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Aladin, Mozenrath et les sorciers
Par Aqat
Harry Potter  -  Action/Aventure  -  fr
7 chapitres - Complète - Rating : T (13ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
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Vague à l'âme pour un héros

L’hilarité déclenchée par la dernière réplique décalée en date de Iago berçait Aladin sans le faire rire. Le perroquet aurait pu s’abstenir d’insister autant sur son rôle dans la neutralisation de la sphère de Shamash. Il s’attribuait tout le mérite, ou peu s’en fallait, octroyant juste au héros les cojones, comme il disait, qui lui avaient fait braver les flammes pour finalement arracher à leur ennemi son gantelet magique. C’était ce chapitre-ci de leur aventure qui tourmentait Aladin. Mozenrath méritait, et cent fois, la perte de ses pouvoirs, lui qui éveillait dans le futur gendre du sultan une violence de sentiment qui répugnait à ce dernier, et des envies de meurtre qu’il haïssait après coup, tout en sachant bien que sans elles il ne fût vraisemblablement pas ressorti vivant de l’une ou l’autre de ses confrontations avec le jeune sorcier. Cependant, Aladin ne s’attendait pas à lui découvrir un bras mort, ôté le gantelet qui n’abandonnait jamais sa main droite, des doigts à la saignée du coude. Ce que Mozenrath avait alors dit, mi moqueur mi jaloux, de la chance qui avait octroyé Génie à Aladin sur un plateau d’argent là où le Sire des Sables Noirs avait dû payer quant à lui sa magie le prix fort, tourmentait l’ancien voleur et hôte principal du festin.

Un gloussement sonore échappé à Razoul — tiens donc, la brute bombardée, Allah savait pourquoi, responsable de la garde, assistait au banquet — avertit Aladin que sa distraction devait cesser sur le champ. Plusieurs paires d’yeux convergeaient en effet sur lui. Le sultan, Jasmine, Génie, le scrutaient avec curiosité ; il n’était pas jusqu’aux inséparables querelleurs Abou et Iago qui n’avaient mis fin à leurs bisbilles au sujet des exagérations du perroquet dans son récit de l’aventure du jour, pour considérer son visage avec intérêt.

— “ Dis-le moi, Al, si je t’ennuie ”, maugréa l’oiseau hâbleur. “ C’est peut-être l’idée que, sans bibi, tu aurais passé l’arme à gauche qui te travaille. Je vais te mettre à l’aise ; un ‘merci, ô mon ami à plumes, Iago’, et tu n’auras plus ce poids sur la conscience. Garanti ! ”

— “ Silence, le piaf ! ”. Joignant le geste à la parole, Génie claqua des doigts, et une fermeture éclair vint sceller le bec du volatile. “ Al, tu sais que tu peux nous parler... ”

— “ Merci de vous préoccuper de moi, mais je vais bien ”, fut la réponse du héros. La lueur au fond de ses iris mimait à la perfection l’éclat joyeux qu’il savait le quitter rarement au contact de la femme de sa vie et de ses compagnons d’aventures, mais qu’il n’avait pas ressenti depuis des semaines. La révélation du secret de Mozenrath constituait la touche finale, et quelle touche !, à son malaise. “ Iago a vu juste ; j’ai vraiment senti le vent du boulet. ”

— “ Chéri, essaie de te ménager, pour une fois ”, roucoula Jasmine en lui décochant un regard énamouré. Sa voix quitta derechef ses inflexions caressantes. “ Il y en a certains ici dont c’est le travail, et qui ne sont pas fichus de cravater un seul voleur... Si tu en es d’accord, Père, à Razoul de nous montrer que maintenir la paix sur le territoire est dans ses cordes. ”

— “ Eh, mais j’ai déjà la police du palais sur les bras ”, protesta l’intéressé ; le grand homme à l’air stupide avait pâli considérablement sous la teinte cramoisie ajoutée par le vin à son incarnat déjà rouge de son ordinaire. Ses yeux injectés de sang sur sa face camarde rendaient encore plus évidentes et l’ébriété et la sottise crasse du personnage.

— “ Gueule de chien, mais cœur de biche ”, railla dans son coin Iago, récemment libéré de son bâillon magique. Abu baragouinait son soutien avec force singeries.

