voir et fais-lui l'amour de force, peut-être qu'il comprendra.", il avait souri un peu faiblement (ce type craquait sur lui, sans doute aucun) et était parti juste avant que Mehdi ne l'étripe. Son Pierre..."Son" Pierre...Ben voyons ! Qu'il aille se faire mettre, cet abruti ! Et par quelqu'un d'autre que lui, si possible.

Cette tante avait mit le doigt sur le problème. Pierre n'était pas encore parti, certes, mais "son" Pierre, lui, était bel et bien parti. Pierre ne lui appartenait plus, ce putain de microscopique virus de merde le lui avait enlevé.

Dès qu'il avait claqué la porte, il avait voulu la rouvrir; mais il s'en était rendu compte trop tard et sa putain de fierté en avait profité pour instiguer sournoisement en lui une rage dévorante, laissant juste un peu de place pour une seule et unique litanie qui n'en finissait plus de le tourmenter : Il l'avait trompé ! Il en avait baisé un autre que lui ! Quelle bite volage, quelle tantouze juste bonne à se faire mettre !

Mais il se répétait ça pour empêcher un mot de poindre ne serait-ce qu'une seule de ses lettres : Pourquoi ? Pourquoi était-il allé voir ailleurs ? Peut-être s'était-il trompé sur toute la ligne. Peut-être leur couple n'était pas aussi parfait qu'il voulait bien le croire. Il ricana dans son oreiller. Quel couple de garçons peut prétendre être parfait ?

Lui, en tout cas, il trouvait Pierre parfait. Ce dernier avait un physique pourtant banal, châtain aux yeux couleur vase et au visage passe-partout; mais c'est leur rencontre qui ne l'avait pas été.

Il était midi, il en était à sa troisième clope de la journée - il tenait le compte car il essayait d'arrêter de fumer - et échangeait des banalités avec le serveur ("Il fait beau - Ouais, demain ils annoncent 28°c - Putain j'suis pas en congé"). Pierre avait alors fait une entrée en fanfare, un sourire béat accroché aux lèvres et deux greluches aux bras. Mehdi avait méprisé sa dégaine de djeun's, il avait méprisé son visage aviné, il l'avait méprisé pour son exubérance. En le voyant arriver aussi bruyamment, il n'avait éprouvé qu'une haine viscérale pour la jeunesse d'aujourd'hui et leur immaturité.

Il s'était laissé tombé sur le tabouret à côté de lui, au comptoir. Les filles ne l'avaient pas lâché et Mehdi s'était vite retrouvé à moitié écrasé et envahi par les relents de leur parfum si capiteux qu'il avait l'impression qu'il lui bouchait les voies respiratoires. Elles ponctuaient chacun des braillements saouls de Pierre par un rire haut-perché, ce qui avait semblé finir par agacer le poivrot. Il les avait congédié sèchement sous le regard moqueur et misogyne de Mehdi, qui fit bientôt une grimace quand Pierre découvrit en lui un potentiel nouvel interlocuteur - ou plutôt, comme il n'avait absolument pas l'intention de faire la conversation, un potentiel nouvel écouteur.

Il embrayait sur un sujet dont Mehdi ne se souvenait même pas la teneur, et celui-ci tirait nerveusement sur sa cigarette pour s'empêcher de faire une connerie, puis, se reprenant, avait préféré se noyer dans l'alcool, s'engluant dans le liquide qui glissait dans sa gorge comme une langue de feu. Il avait été aisé de déceler le moment où Pierre s'était arrêté de parler. Il s'était vaguement demandé s'il allait partir, quand il avait senti son verre lui échapper des mains pour être reposé sur le comptoir en faisant jaillir quelques gouttes et sa cigarette lui échapper des lèvres et venir s'écraser avec force sur le bois du comptoir, laissant une trace brûlée circulaire et fumante. Il allait jurer d'indignation,mais il avait dû mobiliser toute sa concentration pour identifier l'objet sur lequel il louchait, que Pierre avait soudain brandi sous son nez. Il l'avait prit entre ses doigts et fronçait les sourcils. Une sucette. Un sourire niais avait traversé de part en part le visage de Pierre qui avait crut bon de dire :

- C'est un bonbon magique pour être un bon garçon !

