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au 31 Mai 21 :
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Bec d'écaille, croc de plume
Par Jaiga
Originales  -  Romance/Fantaisie  -  fr
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    Chapitre 11     Les chapitres     64 Reviews     Illustration    
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Home sweet home

Disclaimer : Tous les personnages/ lieux/ périodes sont issus de ma propre imagination. J’ai cependant utilisé certains personnages pour des forums Rpg, ne vous étonnez donc pas si vous les croisez un jour, au hasard du net. :3

Notes :

- Je m’excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d’orthographe qui m’ont échappée, j’avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur …

 ______________________________________________________________________

Chapitre 11 : Home sweet home

Ehissian tomba à genoux et décocha un coup de pied bien sentit dans le tibia de l’un de ses agresseurs. Un craquement sinistre retentit, et l’homme poussa un cri auquel le phénix ne fit pas attention. Au contraire, il se releva précipitamment, et dans son élan, son poing percuta un autre assaillant sous la mâchoire, avant qu’il ne ramène son coude en arrière pour heurter avec force l’estomac de la personne derrière lui.

Il y eut, du côté des attaquant, un moment de flottement, avant que le meneur ne se décide à se jeter à bras raccourcis dans la mêlée. Ehissian le stoppa d’un coup de pied dans un endroit que la décence empêcherait de nommer, mais l’action laissa néanmoins le temps à deux des hommes à terre de se redresser.

Ehissian grogna, et s’empressa de les remettre au tapis.

Pourtant, sa journée ne s’annonçait pas si mauvaise que ça, lorsqu’il s’était levé.

Après un repas épique en raison des trois enfants déchaînés de ses hôtes, il s’était vu attribué un canapé, une couette bien chaude, un bon oreiller et même une peluche, de la part du bout de choux d’Ethan, qu’il avait été contraint de refuser poliment. Sa couette à triangle lui manqua bien un moment, mais sur la banquette exiguë, bercé par les coups de tonnerre, le battement de la pluie, et assommé par la fatigue, il ne lui fallut que peu de temps pour s’assoupir profondément. Même si, plusieurs fois dans la nuit, il se réveilla en sursaut, presque étonné de ne pas sentir deux bras autour de sa taille et un corps chaud contre le sien. Mine de rien, on s’y habituait vite, aux bouillottes humaines.

Avec l’aube était apparue une délicieuse odeur de pain grillé et de beurre frais, qui l’avait peu à peu tiré de son comateux sommeil. Comme un somnambule cocaïnomane en manque de dope, il avait accouru jusqu’à l’origine de l’odeur divine, pour se trouver face à un Ethan légèrement débraillé et son fils tout sourire ronronnant sur ses genoux. Ehissian s’était un instant demandé si les quelques bruits de porte, qu’il avait entendu durant la nuit, n’auraient pas été provoqué par le passage nocturne de l’amant du jeune homme. Oui, amant, et pas petite amie. C’était le faux angelot brun qui l’avait laissé échapper, en décrétant que « son papa était triste parce qu’il n’avait pas faire des bisous à son deuxième papa ce matin là », provoquant ainsi la rougeur prononcée et instantanée de son père.

Bizarrement, Ehissian n’en avait presque pas été étonné. Presque.

Après un copieux petit déjeuner, le phénix put bénéficier d’une rapide mais bienfaisante douche, après quoi il fut enfin prêt à repartir. Avec de très nombreux câlins et bonnes recommandations, ainsi qu’une énorme tranche de tarte au pomme au fond de son sac à dos, que la politesse l’avait empêché de refuser.

Et il avait parcourut la moitié du chemin, sous la grisaille perpétuelle de cette maudite ville, lorsqu’un groupe de jeune l’avait abordé.

Pas plus de cinq, en tenues déchirées, leur peau tatouée et percé de partout, leurs cheveux aux couleurs si fluo que même pour ce monde aux tendances capillaires étranges, on pouvait estimer du premier coup d’œil que le prix des pots de peinture avait du être élevé.

Ces cinq caricatures étaient sorties d’une ruelle plus sordide que les autres, alors qu’Ehissian passait devant. Avec une politesse et un tact infini, ils lui avaient gentiment demandé de leur donner sans autre forme de procès son sac à dos et le contenu de son porte-monnaie. Ce que le phénix, à son plus grand malheur, avait été contraint de refuser.

En réponse, l’un des jeunes s’était approché de lui en devenant peut-être légèrement moins poli que les convenances ne le lui autorisaient, en avançant l’argument qu’il risquait d’arriver quelque chose de fâcheux au chevalier ci celui-ci ne se débarrassait pas expressément de son bagage encombrant. A nouveau, il dut refuser, et lorsque les jeunes gens en étaient venu à utiliser des arguments nettement plus percutant, il avait tout simplement réagit de la même façon qu’eux.

Parfois, certaines personnes ne comprenaient que la manière forte.

