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au 31 Mai 21 :
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Le rêve d'Eric
Par Aqat
Le sourire du Dragon  -  Romance/Action/Aventure  -  fr
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En route pour chez nous

Hank se réveilla en sursaut. Lui qui d’ordinaire était levé avant quiconque avait dormi plus qu’à son heure, si l’absence des grabats dans son champ de vision n’était pas un mirage dû à ses yeux fatigués. La couverture avait été ramenée sur son torse en prévision de la fraîcheur de l’aurore. A cette idée il s’empourpra tout en retenant ses doigts de venir frotter le coin de ses yeux. Celui qui l’avait recouvert n’avait pu manquer de noter sa tenue. Pourvu qu’il n’ait pas eu, alors, un rêve humide ; parce qu’à demi nu et érigé tel un faune, le spectacle aurait été rude pour les chastes yeux de Sheila ou Diana... La torpeur finit par le quitter ; il repoussa l’épaisseur laineuse et s’assit dans le matelas, comme ses doigts encore gourds luttaient avec les passants des boutons pour refermer son pourpoint. Une fois plus présentable, il se mit sur son séant et jeta un coup d’œil circulaire. Le dôme de brune se trouvait encore en place, le grand foyer rétrogradé au stade d’amas de braises faisait glouglouter une marmite, compliments de Presto, les grabats pliés en pile à deux ou trois mètres du sien attendaient visiblement de retourner dans le Chapeau — il ne pouvait pas être beaucoup plus tard que l’heure du déjeuner ; en attestaient les soleils encore bas dans le ciel.

Hank en était à finir de mettre son lit au carré à côté des autres lorsqu’une licorne surexcitée déboula de nulle part, un petit garçon bondissant de joie sur ses talons. Uni entreprit de lui tourner autour en sautant comme un cabri sur ses pattes de derrière tandis que Bobby, l’ayant saisi par la manche et tirant dessus à la faire se rompre, s’efforçait d’entraîner le Ranger vers le nord de la clairière. Au delà de la brume.

« Hank, Hank, tu dois venir avec moi ; Dekion nous attend ! C’est merveilleux, il a trouvé un portail et cette fois nous n’avons rien à faire...Allez, suis-moi. Les autres sont à la rivière avec lui. »

Le blond avait beau avoir entendu des dizaines de fois cette même antienne, l’absence d’implication du Grand Maître jointe à la mention de leur ami le Chevalier Céleste donnait envie d’y croire. Pas de quête dangereuse en perspective, ni d’énigme, ni de coup de théâtre pour le pire : il n’osait y croire.

« D’accord, d’accord, j’arrive. Eh, doucement ! Ce n’est pas toi qui as eu une nuit blanche... »

Bobby le fit courir jusqu’à la lisière du bois. Dix mètres après les premiers fûts des arbres ils atteignaient les méandres jaunes et probablement saumâtres d’une rivière à peine assez large pour n’être pas appelée un ruisseau. La rive sur laquelle ils se tenaient plongeait abruptement dans l’eau ; mais de l’autre côté la berge était caillouteuse et étendue façon plage de galets. Hank aperçut les autres à une distance d’un jet de pierre. Ils faisaient cercle autour d’un aigle géant et donnaient signe d’une grande excitation, à en juger par les éclats de voix qui parvenaient de leur groupe. Le Barbare prit Uni dans ses bras et désigna au grand blond un passage à gué. Une minute plus tard les vit débouler devant leurs amis.

Eric était en train de jouer les sceptiques selon son habitude : les jambes fermement écartées et plantées en terre, les poings sur ses hanches, il dardait un regard circonspect sur l’ancien guerrier squelette. Presto et Sheila le considéraient d’un air désespéré ; Diana elle avait fermement épousé le parti du beau garçon au casque à pointe, qu’elle couvait d’un regard enamouré.

« Qu’est-ce que tu racontes ? A trop monter ton oiseau, tu dois avoir la cervelle ballottée... Il y a toujours une entourloupe. Si ce n’est pas Vengeur qui va apparaître au pire moment, le portail sera gardé par une saleté qui attendait de la viande fraîche. Nous en l’occurrence. Et puis, tu n’es pas magicien. Ce n’est pas de ta compétence... »

« Je te répète qu’il n’y a rien à craindre. Vous avez juste à me suivre jusqu’à la crypte. Les sortilèges qui en condamnaient les portes se sont estompés ; il suffit de descendre, de lire la formule incisée sur la stèle et le rubis vous renverra chez vous. » Un éclat impatient fit briller les yeux bleus du guerrier ; une mèche de cheveux roux échappée de sa coiffe en tamisait à peine les fulgurances. « Evidemment, je ne suis pas le Grand Maître ; je ne garantis pas à cent pour cent que ça fonctionnera. Mais vous préférez attendre qu’il se manifeste et vous envoie au diable Vauvert ? Le Royaume bruit des rumeurs suivant lesquelles Vengeur préparerait une opération à l’ampleur jamais vue... A tous les coups, la prochaine mission du Grand Maître vous expédiera du côté où cette affaire se trame. Peu de chances d’aboutir, pour de grands risques ; tu as raison, Cavalier, d’aimer mieux cette solution... »

« Je suis d’avis », intervint Hank avec un signe de tête à l’adresse de chacun, « qu’on ne peut laisser filer une telle occasion. Simplement, si tu veux bien nous en dire plus long... »

« Mais volontiers, Ranger », répondit Dékion dans un flash de son sourire immortel. Il s’assit en tailleur non sans avoir flatté du dos de la main l’encolure de son oiseau. Les six Terriens l’imitèrent promptement. Seul Eric ne montrait pas une impatience particulière à entendre ce qu’il avait à dire. Le Cavalier était trop affairé à couler des regards qu’il espérait discrets du côté du Ranger. Ce dernier lui sourit de cette façon aguicheuse qui était leur secret, avant de lui faire signe d’écouter le Chevalier Céleste.