Les familiers se regardèrent soudain d’un air de challenge, de part et d’autre de l’énorme plat de dattes qu’une servante venait de déposer entre eux. Oubliée la discussion ; la gourmandise primait tout. La queue du ouistiti se détendait en direction des gâteries, des zigzags de plaisir en abondance le long de ses replis. Iago qui s’était envolé tel une flèche aussitôt aperçu le dessert, se maintenait en l’air en déployant ses ailes de manière protectrice sur le contenu du plat.

— “ Vous m’entendez ”, fit le sultan dans un bond qui l’amena sur la table, renversant la pièce de vannerie et projetant les douceurs à la cantonade. “ Aladin a interdiction de quitter le palais ! Toi, Razoul, tu assumes à compter de maintenant la protection d’Agrabah. Génie te prêtera main-forte en cas de besoin. N’est-ce pas, ami bleu ? ”

— “ Sans problème, Votre Altesse. ” L’expression du Djinn se fit moqueuse, comme des cornes et une barbiche noire et pointue lui poussaient aux extrémité du visage ; et ce fut la voix de Jafar qui répondit au chef de la garde. “ Bonne occasion de voir le grand homme à l’œuvre, depuis le temps qu’il cherche noise à Al sur son passé. Je me trompe, Raz’ ? ”

Tapis choisit ce moment précis afin de se manifester : dressé sur l’arrière de sa natte, à côté d’Aladin, il bomba son ‘torse‘ en entrechoquant ses pompons torsadés, comme s’il avait été nanti de mains et applaudissait.

— “ Mais, mais... Sire, je suis un janissaire... ” Razoul qui avait tiré une large rasade de vin peu avant que le calife n’eût bondi de son siège, était en train de s’étouffer avec, dans sa surprise et son indignation d’être acculé. “ C’est le rat des bas-fonds le héros !! ”

— “ Avec cette courge aux manettes, ça promet... ”, lança le perroquet invisible derrière un tas de dattes alignées comme autant de jetons de casino ; un tas de confiseries identique, sinon aussi bien arrangé, se dressait du côté de Abou, lequel s’y attaquait avec entrain. “ Il — crunch — crève de trouille rien qu’à — miam — sortir de la casbah. ”

— “ Iago ! ”, intervint sévèrement Aladin. “ Tu n’arranges pas les choses. Cela dit, je m’offrirais volontiers un break de quelques jours... Mozenrath hors course pour un moment, et Abis-Mal en fuite avec mon père aux trousses, il n’y a que Mécaniclès qui puisse nous embêter. Razoul va s’en tirer tout seul... Merci, Altesse. ”

— “ Il n’y a pas de quoi. Mon garçon, tu peux me demander ce qui te plaît... Ne vas-tu pas très bientôt faire partie de la famille ? ”

— “ Hourra pour Aladin ! Hourra pour notre futur sultan ”, entonnèrent les serviteurs affairés à remettre en état l’apparat du banquet dérangé par le vieil homme.

En un tournemain, les gardes présents dans les arcades, voyant le monarque agréer l’hommage de signes de tête courtois, après que Jasmine eut commencé à pousser des you-you excités, firent chorus à pleine gorge. Bientôt, l’on ne s’entendait plus sous les voûtes de la salle entre les congratulations des soldats, les cris rituels des femmes et les piaillements de Iago.

— “ Mon successeur a réalisé bien assez d’exploits... Le repos et la volupté l’attendent ! Vive le prince Aladin ! Vive mon futur gendre ! ”

Un feu d’artifice miniature, compliments du Génie, jaillit hors des paumes ouvertes du maître d’Agrabah. La tablée entière s’extasiait sur les somptueuses couleurs, les arabesques des pétards. Or Aladin ne comptait pas au nombre de ceux-là. L’inventivité du Djinn le laissait froid. D’autant qu’il n’avait pas, mais alors pas du tout, envisagé comme à ce point rapproché dans le temps le moment de son union avec Jasmine, ni prêté bien grande attention à des charges dont il se figurait qu’elles ne lui incomberaient pas avant de longues années. C’est dire s’il déchantait. Ses poings aux articulations blanches et livides entamaient les festons de la nappe sous laquelle il les avait enfoncés, de telle sorte que nul ne vit combien était factice l’expression ravie plaquée sur ses traits. La pyrotechnie du Djinn masquait heureusement les lézardes de sa joie feinte ; car plus les minutes passaient au milieu des pétards et des feux de Bengale, moins le voleur promu héros parvenait à contenir sa frustration interne.

