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Les liens du Destin
Par tokyofrance
Eragon  -  Romance/Action/Aventure  -  fr
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Accrochée au flanc de la montagne

Le petit garçon pleurait silencieusement, il n’osait pas bouger de peur que le monstre tapi dans son dos ne se réveille et déchaîne une nouvelle fois son abominable colère contre lui.

Il était paralysé sur le ventre, la tête tournée vers la grande et unique fenêtre de sa chambre. Quelques rayons de soleil filtraient à travers les carreaux, révélant la poussière qui flottait dans la pièce ; les fines particules dansaient avec nonchalance devant ses yeux. Il apercevait au loin le miroitement bleu et argenté du lac qui depuis toujours baignait ses rêves ; cette étendue d’eau si proche et pourtant inaccessible le narguait chaque jour, l’invitait à se jeter dans ses bras, mais il n’avait jamais été autorisé à s’y rendre. Ordre du Maître.

Soudain la porte s’ouvrit, affolant l’air et la tranquillité qui l’entouraient. Son cœur se resserra subitement dans sa petite poitrine mais les pas qui approchaient étaient doux et légers, cela le rassura immédiatement ; ce n’était pas Lui, c’était déjà ça…

-          Murtagh, dit une femme une note de joie dans sa voix douce, la plus belle de toute.

Un bonheur sans limite le submergea, s’empara de son âme, il ne s’attendait pas à ce moment qu’il espérait néanmoins depuis une éternité.

-          Maman, murmura-t-il d’une voix sourde tant cela faisait longtemps qu’il n’avait pas parlé.

-          Je suis là mon chéri.

La jeune femme s’agenouilla devant lui, un sourire bienveillant sur le visage. Elle passa une main fraîche dans ses cheveux et se pencha pour l’embrasser. Sur la joue. Sur le front. Sur les yeux. Sur la bouche… Il retint ses larmes, il ne voulait pas pleurer quand elle était là, il préférait rire et jouer sur ses genoux.

Et dire qu’avant ce petit garçon ne reconnaissait même pas sa mère à qui on l’avait arraché dès sa naissance. Et dire qu’avant elle n’était qu’une simple femme qui venait lui rendre visite de temps en temps, qui lui apportait des jouets et des baisers avant de repartir en hâte. Mais il avait fini par comprendre, dans ce monde cruel et effrayant, que seule cette femme méritait d’avoir de l’importance à son cœur. Elle seule était honnête, elle n’affichait pas le regard cupide des serviteurs qui s’occupaient vaguement de lui dans le seul but de gagner leur pécule, qui craignaient d’être présents lorsqu’il faisait une bêtise et que le Maître le punissait, de peur d’être châtiés à leur tour. Quand elle venait tous ses soucis disparaissaient, sa main douce, sa voix réconfortante et son parfum printanier le réchauffaient. Généralement Il n’était pas avec elle, auquel cas Ils la surveillaient, lui et l’immense créature cramoisie qui L’accompagnait sans arrêt. En réalité, Lui non plus ne cachait pas ses pensées en sa présence ; il ne voilait pas son mépris ni son plaisir pervers à le tourmenter, qu’il fût saoul ou pas ; en quelque sorte Il était honnête aussi. Mais le petit garçon ne L’aimait pas, ne pouvait pas L’aimer, comment aimer un homme qui ne fait que vous tourmenter ? Même si c’était son père… La seule chose qu’il souhaitait était de ne jamais Le revoir et la seule façon pour que son rêve se réalisât était qu’Il meure. Mourir. Un bien grand mot pour un si petit être présent dans le monde depuis si peu de temps. Pourtant  il n’était pas sans ignorer la signification de ce mot. Tu es là, tu meures, tu n’es plus là. Une définition sommaire mais qui semblait résumer à ses yeux le sens de la mort ; il ne percevait pas encore le lourd héritage que laissent ceux qui disparaissent et ne répondent plus.

-          Maman, articula-t-il.