Son récit tenait à peu de choses. Mis par un de ses informateurs elfes sur la piste d’un trafic de reliques impliquant le Seigneur Rouge, Dékion avait été conduit jusqu’à une forteresse abandonnée aux confins de la Vallée des âmes. Plusieurs bataillons d’Orques y menaient des travaux de terrassement sous la férule de Vengeur en personne. La longue attente du Chevalier Céleste dans l’ombre avait bientôt été récompensée ; il avait assisté aux premières loges à l’exhumation puis à la violation du mausolée souterrain. Vengeur en était ressorti vivement contrarié, au point de désintégrer une douzaine d’Orques coupables de n’avoir pas fait place nette assez vite devant lui. L’archi-mage était remonté sur sa jument d’ébène Cauchemar et avait téléporté ailleurs sa troupe et lui après avoir lancé un énorme carreau de sorcellerie pure sur le tombeau qui lui avait fait gaspiller un temps et une peine précieux. Or le bâtiment n’avait pas été détruit, contre toute attente ; la magie qui en maintenait scellées les portes et qui s’était atténuée sans même que Vengeur aie à la briser, imprégnait encore suffisamment la bâtisse pour lui avoir fait braver cette flèche du Parthe. Il s’agissait de la dernière dépouille d’un grand sorcier du temps jadis, qui Dékion n’aurait pas vraiment su le dire. La salle funéraire était intacte ; quoi que le Maître du Mal était venu chercher, il n’avait touché à rien. Un rubis de la taille d’une citrouille porté à bouts de bras par une statue, étincelait dans un coin, devant une stèle fixée au sol ; celle-ci proposait au voyageur las du Royaume de lui ouvrir le chemin du retour. La volonté d’anéantir le mausolée qu’avait eue Vengeur ressortissait probablement à son souci de ne laisser à personne la latitude d’utiliser ce portail.

« J’ai touché le rubis ; vous pouvez me croire, sa force est encore grande. Il vous ramènera chez vous. »

« Alors, on attend quoi ! » L’intervention appartenait à Eric. Le Cavalier se tenait sur l’autre berge, à les héler bruyamment. Cela lui ressemblait bien, de ne rien vouloir entendre de prime abord pour ensuite s’enthousiasmer et mettre la pression sur ceux qui avaient été moins prompts à se mettre en branle.

« Si le Magicien veut me confier son Chapeau, je pense être en mesure de nous transporter là-bas. Mon fidèle compagnon ne pourrait porter plus de deux ou trois d’entre nous, et le château en ruines se situe au delà de vos possibilités de déplacement... »

« Et tu crains que Vengeur n’aie laissé le Démon de l’Ombre en embuscade. Tu veux le prendre de vitesse au cas où nous disposerions de peu de temps sur place. » Diana avait terminé à la place du Chevalier. Il lui décocha un sourire galant et opina du chef. « Raison de plus pour agir vite. »

« Hé, Eric », beugla Bobby, « ramène-toi ou tu vas rater le charter pour notre monde. On n’y va pas à pied, alors qu’est-ce que tu fiches encore là-bas ! »

« Et le petit déjeuner ? », entendirent-ils crier plus fort qu’il ne le fallait au Cavalier compte tenu de la faible distance qui les séparait de lui. Il était clair que le convaincre ne serait pas tâche aisée. « Je refuse catégoriquement d’aller où que ce soit aussi longtemps que mon estomac ne sera pas rempli ! »

« Je peux sans problème faire apparaître la même nourriture là-bas, tu sais ! », s’écria Presto qui s’était rapproché de la rivière au maximum afin d’être entendu du brun sans avoir à hausser par trop le ton. « Tu reviens sur le champ, ou je te jure que moi je pars sans toi. »

« Eric ! Je ne l’aurais pas formulé pareil, mais c’est vrai. On lève l’ancre. Alors tu reviens ! »

Hank ayant parlé, et ne semblant pas près au compromis, l’intéressé vola littéralement sur l’eau. Il supposa qu’accorder sa confiance au bellâtre en casque colonial ne le tuerait pas ; si la Fortune en était d’accord, ce serait la dernière fois qu’ils verraient ce Dékion de malheur, alors Eric supputa qu’il était pertinent de mettre de côté sa jalousie. Il se jura néanmoins d’assommer le Gardien Céleste s’il recommençait à mettre ses sales pattes sur les épaule du Ranger, comme il le faisait présentement. Hank pour sa part aussi s’était rembruni devant cette marque de familiarité un tantinet appuyée. Mais, attendu que Dékion avait presque immédiatement retiré sa main pour recevoir le Chapeau qui lui était tendu par le Magicien, le blond ne jugea pas opportun d’y accorder trop d’importance. Il suffisait qu’Eric semblât résolu à avaler tout cru le Chevalier. Puis ce dernier entreprit de réciter son incantation et rien ne compta plus.

