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au 31 Mai 21 :
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Le rêve d'Eric
Par Aqat
Le sourire du Dragon  -  Romance/Action/Aventure  -  fr
4 chapitres - Complète - Rating : T (13ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
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Au coin du feu

Eric s’était senti mal durant tout le trajet, depuis l’instant où ils avaient quitté le jardin de Zinn. Le poids de sa cuirasse et de sa cotte de mailles, qu’il n’avait d’ordinaire aucun mal à porter, le faisait se tasser sur lui-même. Ses foulées devenaient de moins en moins alertes comme la journée s’étirait sous la lueur des quatre soleils du Royaume. La manifestation la plus embarrassante s’était toutefois avérée les fréquentes pauses pipi que le Cavalier avait été contraint d’observer ; cela commençait par une douleur diffuse dans ses reins, puis sa vessie s’emplissait et très vite il ne pouvait plus seulement mettre un pied devant l’autre. Il n’était pas près d’enfiler de sitôt une potion inconnue, jura-t-il après s’être soulagé pour la dixième fois depuis le déjeuner. Zinn l’avait bien possédé à la veille de leurs noces ! le philtre destiné à le rendre potent avait été escroquerie pure et simple. A quoi bon en avoir vidé une pleine amphore à la première occasion, avant de filer entre les draps, puisqu’il lui avait fallu fermer les yeux et se concentrer sur l’image qui ne le quittait pas depuis son entrée au lycée, afin d’être en état d’honorer la souveraine ? Rien que la quantité de pierreries et d’or qui lui était promise, après le mariage, justifiait cette précaution, mais la perspective de jouir d’une belle femme consentante n’y avait rien changé, pour le plus grand désarroi de l’adolescent hautain : comme dans le cas de la veuve poignet qu’il se donnait dans son coin chaque soir où les autres dormaient profondément et où il pouvait sans grand risque se caler sur leur respiration, son vieux fantasme restait son seul recours. Or en définitive, le plan s’était écroulé tel un château de cartes : certes il s’était ébattu entre les draps, mais avec un monstre à la beauté factice, il pissait à présent autant que son grand-père dans sa clinique de gériatrie privée à Rhodes Island, et de récompense il n’avait guère reçu que les quelques ducats chipés par lui juste avant la cérémonie. Une journée à oublier au plus vite...

Si seulement Hank et Bobby avaient voulu cesser d’y revenir. Tourner le couteau dans la plaie était une spécialité du Barbare. Eric se trouvait n’être plus affecté depuis longtemps par ses remarques coupantes ; le gamin pouvait donc s’en ébaudir à satiété. Leur cher et brave leader, lui, était une toute autre affaire. La mésentente avait pris des proportions de guerre ouverte entre eux. Le Ranger, outré qu’Eric ait pu songer à mettre de côté leur quête contre un tas de richesses et la perspective d’une existence oisive, avait crié à la vilenie. La vie de Bobby avait été en balance, mais cela ne changeait rien au fait que le brun n’avait voulu de l’offre de la Reine qu’une fois que celle-ci lui avait fait miroiter monts et merveilles — avec une splendide couronne sur la tête. C’était son égoïsme qui avait décidé le Cavalier, du point de vue de Hank. Ce qu’il ne s’était pas privé de lancer à la face de l’intéressé. Plusieurs fois. Dont une de trop : ce midi, après le repas frugal tant bien que mal assuré par Presto. Et comme Eric avait répliqué, renvoyant à la figure du blond sa trahison durant la quête des Ours des Nuages, les deux aînés de la bande en étaient venus aux mains. Les autres avaient tardé à les séparer. Un coup de Bouclier était parti, Hank avait eu le menton en sang. Les paroles qui étaient tombées de sa bouche alors que tous les autres l’entraînaient loin du Cavalier avaient atteint ce dernier aussi sûrement que le souffle d’un dragon. Bon à rien, boulet attaché à nos jambes ! un jour prochain, je te livrerai à Vengeur !

Il n’avait pas voulu frapper Hank. A coup sûr, le blond le haïssait maintenant. Le tempérament vindicatif d’Eric le poussait à creuser plus avant dans le sillon du mélodrame. Il avait donc décrété qu’il prendrait le premier tour de garde, le soir venu. Son idée était de s’en aller avant l’aurore ; ses grands amis le dragon d’or et sa portée l’accueilleraient sans nul doute, dans l’attente d’un établissement définitif. Chez Messire John, peut-être. Ou au village d’Hélix. Quoique en majorité hostile, le Royaume ne manquait pas d’endroits où les jeunes braves comptaient des amis... Au demeurant, il ne faisait plus aucun doute dans l’esprit du Cavalier que son temps avec les autres était échu. C’était aussi bien d’en finir de la sorte. Il eût risqué autrement de se couper, un jour. Ou pire — de les faire tous occire. Sa décision prise, la longue marche n’avait plus semblé si désolante.

Il lança un regard irrité à Presto. Dans sa hâte de faire jaillir du Chapeau des matelas et des couvertures, le Magicien avait trouvé moyen d’ignorer la présence d’une somptueuse fiente de bestiole. Comme de bien entendu, le grabat destiné à Eric avait atterri en plein dessus. Et voici donc le Cavalier affairé à laver au ruisseau les traces malodorantes. Pendant ce temps, les autres s’étaient installés pour la nuit. L’ambiance était lourde, le climat morose. Il n’avait pas échappé à l’œil d’aigle du brun que Presto avait établi son lit à l’autre extrémité du camp, près d’un emplacement libre et le plus loin possible de celui de Hank, duquel il était séparé par les couchages de Sheila, Diana et Bobby. Une réflexion mal à propos du blondinet avait valu à ce dernier une grimace toute en dents du Magicien et une répartie cinglante. Eric en avait capturé les derniers mots au vol en revenant avec son grabat propre mais détrempé.

«... petits garçons qui ne comprennent rien. »

« Pas la peine de prendre ma défense », lança le principal intéressé ; « je suis peureux, vous en êtes tous d’accord, mais lui est un inconscient qui nous a mis bien des fois dans le caca à cause de sa manie de foncer sans réfléchir. Rien de nouveau sous le soleil ; nos armes nous ont été données en fonction de ce trait de notre personnalité. Alors, si Bébé et Dents de lapin n’ont rien à ajouter, je voudrais prendre mon quart. J’ai eu plutôt une grosse journée... »

« Eric ! » La voix de Diana tâchait en vain de paraître grondeuse ; la vérité était qu’elle avait été à deux doigts de dire à peu près la même chose. « Tu ne crois pas que tu es as assez fait ? »

Le Barbare avait la bouche ouverte comme un four ; sa Massue tremblait entre ses mains. Le rouge était monté aux joues de Presto, mais il s’avoua vaincu et retourna à sa place. Hank déjà allongé le regarda passer avec un air peiné, mais ne dit rien. La main apaisante de Sheila qui était venue caresser les épaules de son frère dès qu’elle avait senti qu’il allait exploser, calma ses ardeurs belliqueuses. Le garçonnet se glissa bientôt sous sa couverture en maugréant. Eric avait pris son poste, assis en tailleur sur un rocher à deux ou trois mètres de Presto et du grabat humide. La nuit était remarquablement sombre, la faute aux quatre lunes dans leur phase décroissante ; n’eût été le feu au milieu du campement, auquel chaque quart d’heure environ il devait apporter quelque aliment, les jeunes terriens se fussent trouvés dans un lieu clos qu’il n’aurait pas fait plus noir. La densité de la forêt ajoutait à l’impression d’isolement complet.