Ils étaient cinq, mais Ehissian était tout de même un Chevalier ardent, qui plus est âgé de quelques millénaires de plus que ses agresseurs. Son grade, il ne l’avait pas obtenu en ne se prenant que des raclées sur le sol usé de la salle d’entraînement. Quoique, en fait, si, il l’avait à moitié obtenu en ne se prenant que des raclées sur le sol usé de la salle d’entraînement, mais ce n’était qu’un détail sur lequel il ne valait mieux pas s’attarder.

En manifestant bruyamment son mécontentement, l’un de ses agresseurs sortis un cutter de la poche de son survêtement. Déjà en posture de défense, Ehissian attendit qu’il vienne à lui, pour bondir sur le côté et esquiver les nombreux coups de lame qu’il tenta de lui asséner. Trop rapidement pour l’œil d’un mortel, il attrapa le bras encore tendu de son assaillant, et le désarma d’une prise que Pavel avait mainte fois utilisé sur lui, avant de lui asséner un bon coup sur la nuque.

Et avec un soupir de lassitude, se fit une joie d’assommer celui qui essayait déjà de se relever.

Un moment, il resta sur la défensive, regardant autour de lui. Les cinq corps en plus ou moins en bon état ne semblaient plus vouloir tenter de lui faire la moindre chose. Plié de douleur, l’un d’eux se hasarda malgré tout à lui agripper la cheville, lorsqu’il passa devant lui. Un coup de semelle bien placé, et il fut trop occupé à gémir pour essayer la moindre chose.

Ehissian pesta un moment, avant de reprendre sa route, les mains dans les poches. Sans une égratignure, sauf peut-être à la jointure de ses poings, mais rien de très marquant. Les bagarres, ce n’était pas vraiment son truc, mais il connaissait quand même. C’était l’un des sports favoris des petits phénix apprentis chevaliers. Et des petits tout court, d’ailleurs.

Il espérait juste que sa part de tarte au pomme serait toujours intacte, malgré les secousses qu’elle avait dû subir.

--

-Pavel… J’ai soif…

L’intéressé accouru aussitôt au chevet de son prince, une bouteille d’eau à la main. Avec une infinie délicatesse, il l’aida à se redresser sur le matelas, et à avaler quelques gorgées fraîches. Du bout des doigts, il essuya même les lèvres chaudes du jeune homme, après avoir soigneusement rebouché le récipient.

Lékilam devait bien admettre que parfois, ça avait du bon d’être malade.

Cela permettait, entre autre, d’avoir un phénix rien que pour lui à son chevet. Quoiqu’en y réfléchissant bien, ça, il l’avait déjà tout le temps. Mais son garde du corps se montrait étrangement beaucoup plus prévenant dans ses moments là. Assis juste sur le rebord du lit, il se mettait par exemple à lui caresser le front, ou à remonter sans arrêt la couverture sur ses épaules. Il lui arrivait même, parfois, de fredonner entre ses dents de vieilles berceuses ou des chansons militaires, lorsque le prince sommeillait. Mais une fois, alors que le blond était persuadé qu’il était profondément endormi, le dit prince c’était réveillé, doucement. Cela avait tellement surpris Lékilam d’entendre son garde du corps fredonner qu’il s’en était redressé d’un bon, et avait ainsi vu son amant s’empourprer de honte pour la première et dernière fois de sa vie. Cette image n’était d’ailleurs pas prête de sortir de sa mémoire.

Il se mit à songer, tout en soupirant sous la main fraîche qui venait de se poser sur sa tête, qu’il faudrait qu’il réessaye de le faire rougir, un jour. Parce que Pavel était affreusement mignon quand il le faisait.

-Ehissian traîne…

Le prince grimaça. Ca, il l’avait remarqué, que son chevalier était à la bourre. Mais dans l’immédiat, il n’avait pas envie d’en parler. Il préférait plutôt que son amant lui raconte le temps qu’il faisait dehors, ou les dernières nouvelles de l’immeuble. Ce serait beaucoup plus amusant.

-C’est pas grave… murmura-t-il d’une voix enrouée. Je n’ai plus vomi depuis hier soir, et la fièvre est passée… Dans quelques heures, je serais sur pieds.

Pavel lui fit un léger sourire, et continua de lui caresser le front, repoussant du bout des doigts les douces mèches violettes qui l’envahissaient. Le garde du corps avait les mains calleuses, à cause de sa longue pratique de l’escrime. Mais bizarrement, le jeune phénix trouvait cela plutôt agréable. Un peu rugueux, mais agréable. Du moment que cette main continuait de le cajoler, il n’allait pas s’en plaindre…

-Tu vas avoir un travail monstre à rattraper.

Le blond parlait d’une voix douce et posée, à peine plus fort qu’un chuchotement, qui sonnait délicieusement aux oreilles. Mais, les yeux fermés sous le plaisir qu’il ressentait, Lékilam fronça le nez. L’autre inconvénient majeur du Pavel, c’était qu’il avait tendance à toujours aborder les sujets qui fâchaient, dans les moments les moins propices pour le faire. Aussi, il se fit un devoir de lui pincer les côtes, malgré la fatigue qui lui ankylosait les muscles.