Des sanglots incontrôlables naquirent au fond de sa gorge, il voulut les refouler mais n’y parvint pas. Non, il ne devait pas pleurer, pas en sa présence ! Il voulait profiter de ces rares moments de joie mais depuis Ce jour-là, la joie n’était plus qu’un souvenir flou et insaisissable…

-          Maman, pourquoi, pourquoi … ? hoqueta-t-il à travers les larmes qui débordaient de ses yeux et inondaient son visage sans qu’il put rien y faire.

Il ne parvint pas à continuer, à exprimer toutes les questions qui bouleversaient son esprit, qui brûlaient sa chaire comme la lame flamboyante avait brûlé son corps. Pourquoi lui ? Pourquoi Lui ?

Pourquoi ne pouvait-il rester avec Elle et goûter aux joies que la vie était censée lui offrir ?!

Il sentit ses douces mains le caresser, la chaleur de son corps, la saveur du parfum qui embaumait ses cheveux, fragrance de fleurs fraîches et de rosée, d’air, de liberté. Son visage contre le sien lui chanta une berceuse, douce mélodie qu’il connaissait par cœur mais dont le sens lui échappait…

 

 

Accrochée au flanc de la montagne

elle surplombe la vallée

Mais quelle est cette étincelle

que je vois dans ses yeux briller ?

Elle s’avance tout près du vide

et écarte les bras,

appelant à elle le doux chant du soleil.

Ses cheveux mordorés valsent au gré du vent

encerclant son visage comme l’auréole d’un Dieu

venu voir les Vivants.

 

Accrochée au flanc de la montagne

elle surplombe la vallée.

Mais quelle est cette étincelle

que je vois dans ses yeux briller ?

Elle fait un pas en avant,

le sol se dérobe sous ses pieds ;

la montagne par sa force

ne la laisse pas tomber ;

elle la retient, sauve mais attachée.

 

Accrochée au flanc de la montagne

elle surplombe la vallée.

Mais quelle est cette étincelle

que je vois dans ses yeux brisés ?

Son regard se voile

mais les chaînes de rocs ne sauraient lui résister.

Au fond de son cœur elle perçoit l’Appel.

La voix de la Liberté.

 

Accrochée au flanc de la montagne

elle surplombe la vallée.

Mais quelle est cette étincelle

que je vois dans ses yeux briller ?

Un rayon de lumière frappe ses joues amaigries,

lui soufflant à l’oreille trois mots qu’elle redit.

N’oublie pas, murmure son écho.

 

Accrochée au flanc de la montagne

elle surplombe la vallée.

Mais quelle est cette étincelle

que je vois dans ses yeux briller ?

Un sourire nouveau nait sur ses lèvres sèches

des larmes s’échappent de ses yeux agrandis.

 

Accrochée au flanc de la montagne

elle surplombe la vallée.

Mais quelle est cette étincelle

que je vois dans ses yeux briller ?

Elle se met à chanter

une douce mélodie que je ne peux conter.

Et soudain au-dessus d’elle une ombre passe

 obscurcissant la montagne sous sa cape titanesque.

Sa respiration s’arrête,

elle sent contre sa peau l’haleine sauvage et moite

de la liberté qu’elle ne voulait pas quitter.

Le souffle puissant balaye les liens qui l’entravaient.

Elle se redresse fièrement,

s’approche de son sauveur.

 Debout sur le flanc de la montagne

elle surplombe la vallée.

Mais quelle est cette étincelle

que je vois dans ses yeux briller ?

Sans un regard pour son geôlier, elle saute.

Liberée.

 

 

 

 

Leur étreinte dura longtemps, elle lui fit du bien : ses pleurs cessèrent de le tourmenter, le calme s’empara de nouveau de son âme sans toutefois lui apporter la paix.

-          Je t’ai amené de la compagnie, murmura sa mère en s’écartant de lui.

Il la regarda, perplexe et curieux. Elle tendit la main derrière lui, faisant signe de s’approcher. Une petite fille s’avança et vint se blottir timidement entre ses bras. L’envie envahit soudain le garçonnet, mais ce n’était pas de la jalousie.