Mehdi avait eut un temps de réaction, essayant avec peine d'assimiler le culot de son voisin.

- Pour arrêter de fumer et de boire, avait-il précisé.

L'hôpital se foutait royalement de la gueule de la charité, et Mehdi avait failli s'étrangler en songeant que c'était lui, qui puait l'alcool à des kilomètres à la ronde, qui lui disait cela. Il avait un tic au sourcil gauche et il s'apprêtait à enfin remettre ce con à sa place, mais il avait été une nouvelle fois interrompu d'une bien étrange manière. Il sentit quelque chose d'humide, de baveux, lécher son menton pour y recueillir les une ou deux gouttelettes de Whisky que Mehdi avait distraitement laisser couler. Il avait repoussé violemment Pierre.

- Espèce de pré pubère attardé et dépravé !

Une chaleur envahissait ses membres, si désagréable qu'elle le fit frissonner.

- Mais je ne vous permets pas, jeune homme ,je suis plus agé que vous ! avait rétorqué Pierre d'un air soudain sérieux, que venaient gâcher la rougeur de ses pommettes et la lueur moqueuse dans ses yeux.

- Je ne vous ai pas dit mon âge..., n'avait pu s'empêcher de contester Mehdi, ressentant l'effet de l'alcool en se faisant la remarque qu'il n'était même pas étonné de l'incongruité de la situation.

- J'ai l'habitude qu'on me prenne pour plus jeune que je ne le suis, avait dit d'un air supérieur Pierre. Souvent, cela cause quelques - agréables - surprises à mes compagnons..., avait-il ajouté avec un clin d'oeil grivois.

Et il s'en était allé de l'atmosphère poussiéreuse et tamisée du bar.

Mehdi se retourna dans son lit, les draps râpant sa peau déjà rêche, plus pour déplier et détendre son grand corps dégingandé engourdi que par envie de trouver une position confortable pour dormir. Il savait qu'il ne dormirait pas.

Est-ce que Pierre avait eut tant d'amants que ça ? Avait-il transmis sa séropositivité à tant de gens innocents qui, peut-être, l'aimait d'un amour sincère et non malsain comme le sien ? Mehdi croyait profondément en la bonté de Pierre, mais maintenant qu'il savait qu'il n'avait pas pu résister à aller voir ailleurs, il doutait.

Il tendit sa main vers la table de chevet, en tâta la surface de ses longs doigts un peu tordus, et attrapa la boîte de somnifères dont il fit tomber plusieurs cachets dans sa paume. Finalement, il avait décidé qu'il dormirait ce soir. Le Pierre de ses rêves était préférable au Pierre de ses souvenirs.

 

_______________________

 

Pierre jeta le mouchoir tâchée de sang dans une flaque d'eau qui proliférait sur le pavé défoncé. Il fouilla dans sa poche poisseuse et les dents de ses clefs écorchèrent la peau de ses doigts lorsqu'ils se refermèrent dessus. Il s'y reprit à deux fois avant de trouver la bonne clé et de la mettre rageusement dans la serrure, et ouvrit la porte sur le capharnaüm typique du garçon qui vit seul. Il se laissa tomber dans le canapé en cuir craquelé, s'enfonçant dans un grincement qui n'augurait rien de bon. Il tendit le bras et tâtonna à peine avant de trouver la poignée du mini-frigo, qu'il ouvrit et d'où il prit une limonade sans quitter des yeux le plafonnier. Son petit studio était pratique, il avait tout à portée de main. Il ne regrettait pas l'appartement de Mehdi, trop grand, trop vide. Même Mehdi n'arrivait pas à combler ce lieu, qui lui appartenait pourtant, de sa présence. Cet appartement avait quelque chose d'angoissant.