Un rire léger retentit dans la chambre, et le prince sentit les lèvres de son amant remplacer ses doigts pour déposer un baiser sur son front. Il avait certes les mains rugueuses, mais sa bouche les compensait largement. Et ses gestes, aussi. Il était difficile de croire, en le voyant assis dans le bureau de l’héritier, son épée sur ses genoux, jetant des regards mauvais à quiconque s’approchait trop près du périmètre de sécurité autour du trône de pierre, qu’il pouvait se montrer aussi doux et tendre envers quelqu’un.

Mais c’était bien pour ça qu’il l’aimait.

-Ma mère va me tuer si elle apprend tout ce que je laisse traîner, bouda Lékilam sans ouvrir les paupières.

Pavel eut un reniflement amusé, et recommença à lui caresser le front.

-Je ne te le fais pas dire. Surtout que…

Pavel marqua un léger temps d’hésitation, et ne finit pas sa phrase. Lékilam fut contraint d’ouvrir un œil interrogateur, et de le fixer avec une moue d’incompréhension.

-… La reine ne sait pas que tu as laissé un dragon habiter ici. Si jamais cela s’apprend, les conséquences vont être…

-Pavel…

Le prince soupira. Et voilà. Il en était sûr. Alors qu’il était parfaitement calme et détendu, qu’il avait pour une fois une bonne raison de rester au lit sans rien faire, que son amant le câlinait gentiment, il fallait encore qu’ils empruntent un chemin risqué.

En même temps, il aurait dû s’y attendre. Pavel essayait sans succès d’aborder le sujet depuis plusieurs jours. Lékilam avait à chaque fois trouvé une parade, mais à présent, il décida de régler le problème une bonne fois pour toute. Peut-être qu’après, le blond recommencerait ses caresses apaisantes.

-Pavel, répéta-t-il en posant ses deux yeux sur lui. Ca ne risque rien… Il est seul, tu sais très bien ce que ça veut dire. Et on m’a certifié que…

Le garde du corps fronça les sourcils, et retira sa main du front de Lékilam.

-On t’a certifié, c’est bien ça le problème. Je ne sais même pas si ce « on » est digne de confiance. Et il peut très bien avoir un complice quelque part en ville, ajouta-t-il ensuite.

Le prince soupira.

-Je ne peux pas te dire de qui il s’agit… Mais c’est une personne sur qui on peut compter, ça, je te le promets.

-Je suis ton garde du corps, Lékilam ! Je dois tout faire pour ta sécurité. Tu es censé devoir tout me révéler, tous les secrets, pour que je puisse veiller sur toi. Tu sais que je ne répèterai jamais rien qui puisse te porter préjudice.

Doucement, le cadet des deux phénix attrapa la main de son aîné, et la posa sur sa propre joue. Pavel frissonna tant la peau de son protégé était chaude, sous sa paume.

-Je sais… Mais ça, je ne peux pas te le dire. C’est un ordre de ma mère.

Le garde du corps soupira, avant de se pencher et d’embrasser doucement son prince. Ce dernier répondit avec envie au baiser, quoiqu’un peu faiblement, en raison de son état. Mais ce n’était qu’un détail sans importance.

-Promet moi que dès que tu te lèveras, tu leur feras passer le même interrogatoire que tous les autres habitants ont subi, à ces deux nouveaux. Je veux que tu écrives sur eux deux dossiers épais comme mon poing.

Lékilam gloussa.

-Tu n’auras pas le droit de les lire ! Les rapports sur les habitants sont réservés à ma mère et aux conseillers…

-Je m’en fiche. Promet le moi.

Il y avait tant de conviction dans le regard de Pavel, tant de sérieux dans ses prunelles, et d’anxiété dans cette demande, qu’avec un sourire, d’une voix douce et sincère, Lékilam lui promit.

--

La porte du terrain vague grinça un peu lorsqu’Ehissian la poussa, mais n’émit toutefois aucune de résistance. Le phénix la referma soigneusement après son passage, même si elle ne servait plus à grand-chose, avec l’état dans lequel se trouvait le reste du grillage.

Cela faisait des années que ce terrain était inoccupé et laissé en friche. Un petit bout de jungle en plein milieu de la ville, un carré d’herbe folle, de terre sèche et de détritus. Il fallait faire attention à l’endroit où l’on mettait les pieds, sous peine d’écraser une seringue usagée ou une vieille boite de conserve, oubliée par l’un des très nombreux clochards qui avaient dû résider là le temps d’un été. Il fallait dire que même si la porte était rouillée et la grille percé de trous, ce bout de nature offrait quand même une certaine sécurité, si l’on savait se frayer un chemin jusqu’au fond, et construire une cabane avec quelques cagettes et deux bouts de bois.