-          Murtagh, je te présente Jéanna. Elle va rester ici le temps de mon séjour ; j’ai pensé que tu apprécierais d’avoir une amie.

Il considéra la nouvelle venue : c’était une petite chose vêtue d’une robe et de petites bottines cirées, son visage était rond et rose ; elle le regardait, à moitié caché dans la chevelure de sa mère, ses yeux bruns étaient mouchetés de paillettes dorées qui scintillaient étrangement. Le soleil se trouvait derrière elle.

Sa mère se leva ensuite, l’embrassa de nouveau sur le front, lui caressa la tête tendrement et passant derrière la fillette lui prit les épaules et lui souffla quelque chose à l’oreille qu’il ne comprit pas. Après cela elle partit. Il entendit la porte se refermer, puis le silence.

La petite fille aux yeux d’or le regardait, gênée, lui non plus n’osait pas parler ; il vit ses jolies joues rougirent violement d’embarras. Il n’avait jamais vu d’autres enfants ; sa nourrice était partie depuis quelques temps déjà et il n’avait jamais su s’il avait un frère ou une sœur de lait. A elle, il lui trouvait quelque chose de spécial, un intrigant sentiment fourmillait dans son esprit et son corps.

Soudain, sans prévenir, une fulgurante douleur zébra son échine. Il gémit, crispant le visage, serrant les draps de ses petits poings ; il savait que ces crises pouvaient durer longtemps et désespérait que celle-ci tombât à cet instant.

Les larmes enflammèrent ses yeux, la peur refroidit ses veines, il revoyait l’éclair rouge et entendait de nouveau le rire cruel et mauvais de Celui qui lui avait infligé ça. Il ne percevait plus sa chambre, ni son lit ni les pierres couvertes de tapisseries : son monde ne se résumait plus qu’à sa souffrance. A ce mal qui parcourait son dos, semblait enfler, vouloir exploser, sortir de son corps tel une vermine prise au piège sous sa peau.

Mais quelque chose d’inhabituel se glissa dans son supplice. Il sentit une présence près de lui, une main maladroite et moite s’insinuer dans la sienne, la presser gentiment. Il rendit cette étreinte avec plus de force comme s’il pouvait de cette manière atténuer sa douleur. La main ne s’offusqua pas, elle raffermit sa prise comme décidée à ne pas le lâcher. Il reprit peu à peu conscience, le feu vif et strident le dévorait toujours mais la chaleur à ses côtés l’apaisait. Une éternité s’écoula ou bien peut-être une minute il se savait pas. Le monstre se rendormit mais il percevait encore sa présence en lui. Sa respiration s’apaisa néanmoins il tremblait, le corps couvert d’une sueur qui refroidissait et le faisait frissonner. Sa tête était lourde, il entendait son cœur battre à tout rompre à l’intérieur.

-          Tu veux être mon ami ?

Il rouvrit les yeux, surpris d’entendre la fillette, sa voix était douce et sincère, emplie d’une gentillesse qu’il n’avait pas l’habitude d’entendre.

Elle était allongée près de lui, un magnifique sourire où l’innocence perçait, sur les lèvres. Il rougit, réalisant ce à quoi elle avait assisté, c’était son fardeau, son secret ! Personne n’avait à savoir, et si elle apprenait que c’était son propre père qui l’avait presque tué ?!

Il détacha brusquement sa main de la sienne et tourna la tête de l’autre côté au risque de réveiller une seconde fois le monstre. Il avait honte, honte de son état, de qui il était, même si à ce moment-là il ne connaissait pas les mots pour exprimer ce qu’il ressentait.

-          Je n’ai pas besoin d’ami, rétorqua-t-il sèchement.

Elle ne répondit pas, il ne l’entendit pas non plus se lever ou même bouger. Il ne savait plus quoi penser : il n’avait pas d’amis, n’en avait jamais eu, ne savait pas ce que c’était. Il était seul dans ce grand château caché à la vue de tous.