Pierre bougea un peu pour se lover sur le canapé, dont le vieux cuir émit encore quelques gémissements d'agonie, et s'inonda la gorge de sa boisson gazéifiée, dont les bulles lui donnèrent une furieuse et désagréable envie de tousser par le nez. Il avait soif. Tellement soif. Tout le temps. Et faim aussi. Jamais il n'était rassasié. Oh oui, il avait si faim... L'alcool, qu'il s'était pourtant interdit de boire, lui remontait dans la bouche par vagues nauséeuses qu'il s'efforçait de refouler; il n'avait pas envie de devoir nettoyer après. En laissant stagner la boisson dans son estomac putride, il essaya de savoir comment il en était arrivé là...

Après avoir vomi son malheur dans la salle d'attente mille fois maudite, puis sur les passants, et enfin dans des bouteilles d'alcool en vrac, un vrai cocktail dont il ne se souvenait en rien des ingrédients, il avait atteint un tel dégoût de lui-même qu'il avait profondément souhaité que le sida l'emporte à cet instant. Mais le sida n'est pas comme ça. Vicieusement, il vous inflige une mort lente, dégradante, une demi-mort avant la vraie. Il avait vécu tant d'années en étant séropositif et en ignorant ce que cela impliquait, en ignorant le risque auquel il était exposé en étant homosexuel. Il savait juste qu'il "pouvait" attraper le sida, et se contentait de se protéger. Il croyait que c'était suffisant. Il ne savait pas. Son ignorance l'avait perdu. Il avait vécu trop ardemment pour un séropositif. Le sida lui était tombé dessus sans prévenir. Il est comme ça le sida. Sadique. Quand tout semble être merveilleux, quand on s'est hissé sur le trône que sont les genoux de la personne aimée, il nous fait choir dans les ossements morbides que l'on n'a pas vu, trop occupé à regarder les yeux de quelqu'un d'autre que ce cadavre aux orbites rongés. Le sida fait l'effet d'un poison que l'on injecte dans les yeux après les avoir ouverts de force et qui se diffuse lentement dans tout l'organisme, en commençant par la tête, en rendant fou...

Oui, Pierre se sentait fou. Il en avait l'intime conviction. Il se sentait fou quand il cherchait ses lunettes alors qu'il n'en avait pas. Il se sentait fou quand il prenait une pilule blanche et une bleue et essayait de les faire fusionner pour faire une gélule bleue et blanche qu'il avait oublié de racheter. Il se sentait fou quand il s'ennuyait tellement qu'il en venait à compter le nombre de fois qu'il toussait en une journée. Il se sentait fou quand il croyait voir Mehdi partout...

Il était fou.

Pierre n'avait jamais trompé Mehdi. Pas lui. D'autres...plus ou moins. Mais pas Mehdi. Cela n'avait pas traversé l'esprit de Pierre que Mehdi pensait qu'il l'avait trompé tant cela lui paraissait inconcevable. Il se disait que son ancien amant était furieux de ne pas lui avoir dit, d'avoir laissé ce risque s'installer durablement... Deux ans, exactement. Ce dernier était lui aussi ignorant de cette maladie étrange qui n'en était pas vraiment une, et cela lui avait joué un très mauvais tour...

"Que pense-t-il de moi ?" était une question récurrente dans les pensées de Pierre. Ca l'avait toujours été. Le regard de Mehdi n'avait jamais été inquisiteur mais il se sentait infiniment moindre, se dépréciait, se dénigrait sans cesse - chose nouvelle pour lui, et ça l'avait au premier abord agacé autant que Mehdi. Puis, ils avaient fini par faire avec : sans pour autant accepter cette sous-estimation, Mehdi semblait vouloir aller dans son sens, ne pas le contrarier. Il avait toujours l'air de le trouver fragile, manipulait son corps de gringalet avec précaution. Qu'est-ce qui les avait poussé à se mettre ensemble, lui le grand penseur fort et beau, avec lui, le petit con suffisant et maigre ? Il avait du mal à se souvenir de leur toute première rencontre, celle où il était bourré, et se souvenait par contre parfaitement de la deuxième, la décisive, la meilleure.