Ehissian emprunta un sentier à peine visible, uniquement tracé par ses propres allées et venues. Il s’agissait en fait d’une zone où les herbes étaient moins hautes, suffisamment pour que l’on puisse y marcher sans passer son temps à retirer des bestioles gênantes ou des ronces. D’ailleurs, en parlant de ronce, une fois, il était rentré à la Volière avec une poche entière pleine de mûre, que Libellule s’était empressée de transformer en une délicieuse tarte. Sitôt qu’il avait été rétabli, le prince s’était jeté dessus, et avait expressément ordonné à son chevalier d’aller chercher d’autres fruits. Ce que, pour une fois, il avait fait dans la joie et la bonne humeur. Parce que Libellule faisait des tartes succulentes.

Repoussant une branche d’un jeune arbre blanc, Ehissian aperçut ce qu’il cherchait, au fin fond du terrain vague. Mine de rien, la zone était assez étendue, et difficile à traverser. La nature y avait établi son royaume, et la végétation y était tellement dense qu’une fois à l’intérieur, on ne voyait presque plus que le sommet des bâtiments alentours, et qu’il devenait très facile de s’y perdre. Sur le sol, les traces des très nombreux visiteurs s’affichaient de manières diverses et variées. Emballages de nourritures, poches plastiques, vieux objets usés, il y avait même une machine à lavée rouillée, et dans les coins les plus reculés, des morceaux de papiers douteux qui indiquaient de manière très explicite qu’il ne valait mieux pas s’aventurer de leur côté.

Ehissian avait presque la nostalgie du temps où cette zone faisait encore partie de la forêt, de très nombreux siècles auparavant. A l’époque, il ne s’agissait pas de venir voir l’apothicaire, mais de faire des entraînements en plein air, dans des zones totalement inconnues.

Après tous, lors d’une guerre, un chevalier n’était que très rarement emmené à combattre dans la rue en bas de chez lui. Il fallait donc apprendre aux plus jeunes à savoir reconnaître tout les avantages et les points faibles d’un territoire dès le premier regard.

Ehissian émergea enfin sur une petite butte de terre, large de quelque mètre. En son centre, enclavé dans le sol, un parfait disque de pierre blanche faisait un magistral pied de nez à la verdure environnante. Taillé dans un seul bloc de roche, les mauvaises herbes ne pouvaient que tenter de l’envahir de l’extérieur, au lieu de pousser en plein milieu des pavés comme c’était parfois le cas avec certaines vieilles constructions. Le phénix s’en approcha, et entreprit de dégager soigneusement toutes les saletés qui auraient pu s’installer depuis son précédent voyage. Il ne l’avait pas fait en arrivant, mais pour repartir chez lui, c’était une opération plus que nécessaire.

La pierre était lisse, d’un diamètre peut-être légèrement supérieure à la taille du jeune homme. Une fois sûr qu’elle soit parfaitement propre, il vint s’agenouiller en son centre, et ouvrit son sac à dos. Il en sortit une boîte métallique, à l’intérieur de laquelle se trouvaient un vieux pinceau, et un large pot de peinture sombre.

Si son moyen de transport particulier ne marchait pas en cas d’orage, c’était pour une raison toute bête. La pluie effaçait les traits de la peinture fraîche. Or, s’il y avait la moindre erreur, la moindre altération, Ehissian pouvait se retrouver transporté à des lieux de la Volière, voire même coupé en deux durant le trajet. Ce qui serait plutôt fâcheux.

Avec application, utilisant le pinceau, il se mit à tracer les symboles ancestraux qu’il connaissait sur le bout des doigts. Il s’agissait en réalité de runes, ou de quelque chose approchant. C’était l’une des plus vieilles magies de leur monde, parmi les milliers d’autres qui existaient, et probablement l’une des plus complexe. Lui-même n’en était absolument pas un spécialiste. Il ne connaissait que le dessin nécessaire au changement de lieu.

Il se retrouva bientôt au centre d’un large cercle de peinture noire, qui suivait de près le rebord du disque de pierre. A l’intérieur, d’autres cercles de plus petites tailles, se remplissaient peu à peu de symboles et d’écritures dont le sens lui échappait partiellement.

Plus jeune, il avait passé des heures à les recopier inlassablement, à plus petite échelle, devant recommencer chaque dessin à chacune de ses erreurs, même les plus infimes. Aujourd’hui, il était capable d’effectuer le tracé les yeux fermés, alors qu’il devait pour cela se tourner et se retourner sans cesse, pour n’oublier aucun recoin du disque. Cependant, il fallait noter qu’il ne se risquerait pas à tenter l’expérience. Parce que c’était suffisamment difficile comme cela avec les yeux grands ouverts.

Il y avait une seconde raison, qui l’empêchait d’utiliser ce moyen de transport pendant un orage. Libellule avait tenté de lui expliquer, quelques années plus tôt, les causes détaillées. Cela venait du fait que ce cercle de pierre, ainsi que les runes qu’il y traçait, formaient lorsqu’elles étaient achevées une sorte de bulle protectrice, une barrière d’énergie, qui transportait tout ce qui se trouvait à l’intérieur, sans exception, jusqu’à un disque similaire. Il existait une dizaine de ces monuments à travers ce monde ci, et la différence entre les dessins des runes pour se rendre à l’un ou à l’autre consistait en quelques points ou traits supplémentaires. Aussi, pour ce rendre à la Volière, avant d’apporter le dernier coup de pinceau sur la roche, il vérifiait soigneusement le tout, et plutôt deux fois qu’une. Dès que le dernier dessin était tracé, la bulle se formait aussitôt, et il était alors impossible de modifier quoique se soit.