Le Cavalier sentit pendant quelque temps un regard aigu s’appesantir sur lui. Il se garda bien de donner satisfaction à celui qui le scrutait en se tournant dans sa direction ; à tous les coups cette fouine de Bobby ou Diana la raisonneuse... Il se sentait suffisamment atteint au physique comme au mental pour ne pas aggraver son état en se donnant des motifs supplémentaires de se détester. A présent que le moment approchait de traduire en actions sa résolution de partir, il découvrait que le courage lui manquait. Dieu merci il n’urinait plus à tout venant ; mais la barre derrière ses reins avait à peine reflué et le poids de son armure et du bouclier était une perspective décourageante. Devoir se trimballer cette ferraille la moitié de la nuit après dix heures de marche... Mais il n’avait pas d’autre option. Même si Hank s’était abstenu d’envenimer les choses tout à l’heure, il sautait aux yeux que son cœur opinait dans le sens de Bobby : Eric n’avait plus rien à faire parmi eux. Son pouvoir même leur était peu utile. Et avec son contrôle sur ses nerfs qui allait déclinant, qui pouvait garantir qu’un drame ne se produirait pas bientôt ? Le riche fils de famille se savait malheureusement très capable de blesser Hank dans une rixe, tout comme il se voyait fort bien être malmené par lui à la première occasion où leur tempérament s’échaufferait, suite à quoi le groupe volerait en éclats — pour le plus grand profit de Vengeur. Cela n’adviendrait pas. Il lui fallait par conséquent frayer sa propre voie.

Une heure passa. Il avait changé de position dans la clairière, préférant un coin en pente au nord du lieu où Sheila et Hank avaient choisi d’étendre leur matelas. La moindre proximité du feu lui permettait de se confondre parmi les ténèbres et au sein des ombres jetées par le fut des grands arbres, tout en y voyant quasi autant qu’à son immédiat voisinage. Quatre respirations régulières et un ronchis sonore montaient du campement. Presto émettait un bruit de gorge très proche du ronflement si d’aventure il se couchait contrarié ou l’estomac trop plein. Ce soir-là ne constituait pas une exception. Le Cavalier demeura un moment à écouter les dormeurs non sans laisser son regard errer aux alentours. Le feu plus que doublé par les branchages dont il l’avait enrichi tantôt, durerait probablement jusqu’à l’aube ; il pouvait maintenant s’esquiver. Mais d’abord, il lui fallait réaliser la chose à laquelle il avait réfléchi pendant qu’il rinçait son grabat souillé. Sans personne pour veiller, avant le milieu de la nuit qui verrait Hank prendre son tour de garde, ses amis étaient par trop vulnérables. Il incombait à Eric de produire un substitut à sa veille. Il se leva d’un bond et traversa au pas de course le campement. Sans doute fit-il du bruit, attendu que Diana, petite dormeuse devant l’Eternel, cessa de respirer sur son passage. Très vite, pourtant, la Noire se tourna sur le côté pour se remettre à rêver de plus belle. Son idée était la bonne, Eric en aurait mis sa main au feu. Risque ou pas, et quand bien même il aurait réveillé l’Acrobate. Puisque les hommes lézards de Vengeur avaient été capables d’utiliser à bonne fin le chapeau magique, pourquoi en irait-il pas différemment avec lui ? Uni elle-même un jour, secouant le galurin, en avait fait jaillir un sort efficace... Une licorne ! Hors de question pour lui de faire moins bien que le quadrupède.

L’artefact en sa possession, il réfléchit quelques secondes puis psalmodia en passant sa main au dessus de l’ouverture : « chapeau, gentil chapeau, couvre mon échappée Protège ces idiots endormis du danger »Une vive lueur jaune reflua du tissu, et se mua en étincelles crépitantes. L’une d’elles roussit les quelques poils épars sur le dessus du bras d’Eric quand il fut trop long à laisser tomber le Chapeau. Aïe, ça faisait mal... Sa propension à râler fut tuée dans l’œuf : la nuée de parcelles dorées s’était éparpillée autour de la clairière, à l’orée de laquelle se dressait à présent, par paquets entiers, pesante et cotonneuse, une brume. C’était cela : un anneau brumeux était en train de se former sur une trentaine de mètres de circonférence à compter du campement. Les vapes se dressaient à la verticale de plus en plus haut comme elles flottaient et s’épaississaient sur les côtés. En moins de temps qu’il n’en fallut au Cavalier pour réaliser la réussite de son tour, la brume s’était constituée en dôme au dessus des dormeurs. Une pierre ramassée au hasard et jetée contre la matière opalescente la traversa sans encombre. En d’autres termes, il était libre de quitter la clairière, mais rien ne pourrait y pénétrait. Voilà qui comblait ses espérances...

Le couvre-chef dûment replacé au front de son propriétaire, Eric se dirigea à pas de loups hors du cercle des grabats. Les respirations ne s’étaient à aucun moment interrompues. Y compris celle de Diana, devant qui il avait redoublé d’efforts de furtivité. C’était le moment de tirer sa révérence. Les pièces de son armure, huilées d’abondance un peu plus tôt, ne grincèrent point tandis que le Cavalier franchissait la distance menant au dôme brumeux. Hank se réveillerait d’ici une heure ou deux face à un lit vide. Et une troupe amputée d’une personne, selon certain désir récent qu’il ne s’était guère fait violence de cacher. Eric aurait donné cher pour assister à sa déconfiture ; car nul doute que Presto, peut-être aussi Diana, en seraient marris et feraient voir du pays au blond leader, pour n’avoir pas su empêcher la fuite de leur copain. Cela revêtait peu d’importance. Il fallait qu’il se mette en train, s’il voulait avoir atteint le désert au point du jour. Il laisserait moins de traces dans le sol raviné qu’en coupant à travers bois.

Il prit une respiration. Son regard ricocha une dernière fois sur le campement et ses lits improvisés épars sous la surveillance du foyer. Puis il avança. Soudain, sans crier gare, une poigne infrangible se referma sur son bras droit. Il avait bien cru surprendre un mouvement vers la droite, mais il l’avait mis au compte du vent et de ses nerfs éprouvés. A tort, apparemment. Il sut qui le retenait par la manche avant même de faire volte-face. Ce parfum corporel subtil appartenait à une personne entre toutes.

