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"Ashes to Ashes, Dust to Dust"
Par Juno
Artemis Fowl  -  Général  -  fr
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Rose

Chapitre 2 – Rose                                                                                                                                 

 

369 PARKGATE STREET, DUBLIN, IRLANDE

- Que les cendres reviennent aux cendres, que la poussière revienne à la poussière, que les hérétiques et les mécréants soient éventrés, démembrés et décapités pour leurs péchés avec ta bénédiction, mon Dieu. Amen.

Rose Hind effectua lentement, gonflée de foi, son signe de croix, puis elle alluma une nouvelle bougie qu'elle posa sur l'autel. Elle se prosterna devant le tableau de son Dieu, posé sur l'autel. Enfin, elle se releva et lissa les plis de sa longue robe bleu terne. L'office de midi était achevé.

Rose se dirigea vers la kitchenette de son appartement, tout en essayant de nouer ses cheveux – des longues boucles rebelles et fines oscillant entre le gris et le brun décoloré – avec un ruban. Elle s'arrêta devant la fenêtre en passant. En bas, dans la rue, une bande d'enfants tous vêtus des maillots de l'équipe de Dublin jouaient au foot. Rose fut parcourue d'un frisson glacé. Comme elle aimerait sentir à nouveau le contact des lèvres pleines, douces et innocentes d'un enfant contre les siennes...

La bouilloire sifflait et crachotait furieusement sur la gazinière, dans la kitchenette. Rose coupa le gaz et se prépara un thé. Sa tasse à la main, Rose se dirigea vers la fenêtre, essayant de ne pas laisser son regard converger vers son vieux piano. Le goût de la musique lui était devenu amer ; elle jouait du piano quand ils étaient venus l'arrêter. Sa main à la poigne de fer se crispa sur la tasse de thé, qui se fendilla légèrement.

Rose appuya son front sur la vitre de la fenêtre et porta sa tasse à ses lèvres. Le liquide bouillant la revigora. Un peu. Elle embrassa du regard sans le voir le Phoenix Park. Elle s'intéressait plus aux petits bouts de chou qui jouaient à chat qu'aux arbres sur lesquels ils se perchaient. Rose avala une deuxième gorgée de thé brûlant. Elle savait qu'elle rêvait trop et qu'elle en serait punie par son Dieu, mais elle ne parvenait pas à s'en empêcher. Elle ne parvenait pas à s'empêcher d'imaginer le visage de son rêve de toujours, de son fantasme le plus fou, de son pire ennemi futur ; aurait-il neuf, onze ou quatorze ans ? Saurait-il jouer aux échecs ? Serait-il un garçon ou une fille ?
Brusquement, Rose ouvrit la fenêtre et jeta furieusement sa tasse de thé par la fenêtre. Un ''ponk'' sonore suivi d'un cri de douleur monta jusqu'à elle, au sixième étage, sans que Rose l'entende. Elle était trop préoccupée par la recherche d'un mouchoir pour essuyer ses joue inondées de larmes de rage.

« Mon Dieu, mon bien-aimé, pourquoi demeurez-vous sourd à mes prières, à moi votre dévouée corps et âme ? Est-ce un châtiment, une mise à l'épreuve ? N'ais-je pas déjà suffisamment payé mes fautes ? N'ais-je pas déjà suffisamment attendu ? N'ais-je pas gagné le droit de Haïr ? »

Rose trouva enfin son mouchoir et se moucha bruyamment. L'horloge murale en face d'elle indiquait quatorze heures. Rose soupira, jeta son mouchoir à la poubelle et récupéra son sac à bandoulière. Il était temps d'aller travailler.

L'immeuble dans lequel vivait Rose était franchement minable. Elle était d'ailleurs l'une des seules locataires ; les autres étaient la concierge, des rats logeant à la cave et diverses colonies d'insectes disséminées dans les six étages de l'immeuble. Ce dernier était caché, comme s'il faisait honte à la rue (en fait, c'est exactement le cas), derrière une petite usine de menuiserie, Paddy and Son's Carpentry Factory. La cour de l'immeuble était tout le temps envahie par des copeaux de sciure et par Patrick ''Paddy'' Shawing, le patron de l'usine, pile le genre de vieux macho sexagénaire que Rose ne pouvait pas supporter : corps gras, visage grincheux, porcin et mal rasé, tee-shirt blanc et salopette en jean sales, sourire malsain laissant paraître des dents jaunes et branlantes laissant paraître une langue rouge, épaisse et puante, toujours prête à lâcher des injures effroyables.

Eli devait maintenant commencer à ressembler à Paddy, et Rose, à cette pensée, sentit le goût de la bile lui monter à la gorge.

La cour de l'immeuble de Rose donnait sur une ruelle à gauche permettant d'accéder à Parkgate Street et sur l'arrière de l'usine de Paddy, là où ce dernier semblait toujours être pour fumer une cigarette – Rose ne pouvait donc éviter de croiser le menuisier en sortant de chez elle, puisqu'il n'existait pas d'autre sortie à l'immeuble.