L’interférence avec les orages se situait à ce niveau. Une histoire d’onde, de flux magiques, de chargement électrique ou de particule, il n’avait jamais vraiment compris, malgré toutes les explications que la nymphe avait essayé de lui donner. Alors, pour faire simple, cette dernière lui avait tout simplement dit : « si toi finir de tracer rune pendant orage, quand bulle se former autour de toi, toi finir comme poulet dans un micro-onde ». Et Ehissian avait saisi.

Le phénix leva la pointe de son pinceau, et jeta un œil autour de lui. Il scruta en détail chaque zone, chaque agencement de trait. Puis, il tira son sac à dos près de lui, et s’agenouilla un peu plus sur la roche. La bulle qui se créerait aurait un diamètre égal au cercle de pierre, et ne transporterait que ce qui se trouverait à l’intérieur. S’il se tenait debout au centre du cercle, ses jambes seraient donc emmenées à la Volière, et le haut de son corps resterait ici. Alors il préférait faire attention.

Satisfait, et quasiment sûr qu’il n’avait pas fait d’erreur, il trempa une dernière fois son outil dans la peinture noire, et l’appuya délicatement sur la pierre blanche, formant un point au dessus d’un entremêlement de symboles.

L’instant d’après, il se tenait sur le toit de la Volière, son sac à dos intact à ses côtés, au centre d’un disque de pierre vierge encastré dans les dalles grises bâtiment.

Il poussa un profond soupir de soulagement.

--

-Ehissian ? On ne t’attendait pas si tôt !

Scysios était presque étonné de voir le phénix sur le seuil de sa porte, les traits tirés et l’air morne. Presque, parce qu’au fil des années, il avait pris l’habitude de le voir débarquer à l’improviste, parfois dans des états de santé particulièrement graves, des jours après la date initialement prévue pour son retour. D’ailleurs, dans un angle du couloir, on pouvait encore apercevoir une légère marque rougeâtre sur le sol, preuve d’un ancien retour de mission particulièrement riche en émotion.

-J’ai pris un raccourcis, ironisa le chevalier avec une expression hautement réjouie.

Le démon l’observa de haut en bas, avant de s’écarter, et de le convier à pénétrer dans son antre.

-Je vais te faire un bon chocolat chaud, ça te remettra sur pied.

Le phénix n’eut pas le cœur de refuser une invitation pareille.

Péniblement, il se débarrassa de son blouson, et laissa doucement son sac tomber à terre. S’asseyant sur le bord du lit, il extirpa en se penchant la boîte métallique contenant pinceau et peinture, qu’il lui faudrait rendre à Libellule, ainsi que le sachet contenant les remèdes tant demandés. Il les échangea contre une tasse fumante lorsque le médecin revint vers lui. Le liquide lui brûla les lèvres et la langue, mais provoqua une douce chaleur à l’intérieur de lui, en coulant dans son gosier assoiffé. Une chaleur certes différente de celle que lui procurait une certaine paire de bras, beaucoup moins efficace et rassurante, mais néanmoins suffisante pour l’apaiser un temps.

Et comme il le faisait depuis des dizaines d’années, alors que le phénix sirotait son chocolat, Scysios vint s’asseoir à ses côtés, sa propre tasse dans les mains. Ils restèrent ainsi en silence pendant de longues minutes, jusqu’à ce que l’un d’entre eux se décide à poser la question rituelle.

-Allez, raconte moi tout.

Depuis qu’ils se connaissaient, ça avait toujours fonctionné comme ça. L’un des deux demandait, l’autre racontait, et ils enchaînaient ainsi, parlant parfois des heures sur les sujets qui les tracassaient, leurs colères, leurs angoisses, leurs peines de cœurs, ou leurs tâches quotidiennes qu’ils n’avaient absolument pas envie d’effectuer.

C’était ce qu’Ehissian ne pouvait faire avec personne d’autre dans l’immeuble. Personne, ici, ne lui ressemblait plus que le démon. Kellnet avait une famille, Lyde une petite amie, Pavel n’était pas plus proche de lui que ça, les autres membres du groupe consacraient la moitié de leurs journées à leurs boutiques respectives, et même sa sœur, la fille qu’il aimait probablement le plus au monde, était justement une fille. Elle ne pourrait jamais comprendre ce qui se passait dans la petite tête étroite d’un garçon, tout comme lui ne parviendrait jamais à saisir toutes les subtilités du caractère de la gente féminine.

A l’inverse, tout comme lui, Scysios était seul, célibataire, partageait son attrait pour le côté XY du code génétique, travaillait souvent autant que lui, parfois un peu moins, et surtout, de par son statut de démon et même si on l’oubliait souvent, était un soldat.