Hank.

Le blond apparaissait l’épitomé de la colère, alors qu’il entreprenait de traîner Eric vers l’intérieur du dôme. Ses yeux bleus dardaient des éclairs, son beau visage était frappé du sceau de la pâleur et sur ses traits chiffonnés ses fossettes étaient devenues profondes zébrures. Son expression courroucée convainquit Eric qu’il avait bien fait de vouloir prendre le large. La manière dont le Ranger le regardait était possessive sans rien d’amical : Hank jouait son rôle de chef de meute. Rien d’autre.

Les deux garçons luttèrent un moment. Le blond fut surpris par la résistance opposée par le fuyard : certes Eric était de quelques centimètres plus haut que lui, mais il lui rendait assez de masse et de muscles pour qu’il eût pu l’entraîner sans trop de problèmes. Après tout, le fils à papa n’était pas pour rien le premier à se plaindre dès qu’il fallait fournir le moindre effort physique... Or non. Hank était décontenancé de sentir autant de forces sous l’armure et la cote de mailles. Les épaules et les bras d’Eric, dissimulés derrière les lignes raides de son accoutrement, semblaient au moins aussi puissants que les siens, vu qu’il n’arrivait pas à le tirer à lui. Le visage altier du Cavalier respirait la détermination ; ses yeux roulaient presque dans leurs orbites. Hank résolut d’en finir avant d’être totalement épuisé ; interposant une jambe entre celles de son adversaire, il fit porter le poids de ce dernier vers l’avant, afin de le déstabiliser. Hélas la feinte était grossière. Eric donna dedans, mais, à l’ultime instant, il enroula son corps en happant les bras du Ranger, tant et si bien que celui-ci chancela à son tour. Ils tombèrent enroulés l’un sur l’autre, amas de bras et de jambes toujours aux prises. L’Arc enchanté, délogé de son rangement entre les omoplates du blond, roula à quelque distance avec un cliquetis métallique.

Hank finit par l’emporter. Il se saisit des bras de l’autre qu’il immobilisa au dessus de sa tête, et s’installa de tout son long sur le corps du brun. Le Bouclier magique gisait, délaissé, à moins d’un mètre des mains impuissantes de son détenteur. Son visage touchait presque celui, convulsé et empourpré, du Cavalier ; il n’ignorait pas qu’il devait ressembler lui-même à ce masque rougi, mais choisit de faire comme s’ils ne s’étaient pas battus comme des chiffonniers. Son ressentiment avait jailli quand il avait découvert Eric qui filait à l’anglaise ; il s’était réveillé en sursaut, mû par le remords et la mauvaise conscience, et il s’était dit qu’il devrait s’excuser sous prétexte de prendre la relève en avance. Maintenant qu’il tenait le brun à sa merci, il ne savait plus comment agir. Les mots s’étaient taris dans sa gorge. Ses poings, parés l’instant auparavant à lui mettre sur la figure, avaient imperceptiblement relâché leur étreinte sur les poignets de son compagnon. Eric avait décidément le chic pour lui inspirer des sentiments contradictoires. Un moment il l’aurait étranglé sans l’ombre d’un regret, à cause de son toupet et de sa grande gueule, puis la colère le quittait et il ne voyait plus, sous les hâbleries de gosse de riches, qu’un ego diablement fragile.

Les yeux d’Eric étaient dilatés, gros de panique. Hank ne comprenait pas pourquoi ; il le pressait toujours au sol, mais il avait relâché son étreinte autant qu’il le pouvait sans compromettre ses chances d’empêcher le garçon volatil de se libérer pour détaler. Personne ne courait aussi vite que lui lorsque le Cavalier, sous l’emprise de la peur, piquait un cent mètres. Et l’espèce de brouillard qu’il avait trouvé moyen de conjurer autour de la clairière, pouvait peut-être empêcher Hank de le suivre s’il parvenait à lui fausser compagnie. Le Ranger lui adressa un regard interrogateur. La panique se lisait davantage que jamais sur le visage du brun. Hank pesta intérieurement ; comme si cet imbécile se figurait qu’il allait rester une minute de plus sur son corps tout en angles et en muscles durs sous les pièces trop ajustées de son armure... Il avait connu mieux, et nettement, en fait d’étreintes. Une minute, songea-t-il tout à trac ; il y avait une raideur qui n’était pas normale, entre les hauts-de-chausses du Cavalier et l’étoffe épaisse drapant ses hanches.

Ce dernier était... érigé ! Comment donc ? Ils n’avaient pas été au corps à corps assez longtemps pour que la friction génère semblable réaction, autrement Hank l’aurait eue lui aussi. A l’insu de ses amis, il devait lutter souvent contre sa libido, qu’une posture innocemment suggestive de la peu vêtue Diana ou que la vision d’un corps dénudé, de fille et même — à son grand désarroi — de garçon, au détour d’un moment de toilette dans un fleuve, pouvait déchaîner à tout moment. Le temps passé dans le Royaume ne les faisait peut-être pas vieillir, mais il avait son incidence. Hank ne croyait pas se souvenir avoir été un jour aussi bouillonnant d’hormones. Attendu que ni Presto ni Erik ne paraissaient aux prises avec ce problème, il avait refoulé le tout, quitte à culpabiliser. D’autant plus grande fut son incompréhension face à la preuve physique de l’excitation du garçon piégé sous lui. Qu’est-ce que cela pouvait signifier ?

Sa surprise dut passer dans son regard, car le visage d’Eric pâlit. Une seconde vit passer le brun d’un teint aubergine à un blanc cireux. Sa résistance était décuplée ; la façon dont sa bouche s’ouvrait et se fermait, découvrant des dents à la perfection acérée, fit craindre au Ranger qu’il ne morde dans son empressement à desserrer l’étreinte. Mal lui en prit ; les quelques centimètres dont il recula son visage offrirent à l’autre assez de latitude pour lui asséner un coup de genou dans l’aine. Hank tordit les bras d’Eric en rétorsion, mais rien n’y faisait : il était enragé. Quelque chose pourtant ne collait pas : ses yeux révulsés avaient l’air paniqués. On aurait dit que c’était Vengeur qui plaquait au sol le Cavalier et non pas son camarade de lycée. Ils se confrontèrent encore quelques instants, puis un semblant de calme reparut sur les traits d’Eric. Aucun grognement ne sortait plus de sa gorge. C’était encourageant. Quoique...

« Lâche-moi ! » glapit-il. Sa voix était blanche et cassée, méconnaissable.

« Seulement quand tu seras calmé. Je ne sais pas quelle mouche te pique... »

« Tu oses bien me le demander ! » C’était presque un cri, duquel seules les lunes furent témoins. Les deux jeunes hommes se trouvaient suffisamment loin du camp pour que leurs voix y portent à peine, sauf à hurler ; et la question vociférée par le Cavalier avait été instantanément étouffée par Hank. Les forces du brun décroissaient rapidement ; il avait donc pu le tenir en respect d’une seule main tout en plaquant l’autre sur sa bouche avec ce qu’il fallait de pression afin de le faire taire sans l’étouffer.