Il se souvenait vaguement avoir laissé entendre qu'il était gay à Mehdi; il avait alors souhaité ne plus jamais croiser son chemin. Mal lui en prit. Il le revit environ deux mois plus tard, ou peut-être moins il ne savait plus très bien, dans un supermarché. C'était Mehdi qui l'avait repéré en premier. Mais il s'était contenu et ne l'avait accosté qu'à l'extérieur pour éviter une scène gênante (il lui avouerait après coup qu'il l'avait en fait pisté à travers les rayons pour ne pas le perdre de vue). Il l'avait accosté alors qu'il transportait des sacs remplis de surgelés, le regard noir et l'air peu avenant.

- Bonjour, monsieur, avait-il dit d'une voix froide et il n'aurait pas pu paraître moins poli.

- Euh...Bonjour, on s'connait ? avait-il répondu, choqué qu'un inconnu l'aborde d'une manière si peu amène.

Mehdi avait alors sorti d'une de ses poches une sucette cassée au papier froissé qui ne tenait presque plus sur son bâton et lui avait brandi sous le nez comme lui même l'avait fait deux mois auparavant.

- Ca, ça te rappelle rien ? avait-il craché.

Pierre avait réfléchi à toute vitesse de peur que la situation dégénère, et quand enfin il se souvint, il recula d'un pas, prudemment.

- Excusez-moi, j'étais soûl, je n'aurais pas du faire ça. Désolé des désagréments que je vous ai causé, vraiment.

Et il se retourna pour marcher rapidement jusqu'à sa voiture autant que pour masquer sa gêne. Toutefois, comme il redoutait, Mehdi n'en resta pas là et le rattrapa en prenant ses poignets et les immobilisant derrière son dos pour ne pas qu'il se retourne, les serrant si fort qu'il en lâcha ses sacs.

- T'as quel âge ? lui avait-il demandé brusquement.

- 23...

- Tu n'es plus vieux que moi que de deux ans...

Pierre n'avait pas su quoi dire, soupçonnant un rapport avec leur précédente rencontre sans en savoir les détails, mais Mehdi avait repris la parole, à son grand soulagement. Cette fois-ci cependant, il s'était penché à son oreille comme pour lui dire quelque chose de secret ou de honteux...

- Tu m'as menti, ce bonbon n'est pas magique, lui avait-il faussement reproché. Mais toi, si, avait-il rajouté si bas qu'il crut d'abord qu'il lui avait juste soufflé dans le cou; ce qui revenait au même étant donné que ça laissait supposer qu'il était attiré par lui.

De plus en plus mal à l'aise, Pierre tremblait contre le torse de Mehdi qui après cette révélation avait posé sa tête à la jonction de son cou et de son épaule, laissant ses cheveux caresser la joue de Pierre. Ce fut une espèce de coup de foudre. Pierre tomba amoureux de ces cheveux, de cette douceur qui le brûlait, de cette noirceur qui le faisait pâlir. Il tenta de se reprendre avant de sombrer définitivement :

- Excusez-moi, j'étais soûl, avait-il répété. Je...je ne suis pas gay ! avait-il continué précipitamment d'un ton peu convainquant.

Mehdi ne s'était pas démonté. L'homme timide qu'il tenait contre lui était à milles lieux de celui qu'il avait rencontré, mais cela n'en était que mieux. Il le faisait petit à petit tomber amoureux, et il admirait Pierre pour cela. A un tel niveau d'amour mêlé de respect et de tendresse affectueuse, il considérait ça comme un chance unique, qu'il ne laisserait pas filer.

- Alors tu le deviendras...

Et effectivement, par la suite il s'était avéré que si Pierre ne l'avait pas été, il le serait devenu.

Mais il n'avait plus la force de se souvenir de la suite, quand il avait cédé, quand Mehdi s'était immiscé brutalement dans sa vie, et tout le reste. C'est sur des images confuses de corps entremêlés, habillés ou non, qu'il s'endormit; sa main se décontracta, laissant tomber au sol la bouteille encore à moitié remplie de limonade.