Une décharge lumineuse éblouit l’assistance. Le cadre de la forêt et des berges de la rivière à l’eau jaune dansa sur la rétine de chacun pour mieux céder devant le néant. Un vent aussi violent que bref les courba tous, puis ce fut la sensation de la chute. Une chute très rapide à l’issue de laquelle, pas dix secondes après que tout se fut abîmé dans le noir, les sept jeunes gens et un aigle se recevaient sans guère de ménagement sur une étendue de gravier. En pleine lumière. La chaleur pesante qui ruisselait sur eux indiquait assez la distance qu’ils avaient parcourue. Aux quatre points cardinaux du Royaume, les soleils étaient toujours en avance de plusieurs heures sur leur course par rapport à leur position au dessus des régions médianes. Le premier à se reprendre fut Dékion ; lorsqu’il eut chassé le tournis qui menaçait son équilibre, le jeune guerrier se dressa et s’en fut porter assistance à chacun des autres. En commençant par Hank. Une surprise déplaisante l’attendait : ce poseur de Cavalier était déjà en train d’aider le blond à se dresser sur son séant et lorsqu’il voulut l’écarter afin de se rendre compte par lui-même si le jeune homme en costume vert se sentait bien, l’intéressé grogna qu’il n’avait pas besoin d’un autre ‘chevalier servant’. La pause de la voix de Hank sur cette expression en disait long sur l’irritation que son empressement avait fait naître en lui. Dékion savait reconnaître un combat perdu d’avance quand il se profilait. Il n’insista pas, quitte à se maudire pour avoir été si peu discret dans son approche du jeune Terrien. Les autres se remettaient vaille que vaille de leur excursion dimensionnelle. Thor, son aigle de combat, s’était pour sa part égayé en quête de prébende sitôt qu’il avait vu son maître sain et sauf. Presto fit apparaître des aspirines pour tout le monde, ce dont chacun lui fut reconnaissant après cette projection mouvementée, Dékion y compris, encore que le jeune guerrier, qui ignorait ce que ces cachets ronds qui devenaient liquide bouillonnant plongés dans un verre d’eau étaient en mesure d’accomplir sur les vrilles de migraine qui enserraient son crâne, se fit quelque peu prier avant de consentir à y goûter.

Les voilà donc remis de leurs émotions et en mesure de prêter attention à l’endroit où ils se trouvaient. Ils se plongèrent tous dans la contemplation du décor. Le dernier n’était pas le cadet des Chevaliers Célestes, qui y avait pourtant passé la journée de la veille. Tellement le spectacle était déroutant.

Au delà d’un chemin pavé gardé par deux rangées de griffons blancs monumentaux dont les formes étaient le plus souvent à peine reconnaissables sous la mousse et les injures du temps, l’on arrivait au château soi disant en ruines. Le bâtisse projetait ses formes moyenâgeuses sur un gigantesque parterre enclos d’une muraille partiellement effondrée. A l’intérieur de celle-ci, sur deux kilomètres de côté, le terre-plein quadrillé de fontaines et de jets d’eau avait périclité en un bayou infâme. Les canaux laissaient encore émerger le sommet des statues, des colonnes ou des arceaux à l’emplacement de ce qui avait été les bosquets et les allées ; pour le reste, le jardin avait disparu sous la végétation luxuriante, les palétuviers et les roseaux à la croissance dopée par le croupissement des eaux. La verdure s’arrêtait net au pied du château proprement dit. Tout en tourelles crénelées, en toitures d’ardoises, en longues ogives et en chemins de ronde perchés comme autant de nids d’aigle, on eût bien plutôt dit une grosse ville fortifiée à l’européenne, lourde et ventrue autour de son donjon aux allures de forteresse miniature, avec son beffroi et ses mâchicoulis, si l’ensemble ne donnait point l’impression d’avoir été badigeonné dans des teintes pastels. La débauche d’oriflammes déchirés, dépenaillés, battant au vent en haut des tours et des poudrières confirmait la vocation pacifique proclamée par ses coloris blanc, crème et rose apparents là où le crépis adhérait encore à la maçonnerie. Le moins qu’on pouvait dire de ce contraste était qu’il stupéfiait par sa violence ; il y avait même des arbres en haut de certaines poternes, qui n’avaient pu pousser là que parce que, fort longtemps auparavant, la main de l’homme les y avait transplantés ! L’ensemble hésitait entre un fier et âpre réduit fortifié et la contrefaçon, à la Disney, du château lambda des contes de fée.

« N’allez pas imaginer des choses », entama Dékion qui avait à cœur de rompre le silence dans lequel leur troupe restait murée quand bien même leur pas les menait vers les bayous du parterre. « C’est une histoire très triste. Cet endroit était le cœur d’un royaume prospère. Le roi avait, si ma mémoire ne me fait pas faux bond au bout de tout ce temps, d’immenses pouvoirs magiques qu’égalait seule sa bonté. A sa mort, le pays dans sa totalité est tombé en ruines, comme cela, sans crier gare. La nature ne voulait pas survivre au monarque. Les habitants qui n’ont pas été tués quand les eaux se sont croupies, le sol soulevé et les montagnes jailli du sol — vous remarquerez les sommets qui verrouillent la région dans n’importe quelle direction ; on peut les apercevoir à des centaines de lieues à la ronde — se sont débandés de ci de là dans le Royaume. Puis l’oubli a accompli son œuvre. Cette catastrophe est ancienne, beaucoup plus que l’actuel Grand Maître ou Vengeur. Personne ne s’en souvient en dehors des grimoires de notre Tour que j’ai parcourus durant ma formation. Et le coin est à ce point inhospitalier que les rares visiteurs qui ont dû s’aventurer jusqu’ici ici n’ont probablement jamais pénétré dans le château. Je crois que Vengeur et ses Orques ont été les premiers à en fouler le sol en plus de quatre ou cinq millénaires... Le mausolée se situe à l’intérieur de la cour d’honneur. »

