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Les chroniques d'Arcanie T0 : Les festivités
Par Cyrlight
Originales  -  Général  -  fr
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Un rôle à tenir

Cybard était en train de passer l'une de ses nombreuses chevalières à son doigt lorsqu'un coup puissant fut frappé par la porte de sa chambre. Comme il n'y était pas préparé, il lâcha le bijou de surprise, qui roula sur le sol jusque sous son lit. Il se mordit l'intérieur de la joue, furieux contre sa maladresse.

- Une minute ! réclama-t-il.

Il s'accroupit sur le sol dur et étendit son bras sous le sommier pour explorer les ténèbres à tâtons. Alors qu'il sentait enfin l'anneau doré au contact de son index, le battant s'ouvrit, en dépit de ses exigences. Le roi Gildas entra dans la pièce avant que son fils n'ait eu le temps de réagir.

- Pourrais-je savoir ce que tu fais par terre, mon garçon ?

- Je... Euh... J'ai fait tomber un objet, Père. Tout va bien, à présent. J'ai pu le récupérer.

Le souverain contint le soupir qu'il brûlait de pousser. Cybard n'avait pas le moindre réflexe et parvenait à peine à coordonner ses dix doigts sans provoquer un quelconque accident. Le fait qu'il soit incapable de se battre convenablement à l'épée n'avait rien d'étonnant lorsqu'on le connaissait bien.

- Je suis venu féliciter le héros du jour, annonça-t-il après quelques secondes. Vingt-cinq ans, mon fils, c'est exceptionnel.

- Ce n'est qu'un chiffre, Père, et le signe qu'une année supplémentaire s'est écoulée.

- C'est également l'âge auquel je suis monté sur le trône. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis ici. Je crois qu'il serait grand temps que nous parlions, tous les d'eux. D'homme à homme, certes, mais surtout de roi à futur roi.

- Je vous écoute.

Gildas joignit ses mains dans le creux de son dos et se mit à arpenter la pièce d'un pas lent. En dépit de la vieillesse qui commençait à le ronger, il conservait en lui une part de majesté qu'il ne devait pas uniquement à sa couronne et aux habits d'apparats qu'il avait revêtus pour l'anniversaire de son fils.

- Comme tu le sais, l'Arkanie traverse depuis plusieurs décennies déjà une ère de paix et d'abondance. Nous n'avons pas eu à souffrir de beaucoup de discordes avec nos ennemis, ni de problèmes internes. À quelques exceptions près, les récoltes ont été bonnes, et les épidémies peu nombreuses.

- La chance semble nous sourire.

- Elle peut aussi tourner du jour au lendemain, sans crier gare. Un changement brutal est susceptible de se produire n'importe quand, demain ou dans un mois. Si jamais la situation qui est la nôtre venait à basculer dans le chaos... Ma jeunesse est derrière moi, mon fils, et je doute d'avoir la fougue nécessaire pour parvenir à contrôler les évènements, quels qu'ils soient.

- Je vous en conjure, Père, ne dites pas cela. Vous allez porter malheur au royaume, mais également à vous-même. Vous avez encore une longue parcelle de vie qui vous attend devant vous.

- Ton optimisme est louable, mais je crains que tu n'en fasses toujours preuve d'un peu trop. Ce que j'essaye de te dire, Cybard, c'est que tôt ou tard, tu te retrouveras à ma place. À ce moment-là, il te faudra être prêt.

Le prince s'efforça de conserver une expression neutre, mais il commençait à se sentir mal à l'aise. Il n'aimait pas aborder avec quiconque son futur rôle de roi, car il avait l'impression de ne pas encore être en mesure de l'endosser. Il doutait d'ailleurs d'en être jamais capable.

Il n'avait pas la moindre autorité. C'était à peine s'il osait donner des ordres à ses domestiques, aussi comment pourrait-il gouverner un peuple en entier ? Il confondait les lois, les noms et les dates à cause de son caractère distrait et il n'avait ni la valeur ni la bravoure des chevaliers. L'Arkanie méritait mieux qu'un souverain qui s'annonçait aussi médiocre que lui.