Lorsqu’il devint évident que la spectacle allait se prolonger à la grande joie des présents, lui excepté, le jeune homme sauta discrètement à bas de son fauteuil et, sur un baiser déposé dans le cou de Jasmine, que la princesse reçut avec des mines absentes, quasi blasées, dont le manque de tendresse lui mit une pointe au cœur, il fila hors de la salle à manger à pas rapides. Le contact de l’air tiède s’engouffrant par l’embrasure des fenêtres en ogive le long du corridor, le rassérénait sans dissiper la frustration qui envoyait dans son poitrail des décharges erratiques. La senteur poivrée émanant du jardin s’alourdissait des effluves nocturnes, en un mélange puissant, riche de la promesse de mille et un délices, non sans manquer singulièrement de profondeur, dépassée la gifle de sa révélation. Tout en s’éloignant dans le froufrou de sa cape, Aladin fut remémoré de Jasmine : la fragance lui évoquait irrésistiblement la princesse telle qu’elle s’était comportée ce soir, désirable, envoûtante et pas qu’un peu dominatrice. Soudain, le luxe environnant dégoûtait le héros. Ce bourbier de perles et d’or ne rachetait pas la conduite de sa future famille à son endroit ; tout le contraire, le faste tapageur de chaque pièce qu’il foulait paraissait le moquer sous cape et murmurer ‘nous sommes ton prix’, ‘tu t’es vendu’. Ses doigts étreignirent sa coiffe avec colère, dépouillant les joyaux épinglés aux rabats et faisant massacre de ses beaux vêtements. Le faux Prince Ali ressemblait franchement au mendiant Aladin quand le garçon franchit le seuil de ses appartements.

La vue de la chambre à coucher croulant sous les soieries lui fit regretter l’inconfort de son vieux squat de la rue du marché. Le lit était une avalanche de coussins dans lesquels il fallait presque nager pour s’étendre, les draps une coulée de brocarts et de lamés au monogramme de la maison royale, dont vingt personnes au moins auraient pu vivre durant des années rien qu’en les plaçant sur gages. Le restant du mobilier était à l’avenant : similaire à celui qui accompagnait sa vie de tous les jours, et néanmoins incomparablement somptueux — en un mot, sultanesque. Aladin en resta confondu ; à son réveil, le matin même, il était sûr d’avoir aéré puis rangé sa parure habituelle, confortable mais sans ostentation, son édredon en poil d’onagre et la paire de têtières assorties qui veillait sur son sommeil depuis la fin de son adolescence. L’on avait donc mis à profit son absence de ce jour afin de remplacer ses vieilles affaires ! Un nom s’imposait : la princesse. La proclamation survenue lors du festin n’était donc pas fortuite, ni le ravissement surpris montré par le sultan, Génie et les autres, une expression spontanée...

La bande dans son ensemble avait conspiré ce moment de proclamation solennelle. Quel idiot il faisait... Comme si le Djinn sortait de son chapeau, fût-il magique, une demie heure des plus extraordinaires illuminations que le héros d’Agrabah avait vues dans sa jeune existence, sans avoir rien préparé à l’avance ! L’on s’était joué de lui.

Un bruissement infime dans son dos mit ses sens tout à coup en alerte. Quelqu’un s’était introduit dans la pièce ! Quel culot avaient donc ses ‘amis’ ; quoi, venir le relancer, après s’être rendus complices de la rouerie de Jasmine !? Il feignit l’indifférence, se laissant aller dans le pouf outrageusement tendu de satin, puis, une fois certain que le frottement en progression vers lui se tenait à portée de détente, il exécuta une pirouette arrière et fondit de tout son poids sur l’intrus. Aladin ne fut pas peu surpris de ne rencontrer aucune résistance, pas même la matière duveteuse et ouatée de Génie. Il avait songé à son compagnon aux tours inépuisables, ou à défaut au tas de plumes et à son familier simiesque... L’un et l’autre étaient de vraies pâtes, chacun à sa manière, mais il ne fallait pas compter sur eux pour respecter son espace vital. Un coup d’œil le renseigna sur sa méprise.

C’était sur Tapis qu’il s’était abattu ! Il s’excusa en se dégageant d’un bond et en prêtant une main secourable à son camarade volant. La carpette une fois sur son séant se hissa sur sa bordure et caressa la joue du garçon de l’extrémité de ses pompons avants. Elle renouvela le geste sur l’autre joue, puis, déployant ses franges à l’image des doigts d’une main, s’en vint prendre la température au front d’Aladin. Il y avait une véritable sollicitude dans sa gestuelle ; les pans de toile ondulaient devant lui telles des rides d’inquiétudes.