« Et nous devons marcher jusque là-bas ? Tu parles d’une partie de plaisir... » râla Eric. « Je vous l’avais dit, il y a toujours un hic. En l’espèce un marigot qui pue, tout plein de bêtes... Je vais encore avoir mes chausses qui vont fleurer la mouise pendant des jours... »

« La ferme ! » entonnèrent en choeur Bobby, Sheila et Presto.

« Entre nos armes et ton épée, Dékion », intervint Hank avec une belle humeur un tantinet forcée, « ce sera bien le diable si on ne se fraie pas un passage dans cette mangrove. N’est-ce pas, vous autres ? »

Une ombre surnaturelle s’abîma dans les profondeurs du dallage, au voisinage immédiat de l’allée des griffons sur laquelle les jeunes braves et le Chevalier Céleste progressaient en devisant vivement. Vengeur devait à tout prix savoir. Bien avait pris au Démon de l’Ombre de retourner s’assurer que le tombeau appartenait pour de bon à l’histoire ancienne. Non seulement il n’en était rien, mais les damnés disciples du Grand Maître, à ce qu’il avait surpris de leur conversation — il était arrivé peu après qu’ils eussent repris leurs esprits, tandis qu’ils se dirigeaient déjà vers le château —, s’apprêtaient à utiliser le Cœur du Changement. Il n’était pas question que son suzerain n’aie pas voix au chapitre...

Le Démon trouva Vengeur dans sa forteresse préférée, à une très grande distance. Conséquemment, des heures pouvaient s’étaient écoulées depuis son départ de chez le Duc. Le familier remarqua d’emblée l’humeur de dogue du Seigneur Rouge ; il tremblait de délivrer son message dans ces conditions mais le fit néanmoins. La réaction de l’archi-mage le surprit : Vengeur réprima un sourire et lui signifia son congés.

La petite troupe cheminait dans une formation en V avec Eric à sa tête, le Bouclier dressé. Le halo défaisait les lianes et les branchages résiduelles après que l’épée de Dékion ou l’Arc du Ranger eussent libéré leur énergie pour défricher la voie, de sorte que les jeunes gens progressaient à une allure régulière. Les canaux les plus profonds se situaient comme de juste aux abords immédiats du châteaux, vestiges des antiques douves, quant au reste il n’y avait qu’à regarder où l’on mettait les pieds en se maintenant au maximum sur les berges des voies d’eau. Il convenait de faire vite ; les soleils bientôt à leur zénith faisaient monter une odeur pestilentielle du marigot, contre laquelle leur magie ne leur serait d’aucun secours. Lorsqu’ils arrivèrent devant la trouée de la herse, la matinée n’était pas encore tout à fait écoulée, ils étaient couverts de boue de pied en cap, y compris Uni qui avait pourtant passé par les bras de chacun tellement la vase était profonde et aurait risqué de la noyer, et les trois héros de tête ne ressentaient plus leurs bras à force d’avoir leurs armes en batterie. Tous de s’effondrer sur le parvis, le souffle court et les joues brillantes. Le signal du départ arriva bien trop vite au gré des moins en forme, Sheila et Presto. Le magicien n’était pas tranquille ; une impression déplaisante avait gagné son corps à la seconde où la silhouette déchiquetée des deux tours accolées de part et d’autre de la herse s’était inscrite son champ de vision. Il s’en ouvrit à voix basse à Dékion. Celui-ci haussa les épaules, disant qu’il ne percevait rien, et que le Magicien devait avoir les nerfs à vif. Cet endroit était mort, tout autant que l’individu inhumé au fond du mausolée. De la sorcellerie courait sans aucun doute ça et là dans les murs, mais rien qui ne fût anormal dans une ancienne citadelle enchantée. Presto se le tint pour dit et courut rattraper les autres qui avaient dans l’intervalle mis une certaine avance entre le Chevalier, le Magicien et eux. Leur marche sous les colonnades géantes et les salles d’armes au mobilier depuis longtemps tombé en poussière fut morne. Dékion avait eu raison, tout n’était que ruines à l’intérieur. Les façades avaient infiniment mieux résisté que la décoration. Les masses de poudre qui jonchaient le sol s’interrompaient en un sillon continu depuis l’entrée : la trace des Orques. Il n’y avait qu’à les suivre jusqu’à la cour.

Traverser le château fut plus long qu’il n’y paraissait, mais enfin le groupe déboucha sur une ogive dont la clé de voûte effondrée bouchait partiellement l’ouverture. Partiellement attendu qu’un passage avait été creusé dans l’épaisseur des blocs éboulés. Les jeunes gens l’empruntèrent jusqu’à un vaste espace carré encombré d’herbes hautes. D’importantes traces de brûlé dans la végétation constituaient une sente vers une excavation d’où émergeait un toit bulbeux en pierre blanche, que la lumière indirecte qui tombait des soleils filtrés par la centaine de mètres au moins sur laquelle les tours, les poternes et les corps de logis qui entouraient la cour se projetaient à la verticale, parait de grisaille et d’ombres presque noires.