- Père, je ne crois pas que... L'instant n'est-il pas mal choisi pour discuter de cela ? Les invités arrivent au château. J'ai même cru voir le duc Rustic dans la cour. Ne pouvons-nous remettre cette conversation à plus tard ?

- Non, il est important que nous l'ayons maintenant.

- Important ? Pourquoi donc ?

- Il est temps que tu prennes ton avenir en main et que tu te familiarises avec les devoirs qui sont les tiens. Un roi, ou en l'occurrence un prince, ne s'appartient pas. Il doit agir de la meilleure façon possible pour son pays, et toi, tu t'apprêtes à lui rendre ton premier service.

- Quel genre de service est-ce ? s'enquit Cybard.

Il fronça les sourcils. Il avait envie de se montrer dévoué envers son royaume, ainsi qu'envers son peuple, mais il ne pouvait s'empêcher de se montrer suspicieux. Quelle action son père allait-il exiger de lui ? Plusieurs possibilités lui traversèrent l'esprit, mais il n'en retint aucune.

- Lydéric de Calverne sera présent, aujourd'hui.

- Je suis ravi qu'il ait pu faire le déplacement jusqu'ici. C'est un homme que j'admire beaucoup et pour qui j'éprouve un grand respect. Sa présence à mon anniversaire m'honore.

- Lui aussi te tient en très haute estime. Il juge que tu es un garçon intelligent et honnête, des qualités qu'il apprécie tout particulièrement. C'est grâce à cela que nous sommes parvenus à un accord, lui et moi ?

- Au sujet de l'alliance ? Fort bien. L'entente entre nos deux pays est telle qu'il serait sot de ne pas l'officialiser. J'ose comprendre que vous avez l'intention de la signer au cours des festivités ?

- Non.

Cybard était sur le point de poursuivre le flot de ses remarques perspicaces, toutefois la réponse de son père le contraignait à s'interrompre. L'espace d'une seconde, il se demanda s'il avait bien suivi la conversation, car il ne voyait absolument pas où celle-ci allait le mener.

- Te souviens-tu de la princesse Énimia ? s'enquit Gildas.

- Notre rencontre date, mais j'en garde une image favorable. C'était une enfant pleine de charme et de douceur. A-t-elle accompagné ses parents ?

- Hélas non, elle supporte assez mal les voyages. Tu auras cependant l'occasion de la retrouver dans un futur très proche. Le roi Lydéric et moi-même, afin d'assurer la solidité de l'accord que nous sommes sur le point de passer, avons pris la sage décision de vous marier l'un à l'autre. 

Le prince cligna des paupières, les yeux exorbités. Il ne parvenait pas à croire ce qu'il entendait. Était-ce une mauvaise plaisanterie ? Une farce que son père avait décidé de lui jouer pour ses vingt-cinq ans ? Freya était sûrement derrière tout cela, car cette situation lui ressemblait bien.

Il s'attendait à la voir surgir du couloir d'un instant à l'autre, en riant aux éclats et en se moquant de son expression abasourdie, néanmoins cela ne se produisit pas. Il n'y avait rien d'autre que le silence, et le regard de Gildas rivé sur lui. Cybard secoua la tête afin de se ramener à la réalité.

- Père, enfin ! Êtes-vous sérieux ?

- Je ne saurais l'être davantage.

- Pourquoi ? Pourquoi cela ?

- Cela me paraît évident. Un mariage entre vous sera le moyen de lier et d'unifier à jamais vos deux familles. Tu deviendrais alors prince de Calverne et Enimia princesse d'Arkanie. Les enfants que vous auraient ensemble seraient le symbole parfait de l'unité entre nos deux pays.

- Toute cette histoire est absurde. Père, je la connais à peine.

- Tu m'as pourtant affirmé en garder un aimable souvenir. M'aurais-tu menti ?