« Je vais retirer ma main, à présent », avertit le Ranger sur un ton qu’il espérait intimidant mais qui sonna blessé à ses propres oreilles. « Nous n’avons pas besoin de réveiller les autres, tu ne crois pas ? »

Signe de la tête de l’intéressé. Les doigts de Hank glissèrent doucement sur la mâchoire du brun, puis vers sa poitrine, qu’ils tapotèrent d’un geste badin. La colère était cependant loin d’avoir quitté le Cavalier. Il s’éclaircit la gorge, toussota à plusieurs reprises, puis s’exclama du ton nasillard qui lui était coutumier lorsqu’il partait dans une de ses crises d’enfant gâté :

« Quelle mouche me pique... ? Ah, elle est un peu forte, celle-là ! Qui m’a sauté sur le paletot sans crier gare ? Qui est-ce qui veut me casser les deux bras ? Hein ! »

Hank ne répondit pas, certain que ce qu’il dirait serait mal reçu. Il retira ses mains des poignets d’Eric et, très lentement, entreprit de déplacer son poids latéralement à partir du torse caparaçonné. A tout moment il n’aurait eu qu’un geste à faire pour se réinstaller derechef sur le brun. Les yeux de ce dernier le suivaient avec une intensité pétrifiante. L’opération terminée, il tendit un bras et ramassa le Bouclier. Eric se remit sur son séant sans jamais le quitter du regard ; une fois sur ses jambes, il lui arracha son arme magique. Le Bouclier passé autour de son bras gauche vint aussitôt couvrir son bas ventre. Il devenait évident qu’il avait eu tout le premier conscience de son état. Par conséquent, de là à penser que ce n’était pas tant le fait d’avoir été immobilisé par Hank qui l’avait tellement troublé, que d’avoir eu cette réaction à son contact et de ne pouvoir en rien la lui dissimuler, il n’y avait qu’un pas. Le Ranger se douta qu’il y avait anguille sous roche à ce niveau — à son niveau ; il n’y avait qu’à considérer la manière dont le brun à l’instant venait de lui interdire de le toucher, en reculant avec humeur de plusieurs pas. Eric détestait les privautés, mais cela n’expliquait pas tout. Son attitude entière sonnait faux. Son absence d’arrogance, son trouble, le caractère quasiment désespéré de sa réticence à communiquer. Mais les choses urgentes d’abord.

« Je venais m’excuser, pour tout à l’heure. Mes mots ont dépassé ma pensée. Sincèrement. Je... lorsque tu nous a annoncé que tu épousais Zinn, j’ai perdu la tête. Tu sais que notre salut est collectif, que, sans l’un de nous, les autres ne trouveront jamais la voie. Cela m’a miné, jusqu’au moment où il a fallu que ça sorte. Tu m’as frappé, j’étais hors de moi, j’ai hurlé la première chose qui m’est passée par l’esprit... Quant à t’avoir sauté dessus... je ne suis pas désolé ! Ça non, mon petit vieux ! J’ai vu ce brouillard, je me suis demandé quelle sottise tu avais été commettre, et là, tu étais sur le point de passer à travers... Je n’ai pas réfléchi. Bien m’en a pris. »

Ce fut au tour d’Eric de garder le silence. Ses traits renfrognés exprimaient une froideur extrême. Quand il devint clair qu’Hank ne tirerait rien de lui, le contrôle de l’adolescent en vert sur ses émotions flancha. Avant qu’il n’ait eu conscience de ce qui lui arrivait, sa main droite s’était refermée en un poing qu’il avait arrêté, par pur réflexe, juste avant de l’abattre sur la moitié inférieure du visage du Cavalier. Son sang n’avait fait qu’un tour dans ses veines : s’il y avait une chose qu’il détestait chez le brun, c’était de lui voir faire comme s’il n’existait pas, quand il était patent qu’il avait raison de A jusqu’à Z. Et quand Hank se mettait en quatre afin de ménager ses sentiments, lors même qu’il brûlait de prendre le grand dadais à la gorge pour lui faire entendre à quel point il lui avait fait peur.

Peur ? Une minute. D’où venait cette sensation de vide qui s’était coulée dans l’échine du blond à l’instant où il avait compris qu’Eric parti, il pouvait parfaitement ne plus jamais le revoir ? Il n’y avait pas prêté attention sur le moment, il avait juste agi d’après son cœur. Face à ces impressions qu’il ne s’expliquait pas, le leader des enfants perdus fit ce qu’un adolescent de son âge aurait fait dans sa situation : il refoula son malaise et partit à l’offensive. Méchamment.

« Bobby a raison », lâcha-t-il très bas, à peu de distance du masque hautain de son compagnon. « Tu es une vraie tête à claques... Et un lâcheur, à présent. Un pleutre qui aime mieux filer dans le silence et la nuit que d’affronter le regard d’autrui. Mais ce n’est pas encore assez ! Va, tu peux te cacher derrière ce bouclier ; j’ai très bien vu que tu bandes... Que je te fais bander. Sale petit vicieux ! »

Une fois encore, la phrase n’avait pas sitôt franchi le seuil de ses lèvres que le Ranger la regrettait du plus profond de son être. Le regard d’Eric s’était éclairé d’une lueur mauvaise. Il y avait longtemps que le jeune homme n’avait pas vu pareille expression meurtrière sur le visage en lame du rasoir de l’héritier. Pas même Vengeur, au cours des interventions où il avait empêché le petit groupe de franchir un portail, avait réussi à lui faire monter cet éclat aux yeux. Une seule et unique fois, à la souvenance de Hank, Eric l’avait-il montré : un semestre et demi avant la fête foraine, lorsqu’il était revenu en cours à l’issue d’une semaine d’absence et que des élèves d’une promotion supérieure lui avaient cherché des noises. Eric avait serré les dents, paru se dégonfler... si ce n’est qu’à la fin des cours il avait agressé les trois rieurs à coups de queue de billard. Sans les relations haut placées de sa famille, il se fût trouvé flanqué dehors du lycée. En sa qualité de délégué de classe, le futur Ranger avait appris par la suite le fin mot de cette absence — le demi frère d’Eric s’était tué dans un accident de la route, à l’issue d’une violente querelle avec leur père. Hank se prépara en conséquence à essuyer un assaut cinglant.