« Tu veux être mon ami ? »

Ces paroles l’avaient touché. Dans sa jeune âme d’enfant il regrettait ce qu’il avait dit, devait s’excuser auprès d’elle ! Il se retourna alors… mais elle s’était endormie. Son visage reposait tranquillement sur le lit de plumes, des mèches de cheveux voilaient son front et ses joues lisses. Il tendit la main pour la toucher, comprendre qu’elle était aussi constituée de chaire et de sang : son visage était doux et tiède, ses cheveux soyeux, sa respiration sereine. Il s’approcha d’elle jusqu’à ce que son souffle régulier le percute souplement, déposant une fine pellicule humide qui refroidissait quand elle inspirait. Il contempla ses paupières parcourues de légers mouvements comme si ses yeux cachés derrière vivaient dans son sommeil…

***

 

Une main la retenait par la taille. Une cape sur le dos, elle regardait les paysages défiler autour d’elle.

« Ça te dirait de faire un petit voyage ? Lui avait-on demandé.

Evidemment que cela lui plaisait.

« Je te présenterai mon fils, il est un peu malade tu sais, il sera content d’avoir de la compagnie.

Murtagh. Il s’appelait Murtagh et avait le même âge qu’elle.

«  Pourquoi il n’habite pas avec toi ? Avait-elle demandé.

« Son père préfère qu’il reste à l’écart du monde.

« Parce qu’il est malade ?

« Entre autre…

Devant elles de hautes et étriquées montagnes surplombaient la vaste étendue d’eau qui scintillait sous le soleil, c’était magnifique, bien plus beau que la cité qu’elles avaient quittée la veille au soir. Cette ville jaunâtre et sale, dominée par ces pics noirs à l’aura malfaisante… Pourquoi avait-il fallut que ses parents et elle s’y rendent ?

-          Regarde ! lui souffla soudain Selena à l’oreille en pointant du doigt le flanc de la montagne.

Jéanna fixa un instant l’endroit indiqué puis son visage s’illumina. Un peu plus loin, accrochée au roc gris, se dressait une demeure, haute et majestueuse, un grillage en fer forgé en barrait l’entrée et se perdait dans les tréfonds de la forêt de pins et de cèdres qui allaient lécher les rives du lac. On apercevait à travers les branches touffues et les épines sombres, les couleurs chatoyantes de jardins fleuris qui embellissaient le vaste parc de la propriété. Quel étrange habitation, cachée de la vue de tous alors qu’elle était si belle… Pourquoi l’avoir isolée dans un tel lieu ?

 

Un serviteur vêtu d’une tunique et d’un pantalon couleur ocre vint leur ouvrir le portail. Selena mit pied à terre et souleva la fillette dans ses bras. Le laquais emporta la monture à l’écurie, les laissant seules sur le chemin de graviers clairs qui menait au perron de marbre.

Selena se mit en marche, Jéanna sentait le cœur de la femme battre rapidement, elle semblait excitée et une joie agréable émanait d’elle. La fillette n’était pas habituée à la voir dans cet état : les quelques fois où elle l’avait rencontrée, la jeune femme avait les traits tirés, la mine anxieuse, ce qui lui donnait un air mélancolique et mystérieux. Elle paraissait craindre quelque chose, mais quoi ? Si cette fois-ci elle n’était pas plus détendue, avait-elle l’air au moins plus heureuse.