- Non, c'est exact, mais cela ne signifie pas pour autant que je désire l'épouser. Nous ne sommes rencontrés qu'une seule fois, il y a des années de cela. Je serais sans doute bien incapable de la reconnaître si je me tenais en face d'elle. N'est-ce pas un peu précipiter les évènements ?

- Cybard, tu as atteint un âge où il commence à devenir temps pour toi de prendre une femme et je n'en vois pas de plus indiquée qu'elle. Lydéric tient beaucoup à ce mariage. Quant à moi, je ne pense pas que tu puisses en contracter un qui soit plus favorable.

- Plus favorable, certainement pas, mais plus heureux, sans aucun doute. Père... Vous étiez éperdument amoureux d'Auréa lorsque vous vous êtes unis à elle. Vous l'avez fait par amour, non par devoir.

- Il s'agissait d'une seconde noce. J'avais déjà un héritier et j'avais déjà contracté un mariage politique par le passé, avec ta mère.

- C'est donc tout ce qu'elle représentait à vos yeux ? répliqua Cybard, offusqué. Un contrat ?

- Non, bien sûr que non. Mon père souhaitait me voir épouser une jeune femme issue de la noblesse d'un autre royaume que le nôtre, certes, mais c'est moi qui l'ai choisie. J'aurais pu prendre n'importe quelle duchesse ou baronne de n'importe quel pays, cependant c'est elle que mon coeur a préféré.

- Dans ce cas, pourquoi ne pas laisser le mien décider à son tour ? Pourquoi n'aurais-je pas le droit d'être heureux comme vous l'avez été avec Mère, et comme vous l'êtes encore avec Auréa ?

- Parce que tu dois agir de façon bénéfique pour ton pays. Si j'étais à ta place, je me soumettrai à ce que l'on attend de moi sans hésiter. Tel est le devoir qui nous incombe.

- Si vous étiez à ma place, certes, mais vous n'y êtes pas. Je refuse d'épouser la princesse Enimia. J'en suis désolé pour elle, néanmoins je ne peux consentir à unir mes jours et ma destinée avec une personne envers laquelle je n'éprouve aucun sentiment. Je veux qu'on me laisse une chance de connaître l'amour, le vrai.

- Cesse donc ces enfantillages, veux-tu ? tonna Gildas.

La réaction de son fils l'avait rendu furieux et il frappa le bureau à proximité duquel il se tenait avec son poing. Le bois sursauta à cause du choc, Cybard à cause de la peur. Il n'avait pas l'habitude de tenir tête à quiconque, lui qui courbait généralement l'échine sans ciller. En cet instant, toutefois, il ne pouvait s'y résoudre.

- Cela n'a pas fait de vous un mauvais souverain, me semble-t-il, alors pourquoi n'y aurais-je pas le droit, moi aussi ? interrogea-t-il.

Sa voix tremblait. Il manquait de courage pour s'opposer de la sorte à son interlocuteur, mais il s'efforçait d'en rassembler le plus possible afin de résister. C'était peut-être son avenir qui était en train de se jouer au cours de cette conversation.

- Les choses ne se passent jamais deux fois de la même façon. J'ai, par devoir, consenti moi aussi à beaucoup de sacrifices, même si tu n'en as sans doute pas conscience. Mon mariage n'en était pas un, certes, mais il y en a eu d'autres. D'autres que la vie t'épargnera peut-être, contrairement à moi.

- Comment pourrais-je rendre un peuple heureux si je ne le suis pas moi-même ? Et qu'en sera-t-il de la princesse Enimia ? Elle n'a sans doute pas plus d'affection pour moi que je n'en ai pour elle. Souhaitez-vous vraiment attacher ensemble deux existences qui ne sont pas promises l'une à l'autre par le sort ?

- Sache que tu ne deviendras jamais roi avec de la poésie !

- Qui vous dit que j'ai envie de le devenir ? Qui désirerez cette vie-là, une vie qui ne nous appartient pas ?

- Tu es mon fils, c'est inscrit dans ton sang, dans tes origines. Tu n'as pas le choix.