 

______________________

 

Mehdi identifia la chanson que passait le pub comme étant El tango de Roxanne, et il resta un instant planté sur le seuil, surpris sournoisement par sa nature mélomane. Puis enfin il se décida à aller se vautrer au comptoir, et le serveur l'apostropha :

- Mehdi, la même chose que d'habitude ?

Il opina du chef et demanda un cendrier. Le serveur lui apporta en même temps qu'un fond de Whisky qu'il sirota tandis qu'il tirait des bouffées de tabac sur sa cigarette.

- Tu fumes plus en ce moment, remarqua le serveur.

Mais ce fut tout ce qu'il dit. Mehdi continua son mélange nauséeux whisky-tabac, et quand le verra claqua, vide, sur le comptoir et qu'il se retourna après avoir payé avec de la petite monnaie, il ne fut presque pas surpris quand il vit Pierre à une table, dos à lui. Il coula quand même un regard de reproche vers le serveur pour la forme :

- Pourquoi tu m'as pas prévenu ?

Il ne lui adressa pas un regard.

- Pourquoi je l'aurais fait ?

Mehdi haussa les épaules. Il avait raison.

Le pub After work n'avait pas une grande réputation, sans être mal famé. Mais à cause de ça les gens qui venaient ici étaient des habitués, se connaissant presque tous dans ce monde restreint. Il était donc tout à fait normal que Pierre vienne boire un verre ici, tout comme lui. Il avait peut-être espéré qu'ils ne se croiseraient jamais mais cela reviendrait à avouer qu'il était un lâche, et ça il n'était pas près à l'avouer. Tout comme il n'était pas prêt à avouer que c'était lâche d'enchaîner les coups d'un soir.

Mehdi regarda la nuque de Pierre, son dos en partie caché par la chaise, ses cheveux ternes et une de ses mains qui venait parfois gratter machinalement entre deux mèches. Il soupira et se décida à aller lui parler. Il s'installa sur la banquette sans que Pierre ne lève les yeux. Il douta un instant qu'il ait perçu sa présence.

Le regard toujours fixé sur son verre, il sortit de sa poche quelques pièces qu'il jeta mécaniquement dans la coupelle prévue à cet effet. Ce n'est que lorsqu'il se leva et que ses  yeux se promenèrent vaguement et par réflexe sur tout le bar qu'il vit Mehdi. Ses sourcils se froncèrent, il crut à une nouvelle hallucination, et le temps qu'il réalise qu'il ne divaguait pas, Mehdi put remarquer à quel point son état avait empiré depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus.

Deux croissants de lune gris s'étendaient en dessous de ses yeux jusqu'à la naissance de ses pommettes, sa peau luisait comme s'il était constamment en sueur, et entre ses os la peau s'était creusée. Est-ce que son esprit était à l'image de son corps ? Fourbu, malade, désespéré ? Lui était plutôt en bonne santé physiquement. Toutefois, psychologiquement, c'était le bordel.

Pierre ferma enfin la bouche et se rassit.

- Mehdi ? demanda-t-il, encore en proie à un doute.

- C'est moi, répondit le sus-nommé, gêné.

Il était prêt à tout lui pardonner, pourvu qu'ils dorment dans le même lit le soir même. Pourvu qu'il le prenne dans ses bras. Pourvu qu'il sente encore sa main dans ses cheveux. Pourvu qu'il puisse prendre soin de ce corps décharné.

Il avança sa main vers celle tremblante de Pierre et caressa la fine peau qui la couvrait.

- Pierre... Qui t'as fait ça ?

Il fouillait des yeux ceux vaseux de Pierre, qui fut désarmé par cette question.

- M'a fait quoi ?

- Quelle veuve noire t'as injecté son venin ? reformula Mehdi, les yeux parcourant la peau à la coloration irrégulière de son ancien amant.

- Mais...Personne, fit Pierre, perplexe.

Ce fut au tour de Mehdi de l'être.

- Mais attends, si t'as soudainement été contaminé...

