-          Tes cheveux sont gris ?

-          Quoi ?!

Je soulevai une mèche devant mes yeux : gris. Des reflets blancs. De tout ce que j’avais vécut jusqu’à maintenant, cela était le pire de tous. Un hurlement déchirant résonna dans l’immense séjour victorien. Je fermai un instant la bouche pour respirer et le cri se stoppa soudainement.

-          Un miroir ! Je veux un miroir !

Je me précipitai vers la première porte mais Cody m’agrippa le bras au passage.

-          Laisse tomber, calme-toi ! On s’en fout !

Je me dégageai violemment.les larmes de colère et d’un amalgame d’autres sentiments et d’une pincée de fatigue me brisèrent la voix lorsque je répondis :

-          Moi, j’m’en fous pas !

En plus de perdre ma crédibilité, je me mettais à parler comme une charretière. Ça ne pouvait pas aller plus mal. J’ouvris donc la porte et découvris une cuisine. La porte suivant fut la bonne. J’allumai les lumières comme si j’avais toujours vécut ici, sans prendre en compte le magnifique décor de porcelaine et me plantai devant un long miroir. La fille que je vis, je ne la connaissais pas. Aussi pâle que les néons du salon, une bosse violacée sur le coin du front, son maquillage effacé lui faisait avoir la tête d’un panda dépressif, des traces grisâtres sur les joues. Les cheveux aussi étaient gris, presque blancs, mais aucune ride ne s’était creusé sur son visage. Sous le miroir était un lavabo avec deux robinets. Je me lavais le visage et pris une serviette propre dans le meuble d’à côté. La salle de bain était superbe ; immaculés, les accessoires étaient en bronze  pour s’assortirent avec les robinets et les pieds de la baignoire. Une chose était sûre, le bourreau avait les moyens de faire cette farce. Et il n’avait pas non plus froid aux yeux : enlever des stars et la fille des Christian… On frappa à la porte : la tête de Min Ho se glissa dans l’entrebâillement.

-          Ça va ?

Je le regardais au travers du miroir. Je hochais la tête.

-          Les gars ont exploré presque toutes les pièces, mais on en a trouvé deux verrouillées.

Je soupirai et accrocha la serviette à un anneau à côté du lavabo.

-          Allons voir ça.

En effet, la salle jouxtant le salon était fermée. Une double porte comportait une grosse serrure, qui signifiait que c’était une des grosses clefs qui devait servir. J’essayai la première qui me venait. Elle rentrait mais ne déverrouillait pas la porte. La deuxième fut la bonne. J’ouvris grand les deux battants et me retrouvai dans une immense bibliothèque, aux murs recouverts de livres, deux fauteuils faces à une cheminée et à droite un beau secrétaire et un sofa en velours. Je tirai un livre à la reliure de tissu où était gravé en feuille d’or un titre qui m’était familier. Et en effet, j’avais déjà lu ce bouquin. Comme tous ceux qui se trouvaient dans la pièce. Soudain, je me rendis compte qu’il y avait plusieurs mêmes livres, mais traduit dans différentes langues. Ainsi, « Alice au pays des Merveilles » que je tenais, était écrit en français, alors que celui que je venais de tirer était en anglais. Plus loin, Je reconnu des idéogrammes japonais, un peu à côté de signes coréen. Je ne suis pas sûre de comprendre les plans de notre geôlier, mais il avait non seulement les moyens, mais aussi le temps. Mais pourquoi se donner autant de peine ? Qu’est-ce qu’il avait contre moi ? Contre eux ?

-          On va ouvrir l’autre ?

Me proposa Hyun Joong, qui s’était joint à nous. Je les suivis dans la cuisine, puis dans une sorte de vieille réserve où là, une vieille porte en bois lourd présentait une serrure neuve, contrastant avec l’ensemble de la pièce. Je dûs essayer les trois clefs avant de pouvoir enfin tourner la poignée. Elle était si lourde que les garçons durent m’aider à la pousser. Les gonds grincèrent puis tout fut silencieux. Je cherchai sur le mur à l’intérieur un interrupteur. Et comme dans un cauchemar, ou un film d’horreur, une lumière tamisée révéla une pièce entièrement dédiée au SM, avec un lit, des lanières qui pendaient ça et là, des menottes, je crus même apercevoir une cravache dans un coin.

-          Mais quel malade !

Eructa Min Ho entre ses dents, annonçant la pensée générale.

-          Vous pourriez garder secrète l’existence de cette pièce aux autres ?

De dégout, et de honte, je sentis un nouvel assaut de larmes. Min Ho posa sa main sur mon épaule et m’attira doucement vers lui. Pendant qu’il me ramenait dans la cuisine, Hyun Joong referma la porte à clef. La nuit était déjà bien avancée. J’avais eu ma dose d’adrénaline de la soirée. Je proposai donc que tous se réunissent dans le salon pour distribuer les chambres. J’avais acquis un rang élevé parmi cette meute grâce à l’histoire des clefs, Min Ho, le plus vieux des garçons se plaça donc comme mon bêta.

-          Il y a deux chambres à l’étage et deux autres ici. En revanche, c’est un lit double par pièce. On va faire des binômes pour la nuit, sachant qu’un des mecs dormira forcément sur le canapé.

Mon estomac se contracta. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je ne voulais pas passer la nuit seule, mais je ne voulais en aucun cas aiguiser l’appétit sexuel de mes compagnons, ce qui, par enchainement, conduirait inévitablement à mon viol. Si seulement un des  hommes était gay… Les garçons semblaient se mettre d’accord sur les binômes quand Min Ho me demanda dans quelle chambre je voulais dormir.

-          Il y a une salle de bain à l’étage ?

-          Oui, pourquoi ? Il y en a aussi une en bas…

-          Celle à l’étage, personne ne l’a utilisée ?

-          Pas que je sache, mais pourquoi…

-          Je dors en haut. Et la salle de bain m’appartient.

C’était légitime, après tout. Il me fallait bien un endroit rien qu'à moi, où il n'y avait pas de poils trainant dans le lavabo, où il n'y avait pas de vieilles fringues puantes de sueur roulées en boule et gisantes au milieu de la pièce. Certes, je ne pouvais pas me payer le luxe de jouer les divas, mais puisque en temps normal je me comportais comme telle, disons que je me remontais temporairement le moral. Oh, et s'il pouvait y avoir une baignoire aussi, ce serait parfait, ou plutôt, le paroxysme du moment. Parfois, il faut se contenter de petits plaisirs, en oubliant les échecs. Au final, il convint que Cody et Nicholas auraient une chambre au rez-de chaussé, dans celle d'en face se trouveraient Alex et Seto (ils ne sont pas très ouverts ces deux-là, mais ils ont l'air de quand-même bien s'entendre). A l'étage, je dormirais dans la chambre en face de la (ma) salle de bain tandis que Min Ho et Hyun Joong occuperaient l'autre. Jeremy se retrouvait à choisir entre le sofa de la bibliothèque et le canapé du salon.

-          Je sais que ce ne sera pas facile, mais essayez de dormir pour récupérer un maximum de forces.

C'est ainsi que Min Ho nous souhaita une bonne nuit. Je montai dans ma chambre et une fois enfermée, je retirais mon oreillette et me déhabillai. Ce n'est qu'une fois dans l'obscurité silencieuse que je remarquais ma profonde fatigue. Je m'endormis, en sous-vêtements, sans même me plaindre de quoi que ce soit.