Ses craintes ne furent pas déçues. Le Cavalier s’était dressé sur ses ergots tel un serpent prêt à mordre ; il décocha au garçon tout de vert habillé un regard acéré comme une flèche des Caraïbes, puis il éructa d’une voix que la contrariété décalait dans les aigus :

« C’est toujours mieux que d’être un mec qui ne trouverait pas sa queue si elle n’était attachée à son aine ! Je n’ai pas honte d’éprouver du désir... c’est normal à nos âges. Mais je suis bête ; Monsieur Populaire ne drague pas, on vient à lui. Gros nul ! tu ne risques pas de toucher une bille ici rien que sur ta frimousse. Les sourires Hollywdood chewing-gum, les abdominaux en béton et le genre capitaine de l’équipe de base-ball sont juste bons pour faire saliver les bestioles... »

« Si tu es tellement content de toi », contra Hank qui s’était à nouveau avancé jusqu’à effleurer du nez la joue du brun et qui trouvait décidément plaisante la sensation de la respiration haletante d’Eric contre sa joue, « à quoi bon imiter les filles de l’air ? On ne se supporte pas, j’admets, mais on est condamné à se serrer les coudes... Souviens-toi du mot du Grand Maître : le destin de chacun est partagé par tous. »

« Le conseil valait uniquement pour ces crétines de licornes... De toute manière, facile à dire ça. Ce n’est pas toi dont on se paie la tête sans arrêt. Mais vous êtes tous bien contents de vous abriter derrière ma pomme, en cas de grabuge...» Ces derniers commentaires émis sur un ton las.

Le visage d’Eric devint soudain grave. Si Hank ne l’avait pas connu à ce point, et n’avait donc pas a priori considéré improbable la manifestation de sentiments autres que l’arrogance, la pusillanimité et l’auto satisfaction, il aurait juré apercevoir une ombre de regret moirant ces pupilles d’obsidienne. Bien entendu, les paroles qui suivirent portèrent le démenti à cette éventuelle impression subjective du Ranger. Les traits durs, la ligne du menton et des lèvres butée, le Cavalier redevint tel qu’en lui-même lorsqu’il s’exprimait un de ses sempiternels jugements tranchés : un petit imbécile de la haute, très occupé à s’entendre parler. L’envie de lui coller une gifle démangea derechef les terminaisons nerveuses du blond.

« J’étais résolu à partir pour ne pas vous mettre davantage en danger, que ce soit par mon attitude ou en te prenant sans arrêt à rebrousse-poil. Je n’ai pas changé d’opinion. Maintenant, ou tu me laisses voler de mes propres ailes, ce dont je doute après une telle sortie, ou tu m’autorises à me coucher... »

Sur ce, il tourna les talons et déborda Hank sur la gauche. Ce dernier était partagé entre l’envie d’éclater qu’ils n’en avaient pas fini et le désir de vider un abcès qu’il devinait plus profond et plus complexe qu’il ne plaisait à son camarade de le reconnaître. Une impression confuse lui fit barrer la route au brun. Leurs yeux se croisèrent, d’abord sans aménité aucune, à l’instar d’épées silencieuses, puis se plongèrent les uns dans les autres, en proie à une étrange fascination. Le noir de jais du Cavalier magnétisait le bleu poussin du Ranger. Surprenant, pensa ce dernier, tout ce qui pouvait jouer à l’arrière-plan de ces pupilles gardées... Comment avait-il pu s’abuser à penser qu’Eric avait l’œil bovin ?

Il dut se faire violence afin de trouver quelque chose de cohérent à dire avant que son vis-à-vis ne s’ébranle en direction de son grabat. Déjà le brun écrasait un bâillement, par trop évidemment disgracieux pour être feint. Hank se résolut, en définitive, à dire ce qu’il ressentait avec le minimum de fioritures.

« Je préférerais qu’on parle. Qu’on fasse le point. Si tu n’y vois pas d’objection, c’est-à-dire... Tu pourras toujours retourner dormir ensuite. Il ne risque rien d’arriver d’un moment, et les autres sont fans le coaltar ; qui sait si l’occasion se représentera ? »

L’air indéchiffrable qui avait succédé à la lassitude sur les traits du Cavalier témoigna de l’absence totale d’envie de sa part à l’égard d’un tête-à-tête. Le blond comprit qu’il lui fallait continuer à parler, emporter l’assentiment d’Eric. Peut-être qu’en présentant la chose différemment...

« Presto s’est surpassé, pendant que tu jouais les lavandières ; il a fait apparaître un tas de sachets de café, de thé et de chocolat. Je t’invite à me tenir compagnie autour d’une boisson chaude. Allez, dis oui ; s’il te plaît... Tu sais combien je déteste rester seul. Ça me donne la sensation que j’ai failli dans mes devoirs. »

L’ébauche de sourire qui para le bas de son visage, quoique déparée par la croûte que lui avait laissé le choc contre le Bouclier, fit tomber les ultimes barrières de l’intéressé. Eric avait beau haïr ce flash de dents naturellement parfaites qui donnait l’impression que les fossettes se mouvaient, ondoyaient d’elles-mêmes sur ces pommettes altières, sitôt qu’il le voyait exécuter à Hank, c’était plus fort que tout : il lui fallait soit lutter contre lui-même afin de se blinder contre le charme du blond, soit s’y abandonner et en passer par ce que ce dernier désirait. Si ce n’était que ce soir-là, Hank aurait sans l’ombre d’un douté été chagriné d’un refus. Offenser le leader de leur troupe n’était en rien difficile à Eric ; il avait fini par s’y habituer, quelque déplaisir qu’il y prît toujours derrière les apparences. En revanche, occasionner du chagrin chez son camarade était bien au dessus de ses forces, passées, présentes et à venir.

Le Cavalier hocha en conséquence la tête. Bientôt, ils étaient tous les deux assis en tailleur devant leur propre feu sur le versant escarpé du campement, une chope de métal en main. Faux café pour le premier, tisane adoucie à grand renfort de sucrettes pour le second. Une chance que le sucre était l’une des denrées que Presto arrivait à sa guise à produire du Chapeau — il était parfaitement incapable, par exemple, d’en sortir le type d’aliments favori du petit groupe, à moins de compter une vache vivante comme le substitut d’un hamburger ou un porc de deux cents kilos comme autant de hot dogs. Hank prenait la chose à la rigolade, mais il n’eût pas misé beaucoup sur la survie d’Eric — et leur tranquillité à tous — sans la dose quotidienne du brun en douceurs... Un silence confortable s’était établi entre eux. Ni tout à fait amical, ni vraiment intime. Il leur rappelait de façon frappante l’ambiance de l’internat, au temps jadis où une erreur informatique avait contraint le fils de famille à partager avec Presto et Hank sa spacieuse studette. Cela n’avait pas duré davantage d’une semaine, le temps de libérer deux chambres à destination du magicien en herbe et du capitaine de l’équipe de base-ball, mais ce qui avait commencé, du point de vue d’Eric, comme une irruption inadmissible, s’était achevé avec nostalgie. Avec le même type de regret intangible que celui qui flottait sur les deux garçons accroupis côte à côte, à regarder les flammes danser et se contorsionner. Le Cavalier ne se souvenait pas s’être rapproché de Hank, ni de ce dernier se positionnant plus près de lui, toujours était-il que leurs genoux se touchaient quasiment. La nuit, entamée sous les auspices d’une certaine moiteur, avait viré depuis longtemps à la froidure, et il n’était pas mécontent d’avoir un corps chaud dans son voisinage immédiat. Surtout celui du blond. D’un autre côté, cette proximité était inquiétante, synonyme de danger. Eric n’avait aucunement l’habitude de côtoyer l’autre garçon de si près ; pas sans qu’un membre au moins, et souvent bien davantage, de la bande ne fût présent. Il n’était pas accoutumé à bénéficier de l’attention exclusive du Ranger. — Grâces fussent rendues au Grand Maître pour l’avoir affublé d’une tenue sous laquelle il pouvait transpirer tout son saoul sans qu’il y paraisse ; le brun était en voie de se liquéfier d’appréhension, à l’idée de ce qui ne manquerait pas de suivre. Son voisin était trop franc et spontané, trop généreux de manifestations corporelles d’amitié, pour qu’Eric échappe longtemps à ce qu’il redoutait par dessus tout.