Jéanna regarda par-dessus l’épaule de Selena. D’immenses jardins s’étendaient à perte de vue entre les fins arbres et les pentes abruptes des montagnes. Des jardiniers travaillaient ici et là, taillant les ifs ou arrosant les roses. L’un d’eux se redressa en les voyant passer. Il salua la Dame avec son chapeau de paille mais elle ne sembla pas le remarquer quoique sa respiration s’accélérât soudainement. Jéanna dévisagea l’homme : il devait avoir une trentaine d’années, peut-être plus, elle ne savait pas très bien, à son âge les adultes se ressemblaient tous plus ou moins. Ses cheveux étaient coupés court, il avait un nez en forme de bec d’aigle et des yeux perçants. Il sourit gentiment et lui fit un clin d’œil complice. La petite fille ne réagit pas immédiatement. Elle considéra cet inconnu, curieuse, puis lui rendit son sourire et agita la main gaiment. C’est alors que le jardinier, après avoir vérifié que personne ne les observait, déposa une graine dans sa main et souffla dessus : à la grande stupéfaction de la fillette la graine germa subitement et se transforma en une magnifique fleur blanche. Elle ressemblait à une rose sans en être vraiment une : ses pétales formaient une corole pure qui s’épanouissait tendrement depuis un bouton fragile et s’évasait sur les bords en légères pousses vierges de tout pigment coloré. De loin la texture de cette sublime fleur était celle de la soie, aussi vaporeuse que la bise de vent qui soufflait à ses oreilles. Elle aurait voulu humer le parfum de cette création, mais n’osa pas demander à Selena si elle pouvait la déposer par terre.

Elles atteignirent les grandes portes d’entrée en bois sculpté. L’un des battants était ouvert pour laisser l’air circuler dans la demeure ; à l’intérieur il faisait agréablement frais, les pierres et les dalles de marbre froids n’emmagasinaient pas la chaleur de l’été, au contraire, elles rendaient la fraîcheur des nuits sous le couvert des montagnes.

Il n’y avait personne. Aucun serviteur ne s’était pressé pour les accueillir, mais Selena ne s’en formalisa pas, elle raffermit sa prise sous les jambes et les bras de la fillette et s’engagea dans un grand escalier. Un tapis rouge sang dévalait les marches, accroché à la pierre par des baguettes dorées. Sur les murs, des chandeliers éclairaient les parties sombres du vaste hall qui ne recevaient pas la lumière passant à travers les deux larges fenêtres aux carreaux immaculés qui encadraient l’entrée de la maison. Arrivée sur le palier, la jeune femme déposa doucement Jéanna et lui prit la main avant de la guider vers une porte au fond d’un couloir. Elle s’arrêta, les doigts sur la poignée, une excitation contenue la parcourait et un doux sourire ornait son visage. Enfin, elle ouvrit la porte et elles entrèrent.

La pièce était vaste, à gauche il y avait une grande fenêtre descendant jusqu’au sol, qui donnait sur le parc et offrait à l’occupant du lit situé en face une vue imprenable sur l’eau scintillante du lac ; à droite siégeait une immense armoire en chêne richement sculptée et au fond dans une alcôve séparée du reste de la chambre par un auvent, Jéanna entrevit une baignoire de cuivre.

Selena alla s’agenouillée de l’autre côté du lit illuminé par les chauds rayons du soleil. Un petit garçon était allongé sur le ventre, un fin drap blanc le recouvrait. Il murmura quelques mots à sa mère, sa voix était sourde et déchirée comme s’il avait du mal à parler. La jeune femme l’embrassa tendrement, caressa ses cheveux, lui procurant tout l’amour dont elle était capable ; elle se mit à chanter, une mélodie lente et harmonieuse, révélant les espoirs ténus qu’elle regrettait.

Leurs retrouvailles durèrent un certain temps puis la jeune femme s’écarta de son fils et tendit la main vers la fillette lui faisant signe de s’approcher. Jéanna s’avança, intimidée et se blottit contre la douce maman.

-          Murtagh, je te présente Jéanna. Elle va rester ici le temps de mon séjour ; j’ai pensé que tu apprécierais d’avoir une amie.