— “ Je me sens mieux, Tapis ”, répondit-il à la demande muette ; “ c’est un coup de cafard. Tu peux me laisser ; les autres doivent se demander ce que tu trafiques, et je ne veux pas les avoir autour de moi en ce moment. Je t’en prie... ”

Les mimiques du Tapis trahissaient sa désapprobation. Les pompons se croisaient et se décroisaient devant les yeux d’Aladin sur un rythme frénétique auquel le héros n’entendait rien, si ce n’était que l’artefact n’entendait pas le laisser seul. De guerre lasse, le jeune homme baissa les bras. “ Reste donc ”, soupira-t-il.

Tandis que son ami à franges prenait ses aises au milieu de la chambre qu’il parcourait de ses yeux invisibles en contorsionnant sa trame ainsi qu’un cordage tressé, Aladin débarrassait le dessus de lit du maximum de coussins qu’il pouvait atteindre, avant d’y prendre place — ou plutôt, de s’y jeter. Les redondants oreillers festonnés d’or et de perles ne méritaient aucun égard, il n’en eut pas pour eux, comme il les tassait derrière son dos et sous ses jambes. Il chahutait bientôt à l’image d’un enfant sur la couche démesurée. C’était agréable de se laisser aller à secouer le cant... Tout à coup, ses jambes qui tricotaient en l’air stoppèrent leur gymnastique. Allah, qu’il paraissait ridicule dans ces pantalons gaufrés de grand seigneur... L’envie le prenait de renfiler ses vieux habits. Sa dernière tenue complète — celle qu’il portait durant la quête de Shamash n’avait pas résisté aux ardeurs du soleil miniature. Il ne s’était pas sitôt levé qu’un paquet de linges atterrissait à ses pieds.

— “ Pile ce que je désirais ”, lança-t-il joyeux à l’endroit de Tapis. “ Merci, copain ! ”

Se défaire des reliefs de sa grande tenue requérait davantage de temps que repasser les braies de grosse serge blanche qui avaient traversé tant d’aventures et assujettir autour de ses hanches sa ceinture de bédouin. Le gilet mauve ouvert sur le poitrail dégageait son cou altier en une caresse sans commune mesure avec les épaisseurs et le col montant de la veste d’apparat ; quant au fez rouge dépourvu de chéchia qu’il vissa au sommet de son crâne, il symbolisait à tel point l’insouciance de sa vie d’antan qu’Aladin n’arrivait pas à lui trouver les airs de nippes qui offusquaient Jasmine à chaque fois qu’elle le lui voyait porter. Ce fut nu pieds qu’il fit le tour de la couche, époussetant une jambe de pantalon dont l’étoffe moutonnait trop autour de sa cuisse athlétique et lissant un pan du gilet qui s’était froissé au sein du ballot de linge.

— “ Si j’avais un cuissot de biche ”, musa-t-il à voix haute depuis les profondeurs de la fourrure de sa descente de lit dans lesquelles il s’était avachi l’instant auparavant, “ mon bonheur serait complet. Foutue galanterie ; elle sait combien j’adore ça, alors il faut toujours qu’elle mendie de ma main la meilleure portion disponible... ”

Ses yeux se fermaient d’eux-mêmes. Voici que l’ennui le reprenait encore... L’éclair de ressentiment contre Jasmine avait duré ce que durent les moments de frustration d’un individu normalement constitué envers la femme qu’il aime : l’espace d’un instant. En revanche, le goût amer sur lequel se prolongeaient invariablement les menues rebuffades dont la princesse, sans le savoir, accablait son galant dans les circonstances de la vie quotidienne, envoyait des pensées peu charitables se bousculer dans l’esprit du voleur. A chacune des qualités de la fleur du désert son revers : était-elle bonne et compatissante, il lui arrivait maintes fois de tenir Aladin pour acquis, au point de ne faire nulle manière avec lui, agissant en épouse autoritaire ; dédaigneuse au plus haut degré des agaces et des coquetteries si chères au cœur des femmes, que le héros se montrât avec un auditoire et elle déployait aussitôt son complexe de star, maniérée, minaudante, imbue de la lumière et pour trancher le mot, artificieuse ; chacun au palais s’accordait à lui reconnaître une chaleur dans les relations et un manque de fierté supérieurs à la simplicité de son sultan de père, or Aladin n’était pas dupe, qui avait maintes fois assisté à sa transformation en orgueilleuse à l’esprit digne de sa couronne, du temps qu’il paradait sous les oripeaux d’Ali le Magnifique. En des circonstances normales, le maître du Génie s’efforçait de faire la part du feu, dans son empressement à chercher à la jolie brunette excuses et circonstances atténuantes ; hélas, ce jeu, il y avait des semaines qu’il ne réussissait plus à s’illusionner assez pour s’y livrer de bonne foi. Avec la proclamation unilatérale et aussi soigneusement ourdie de son prochain engagement, la princesse s’était surpassée. Hors de question, cette fois-ci, pour Aladin, d’avaler cette couleuvre. Jasmine tenait son intelligence en si piètre estime qu’elle n’avait pas cru devoir l’aviser que le mariage ne constituait plus une perspective de moyen terme ; qui pis était, elle se passait de son approbation, et les autres également, qui avaient mis les mains à ce banquet de dupes !