- Mais j'ai pas été soudainement contaminé, je me le trimballe depuis ma naissance ce virus ! Il m'a laissé vivre une vingtaine d'années et puis après il est venu réclamer son dû, voilà tout ! Tu insinues quoi, que je t'ai trompé ?

Le raisonnement de Mehdi commença à lui apparaître plus clairement. Il le regarda, atterré.

- Mais tu sais bien que je n'ai que toi...Que tu es le seul qui en vaille la peine, que les autres m'importent peu...Je n'ai pas d'amis, je n'ai rien, ma vie gravite autour de toi, marmonna-t-il.

- Quoi ?

- Je ne t'ai jamais trompé, résuma-t-il, honteux.

Mais Mehdi avait très bien compris. Il avait appris à déchiffrer les marmonnements de Pierre.

Il s'était donc trompé sur toute la ligne. Alors qu'il aurait dû le soutenir plus que n'importe qui, il s'était bêtement réfugié dans une excuse d'homme haloux. Il serra sa main, la pressa avec ses doigts.

- Pierre..., commença-t-il, la gorge nouée. Reviens avec moi...

- Mais je ne suis jamais parti...

Il planta un regard un peu perdu dans le sien et Mehdi sut que c'était vrai, que Pierre avait désespérément besoin de lui.

 

_______________________

 

Ils mirent quatre jours à finir les provisions et les fonds de placard du studio de Pierre sans en sortir. Comme s'ils avaient peur de sortir de leur monde, comme si l'apothéose était proche; Mehdi voulait simplement remplir son rôle : être la raison de vivre de Pierre, être la vie de Pierre.

Mais il commençait à tourner en rond. C'était quelqu'un d'actif, il avait un travail, une vie en dehors de Pierre. Mais à chaque fois qu'il pensait ça, ça lui faisait mal et il essayait de se convaincre du contraire. Il avait l'impression d'éprouver de la pitié alors qu'il savait qu'il était fou amoureux.

Ils avaient passé leurs journées à grignoter et à paresser tantôt sur le lit tantôt sur le canapé qui arrivait bientôt au terme de sa vie. Ils s'embrassaient, s'étreignaient, passaient leur temps vautrés l'un sur l'autre... Mais jamais rien de plus. Mehdi avait l'impression d'être inutile en voyant que sa présence ne transformait en rien la loque qui lui servait de compagnon.

Ce matin-là, il se leva sans un bruit, poussant le bras de Pierre en travers de sa poitrine, alluma le poste de radio en réglant le son au minimum et chercha de quoi manger en vain. Il se résigna à s'asseoir à côté du poste en tendant l'oreille, les pieds farfouillant dans la poussière et les sachets de nourriture vide. L'étroitesse de cette unique pièce à vivre l'étouffait. Il éprouvait sans cesse le besoin de la ranger et la nettoyer mais la poubelle était pleine et il ne devait pas sortir. Non, il ne devait pas. Comme s'il était prisonnier et que la porte de sa geôle était ouverte mais que son compagnon de cellule était Pierre et que lui était enchaîné.

Les draps remuèrent, Pierre émergeait. Mehdi ne le regardait pas. Il ne voulait pas voir ses yeux éteints embués de sommeil, son sourire trop doux qui lui donnait envie de le secouer. Il le vit du coin de l'oeil se traîne en bout de lit, et, le menton posé sur sa main gauche, sa main vint caresser ses cheveux. Il le fit arrêter d'un geste agacé, ne le regardant toujours pas. Le silence s'étira, encore et encore, comme un chewing-gum pré-mâché.

- Mehdi, si tu veux partir, fais-le.

- Toi, si tu veux partir, fais-le.

- Je ne peux pas partir.

- Tu sais très bien de quel départ je parle.

Mehdi avait baissé les yeux, honteux d'avoir laissé transparaître sa rancoeur. Pierre le fixai étrangement.

- Je préfèrerais mourir de ta main plutôt que de celle de cet enfoiré de VIH.

Mehdi fermait à présent les yeux de toutes ses forces. Lui aussi aurait pensé de cette façon. Mais ce n'était pas une raison. Il se tourna brusquement vers lui, l'attrapa par le col de son t-shirt large et sale et se leva, l'entraînant avec lui.