Jéanna regarda le petit garçon, Murtagh. Son teint était pâle et fatigué, des larmes perlaient sur ses joues et mouillaient son oreiller de plumes ; ses cheveux, presque noirs étaient en bataille et lui donnaient un air sauvage et attirant. Mais ce qui la frappa le plus furent ses yeux ; ses deux beaux yeux bleus, si clairs et profonds, rougis par la douleur et le chagrin. Qu’avait-il enduré pour ne pas posséder la belle étincelle vivace qui anime d’ordinaire l’enfance d’un garçon ? Elle éprouva soudainement beaucoup de tristesse pour ce petit être à l’apparence si fragile ; cet étrange sentiment la poussait vers lui sans qu’elle en comprenne vraiment la raison…

Selena se leva, embrassa Murtagh sur le front et caressa sa tignasse sombre, puis passant derrière elle la prit par les épaules et murmura à son oreille.

-          Je reviens bientôt, ne sois pas timide d’accord ?

Elle partit, refermant la porte sur son passage.

Un silence suivit.

Elle ne savait pas quoi dire alors elle le regarda et rougit, gênée. Ses yeux aux couleurs plus pures que les eaux cristallines l’hypnotisaient. L’attirait intensément.

Soudain, les pupilles du garçon se dilatèrent, il fut saisi d’une brusque et violente convulsion qui le fit se crisper. Il enfouit son visage dans l’oreiller, mordant dedans ; ses mains serraient les draps fermement. Tout son corps tremblait et elle entendait les gémissements douloureux qu’il poussait. Que faire ? Comment réagir ? La panique lui faisait battre le cœur trop rapidement. C’était donc ça sa maladie.

Ne trouvant pas d’autres solutions, elle se glissa lentement dans le lit et passa une main dans celle de Murtagh. Elle la serra gentiment pour lui signifier qu’elle était avec lui, il la serra en retour mais bien plus fortement jusqu’à lui faire mal. Elle ne dit rien, endurant cette peine, bien moindre en comparaison de celle du garçon. Elle resta immobile, longtemps, patiemment.

Puis, petit à petit la pression de ses doigts diminua pour finir par disparaître complètement. La respiration de Murtagh ralentit et devint moins bruyante.

Le temps s’écoula.

-          Tu veux être mon ami ? Demanda-t-elle enfin.

L’envie avait été trop forte, elle avait craqué. Et pourtant, elle parlait rarement aux autres, sa réserve l’en empêchait habituellement.

Il rouvrit les paupières, découvrant son regard céleste. Elle lui sourit. Son visage s’empourpra et il tourna la tête. Jéanna fut assez surprise de sa réaction mais ne pipa mot.

-          Je n’ai pas besoin d’ami, rétorqua-t-il.

Cette phrase résonna durement dans son cœur, elle était vexée et aurait pleuré si elle n’avait pas assisté à sa souffrance, mais à présent qu’elle savait qu’il avait bien plus mal qu’elle ne l’aurait certainement jamais, elle éprouvait de la honte à pleurer pour des raisons si futiles. Elle devait se montrer forte et douce. Lui pardonner. Il souffrait, pas elle. Elle lui apporterait la joie et l’amour qu’il semblait ne pas ressentir, elle devait donc rester auprès de lui ; elle sentait au fond de son âme que son bonheur dépendrait du sien et que pour se faire elle devait l’aider.

Oui, c’était une bonne idée.

Elle aimait bien Murtagh.

Elle avait très peu dormi depuis la veille, ses yeux picotèrent légèrement puis se fermèrent tous seuls…

 

Selena ouvrit la porte et s’approcha du lit. Elle sourit, attendrit : Jéanna s’était glissée sous le drap fin et dormait paisiblement. Pelotonné contre elle Murtagh s’était aussi assoupi, sa respiration était calme, son visage serein. Une étrange fleur aussi claire que la neige avait été déposée sur l’oreiller, berçant les deux enfants de son parfum sucré. La jeune femme l’effleura délicatement. Elle s’assit sur le matelas et déposa un baiser sur le front de la fillette et sur celui de son fils, couvrant leurs corps frêles de ses bras. Elle resta un moment dans cette position à écouter leur respiration et leur cœur battre ensemble, comme s’ils ne formaient plus qu’un…

 

 

 

 

 
 
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