Il n’y avait rien d’étonnant, se souvenait-il a posteriori, à ce que Iago eût manifesté tant d’empressement à les faire revenir des ruines du Soleil. Pour quelqu’un qui adorait parader son ego et tarissait presque aussi peu d’éloges adressés à sa magnificence que Mozenrath aux mille sortilèges, le perroquet s’était montré d’une surprenante sobriété lors de son moment de gloire. Le sorcier à terre en train de retourner les sables de la dune dans l’espoir hypothétique que son gantelet caché par les elfes n’était pas perdu pour de bon, ne l’avait pas retardé une minute ; les remerciements enthousiastes desdites créatures enchantées, que Iago avait guidées sur la voie de la mutinerie grâce à son instinct très sûr ès troubles, l’avaient retenu à peine plus longtemps sur son lieu de triomphe. Avec le recul, Aladin y voyait clair. L’aventure leur était tombée dessus sans crier gare ; les plans de Jasmine en eussent été contrariés s’il n’y avait eu l’étonnante bonne grâce de Iago à aider — Génie n’avait pas manqué de relater à son propriétaire la part prise par le tas de plumes geignard à ce qu’il surnommait l’opération ‘coups de soleil’. Et tous de rentrer au palais dans les temps afin de banqueter — et le sultan de faire son annonce.

L’horizon de ses yeux fut bouché subitement. La forme appétissante d’un quart de biche lui dévorait la vue ; cinq centimètres de plus, et Aladin aurait eu de la sauce ou du jus de cuisson à la surface des iris. Des franges en soie et laine ne pouvant guère appartenir qu’au seul et unique Tapis magique d’Arabie, maintenaient le cuissot dans la focale de son regard. Un pivotement de ce dernier lui fit prendre conscience que son ami à fibres soutenait un plat entier de venaison dans son autre pompon. Quelques plumes rouge vif emmêlées avec les franges du ‘membre’ en question attestaient de l’altercation que la carpette n’avait pu manquer d’avoir avec Iago. Aladin sentit une chaleur agréable se répandre dans ses membres ; au moins un de ses compagnons était prêt à risquer l’algarade dans le but de lui faire plaisir ! Et prise de bec, sans méchant jeu de mots, il y avait dû avoir avec le volatile. Car Iago prêtait rarement, donnait encore moins, argent ou victuailles, et ergotait toujours ; alors de la biche, mets rare même à la table du palais...

Le jeune homme enlaça brièvement l’artefact. Le moment d’émotion passé, il se saisit du cuissot qu’il entreprit de dévorer à belles dents. La faim que recelait son estomac le surprit ; mais à la réflexion, pris ainsi qu’il l’avait été à table par ses pensées centrées sur Mozenrath, son bras squelette et l’étrange comportement qui s’emparait de lui face au Seigneur des Sables Noirs, Aladin s’était peu ou prou contenté de picorer. Le gouffre béant en ses entrailles apaisé et sa soif étanchée — un second voyage de Tapis lui avait valu une amphore de vin miellé —, il se trouvait mieux à même de contempler son avenir. Peut-être la boisson parlait-elle, mais une ballade loin d’Agrabah lui parut une idée pertinente. Le vent dans ses cheveux, Jasmine et les autres traîtres à des dizaines de lieues derrière son dos, au dessus de sa tête le velours mordoré du firmament comme seul témoin, et la liberté ineffable du nomade : c’était décidé, tout cela lui manquait trop. Il arracha une ultime bouchée de viande à la cuisse qu’il n’avait pas fini de dévorer, avant de se réceptionner sur l’aplat de la fenêtre d’angle sous laquelle l’à-pic était le plus vertigineux.