- Mais t'as d'autres options que mourir, merde ! cracha-t-il.

- Je vais mourir assurément dans quelques temps, je ne vois pas ce que ça change.

- Et alors, moi aussi je vais mourir un jour ! Mais vis, profite du peu de temps qu'il te reste, carpe diem tu connais ?!

- Je ne te retiens pas, vas donc cueillir le jour si ça t'amuse, mais je profite du peu de temps qu'il me reste pour être avec la personne que j'aime, moi.

Il leva vers lui ses yeux mornes et éteints et Mehdi ne put se contenir davantage. Il le frappa violemment à la mâchoire, l'envoyant valser contre la tête du lit où il se cogna sourdement.

- Et tu oses dire que tu ne me retiens pas ? s'emporta-t-il tandis que Pierre se relevait. Comment veux-tu que je réponde à ça, moi ? Bien sûr que je veux être avec toi, je t'aime, bordel, mais on peut s'aimer autre part qu'ici tant qu'on est tous les deux, non ?

Il allait relancer sa diatribe mais il vit Pierre s'essuyer le menton et remarqua sa lèvre fendue. Il bloqua sur cette vision : son sang vicié qui teintait de rouge ses lèvres à la manière d'une putain. Dans une pulsion soudaine et inconsciente, il bondit à ses côtés, prit son visage en coupe brutalement en plantant ses ongles dans la peau de ses joues, et l'embrassa. Passionnément, voire vulgairement, il mordit sa lèvre inférieure, ouvrit la plaie, s'y abreuva en la léchant obscènement comme un animal. Il s'écarta, un peu essoufflé, pourléchant sa bouche écarlate, regardant celle barbouillée de vermillon de Pierre qui semblait figé et le regardait horrifié. Alors, seulement, il se rendit compte de ce qu'il venait de faire.

Il baissa les yeux en louchant vers ses lèvres tuméfiées sans les voir, et le sang qui coagulait dans sa gorge le brûla soudainement. Il toussa un peu, mais juste un peu. Pierre, affolé, s'approcha de lui, tendant les bras pour l'enlacer mais Mehdi commençait à trembler, de rage mais de peur surtout, et alors qu'il le prenait dans ses bras il se débattait, donnait des coups de poing sur son torse, le secouait comme un prunier par le devant de son T-shirt, mais Pierre tenait bon, lui, le plus chétif, le plus fragile, le plus malade d'eux deux, ses bras formant une camisole de force à la folie qui menaçait de s'emparer de Mehdi, jusqu'à ce que celui-ci rende les armes, que sa main ne soit plus qu'une araignée crispée sur le haut trop grand, que ses épaules s'affaissent avant de se secouer de sanglots, que sa tête cogne contre la poitrine de Pierre, ses mains tiraillant son T-shirt que ses larmes salissaient encore plus.

Il était foutu.

Et il avait si peur...

La voix lancinante d'Ewan Mcgregor résonnait, éraillée, dans le studio.

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Mehdi n'était pas quelqu'un de particulièrement violent. Mais quand ce jour-là, il sortit dans la rue pour la dernière fois - bien q'uil ne le sache pas encore - et qu'il vit un malfrat sortir d'une banque en précipitation, les policiers à ses trousses lui tirant dessus et disant aux passant de se jeter à terre, qu'il obéit et qu'il vit sous son nez l'étrange objet qu'avait fait tomber le voleur, son sang ne fit qu'un tour et il ne pensa pas un instant à le ramener à la gendarmerie. Il se releva sur ses coudes, empoigna le revolver, et sentit le lourd poids de la crosse dans sa paume, la fraîcheur qu'elle délivrait à ses doigts en cette moiteur estivale, et la sensation de puissance qui le saisissait. Il n'avait nullement l'intention de tuer quelqu'un, du moins à cet instant, c'était juste... Excitant. Comme dans les films ou dans ses rêves les plus fous.