Le mausolée.

La construction était sensiblement plus élaborée qu’il ne semblait à première vue. Les lignes massives en étaient ajourées de statues d’angle, le toit en forme de dôme adhérait au bâti par le moyen d’une frise à l’antique peinte de couleurs vives, de profondes meurtrières en forme de croix celtique rythmaient les murs tandis qu’un fronton aux colonnes doubles faisait saillie au dessus de l’entrée proéminente. La porte, deux battants de métal enjolivés de motifs cabalistiques, pendait de guingois en une invite muette. Le tout, sans être beau, ne laissait pas d’en imposer. Il fallait vraiment avoir eu aussi peu de principes que Vengeur pour vouloir profaner ce noble tombeau.

La sensation désagréable tripla d’intensité en Presto. Rarement l’apprenti magicien avait été en position de respirer une atmosphère à ce point saturée de magie... Le Tombeau des Ossements n’en répandait pas le quart, ni le fabuleux Grimoire d’or de Darkhaven ; en fait, il lui fallait remonter au Cœur de l’Aube pour disposer d’un terme de comparaison. La puissance émanait de quelque part dans le mausolée ; dormante mais bien réelle. Et neutre. Etrangement, là où les magies les plus fortes du Royaume avaient toujours été associées à un alignement, bénéfique ou chaotique, aussi bien Vengeur que le Grand Maître, Tiamat que Lukian, le Beholder que Zandora, celle-ci n’était liée à rien de perceptible, comme une force dégagée des préoccupations des vivants. Le fait que le maître des lieux fût mort depuis des temps immémoriaux en était sans doute l’explication. Presto ne se crut dès lors pas dans l’obligation d’évoquer ses craintes devant les autres. La minute ou deux pendant laquelle il avait été plongé dans ses pensées avait suffi au reste de la troupe pour pénétrer dans le tombeau. La voix nasillarde qui les aiguillonnait, depuis les profondeurs de la construction, appartenait comme de juste à nul autre qu’Eric. Haussant les épaules, le Magicien se hâta de les rejoindre. Tout plutôt que d’avoir l’air d’une poule mouillée. Il n’était pas le Cavalier, pour supporter de demeurer longtemps en butte aux quolibets. Son manque de confiance en soi le lui interdisait. Déjà que son Chapeau plantait ses tours plus souvent qu’à son heure...

L’atmosphère propre au mausolée était inhabituelle de recueillement. Feutrée, quasi figée. L’entrée ouvrait sur une pièce rectangulaire courant d’un bout à l’autre de la largeur du bâtiment — une espèce de corridor supporté par des pilastres carrés d’un style très sobre, qui prenait un jour des plus insuffisants au travers des entailles cruciformes des meurtrières. Le mur du fond supportait quantité de niches accueillant des ex-voto et des offrandes précieuses dont la poussière accumulée en un épais linceul sur la moindre surface plane étaient impuissante à dissimuler l’éclat de l’or, des gemmes et des pierres fines. Le réseau de ces tabernacles en miniature s’interrompait sur un linteau cintré où adhéraient des ferrures tordues : ce qu’il subsistait de la grille après que Vengeur l’eut faite sauter. Diana parut sur le seuil et fit signe à Presto de la rejoindre. Le jeune homme fut extrêmement tenté de n’en rien faire et de prendre plutôt ses jambes à son cou. Il n’en fit rien, cependant. Ses pas le menèrent au contact de ses compagnons d’infortune dans la chambre funéraire. La première chose qu’il releva, en dehors de la véritable gifle que les forces magiques infligèrent à ses perceptions comme il suivait l’Acrobate dans la salle mortuaire, ne fut ni le monceau de richesses répandues à profusion sur les dalles hors des parois vermoulues ou fissurées des coffres et des jarres alignés le long des parois, ni les nombreuses silhouettes indistinctes qui bornaient l’allée centrale en une haie d’honneur, ni même la statue en vraie grandeur d’un chevalier agenouillé dans le geste d’offrir le rubis gigantesque que ses deux mains de pierre contenaient avec peine au sarcophage, d’or juché devant lui sur trois marches. Ce qui frappa davantage que tout cela, et les autres merveilles de cette chambre hors du commun, la conscience du Magicien, tenait dans les inscriptions gravées à même le sol sur le moindre pouce de l’allée médiane : Presto n’était pas plus versé ès langues mortes que n’importe quel lycéen nord américain de son âge, mais il reconnut incontinent des caractères appartenant à au moins quatre ou cinq alphabets humains. Les plus immanquables, les cunéiformes, les lettres hiératiques de l’hébreu et les fines arabesques de l’arabe, n’auraient jamais dû échapper à ses amis. Le doute n’était plus de mise : ce tombeau communiquait bel et bien avec la Terre.

Dékion avait engagé Hank, Sheila, Eric et Bobby dans un conciliabule devant la grande stèle de grès rouge dressée à main droite de la cuve du sarcophage. Diana, quant à elle, était en contemplation devant l’une des formes pourrissantes qu’il fallait dépasser afin d’atteindre le fond de la chambre. Presto la rejoignit et dirigea son attention du côté de l’étrange silhouette qui évoquait un cheval à ses yeux, mais difforme et enveloppée dans une cuirasse craquelée ainsi que du vieux cuir. Brr... C’était plutôt morbide.