— “ Je m’en remets à toi, mon ami ; c’est nous deux, pour cette fois. Vole ! ”

Son rire ponctué par les souffles de l’air déchaîné par sa chute augmenta aux proportions d’un éclat enfantin lorsque la carpette ensorcelée coupa sa trajectoire et, l’installant sur son dos, s’élança vers l’ouest dans le claquement du mur du son.

La nuit était entamée, et largement, lorsque le garçon commença à se lasser de foncer sans but. Fascinant comme l’était le désert sous les rais lactescents du premier quartier de lune, il ne laissait pas, à s’étaler toujours semblable, dune après dune, de fatiguer son attention — pour ne rien dire de ses yeux. Le bercement des masses d’air déchiquetées par le vol s’était installé en torpeur agréable dans la panse d’Aladin, le portant à la somnolence. A plusieurs reprises, il avait surpris ses paupières à s’abattre de leur propre chef sur ses globes oculaires. Et Tapis de réduire alors insensiblement l’allure afin de le bercer. En définitive, le sommeil était tombé, et il entreprit de chercher une place plus confortable que la station assise en tailleur.

Ce fut pour sursauter dans la seconde. Son échine avait buté contre une surface étroite et dure ! Le peu de luminosité disponible ne lui permettait guère de distinguer grand chose ; il y alla de ce fait au toucher, promenant des doigts gourds dans l’épaisseur des poils de la carpette. Sans succès au début. Jusqu’à ce que ses phalanges n’eussent buté contre un corps solide. Surface polie, pleine et compacte encore que légèrement spongieuse, oblongue dans sa longueur égale à environ la moitié de son coude, elle communiquait une sensation étrange à l’extrémité de ses terminaisons nerveuses. Le moins irritant n’était pas qu’Aladin savait avoir éprouvé un contact similaire au cours de ces dernières heures. C’était affaire d’un passé très récent ; son cerveau se rappelait, nette et distincte, cette impression tactile, il échouait simplement à l’identifier pour le moment. De là provenaient les sentiments confus du voleur alors qu’il collectait l’objet dans sa main gauche, se rasseyait sur l’avant de Tapis et tâchait de le reconnaître, en le positionnant sous tous ses angles en fonction des malingres rais de lune qui les baignaient, la scène et lui.

Il n’était pas aidé par la lassitude créée dans son esprit par la monotonie du paysage et le caractère décousu de son vol. Rien ne faisait sens de ce qui lui était advenu durant cette soirée, à compter du moment où il avait posé le pied sur le balcon du palais, de retour triomphal des ruines de Shamash — sa fuite en avant moins encore que le banquet risible, l’annonce unilatérale de son mariage, la manipulation orchestrée par Jasmine ou la veulerie de Génie et consorts. Aladin avait cru que s’enivrer de vitesse et de grands espaces le rassérénerait ; il s’était lourdement trompé. C’en était parvenu à ce point qu’une simple, minuscule contrariété comme cette chose qui égarait son sens du toucher, lui apparaissait pétrie de signification.

Le lourd stratus qui masquait depuis plusieurs minutes le plus gros de l’éclat lunaire s’en fut moutonner ailleurs. Le jeune homme affalé sur le dos de Tapis avait tout loisir de regarder ce qu’il tenait ; l’ondulation douce à laquelle se livrait son compagnon volant l’y incitait à la façon qui appartenait en propre à l’artefact. Un tibia.

Il respira mieux en s'avisant qu'il ne pouvait appartenir à un bipède. C'était animal. Probablement un mammifère à longues pattes, considérant la finesse et les proportions du vestige.

Son esprit embrumé mit du temps à compléter l’information. Quand ce fut fait, Aladin réprima l’envie de se coller une gifle. Il s’était creusé les méninges pour rien d’autre que le relief du dernier cuissot de biche qu’il avait consommé... Fallait-il que cette nuit fût déboussolante ! La faute à ses propres illusions. Jasmine, qu’elle se vidât les entrailles sous la dysenterie !, était bien inspirée de décider à sa place ; il n’avait pas le moindre sens des responsabilités, ou autrement il ne fût jamais parti dans l’inspiration du moment, sans destination ni but, pour au final disserter gravement sur son existence à propos d’un ossement mal curé !