Ce statut là, personne d’autre ne l’avait, à la Volière. Et ça comptait pourtant énormément aux yeux d’Ehissian.

Aucune autre personne ici ne comprenait ce que c’était, que de devoir partir à tout instant loin de chez soi, sacrifier sa vie pour son peuple, être soumis à des obligations et des règlements. Le démon n’était peut-être vraiment qu’un infirmier au sein de l’armée démone, ou peut-être autre chose de plus glorieux, ou au contraire de beaucoup moins, Ehissian savait malgré tout qu’il comprenait parfaitement ce qu’il ressentait. C’était pour ça qu’il se sentait aussi proche de lui, même si en fin de compte, ils ne se connaissaient pas plus que ça. C’était pour cette raison qu’il passait chez lui avant même d’aller se jeter dans les bras de Fallnir -encore que les médicaments à remettre entraient aussi en compte dans sa décision. Et c’est aussi pour ça que, la langue déliée par la fatigue et la saveur sucrée du chocolat, il lui raconta toutes les mésaventures qui lui étaient arrivées depuis son départ de la Volière.

Mine de rien, cela lui prit un bon quart d’heure. Il raconta tout, en détail, plus détaillé encore qu’un rapport de mission qu’il aurait fait à son prince. Il n’omit rien, ni ses observation sur l’évolution de la ville, ni son affrontement au retour, ni la rencontre avec Ethan et son jeune fils. D’ailleurs, il nota à ce moment là une étrange lueur de surprise, presque choquée, dans les yeux violets du démon. Mais ce dernier ne fit aucun commentaire, et le laissa continuer sans l’interrompre. Il se contentait d’hocher la tête, de sourire, ou de froncer les sourcils, auditeur discret et attentif. Exactement ce que recherchait Ehissian. Juste une présence, pour l’écouter d’abord, le conseiller ensuite, l’aider parfois, lui secouer les puces souvent.

A chaque coup de déprime, le médecin lui remontait les bretelles, et le moral. A chaque doute, chaque envie de prendre l’air, il était là pour le remettre sur les rails et le faire repartir pour un tour.

En y réfléchissant bien, le démon devait tout connaître des dernières années de sa vie. Alors que lui…

Lui, il ne connaissait rien du tout. Scysios venait, repartait, restait un petit moment, le consolait, s’en allait encore, revenait en pleine forme, rentrait dépité, ne sortait pas de sa chambre pendant des semaines ou passait des journées à jouer aux cartes dans la salle commune. Il lui arrivait bien de se mettre à parler, parfois, comme Ehissian le faisait. Mais c’était plus rare. Et le phénix, même s’il en mourrait parfois d’envie, ne lui en demandait pas plus. Chacun avait ses secrets…

Comme Fallnir, par exemple. C’était l’un des secrets du chevalier. Durant son récit, il hésita d’ailleurs à raconter cela au démon, lui demander des conseils sur la marche à suivre avec lui. Parce que le maudit saurait certainement quoi faire, lui. Et d’un autre côté, ça aurait été l’occasion pour lui de demander au médecin des précisions, quant à son aventure avec l’autre démon. Celui dont le nom commençait par un S… Shézac, s’il se rappelait bien. Depuis qu’il avait surpris l’altercation nocturne entre Scysios et Pavel, l’avant veille, il souhaitait savoir ce qui c’était passé entre les deux congénères, le soir de l’arrivée de Fallnir à la Volière.

Mais engager cette discussion là aurait laissé une trop belle occasion de rebondir, et il se ravisa au dernier moment, déviant aussitôt son monologue vers le sujet le plus éloigné possible des histoires de cœur.

Pourtant, il aurait aimé se confier. Mais il ne préférait pas prendre de risque. Personne ne savait encore pour lui et le dragon, et il voulait que cela continue ainsi.

Par mesure de sécurité, mais peut-être aussi, par crainte.

-… Et j’ai fini par réussir à rentrer… Voilà, tu connais toute l’histoire.

Le phénix poussa un soupir, et but la dernière gorgée de son chocolat.

-’Faudrait que tu ailles préparer le médicament du prince, non ?

Faisant rouler sa propre tasse vide entre ses doigts, Scysios ouvrit la bouche pour la première fois depuis le début du récit. Il souriait doucement, calmement, comme s’il était parfaitement détendu. Un peu comme quelqu’un qui venait d’être débarrassé d’un lourd fardeau. Cela avait un rapport avec la boite de médicament qu’il lui avait rapporté, en plus de ceux prévus pour le prince ? Le phénix n’eut pas le temps d’y réfléchir plus, que le démon prenait la parole.

-Oui… Mais il est quasiment rétabli, depuis hier. C’est seulement un remède pour éviter une rechute…Laisse moi deux minutes, on ira lui apporter ensemble, comme ça, tu n’auras pas besoin d’y retourner ensuite.