« Un cheval momifié », fit l’Acrobate, les pupilles dilatées brillantes d’excitation. « Incroyable... Toutes ces choses sont des animaux conservés. Dire qu’ils ont plusieurs millénaires... Le défunt devait beaucoup aimer sa ménagerie, pour qu’on lui permette de l’emporter dans son dernier voyage... »

« Le décorum fait songer aux coutumes d’inhumation égyptiennes », acquiesça le Magicien. « On a placé autour du mort ses êtres familiers, le mobilier qui était sien — as-tu vu ce trône d’or dans le fond ? il est plus haut et large que la porte, ce qui signifie qu’il aura fallu l’agrandir ou abattre un mur afin de le faire entrer —, et suffisamment de trésors pour lui assurer une place de choix dans l’au-delà. Celle-là qu’il aura eue de son vivant. Ce sont là coutumes humaines, Diana. »

« Ça expliquerait la présence de l’ouverture sur notre monde et de ces textes dans nos langues orientales... Ne me regarde pas ainsi, tu n’es pas le seul à avoir les yeux qui fonctionnent... »

« Ohé, les retardataires ! Le Ranger se prépare à ouvrir le portail ! »

Une fois le groupe reconstitué, Hank prit une respiration, une autre, puis il s’éclaircit la voix, les yeux à quelques dizaines de centimètres de la table de pierre. Le texte initialement sculpté en caractères elfiques anciens, fort différent de ceux que les jeunes aventuriers avaient finis par peu ou prou assimiler attendu que c’était la base des dialectes du Royaume, se brouilla alors qu’il n’avait pas encore commencé à lire, pour adopter les signes familiers d’une belle composition en romain, comme sur les frontons des monuments et des lieux publics de leur pays. Sous cette forme-ci, l’inscription remplissait quatre vers dont le dernier, avalé par une brisure de la dalle, se réduisait à une moitié d’hémistiche. Le Ranger toussota après l’avoir parcourue des yeux, incrédule et pourtant contraint d’admettre que le sens du texte ne souffrait point la discussion. Pour une fois. Il claqua des doigts à l’attention d’Eric, dont les yeux avides ne s’étaient à aucun détachés de la pierre précieuse enclose entre les doigts de marbre du chevalier.

« Il est écrit : Qui n’est pas bien ici et veut rentrer chez soi N’a qu’à me faire briller ; au retour il a droit. Exaucer le passant comblait d’aise mon Sire. Un refus... »

Le Cavalier les surprit tous, à l’exception probable du Ranger, en désignant la gemme et en attirant le blond par le bras devant l’orant de pierre agenouillé en face du sarcophage. La force qu’il impulsa à son geste faillit envoyer l’autre garçon heurter la statue.

« A toi l’honneur, Hank. Tu es notre leader, il n’est que justice que tu nous montres la voie... »

Eric ne vocalisa pas la fin de sa pensée : et si un monstre pointe le bout de son nez, tu l’occupes. Hank s’en serait offusqué, et le personnage qu’il jouait, en ces circonstances exceptionnelles, ne requérait pas que le Cavalier enfonce autant le clou. Il suffisait que le blond sache qu’il était moins timoré et geignard qu’il n’y paraissait ; les autres n’avaient aucun besoin de connaître sa personnalité véritable. Dans quelques minutes ils seraient tous de retour et le seul qu’il lui plairait de revoir serait Hank. Bobby surtout pouvait crever seul dans son coin ; du diable si Eric consentait jamais à se trouver ne fût-ce que dans la même pièce que le ci-devant Barbare... Ces pensées étaient si douces qu’un sourire involontaire étira le bas de son visage, récompensé par un ricanement de l’enfant blond roux au Gourdin. Une phrase qui ressemblait fort à ‘l’est pas croyable, ce mec, il ricane tout seul’ aurait pu être entendue dans la barbe de Bobby, en supposant qu’un membre de l’assistance eût prêté l’oreille. Ce qui n’était pas le cas ; tous se coudoyaient autour d’Eric et d’Hank, quitte à grimper sur l’une ou l’autre des marches menant au sarcophage. Sauf Dékion ; le Chevalier Céleste n’était pas concerné au premier chef, et il préférait autant prendre un peu de champ, histoire d’assister plus à son aise à la suite des opérations.

« Je fais comment ? » demanda Hank, pratique comme à son habitude. Ses yeux avaient fait le tour de ses amis avant de se focaliser sur Dékion.

Le jeune guerrier réprima un sourire. Tiens donc, maintenant le Ranger se souvenait de lui ? Il attendit que le flot de suggestions, intéressantes, vraisemblables et ineptes — ces dernières comme de juste avant tout le fait du Barbare et du Cavalier —, se tarisse dans la bouche des cinq autres, puis il prit la parole.