- Si, je l'ai.

Avant que Gildas n'ait le temps de réagir, Cybard le contourna pour se diriger vers la porte de sa chambre, qu'il ouvrit à la volée. Son père hurla son nom, néanmoins il refusa de revenir sur ses pas. Il disparut de l'autre côté du chambranle et le battant se referma en claquant.

***

Judicaël entretenait une conversation captivante et passionnée avec la domestique Alpaïde quand Freya sortit du box de son cheval. Elle lui adressa un sourire reconnaissant, auquel il répondit par un signe de tête discret. La servante ainsi suspendue à ses lèvres, cela lui accordait un long moment de répit.

Son cousin proposa à la jeune fille une promenade dans la direction opposée et celle-ci, absolument charmée, oublia qu'elle ne devait quitter la princesse sous aucun prétexte. Judicaël était un excellent orateur : il avait à peine besoin d'argumenter pour convaincre les gens de suivre son bon vouloir.

Freya attendit patiemment qu'ils soient sortis de l'écurie pour rabattre son capuchon sur son visage. Il se retrouva plongé dans la pénombre et ses cheveux d'ordinaire si voyants furent entièrement dissimulés par le tissu. Elle espérait que cela suffirait à masquer aux yeux du monde sa véritable identité.

Les quelques écuyers présents ne lui prêtèrent pas la moindre attention. Ils avaient beaucoup trop de travail, ce matin-là, pour se concentrer sur autre chose. Ils leur fallait soigner et nourrir les montures de tous les invités, qui continuaient encore à affluer. Ils étaient débordés de travail.

Freya laissa derrière elle l'odeur poussiéreuse de la paille, les hennissements bruyants et le tumulte des garçons qui se pressaient, des seaux métalliques entre les mains. D'ordinaire, elle aimait assez se réfugier dans l'écurie, où elle appréciait le naturel sauvage des chevaux, mais en cet instant, elle avait beaucoup plus important à faire.

Elle sortit dans la cour du château, immense et bondée en ce jour si particulier. Deux carrosses étaient arrêtés devant les escaliers, d'où plusieurs nobles sortaient. Des dizaines de domestiques les encerclaient, ainsi que l'exigeait le protocole. Au milieu de toute cette effervescence, personne ne risquait de la remarquer. Cela la soulageait.

La demeure royale était entourée par de hautes fortifications, destinées à la protéger en cas d'attaque, bien qu'il n'y en ait pas eu la moindre depuis fort longtemps. Lorsque Freya décidait d'échapper quelques heures à son rôle de princesse, elle évitait généralement de quitter les lieux en empruntant le pont-levis.

Il existait, en effet, de nombreux passages secrets qui permettait de se déplacer en toute quiétude à l'intérieur du château, car ils reliaient les différentes ailes et tours entre elles, mais également jusqu'à l'extérieur, puisque l'un de ces raccourcis débouchaient sur un tunnel menant de l'autre côté des douves.

Cybard et elle connaissaient ces chemins par cœur depuis qu'ils avaient découvert un plan ancien dans la bibliothèque, indiquant leur position à tous. Son frère ne les utilisait pratiquement jamais, pour sa part, contrairement à elle qui les arpentait régulièrement.

Pour une fois, cependant, elle n'aurait pas besoin de se donner cette peine. Tant de monde pénétrait et quittait l'enceinte de l'habitation du souverain depuis le levé du soleil que les gardes la prendrait sûrement pour une simple domestique. Elle rajusta une dernière fois sa cape, de façon à s'assurer que rien dans son apparence ne la trahirait, puis s'efforça d'adopter une démarche moins noble qu'à l'accoutumée.

Le son de ses semelles au contact du sol en pierre écrue se perdait dans la cacophonie ambiante. Des conversations fusaient de toute part, celles des nobles qui célébraient leurs retrouvailles autant que celles des serviteurs qui se hâtaient de décharger leurs malles, car nombre d'entre eux s'attarderaient à Maarmé plusieurs jours.