Qu’il ne l’étreigne, ou, pire, ne le prenne dans ses bras, ainsi qu’on le lui voyait souvent faire aux autres au sortir d’une aventure périlleuse. Sheila et Bobby étant les cibles privilégiées de ces étreintes amicales.

Et en effet, le Cavalier ne put réprimer le frisson qui se communiqua à son corps entier lorsque Hank lui prit le menton et, d’un geste tendre et infiniment patient, le força à le regarder en face. Une décharge d’électricité statique courut le long des deux épidermes en contact, hérissant le duvet infime épars sur le maxillaire d’Eric aussi bien que les soies blondes sur le bras du Ranger.

« Pourquoi m’évites-tu ? », demanda celui-ci dans un souffle. « Pas une fois tu ne m’as fixé dans les yeux. Cela ne te dérange pas, quand nous nous gueulons dessus... »

Les mots moururent dans la bouche d’Eric. Comment voulait-il qu’il réponde, lorsque son contrôle avait cédé la place à une myriade de signaux mentaux clamant tous ‘Danger !’, et que sa façade, perfectionnée au fil des mois dans le Royaume, était en voie de se craqueler complètement ? Un geste machinal, même pas véritablement tendre, et des années de faux-semblants s’effondraient, bonnes à jeter aux orties ! Il n’avait donc aucune volonté ? N’était-il pas assez contrit d’avoir conscience de sa différence ? Mais il n’allait pas jeter le masque maintenant, pas pour si peu... autrement, tout cela aurait été en vain, tous ces efforts héroïques n’auraient servi qu’à différer le moment de son humiliation dernière... Hank le briserait d’un mot — d’un mot ? d’une attitude, rien qu’en le dévisageant ou en se détournant de lui —, beaucoup plus profondément et sûrement que les illusions de la Tour des Chevaliers Célestes.

Les sentiments contradictoires qui habitaient son regard avaient suscité une vive inquiétude dans l’esprit de Hank. Son geste était innocent, la liberté qu’il s’était permise n’était pas censée jeter le brun dans ce qui avait tout l’air d’être un abîme de confusion et de souffrances. Il avait beau fixer le visage d’Eric, il ne parvenait pas à identifier au juste ce qui s’y exprimait. Sacré bon sang, le Cavalier n’était pourtant pas du type introspectif ! alors, pour quelles raisons réagissait-il comme si Hank lui avait demandé la Lune ? Il n’y tenait plus ; le malaise irradiait de son voisin à la manière d’une vague. Il en était affecté ; le cours de ses pensées ne marchait plus droit.

Quelle autre explication au fait qu’il se trouvait suspendu aux lèvres d’Eric ? Celles-ci avaient beau être avenantes, dans leur plénitude pulpeuse, leur dessin étrangement attirant, ce n’était pas comme si ce qui était appelé à tôt ou tard en sortir détenait la clé de toutes choses...

« Je t’évite... », dit enfin Eric, tête baissée enfoncée entre ses épaules. « Curieux choix de mots, lorsque tu me forces à endurer ta compagnie alors même un aveugle verrait combien je suis gêné en ta présence. Je n’ai pas demandé à ce que tu que tu me fasses cet effet... »

« Tout... tout à l’heure, ce... n’était pas un accident ? »

La note d’incrédulité immanquable dans la voix de Hank additionnée à ses subites difficultés d’expression eurent raison des dernières barrières qui prévenaient la somme des frustrations accumulées au dedans d’Eric de s’épancher. Le Cavalier bondit sur ses pieds. Dressé de toute sa hauteur, il darda son regard brillant de détermination sur un point quelconque au delà de la ligne des épaules du blond. Puisqu’il avait saisi à demis mots, autant lui déballer l’ensemble de l’histoire ; de cette manière, Eric entamerait au plus vite son processus de guérison. Tant pis s’il ne pourrait dans l’avenir plus jamais regarder Hank sans se remémorer l’humiliation qui allait s’ensuivre. N’importe quoi devait être préférable à cette demie vie passée dans la crainte de se trahir et dans l’obsession que son camouflage ne donne plus le change...

« Tu préfères quoi comme réponse ? Que je te dise que c’est juste une attirance passagère, un béguin de rien du tout, et récent avec ça, une passade appelée à s’estomper de mon cerveau atteint... ? Raté, je suis comme ça depuis que je suis rentré au lycée. Si tu ne t’étais pas trouvé là, il y a belle lurette que j’aurais quitté ce bahut de pouilleux... J’ai raconté une histoire à mon père afin qu’il m’y laisse. Je pensais que tu finirais par me sortir de la tête ; hélas, on a atterri dans ce Royaume où même avec la meilleure volonté du monde je ne peux pas ne pas t’avoir en face vingt-quatre heures sur vingt-quatre chaque jour que Dieu fait ! Et le pire, je dois être sur mes gardes en permanence, pour jouer les mouches du coche et faire semblant de ne pas te supporter ! Il suffit que tu souries à ces deux dindes ou aux autres pour que j’aie envie de me jeter dans le premier ravin venu... Il ne me reste que ma vanité, et même ça, ce monde me l’a enlevée. Certains jours, ça me brûle même tellement de t’aimer que je voudrais avoir la force de vous trahir et de demander à n’importe quelle force du mal le moyen de faire en sorte que tu veuilles de moi ! Poltron moi ? Ah oui ! et tu commences tout juste à comprendre à quel point. »

Eric se détourna avec emphase dans un mouvement de sa cape qui fleurait le théâtre à deux sous mais dont la sincérité était garantie par le reniflement qu’il avait désiré ne pas montrer à l’objet de son obsession. Ce dernier se tassa sur lui-même ; sa chope de café oubliée gisait renversée à ses pieds. Le Cavalier l’entendit se mettre debout et s’empressa d’écraser les larmes qu’il n’était plus du tout en son pouvoir d’empêcher ses yeux de former. Le parfum boisé de la chevelure du Ranger titillait ses narines avec une prégnance telle que le garçon accoutré en chevalier se demanda s’il n’était pas saoul, pour avoir ses sens aiguisés à un tel degré. S’il avait cru que parler soulagerait un minimum, il s’était bercé d’illusions. Devoir formuler les sentiments refoulés par honte, morgue et incapacité d’affronter son attirance pour les garçons, revenait à avaler sans respirer la plus immonde des décoctions concevables. Un mal nécessaire, qui vous laissait vidé mais pas plus avancé d’un iota pour autant.