« J’imagine que tu dois visualiser votre monde quand tu frotteras la surface du rubis... Il ne ferait pas de mal que tu commences par te concentrer sur l’endroit exact où vous avez été enlevés, pour élargir ensuite la perspective à ce que vous savez de votre pays. Cette magie est extrêmement ancienne ; vu qu’il s’agit d’un portail à destinations multiples, au choix de l’invoquant, j’imagine que fournir à la pierre le plus de détails qu’il est possible sur là d’où vous venez ne fera pas de mal... »

Docile à ces instructions, qui surpassaient sans problème en pertinence ce qu’il avait entendu de ses amis, le Ranger fit un pas vers la statue. Quoique le chevalier fût en prière, ses mains agrippées autour du rubis arrivaient facilement à hauteur de la poitrine du blond. Il referma ses doigts sur deux facettes limitrophes de la gemme, manqua crier. La pierre était humide et chaude tel un cœur vivant. Sa pression grandit, au fur et à mesure qu’il convoquait dans son esprit les images les plus nettes qu’il était en lui de produire de la fête foraine, ensuite du lycée et de la ville, enfin des lieux aux alentours que sa famille ou leur bande avaient coutume de fréquenter. Une faible intensité électrique se propagea depuis la surface du rubis dans son épiderme. Cela fonctionnait ! Il percevait la force qui se concentrait sous ses mains.

Un murmure recueilli lui signifia qu’il s’était passé quelque chose. Il avait fermé les yeux d’appréhension. Toujours sa vieille crainte de ne pas être à la hauteur... Il les rouvrit et regarda avec avidité. Le rubis avait pris une teinte luminescente un ton au dessus de sa couleur normale, sang de pigeon ; de son centre exact un rai de lumière pourpre s’était épanché en direction du sarcophage. L’or poli bouillonnait à la surface de la cuve comme le pinceau lumineux déformait l’espace et le temps au contact de la matière. Un disque mi solide mi gazeux au travers duquel un coin d’arbres et de maisons blanches et sahariennes était visible en toile de fond, flottait désormais entre le rubis et le sarcophage. Un portail, mais minuscule. Tout juste de la taille d’Uni. Le pire était que la gemme n’avait pas l’air disposée à cracher davantage de puissance afin d’en augmenter le diamètre. Hank s’en assura ; ses manipulations répétées des facettes iridescentes ne firent rien à part irriter ses phalanges par leur biseau affûtée.

« Si tu dis que tu le savais, je te la fais manger », prévint Bobby en faisant danser sa Massue sous les yeux d’Eric. « Foutu pessimiste ! tu nous as porté la poisse... »

« Peut-être qu’un de nous devrait essayer », hasarda Presto. « Le désir de retour d’une seule personne ne suffit pas à activer la pleine puissance de la pierre, qui sait ? »

« On ne perd rien à essayer », confirma Sheila qui sentait des larmes de désespoir se concentrer au coin de ses yeux. Elle se serait de préférence faite battre comme plâtre avant de l’exprimer à haute voix, mais elle partageait le mauvais pressentiment qui avait été celui d’Eric depuis le début. C’était bien trop simple ; depuis quand le Royaume leur accordait-il quoi que ce fût pour rien ? En outre, comment le Grand Maître avait-il pu négliger de les aviser d’une possibilité de retour à ce point dénuée de risque ?

« J’ai une idée ; essayons d’activer le rubis tous ensemble... »

Hank ou la voix de la sagesse... Presto encore réticent faillit une fois de plus exprimer ses suspicions ; puis il embrassa des yeux la mine soudain illuminée d’espoir de ses amis et sa résolution flancha. Au fond, qui était-il pour leur enlever une chance aussi nette de quitter le Royaume ? Le portail leur faisait face, réel mais trop étroit afin de leur livrer passage... Et, jusqu’ici, aucune de ses craintes ne s’était concrétisée. Il fut en conséquence le premier à ajouter ses mains auprès de celles de Hank. Très vite, Diana, puis Sheila, ensuite Bobby, enfin, et en maugréant, Eric, pressaient les leurs sur les facettes disponibles.

Le sol vrombit sous leurs pieds. Le rubis devenu brûlant pulsa telle une chose vivante. Une onde d’énergie se propageait depuis ses profondeurs, qui attirait leurs paumes à l’intérieur de la gemme. Impossible de les décoller de la surface bouillante. Des cloques étaient en voie de formation sur leurs mains ; or celles-ci éclatèrent sans crier gare sous la force qui refluait sous leur peau. Dans un sifflement de chalumeau, un faisceau de lumière rouge sans commune mesure avec le fin rayon qu’avait suscité Hank s’épancha entre Eric et Bobby. Le déplacement d’air drossa Dékion contre le trépied monumental d’où venait tout juste de jaillir un feu bleu et malodorant. Le jet de force pourpre effaça dans l’instant la totalité de la superficie de la face antérieure du sarcophage, exception faite pour le visage du défunt. L’anneau dimensionnel s’ouvrit très grand. Le dégagement des énergies magiques ébranla encore et encore l’ensemble du tombeau, puis le portail voulut bien se stabiliser. Quatre hommes auraient pu sans se toucher y passer de front, et quant à la hauteur un dragon de bonne taille s’y fût glissé. De l’autre côté de ce que la perspective changeante révéla bientôt comme étant un tunnel, un dromadaire qui broutait à son rythme un buisson d’aspect rébarbatif, un pan de désert ocre bouché, à une assez grande distance en retrait, par une rangée de maisons rases et blanchis, et dans le lointain un écrin de falaises joliment nuancées de violet.