Comme elle s'y attendait, les hommes en faction de part et d'autre de l'entrée la remarquèrent à peine. Ils ne prêtaient quasiment aucune attention aux gens qui sortaient du château. En revanche, ils s'intéressaient de près à ceux qui s'y rendaient. La sécurité était renforcée pour l'anniversaire du prince et ils vérifiaient soigneusement l'identité de leurs visiteurs, afin d'éviter toute intrusion.

Au retour, Freya devrait utiliser l'accès secret pour regagner le bâtiment sans être repérée. Il était boueux, à cause de l'humidité produite par les douves, mais en retroussant le bas de sa robe, elle ne se salirait pas trop, du moins l'espérait-elle. Sa mère était une femme intelligente et perspicace. Il lui suffirait d'un infime détail pour comprendre que sa fille s'était encore adonnée à l'une de ses escapades en solitaire.

Elle avait à présent quitté l'enceinte, qui donnait presque directement sur la grand-rue de Maarmé. Elles aussi fourmillaient d'activités. Les commerçants tenaient leurs étals devant leurs boutiques, les villageois se rassemblaient devant eux pour leur acheter quelque denrée, les enfants couraient joyeusement...

Freya sourit. Elle aimait beaucoup venir ici. Elle trouvait la cité plus vivante que le château, car il n'y avait pas de protocole ni de conventions pour y rendre l'existence monocorde. Chacun agissait comme bon lui plaisait, sans que son attitude ne soit soumise à des règles quelconques.

Ce n'était pas seulement pour passer inaperçue aux yeux des gardes que la jeune femme se déguisait lorsqu'elle venait ici. Elle ne tenait pas à ce que ces humbles gens découvrent qu'elle était la princesse. Si tel était le cas, ils s'inclineraient devant elle afin de lui témoigner leur respect, or elle n'y tenait pas. Elle aimait l'affection que lui portaient les sujets de son beau-père, cependant elle appréciait encore plus son anonymat qui lui permettait de se fondre parmi eux.

Une terre ocre recouvrait le sol et une fine pellicule de poussière orna bientôt ses mules. Il lui faudrait penser à changer de chaussures dès qu'elle rentrerait. Elle espérait avoir le temps de repasser par sa chambre avant qu'il ne soit l'heure du déjeuner. Elle n'avait aucune envie de manquer le début des festivités en l'honneur de son frère.

Comme le délai qu'elle avait devant elle était mince, elle lutta contre son désir de s'arrêter à hauteur de chacun des étals. Elle était venue pour chercher un objet en particulier et elle devait le récupérer rapidement.

***

Alix tapota la sueur qui ruisselait sur son visage avec un mouchoir crasseux, noirci par la suie qui maculait sa peau. Elle s'accorda quelques secondes de répit, avant de remettre à l'ouvrage. Elle se saisit de la masse qu'elle avait abandonnée sur le sol et se remit à marteler le métal brûlant posé sur l'enclume face à elle.

Ce travail était véritablement éprouvant, mais elle en avait l'habitude. Son père d'adoption, Virgile, était le meilleur forgeron de Maarmé et, depuis qu'elle était capable de tenir un marteau, il lui avait appris à exercer son art. Elle n'avait pas encore un niveau équivalent au sien, mais elle parvenait à produire des pièces d'une qualité satisfaisante.

De taille moyenne, elle ne paraissait pas très robuste en dépit des capacités physiques que nécessitaient ses ouvrages. Ses cheveux auburn avaient été remontés sur sa nuque afin de ne pas gêner ses mouvements, dégageant une mâchoire carrée. Elle possédait des lèvres charnues, que la concentration pinçait inconsciemment. Ses yeux sombres, qui prenaient une teinte rougeâtre à la lumière du feu, ne quittaient pas du regard le morceau de fer qu'elle était en train de façonner.