— “ Qu’en dis-tu, Tapis ”, interrogea-t-il — de manière rhétorique, étant bien entendu qu’il ne voulait ni n’attendait de réponse quelconque ; “ est-ce que je perds la tête ? ”

Dénégation vigoureuse de l’intéressé. Aladin chancela sous les secousses, avant d’être replacé en position assise par les franges d’un des pompons arrière. Or voici qu’il avait la vision de tout autres os. Cinq phalanges squelettiques, blanches et vierges d’attaches, se déplaçant au bout de la double tige du radius selon les mouvements d’un avant-bras de chair, lors même qu’il était évident que nulle vie ne pouvait animer ce membre décati. Le contraste entre l’état de celui-ci et la vitalité qui l’animait était rendu plus poignant, plus intense par la somptuosité de l’étoffe de la manche dans l’embrasure de laquelle il s’inscrivait. Bien que pâle, pour autant qu’il était loisible de le déterminer sous le peu de chair que ses riches habits laissaient exposé, Mozenrath — de qui d’autre pouvait-il s’être agi ? — ne donnait pas l’impression d’être en voie de tomber en morceaux à l’image de ses Mamelouks... L’image du sorcier s’estompa avant qu’Aladin eût pu commencer à saisir ce qui au juste l’avait suscitée. Ce qui était troublant, elle laissait derrière elle cette même, désagréable intuition qui lui susurrait de se préoccuper de son rival, dont il avait en vain tenté de se déprendre durant la majeure partie de la soirée.

Du plus profond de son être, quelque chose tenait à ce qu’il n’oubliât pas le peu enviable sort de Mozenrath. Il devait en avoir le cœur net...

— “ Camarade, vers les ruines du Soleil... Je sais, pas la peine de me le rappeler ; l’autre dingue doit toujours s’y trouver. Contente-toi de m’y conduire. ”

Le Tapis modifia sa course avec mauvaise grâce. Du moins il le sembla à son passager ; ce n’était pas de lui de secouer ses occupants comme des pruniers. A fortiori de leur faire claquer leurs dents les unes contre les autres à la faveur des trous d’air qui ballottaient la fine équipe.

Aladin se tint coi jusqu’à ce que le labyrinthe des statues se pointant de l’index parût à l’horizon. Le vermillon discret qui nuançait par endroits le rideau de ténèbres témoignait des ultimes soubresauts de la nuit ; avant peu l’aube entreprendrait sa lente montée au firmament. Le front de steppe dans la dépression duquel les représentations de Shamash dardaient leur barbe et paradaient sous leur robe sumérienne composait, vu du ciel, un poing qui indiquait l’endroit où s’était consommée la défaite du sorcier. Quel meilleur endroit pour commencer à chercher après Mozenrath ? Son gantelet avait chance de se trouver à peu près n’importe où aux quatre points cardinaux ; sûrement, en six ou sept heures de fouilles manuelles, le Maîtres des Sables Noirs n’avait-il guère dû s’éloigner de l’ancienne cachette du soleil de Shamash. Quand même l’aurait-il fait, Aladin était bien résolu à sillonner le désert limitrophe jusqu’à ce que son ennemi fût par lui ou Tapis aperçu. Ensuite ? Il aviserait en temps utile.

Expliquer ce qu’il attendait de son compagnon d’aventures ne fut pas ce qu’il avait vécu de plus exaltant. L’artefact ne désirait avoir rien à faire qui impliquât Mozenrath de près ou de loin. Il fallut toute la force de persuasion du ci devant meilleur maraudeur d’Agrabah, et un zeste de mauvaise foi — Aladin jura que sa Némésis n’était pas près de recouvrer sa magie ; il n’en savait rien, en vérité, surtout considérant le chic qu’avait le gantelet maléfique pour revenir à son propriétaire quoi qu’il leur arrivât à l’un et à l’autre — avant que Tapis ne laissât circonvenir. Quelques trémolos dans le voix du garçon avaient, à la fin, emporté la décision. Son ami à motifs barbaresques était incapable de résister aux sanglots de l’humain.

Ce dernier scrutait l’horizon des sables ondulants en passe de s’éclaircir, depuis l’avant de son ami à franges. Toujours rien. Les minutes succédaient aux minutes ; le quart d’heure s’était prolongé en demie, puis en heure pleine. Une deuxième lui emboîta rapidement le pas. Le ciel au dessus du désert affichait en une alchimie encore très sombre les camaïeux de bleu, de kaki et de magenta annonciateurs de l’aube. Cette luminosité rasante complexifiait la tâche d’Aladin, de par les reflets trompeurs qui y prenaient naissance selon que le terrain s’interrompait autour d’un obstacle quelconque, affleurement de roc, cactus ou pierre drossée par le mouvement des dunes à la faveur d’une tempête. Cent fois le héros s’était enhardi à espérer que la prochaine section de désert recèlerait le corps endormi de son rival. En vain. Folie que sa quête. Le vol de Tapis était de moins en moins enthousiaste ; il ne percevait certes pas fatigue ni lassitude, pourtant il aurait fallu tomber de la dernière pluie pour ignorer les signaux de son ami. Il en avait assez.