« Eh, c’est la Tunisie ! Djerba... Au fond, là, on aperçoit les montagnes de Sidi Mansour. Je remettrais ce décor entre mille. Mon père y a une villa, j’y passais des étés lorsque j’étais plus jeune. On va rentrer à la maison ! Cette fois-ci, on peut dire adieu à ce monde de dingues ! »

« Tu es sûr, Eric ? » demanda Sheila. « Déjà, c’est bien loin de Richmond. On va rentrer comment ? Et si tu te trompais ? Ce ne serait pas la première — »

« Pour ma part, je lui fais confiance. Cela me va s’il assure que c’est ce coin-là. »

L’intervention de Hank coupa court à la discussion qui n’eût pas manqué de s’engager. Il tardait au Ranger de sortir du Royaume. Ils avaient eu jusqu’ici une chance insolente, et l’expérience leur avait appris à ne pas tabler trop longtemps sur le maintien de leur bonne étoile. Et si un imprévu survenait ? Le portail, tout stable qu’il fût, pouvait s’estomper sans crier gare, un danger inaperçu surgir, bref il aurait été encore bien moins prudent de se perdre en parlotes que de s’engager en son sein. Du moment qu’ils aboutissaient sur Terre, n’importe quel lieu leur convenait. Ils trouveraient toujours moyen de regagner l’Amérique où que les pouvoirs du rubis les expédieraient précisément.

Le blond s’était aperçu qu’ils pouvaient maintenant détacher leurs mains de sa surface. Il se dirigea vers Dékion, auquel la tête tournait encore pour sa grande honte, le prit par surprise dans une accolade, se dégagea aussi promptement qu’il l’avait étreint et marcha résolument vers le passage.

« Vous venez ? La seule et unique façon d’être sûr de la destination, c’est d’y plonger ! »

« Nain de jardin, tu vas lâcher cette licorne ? Aïe, mon tibia.. Petit salopard, je vais t’apprendre à me taper dessus avec ton bidule... Si je t’attrape, je te promets que je te fourre cette merde dans le c— »

« Eric ! Tu t’adresses à un enfant. Alors, réfrène-toi... »

« Je me fous de ce que peut dire ou faire ce con, je ne veux pas laisser Uni ! Grande soeur, hein que je peux l’emporter... ? »

« Non Bobby, ce n’est pas comme mon Chapeau ou nos armes magiques qui perdent leur force hors de ce monde. Uni peut mourir sur notre planète dénuée de tout enchantement. Rappelle-toi Darkhaven, quand Eric en tant que Grand Maître l’a laissée sous la garde d’un sortilège après avoir conjuré le portail... »

« Il a raison. Je suis désolée, mon grand ; elle doit demeurer dans son monde d’origine. »

« Qu’est-ce que tu en sais, pour commencer, Diana ? Et toi, Presto ? Uni, ne bouge pas ! Je vais trouver un moyen pour que toi et moi on ne soit pas séparés... »

« Sois raisonnable, Bobby... Uni sera mieux ici. »

« Sale gosse ! Tu ne vois donc pas que c’est le portail ou elle ? Tu me la donnes, maintenant, ou c’est la fessée du siècle pour toi dès qu’on aura mis les bouts ! Et je suis sérieux... »

« Bas les pattes ! E-R-I-C ! »

Dékion intervint à ce moment ; le regard que dirigeait Hank, à moitié engagé au milieu du passage, sur le petit garçon désespéré qui tentait de retenir entre ses bras une licorne bêlante entraînée sans plus de façons par Eric sous l’œil réprobateur mais compréhensif de Diana et Presto, tandis que Sheila s’efforçait de lui faire lâcher prise, était éloquent. Le jeune Chevalier Céleste partageait la position du Ranger ; de ce que le portail faisait mine de tenir bon, il ne découlait pas qu’il en irait indéfiniment ainsi. Que les six Terriens franchissent le seuil de la lentille dimensionnelle présentait un caractère d’urgente nécessité. Dékion agit de la seule manière qui trancherait cette situation : levant son poing droit, il concentra son pouvoir en une balle de magie verte grosse comme un pamplemousse. Un effort de son esprit la fit s’animer et s’envoler hors du réduit de ses doigts. La charge ensorcelée traversa la largeur de la salle et sépara les deux têtes de mule plus que jamais aux prises autour de la licorne en piégeant en son sein l’animal.

« Il suffit ! », tonna-t-il. « Votre familier restera sous ma protection. Filez, maintenant ! »

La protestation que le Barbare tenta de faire entendre mourut sur sa langue ; il venait de croiser les yeux déterminés de Dékion. Il connaissait mieux que quiconque ce type de regard : celui d’un adulte décidé à ne pas en rabattre, quoi qu’il arrive et quoi qu’il lui en coûtât. L’hésitation de Bobby le rendait vulnérable ; Eric et Diana apparurent dans son dos et le saisirent chacun sous une épaule. La résistance qu’il leur opposa n’y changea rien ; il fut emporté d’autorité vers le passage. Sheila et Presto fermaient la marche, le visage tendu, leurs bras crispés à angle droit au niveau de leur aine et à l’évidence parés à retenir le garçon petit mais robuste dans l’éventualité où il romprait l’étreinte du Cavalier et de l’Acrobate. Les bêlements plaintifs d’Uni n’étaient plus audibles, étouffés comme ils devaient l’être par le champ de force magique crépitant autour d’elle. Le seuil de la lentille dimensionnelle était désormais tout proche. Le temps de forcer une goulée d’air à l’intérieur de ses poumons, et Bobby toujours charrié par les deux autres s’enfonçait à l’intérieur du tunnel mi solide mi gazeux.

 
 
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