Le fait qu’Eric avait fermé les yeux très fort, à s’en faire brûler les globes oculaires, sitôt sa confession achevée, l’avait mis hors d’état de réaliser combien près Hank s’était avancé de lui. Il le sut uniquement quand il était trop tard pour se composer un visage — une fois que le blond lui eut posé une main apaisante à la base de la nuque et se fut lové contre son dos sans faire davantage de manières. Les lèvres de Hank avaient manqué de peu le pavillon de son oreille gauche, à laquelle elles murmuraient des excuses pour n’avoir jamais su y voir clair. La main libre du Ranger avait fait le tour de l’autre côté avant de trouver une de celles du brun qu’elle couvrit avec force. Eric pleurait désormais à chaudes larmes ; la raideur dans son échine la rendait pareille contre le torse de Hank à un faisceau de cordes à piano. Là encore, le blond fut sidéré, figé sur place par l’intensité des sensations qui lui couraient sur le corps au contact de la forme élancée et fermement bâtie du Cavalier. Il ne cessait de répéter à celui-ci qu’il avait été à cent lieux de se douter de ce par quoi il passait et que, en eût-il seulement soupçonné la centième partie, il aurait châtié bien davantage ses propos et sa conduite. Quoiqu’il était en l’instant présent loin d’être trop tard pour se faire pardonner sa cruauté involontaire...

Hank prit une inspiration et attira doucement mais fermement le brun dans une rotation qui amena ce dernier à lui faire face. Le spectacle des yeux rougis et brouillés de larmes lui donna le sentiment que son cœur venait de manquer un battement. Il s’avança, la tête inclinée de peu, et s’en vint déposer un baiser sur le haut du front du garçon en tenue de chevalier. La rougeur qui empourpra aussitôt le visage auguste de celui qu’il s’était obligé, au prix d’un effort de volonté surhumain, à ne pas embrasser directement sur les lèvres, était merveilleuse à regarder. Le délicat glacis de rose mettait en valeur les lignes fermes et le profilé marmoréen de ces traits que la courte chevelure noir de jais, qui n’avait jamais poussé au delà de ses quelques centimètres d’épaisseur là où Hank devait constamment rafraîchir son casque d’or sans quoi il lui aurait recouvert les épaules en partant à la conquête de son dos, animait avec coquetterie. Le blond venait de réaliser deux points fort importants : qu’il avait su qu’Eric était très beau avant même de vouloir l’admettre consciemment, autrement la vue de son corps dévêtu ne l’eût jamais mis en émoi — car c’était lui le garçon qui lui faisait de l’effet presque au même titre que la sexy Diana —, et qu’il devait à tout prix réfréner ses ardeurs, s’il ne tenait pas à se comporter comme un parfait profiteur. Du moins tant qu’il n’aurait pas fait le point sur ses sentiments et son orientation amoureuse. Eric ne le retiendrait pas, certes non ! raison de plus pour éviter de lui donner prématurément de trop grands espoirs. Le Cavalier méritait bien cela, et infiniment plus.

Ils se séparèrent simultanément, aussi embarrassés et incrédules l’un que l’autre, Eric de faire l’objet des attentions qu’il avait cru ne jamais recevoir alors même qu’il avait avoué sans grand tact un secret qu’il n’était pas de bon ton de paraître ne fût-ce qu’évoquer dans son milieu d’origine, Hank de n’être pas traité de play-boy jouant avec les sentiments d’autrui et d’hétéro égoïste désireux de manger à tous les râteliers. Pas un mot ne fut échangé tandis que le Ranger récupérait au sol sa chope vide sous le regard subjugué du Cavalier, qui avait déjà empoigné la sienne, et qu’ils refaisaient en sens inverse le chemin qui menait vers le camp. Le feu auquel ils avaient réchauffé leurs boissons se mourait, faute d’aliments, dans une chaude lueur ambrée. A moment donné, ils se rapprochèrent épaule contre épaule. Eric glissa sa main dans celle de Hank, fugitivement et presque honteusement — avant de se la voir agripper, avec en prime un éclatant sourire. Sourire qui comportait un trait inédit, une nouveauté assez inconcevable par rapport à ceux dont le leader des disciples du Grand Maître était peu économe : il y entrait une part de coquetterie. Il n’y avait pas à s’y tromper, il s’agissait d’un sourire qui se voulait charmeur.

Et qui n’était adressé qu’à Eric.

Son cœur bondissait à présent dans sa poitrine. Ne voila-t-il pas que Hank manifestait l’intention de dormir tout à côté de lui ! « Tu as veillé à notre sécurité, je n’ai pas besoin de monter la garde », lui fut-il répondu non sans un autre de ces sourires séducteurs, comme l’intéressé achevait de dresser son grabat à très peu de distance de celui du Cavalier — trop peu ; comment allaient réagir les autres, le matin venu ? Réflexion faite, bren pour le qu’en-dira-t-on ! Eric n’allait pas faire la fine bouche, pas quand le corps irrésistible du blond allait reposer, pour quelques heures, à portée de main. En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, le Cavalier avait dépouillé cape et armure et s’était glissé tout vêtu sous la couverture rugueuse. Hank pour sa part, étendu depuis quelques minutes en extension sur un coude, le regardait faire avec une expression mi ravie mi songeuse. Le brun se mordit la langue ; il n’allait pas parler bêtement et faire son crétin sentimental, à demander « un cent pour tes pensées » ; mais Dieu ! que cela lui brûlait le palais... Il opta pour une contenance qu’il espéra sereine tout en roulant sur le côté de manière à reposer face à Hank. La grosse ceinture de cuir brut qui retenait son surpris clouté vert jaune autour de sa taille formait un cercle sur le sol entre leurs matelas ; à côté était disposé ledit vêtement de dessus du Ranger. Eric se prit à sourire ; Hank était connu pour ne ressentir presque jamais le froid — tout l’opposé de lui, qui se sentait si rarement à son aise la nuit qu’il ne comptait plus les fois où il avait dormi tout équipé. Sa cuirasse et sa cotte de mailles avaient ceci de particulier que chaudes en hiver et tièdes en été, elles étaient un prolongement de son corps. Si seulement le blond voulait bien déboutonner un peu son pourpoint... A cette distance, Eric ne pouvait rien manquer du vallonnement de son torse. Il ne se serait jamais permis de le regarder fixement lors des séances de toilette collective dans les rivières ou les lacs, et les occasions où le blond était visible un peu déshabillé étaient si rares... la présence des filles expliquait cette pudeur du Ranger. Eric lui ne faisait pas tant de façons et se promenait torse nu le matin sans problème si d’aventure Presto, complexé par son corps, ne se trouvait pas à proximité. Le Royaume avait eu ceci de bon sur le brun qu’il l’avait contraint à se développer bien davantage que ne l’eussent permis les odieuses séances d’éducation physique du lycée et les plages avec son entraîneur particulier. Michael... Aie, pas lui ! Il n’y avait pas repensé depuis leur arrivée dans ce monde pourri, ce n’était pas pour que l’image du garçon le poursuive maintenant. Eric se concentra, attentif à maintenir aux marges de sa conscience les événements qui avaient précédé cette fatale visite au parc d’attraction. Un peu tard. Quelques flashs inconfortables lui étaient revenus en mémoire. Le brun s’appliqua derechef à ne songer plus qu’à la situation présente. Son voisin le contemplait toujours, si proche qu’en prétextant de s’étirer dans son grabat Eric aurait été en mesure de le palper à tout moment... En définitive, pour peu que les choses continuent de ce train, rester dans le Royaume ne présenterait peut-être pas que des inconvénients. Dans leur vie de lycéens, jamais, au grand jamais, le blond ne se serait risqué à faire montre d’une telle ouverture d’esprit. Alors que, au milieu de cet endroit sans normalité autre que celle de la magie... parmi les dragons à cinq têtes, les singes ailés, hommes lézards, gnomes rouges s’exprimant par énigmes et géants ailés à une corne, les conventions en prenaient un sacré coup. Il n’empêchait ; le Ranger aurait pu faire un effort, un tout petit, minuscule, effort pour se débrailler, histoire de donner à Eric de quoi nourrir ses rêves...