Un craquement sonore matérialisa le bris de l’os de biche avec lequel Aladin n’avait pas arrêté de jouer nerveusement pendant cette exploration. Les fragments calcifiés s’en retournèrent au sable, chassés d’une pichenette machinale. Dans un soupir, le jeune homme profita de ce que ses mains étaient libres afin de frictionner ses bras. Passait encore pour son torse, exposé par son gilet, mais que la digestion maintenait à un stade suffisant de chaleur ; quant à eux, ses biceps étaient frigorifiés, par la faute du petit vent coupant dont le désert se décidait quelquefois à se parer la nuit. Il était vain de s’accrocher à cet espoir. Aladin ne saurait jamais ce qui l’avait poussé à rechercher la présence du sorcier des Sables Noirs, ni ce que recouvrait l’inexplicable attirance envers lui née de la réalisation du jeune voleur qu’il n’intéressait Jasmine que comme futur époux et successeur de son père.

En parlant de sable : contre toute attente, une colonne s’en propagea soudain devant lui. Tapis avait décrit une embardée au dernier moment concevable, évitant que cette espèce de tir ne les atteignît de plein fouet. Etait-ce prescience ? Aladin ne gâcha pas d’instants précieux à se le demander. Il n’eut qu’à serrer à la base d’un pompon une main aux articulations blanchies par le déferlement d’adrénaline pour que son moyen de locomotion décrive une boucle serrée dans les cieux et les amène au dessus de l’endroit d’où l’attaque paraissait provenir. Une seconde explosion se produisit, sur une plus faible échelle. Cette fois-ci, le héros était prêt. Comme Tapis esquivait derechef le tir, Aladin se laissa glisser dans le vide. La promptitude de ses réflexes prit de cours la forme obscure qu’il devinait davantage qu’il ne voyait ; il lui atterrit dessus, fort de son poids et des plusieurs mètres sur lesquels il venait de choir. C’était un corps humain, mince autant qu’il pouvait en juger, quoique athlétique, ou plus exactement compact et noueux dépit de sa taille supérieure à celle d'Aladin, ainsi qu’en faisait foi la résistance opposée par cet homme à pied. Ils luttèrent un bref moment, peu ou prou égaux en vigueur et technique, puis l’avantage tourna en faveur d’Aladin. Il était parvenu à cravater les jambes de son adversaire ; c’est ainsi qu’il le coucha sous lui, ses membres inférieurs campés en une prise ferme au niveau du sternum et ses avant-bras se refermant inexorablement sur la gorge de celui dont son expérience l’assurait qu’il allait commencer à lâcher prise. Ce qui eut lieu. Le visage dissimulé sous les replis d’étoffe qui festonnaient sa coiffe émit un grognement étouffé. Une bordée d’injures assourdies par la pression des radius d’Aladin sur sa trachée artère remonta du combattant vaincu.

De surprise, le paladin d’Agrabah laissa décroître sa pression, ce qui lui valut de faillir se faire arracher deux doigts. Son adversaire venait d’essayer de le mordre ! Aladin n’était guère en état de répliquer, quoique l’envie ne lui en faisait pas défaut. Il était payé pour connaître cette voix. Quant à ce que son détenteur faisait si loin des ruines du Soleil et avec suffisamment de pouvoirs magiques pour monter un traquenard, Allah seul aurait pu le dire — mais c’était sans importance aucune. La main droite du héros, qui plaquait contre le sable le bras correspondant, reconnut, en se déplaçant vers la saignée du coude, la texture particulière de certain avant-bras squelette. En y réfléchissant, il entrait quelque chose de bizarre, d’inhabituel même, dans le peu de résistance qu’il avait opposé ; sans qu’il fût à mains nues un combattant hors pair, le champion des sept déserts avait connu l’autre bien moins enclin à s’avouer battu.

— “ Ohoho, Moz ! Du calme... Tu vas te rompre quelque chose, et je devrai te trimballer. ”

 
 
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