Quand elle eut terminé, elle plongea la lame qu'elle venait de fabriquer dans un baquet d'eau et abandonna sa masse à ses pieds. Elle dénoua les bandes de tissu qui lui enveloppaient les mains afin de les protéger. Grâce à cela, sa peau conservait une certaine douceur en dépit de la rudesse de son métier.

La forge était plongée dans la pénombre. Les volets étaient fermés et seule la lumière dansante du feu éclairait l'atelier. Alix aimait beaucoup travailler dans l'obscurité, elle se sentait mieux ainsi. Comme elle remplaçait actuellement son père, blessé et dans l'incapacité de manier un marteau, elle avait tenu à prendre ses aises.

Une odeur douceâtre de bois calciné flottait dans les airs, si familière à la jeune femme, puisqu'elle berçait son existence depuis ses sept ans, âge auquel elle avait été recueillie par Virgile. Elle l'huma avec délicatesse, avant de se diriger vers une table, adossée contre le mur.

Divers objets, fabriqués par ses soins, s'entassaient dessus. Elle prit un broc métallique, à moitié rempli d'eau, et se désaltéra. La chaleur étouffante qui régnait dans la pièce, nécessaire pour modeler le fer à sa guise, lui donnait soif. Elle but de longues gorgées avant de reposer le récipient à sa place.

Au même instant, deux coups furent frappés à la porte. Bien que le bâtiment paraisse fermé depuis l'extérieur, à cause des fenêtres condamnées, un écriteau indiquait qu'il était ouvert, afin que les clients sachent qu'ils pouvaient s'y arrêter s'ils le désiraient. Alix mit un peu d'ordre dans son apparence, dans le but de faire bonne impression, puis alla accueillir son visiteur.

Une silhouette encapuchonnée se tenait sur le seuil de la forge. Recouverte de la tête aux pieds par ce morceau de tissu noir, l'artisane ne distinguait rien d'elle, pas même son visage plongé dans l'obscurité. Elle découvrit seulement qu'il s'agissait d'une femme lorsque celle-ci prit la parole :

- Bonjour. Il y a quelque temps, je suis venue passer une commande, qui devait être prête pour aujourd'hui.

- Votre nom, s'il vous plaît ?

- Alpaïde.

Sous sa cape, Freya esquissa un sourire amusé. En cas de besoin, elle avait pris l'habitude de donner l'identité de sa domestique. Contrairement à elle, personne ne la connaissait nommément.

Alix sortit un épais registre du tiroir d'une table de travail. Il paraissait ancien et ses pages avaient été noircies par la saleté, si bien qu'il était presque illisible par endroits. Malgré cela, elle parvint à retrouver sa cliente parmi la longue liste des personnes qui sollicitaient leur service.

- Je vois que votre visite remonte à trois semaines. Il me faut vous informer que mon père s'est accidenté quelques jours après cela et qu'il n'est pas en mesure de travailler avant sa complète guérison.

- Oh... Dois-je comprendre que l'objet n'a pu être fabriqué ?

Freya baissa la tête, déçue. Elle compatissait pour ce malheureux forgeron, mais elle ne pouvait s'empêcher d'être dépitée à l'idée qu'elle ne pourrait pas offrir à son frère la surprise qu'elle lui réservait. Elle retrouva bien vite espoir lorsqu'Alix lui annonça précipitamment :

- Si, il l'est. Je me suis efforcée de réaliser toutes les commandes passées à mon père. Je suis loin d'être à sa hauteur, aussi le résultat risque d'être... imparfait. Je baisserai le prix de mes services en conséquence, rassurez-vous.

Alix était une commerçante honnête. Elle préférait gagner moins d'argent plutôt que de laisser penser aux gens qu'elle tentait de les voler. Elle n'était qu'une apprentie, pour l'instant, et elle n'était pas encore digne de réclamer un dédommagement digne de celui que Virgile pourrait toucher.

Elle délaissa un instant son interlocutrice, pour lui rapporter ce qu'elle était venue chercher. Il s'agissait d'un élégant bouclier, à la fois fin et léger, mais tout de même assez robuste pour supporter des assauts puissants.