-Hey, Rose ! beugla ce dernier. Ce froid me gèle les couilles, pas toi ? Ça te dirait de venir te réchauffer ?

Rose pila net, choquée et furieuse. Elle se ressaisit et se remit en marche, accélérant le pas.
Paddy s'esclaffa.

-Tu devrais voir ta tête ! On dirait un crapaud qui s'étouffe !

Rose accéléra encore, les joues rouges et les yeux remplis d'éclairs et de larmes. Si jamais elle devait un jour commettre le pire des Péchés en tuant un être humain, nul doute que ce serait les entrailles de Paddy qui gicleraient sur le sol. Rose se concentra sur le ventre gras de ce vieux pervers déchiré de gauche à droite par un couteau de boucher bien aiguisé, sur les viscères qui dégoulinaient sur la salopette sale, sur Paddy Junior, âgé de treize ans, que Rose pourrait héberger en attendant que le garçon trouve un autre tuteur. Rose se sentit mieux.


Rose n'aimait pas trop son travail. Non pas que prêcher la parole de son Dieu adoré l'énervât ; à vrai dire, c'était plutôt le fait de se faire claquer la porte au nez quatre fois sur cinq qui l'horripilait.
Néanmoins, elle sillonna vaillamment pendant deux heures et demie trois quartiers avec son sac à bandoulière rempli de tracts et des petites Bibles de son Dieu. Le type de réponse variait peu – toujours négatif ; la seule chose qui changeait était les insultes utilisées en supplément.

Rose était épuisée. Sa vue commençait à se brouiller. Elle s'arrêta brusquement, en plein milieu du trottoir, et fondit en larmes.

Si seulement elle avait eu un couteau. Elle se serait réduit les veines en chair à pâtée. Sauf qu'elle n'avait pas de couteau et qu'elle n'avait pas non plus la moindre envie de s'éteindre en pleine rue.

Rose songea qu'elle adorerait mourir dans une forêt. Près d'une belle rivière, à l'ombre d'un superbe chêne tortueux et bienveillant pendant une nuit sans nuage. Tuée par la main de son pire ennemi.

Cette dernière pensée l'anéantit encore plus, si c'était possible. Plus le temps passait, plus Rose désespérait de jamais trouver la Haine.

« Je vous en prie, mon Dieu que j'idôlatre, donnez-moi un signe ! Juste un signe ! Un signe que vous veillez sur moi, que ma quête n'est pas totalement dénuée de sens ! Je vous en prie, je vous en supplie, mon Dieu ! UN SIGNE ! »

-Euh... Vous allez bien, mademoiselle ?

Rose leva la tête. L'homme qui avait osé lui adresser la parole se tenait derrière un modeste kiosque à journaux, à côté duquel Rose s'était arrêtée. En se redressant après s'être essuyé les yeux sur sa manche, Rose remarqua parmis divers magazines de foot et de mode la une de l'Irish Times : ARTEMIS FOWL, CÉLÈBRE MILLIARDAIRE IRLANDAIS, PORTÉ DISPARU EN RUSSIE.

-Puis-je ? demanda-t-elle au vendeur en désignant le journal du doigt.
-Faites. Mais ne vous enfuyez pas sans payer !


Le regard noir de Rose fit fondre comme neige au soleil le sourire du vendeur, qui fut soudainement passionné par ses ongles alors que la jeune femme s'emparait du Times et le feuilletait à tout vitesse.

Il y a deux semaines, Artemis Fowl, première fortune d'Irlande, embarqua à bord d'un cargo chargé de deux cent cinquante mille cannettes de soda à la noix de cola, avec pour destination Severodvinsk puis Moscou, en Russie. Mais le cargo n'alla pas plus loin que Mourmansk : dans des conditions encore inconnues, le navire fit naufrage dans la baie de Kola, avec le bilan de trente-neuf morts parmi l'équipage de cinquante membres, les autres étant gravement blessés ou portés disparus. Artemis Fowl faisant partie de cette dernière catégorie. Néanmoins, nos informateurs en Russie affirment par le biai des inspecteurs de Mourmansk que les eaux glacées soviétiques n'ont laissé aucune chance de survie au milliardaire irlandais. Artemis Fowl, donc présumé mort, laisse derrière lui une fortune branlante, une femme en deuil et un jeune garçon d'à peine dix ans...

Les yeux de Rose butèrent sur ces derniers mots. À peine dix ans. Les battements du coeur de Rose accélérèrent. Elle savait très bien à quelles activités délictueuses se livrait la famille Fowl même si le journal avait la délicatesse de ne pas en faire mention. À peine dix ans. Cet enfant devait ressembler à son père. C'était obligatoire. Rose crut défaillir. Elle le savait, elle savait qu'elle la tenait. La Haine était enfin à portée de main.

 
 
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