Comme s’il avait été surpris les pensées du Cavalier, Hank choisit cet instant pour sourire de toutes ses dents et défaire un à un les passants de l’ouverture de son pourpoint. La couverture avait glissé depuis un moment déjà jusqu’à sa taille. Eric retenait ouvertement son souffle ; à pas cinquante centimètres de ses yeux s’étendaient les boucliers jumeaux des pectoraux du blond et la plaine, luisante et définie comme de la tôle ondulée, de ses abdominaux. Les boutons de chair rosâtre des mamelons — le brun découvrit qu’ils étaient sensiblement plus larges et pulpeux que les siens — se dressaient d’autant plus fièrement que le haut du torse de Hank était proéminent, fièrement accusé par un sillon interpectoral où trois ou quatre tendons jouaient avec coquetterie. La propre musculature d’Eric, pour n’être pas moins résistante, ainsi que leur pugilat indécis de tantôt l’avait démontré, était conformée autrement : sèche et définie, comme le résultat d’un constant effort d’endurance de tout le corps plutôt que la conséquence d’exercices physiques répétés. Rien que de naturel ; Hank était un athlète, l’un des meilleurs du lycée, dès avant l’entrée dans le Royaume. Il en avait gardé, et accru, le physique typique d’un sportif nord-américain. Le loden émeraude du pourpoint accusait le hâle de sa peau. Le vêtement avait glissé sur ses épaules, découvrant la naissance des biceps et des avant-bras arrondis à ravir. Une veine bleue noueuse sur son bras gaude paraissait même faire de l’œil à Eric. Le Cavalier se dit qu’il était temps de détacher son regard de son ami ; il en avait à peine assez vu, à son goût, mais il ne convenait pas qu’il se donne aux yeux de Hank l’air et la chanson de quelque résolu à lui sauter dessus. Il rétrécit son sourire à une fente qui pouvait passer pour une moue et ramena un bras devant ses yeux.

Quelque chose d’étonnement proche du dépit parut au fond des pupilles du blond, dont il eut conscience car ses joues se colorèrent de rose et il chassa cette expression d’un battement de cils. A quoi bon, attendu qu’Eric ne regardait plus ? Il avait préféré ne pas agir sur la pulsion qui lui avait fait quasiment embrasser son voisin, il le regrettait à présent. Le simple fait que le Cavalier se fût préparé à dormir, en interposant son bras d’une manière qui semblait vulnérable, voire enfantine, entre ses yeux et la vue de Hank, attisait l’envie qui remuait les entrailles de celui-ci de bondir hors de son grabat pour s’insinuer auprès d’Eric. L’ébauche de strip-tease qu’il avait exécutée tantôt n’était pas véritablement destinée à se prouver quoi que ce fût ; il avait ardemment espéré que le brun ferait le premier pas. Au lieu de quoi ce dernier avait eu l’air comblé mais indécis, comme s’il lui était encore et toujours défendu d’agir sur ses sentiments en dépit des messages positifs que le Ranger ne cessait d’envoyer à son intention. Hank s’obligea au calme ; manifester sa frustration ne lui vaudrait rien de bon. Effaroucher Eric avait tout du mauvais calcul. Le fait que le Cavalier sentît encore gêné traduisait la véracité de ses sentiments ; il n’avait pas menti, ce n’était pas une passade qu’une nuit suffirait à étancher, mais un amour profond mûri sur la durée, dans le silence. Le blond était bien contraint d’avouer que vu la trique extrême qui déformait son pantalon, et qui était l’explication à la sorte de moutonnement qu’il avait imprimée aux pans de la couverture à la hauteur de sa taille, il lui était difficile de mettre de l’ordre dans ses pensées à propos d’Eric.

Ce fut ce à quoi il s’employa un long moment. La respiration feutrée du brun n’avait pas tardé à s’élever ; soit encore un point sur lequel il s’était montré sincère. Il avait bien eu sommeil... Le peu de café absorbé par Hank — il avait discrètement vidé sa chope à la première occasion ; il ne s’était agi que d’amener son camarade à lui parler, il n’avait pas réellement eu envie ni besoin d’une boisson chaude — conspirait avec son excitation quant à le maintenir éveillé. Son insensibilité au froid, de pair avec la chaleur inhabituelle qui avait envahi ses membres, pour ne plus les quitter, à la nouvelle qu’Eric l’aimait, lui rendait pénible le poids et la texture de la couverture ; pour un peu, il se serait mis nu... Il se toucha le front ; le trouva à la limite de la brûlure. Un peu de fièvre, dans le pire des cas ; oh ! trois fois rien. Il n’y paraîtrait plus au matin. Son érection avait entre-temps rétrogradé à des niveaux moins douloureux, sans toutefois vouloir s’estomper. Il lui était dorénavant moins inconfortable de prendre ses aises pour mieux revenir sur ce qu’il avait appris sur Eric et sur lui-même dans la soirée. Mettre de l’ordre dans sa tête s’avérait une tâche dont il avait mésestimé le caractère ingrat et difficile ; tellement de choses s’étaient produites, il y avait tant à reconsidérer... La fin de la nuit le vit finalement piquer du nez et sombrer dans le sommeil.

 
 
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