- Vous avez tort de vous sous-estimer, affirma Freya. Vous avez fait un travail magnifique et je vais vous rétribuer en conséquence.

Elle sortit des plis de sa cape une petite bourse en cuir, qui contenait un grand nombre de pièces d'or. Elle s'efforça de la dissimuler à la jeune forgeronne. Personne, au village, ne se déplaçait avec tant d'argent. Elle redoutait qu'en la voyant avec une telle somme en sa possession, elle ne se pose des questions.

Elle lui tendit son dû, qu'Alix reçut en la remerciant. Elle remarqua à cet instant la bague que portait sa cliente. C'était un bijou d'une extrême finesse, serti par une émeraude. Elle le reconnaissait, elle l'avait déjà vue, quelques mois plus tôt, lorsque le carrosse de la famille royale avait traversé Maarmé.

Il était au doigt de la princesse Freya, qui avait salué avec grâce la foule venue les acclamer. La jeune femme s'étonnait elle-même de se souvenir d'un détail aussi insignifiant que celui-ci, pourtant c'était le cas. Soudain mal à l'aise, ses joues s'empourprèrent. Elle inclina la tête et murmura dans un souffle :

- Altesse.

L'intéressée, qui s'apprêtait à prendre congé, se figea. Elle hésita quelques secondes. Elle aurait pu démentir, essayer de convaincre l'artisane qu'elle faisait erreur, mais son instinct lui soufflait qu'il ne s'agissait pas de la bonne décision. Finalement, elle ôta son capuchon, dévoilant sa chevelure rousse et son teint de porcelaine.

- Pourrais-je savoir ce qui m'a trahie ?

Alix, trop abasourdie pour parler, désigna sa main. Elle peinait à croire que la princesse d'Arkanie se trouvait dans sa modeste forge. Elle avait toujours éprouvé un respect infini et une admiration grandissante à son égard, plus encore que pour tout le reste de sa famille.

- J'aurais dû songer que cet ornement finirait par me trahir, mais je tiens beaucoup à cette bague, aussi je ne peux me résoudre à m'en séparer, pas même pour quelques heures. La prochaine fois, je penserai plutôt à prendre des gants.

- Votre Altesse... Pourquoi être venue jusqu'ici ? C'est un immense honneur de vous recevoir, bien sûr, mais... Oh, je suis confuse ! Si j'avais su, je...

- C'est justement pour cela que je me cache, sourit Freya. Pour que vous ne sachiez pas. Je me rends souvent au village, mais tout le monde l'ignore. C'est beaucoup plus simple ainsi. Cela me permet de me fondre à mon peuple en toute quiétude. Il est beaucoup plus agréable de flâner dans les rues de Maarmé sans escorte.

L'ébahissement d'Alix ne décroissait pas suite à cette rencontre inattendue. Elle bredouilla encore une phrase inaudible, avant que son interlocutrice ne lui indique qu'il était temps pour elle de regagner le château, sans quoi quelqu'un finirait par remarquer sa disparition.

- Je comprends, votre Altesse, je m'en voudrais de vous retenir plus longtemps. Je suis si flattée d'avoir pu vous rencontrer personnellement.

- Quel est ton nom ? interrogea doucement Freya.

Puisqu'elle était démasquée, elle n'avait plus besoin de se contraindre à vouvoyer la jeune femme quand le tutoiement lui paraissait beaucoup plus naturel. La gêne de la forgeronne s'accentua à l'idée que la princesse puisse s'intéresser à un pareil détail.

- Alix, révéla-t-elle.

- Eh bien, Alix, j'ai été ravie de faire ta connaissance. Le prince sera sûrement enchanté par ton bouclier, je t'en remercie.

L'artisane s'inclina avec déférence, puis insista pour lui ouvrir la porte, pendant que Freya remettait son capuchon. Au moment de disparaître dans la grand-rue, elle lui adressa un signe de la main, qui laissa Alix pantoise. Elle avait encore du mal à croire que tout ceci venait réellement de se produire.

 
 
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