Le phénix hocha la tête. Le démon se leva alors, récupéra les deux récipients vides, et disparut derrière le plan de travail qui lui servait de cuisine. Une petite boîte en carton, apparemment vide, trônait sur un coin de ce même plan de travail. Elle ressemblait vaguement à celle qu’Ehissian avait rapporté de chez l’apothicaire, celle qui n’était pas destinée au prince, mais avant qu’Ehissian puisse la regarder en détail, elle disparut dans la poubelle.

A la place, Scysios posa une théière en plastique, remplie d’une espèce de liquide verdâtre. Il ouvrit le sachet que lui avait rapporté le chevalier, et en sortit un sac de poudre sombre. Soigneusement, il en versa trois cuillères dans la potion étrange, et remua le tout. Quelques autres ingrédients furent également ajoutés ensuite, sous l’œil intrigué d’Ehissian. Pour lui, c’était presque magique, de voir le démon jouer à l’apprenti chimiste. Pas aussi alléchant que d’observer Libellule préparer un gâteau, mais intéressant tout de même.

Soulevant un instant sa théière, le médecin en huma le contenu. A la grimace qu’il fit en la reposant, le chevalier su à la fois que c’était prêt, et que le prince Lékilam allait passer un très mauvais moment.

-C’est bon. En fait, il ne me manquait plus que cette poudre.

Scysios rangea dans ses placards encombrés tous les produits bizarres qu’il avait utilisés. Le phénix se leva, et attrapa la théière, pour renifler à son tour.

-Beurk.

Le démon éclata de rire. Il se lava les mains, et les essuyant ensuite avec un torchon, se retourna vers lui.

-Dit… Hier soir, j’ai rencontré le dragon, qui vient d’emménager… On a un peu discuté, et je l’ai invité à faire une partie de carte aujourd’hui. Ca te dirait de venir ? Ca nous ferait un joueur en plus.

Il y eut comme un éclair, à l’intérieur d’Ehissian.

Et ce dernier ne sut jamais par quel miracle il réussit à ne pas hurler sa réponse, ou s’évanouir tout simplement sur le sol. Un trop plein de joie et de surprise subite lui avait envahit le corps, manquant presque de lui faire perdre ses réflexes.

Une intervention divine s’était produite, un coup de pouce céleste, il n’en savait trop rien. Les chances pour qu’une coïncidence pareille se produise devaient être infimes. Et pourtant, c’était arrivé. Il pourrait revoir Fallnir en public, et très bientôt. Cela signifiait bien sûr qu’il ne pourrait pas se blottir dans ses bras et l’embrasser, mais…

Mais, reprenant bien vite ses esprits, il s’empressa d’accepter, camouflant comme il le pouvait son empressement et son trop plein immédiat de bonne humeur, lui qui était si épuisé et démoralisé quelques minutes auparavant. Avec un peu de chance, peut-être que Scysios mettrait ça sur le chocolat chaud qu’il venait d’ingurgiter. Et alors qu’Ehissian se précipitait dans le couloir, la théière et la mixture peu ragoûtante dans les mains, en prétextant qu’il ne fallait pas faire attendre le prince, il ne vit jamais le sourire étrange qu’eut le démon à sa réaction.

Un sourire à la fois amusé, et attendri. Poussant un soupir, le châtain lança son torchon sur le comptoir, et partit à la suite du phénix.

--

Les cartes remuaient à une vitesse impressionnante, entre les doigts du phénix. Avec des gestes habiles, précis, il mélangeait soigneusement le paquet, distribuant en même temps, comme s’il avait fait ça toute sa vie.

D’ailleurs, en y réfléchissant bien, il avait fait ça toute sa vie. Il avait appris quand il était encore apprenti, lors de certaines soirées d’exercices qui s’éternisaient un peu trop. Il s’était ensuite entraîné au cours des longues journées sans occupations, avec d’autres habitants de la Volière, puis avait confirmé son talent avec la création de la salle commune. Entre les pauses, ou même pendant le travail, avec Kellnet, quand ils n’avaient pas de clients à l’épicerie.

Depuis, Ehissian était devenu un expert aux jeux de cartes.

Quels que soit les jeux, les types de cartes, les règlements, il s’adaptait à tout, lorsqu’il ne connaissait pas déjà. Il ne trichait pas souvent, sauf lorsque cela s’avérait absolument nécessaire, pour son honneur ou celui d’un proche, et n’était d’ailleurs pas tellement doué pour cela. Néanmoins, le bluff était sa grande spécialité, un talent plutôt rare chez les phénix quand cela sortait du domaine commercial, ce qui lui valait parfois quelques grincements de dents de la part de ses adversaires.

Scysios fit un tas au fur et à mesure que les cartes tombaient devant lui, et se mit à scruter son jeu. Ehissian fit de même, tout en jetant un œil de temps à autre au démon pour tenter de lire dans son regard la moindre indication. Ce qu’il aimait bien, c’étaient les joueurs qui portaient des lunettes, noires de préférences. On pouvait parfois voir les cartes dans le reflet. Mais malheureusement pour lui, le démon ne laissa rien transparaître, et se contenta de lui sourire.

Le phénix haussa les épaules, et après un moment d’hésitation, posa sa première carte.