Il le garda donc, et depuis ce moment-là il ne l'avait pas quitté, même quand juste après il revoyait Pierre depuis longtemps à l'After work.

 

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"Je préfèrerais mourir de ta main plutôt que de celle de cet enfoiré de VIH."

Bien après, quand Mehdi se fut calmé dans ses bras, il avait chuchoté un "moi aussi" craintif, comme si c'était mal, comme si penser ça l'horrifiait.

Pierre avait toujours eu une arme. Par son père. Vous savez, le genre de relique qu'on garde comme ça, juste par symbolique, même pas par au-cas-où, et qui traîne dans un coin jusqu'à son heure de gloire, jusqu'à ce qu'elle se révèle utile.

Depuis ce jour funeste où ils s'étaient finalement résignés à leur sort, ils s'étaient enfoncés dans une gangue sordide, celle de ce studio, de la promiscuité qu'il leur offrait, celle de leur monde maladif et celle de leur amour destructeur. Il restait cloîtrés comme s'ils étaient dans un monde paralèlle étroit fait seulement pour eux. Même aller chercher le courrier dans la boîte aux lettres ils ne le faisaient pas. Ils passaient leurs journées à faire l'amour, pleinement, sans latex, sans pudeur, dans tous les coins de ce studio crasseux - même le canapé n'avait pas été épargné -, tellement c'était bon, tellement ils avaient l'air d'avoir atteint la perfection maintenant qu'ils s'étaient tout partagé, même leur virus. Leurs corps s'étaient retrouvés avec une joie que ne cachait pas leur ardeur; les mèches de Mehdi se ré-imprégnaient des cris de Pierre, le puzzle était entier, beau même si rongé par endroit...

Vint un moment où ils n'en eurent même plus la force. Alors Mehdi se leva et alla chercher son blouson; tandis qu'il tournait le dos à Pierre, celui-ci se pencha et tâtonna peu longtemps sur le plancher en-dessous du lit, et sous des centimètres de poussière la fraîcheur de l'arme le fit frissonner. Il se leva à son tour, cachant nonchalamment le pistolet dans son dos, le bras ballant contre sa fesse gauche. Il ne remarqua pas que quand Mehdi se retourna, c'était la terminaison de son bras droit que l'on ne voyait pas. Ils tendirent chacun leur bras libre pour enserrer la nuque de l'autre et leurs fronts se cognèrent avant leurs lèvres, avides, humides, désespérées comme si elles savaient que c'était leur heure de gloire, que c'était le dernier acte de leur vie et qu'elles se sépareraient bientôt à jamais.

- Ne t'arrête jamais, murmura Mehdi contre la bouche de Pierre.

- Jusqu'à ce que la mort nous sépare, répondit Pierre avant d'utiliser sa langue pour autre chose de plus intéressant.

Mais il ne savait pas que même la mort ne les séparerait pas.

Alors que Mehdi sortait sans un bruit son arme, le doigt sur la gâchette, il entendit un cliquetis près de sa tempe. Il interrompit le baiser, se détacha vaguement du corps malingre et Pierre et lui s'observèrent un long moment, sans mot dire, comme s’ils avaient su à l’avance que cela tournerait comme ça, comme si leur esprit s'étaient concertés en secret pour fomenter leur apothéose, avant de reprendre leur étreinte plus violemment, mêlant leur corps et leur bouche inextricablement, de telle sorte qu'on eut dit qu'ils n'étaient plus qu'une seule et même personne voulant se suicider.

Le double coup de feu n'eut pas le temps de résonner dans leur tête ; ils n'avaient déjà plus d'âme pour l'entendre.

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* Le corps exquis, p. 260, Poppy Z. Brite. Phrase qui m'a inspirée cette fiction.

POUIF ! Hm.

Alors la fin va très vite, c'est aussi déroutant que normal.

Et puis euh voilà. Donc : cadeau. Pour Vava. N'a elle.

Je les aime bien Pierre et Mehdi... dommage qu'ils soient morts, j'les aurais bien ré-utiliser...bwaha.

En espérant que c'est point trop nul.

Lady Rose.

 

 
     
     
 
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