La visite chez le prince avait été brève. Pavel leur était littéralement sauté à la gorge lorsqu’ils étaient arrivés, autant parce qu’il devait encore avoir de la rancune envers le démon, que parce que lui-même avait eu du retard. Lékilam, quant à lui, s’était contenté de grimacer en voyant ce qu’il devrait à présent prendre toutes les deux heures, et de filer se préparer aussitôt après pour commencer tardivement sa journée de travail. Ils ne s’étaient donc pas attardés.

La salle commune était encore assez peuplée, l’heure du repas de la mi-journée étant à peine passée, si bien qu’un petit groupe de phénix jouait au baby foot, un autre au billard, et quelques autres enfin occupaient une table voisine, avec un jeu de société quelconque. On avait d’ailleurs signalé à Ehissian que Kellnet le cherchait. Ce à quoi il s’était empressé de répondre qu’il « n’était pas au courant, n’avait rien entendu, et n’était en fait toujours pas rentré de son voyage ».

Non, il n’avait pas envie d’aller travailler. Et d’ailleurs, s’il ne devait pas déjà les rejoindre pour jouer, il se serait empressé de fausser compagnie au démon pour aller joyeusement sauter dans les bras de son dragon préféré.

Galvanisé par cette pensée, il remporta la première manche.

--

Fallnir, lui, en était plutôt au stade dépressionnaire, celui où, démoralisé, on pensait que la meilleure chose qu’il nous restait à faire était de se jeter par la fenêtre la plus proche. Parce que lui, il n’était pas au courant que son phénix était revenu. Parce qu’il avait mangé tout seul des pattes trop cuites, et pas assez salée. Parce que, même s’il s’était endormi d’une traite, il avait trouvé ses draps froids au réveil, et avait ruminé toute la matinée contre cet imbécile d’Ader, et les crétins de vampire qu’il avait à sa botte. Et parce que, alors qu’il s’apprêtait à passer au moins un moment un peu moins pire que les autres, à jouer aux cartes avec sa nouvelle connaissance, Shézac lui était tombé dessus.

Comme ça. Pouf. Les ennuis avaient toujours le don de débarquer à l’improviste. Alors que ce ne serait pas difficile, de temps en temps, de faire un petit mot, un petit signe pour prévenir du moment au quel on tomberait sur les gens. Franchement.

Evidemment, se débarrasser du démon n’avait pas été possible. Aucun moyen de lui expliquer que non, il ne pouvait pas rester, que non, il ne pouvait pas non plus l’accompagner, et que non, il ne voulait pas sortir faire un tour avec lui. Et puis Shézac avait une arme de persuasion redoutable, et quasiment invincible. Son débit de parole.

Au bout d’un quart d’heure, Fallnir avait cédé à la torture, et accepté de lui révéler l’endroit où il se rendait.

Inutile de dire que le démon s’était empressé de s’inviter à venir jouer aux cartes. Le dragon, excédé, espérait seulement que Scysios ne lui en voudrait pas trop.

Toujours assailli par le flot incessant de parole du blond, il ouvrit la porte de la salle commune, et y pénétra pour la seconde fois de sa vie.

Contrairement à la première, il y avait beaucoup moins de monde. Seulement quelques personnes, qui gardèrent les yeux baissés à leur entrée, là aussi à la différence de la première fois. De toute manière, il ne les connaissait pas. Une autre différence était que les portes de l’armoire étaient grandes ouvertes, révélant une incroyable collection de verres, de jeux, de cartes et de paquet de chips. Il s’agissait apparemment de la réserve spéciale soirée télé des phénix, parfaitement adaptés à la vie moderne en communauté. Il remarqua aussi une autre dissemblance, par rapport à sa première visite, au niveau de l’organisation des fauteuils. Apparemment, il y avait eu récemment une réunion au sommet d’un grand groupe d’individus.

Mais il y avait, parmi toutes ses plus ou moins grandes différences, une chose qui n’avait absolument pas changée. Une chose qui lui sauta tout de suite aux yeux, à peine eut-il franchit le seuil de la porte.

La présence d’Ehissian.

Ce dernier était juste en face de lui, un jeu de carte en main. En entendant la porte s’ouvrir, il leva son regard, et croisa celui de Fallnir. L’un comme l’autre, ils en restèrent stupidement immobiles, muets, et incapables de réagir. La situation aurait pu s’éterniser, sans que l’un comme l’autre ne sache quoi faire. Comment se saluer, comment se comporter en présence des autres, comment faire le premier pas. On aurait bien fini par remarquer leur trouble, et cette absence de réaction dès le départ serait un indice trop révélateur. Le phénix ne voulait pas qu’on sache pour eux. Et son dragon ne voulait non seulement pas lui causer des problèmes, mais souhaitait aussi rester discret.

Ce furent leurs démons respectifs qui les tirèrent de l’embarra.

-Bonjour! Vous allez bien ? Ca vous embête si je me joins à vous ?

Comme d’habitude, Shézac, accompagné de son tact en sabot de bois et de son grand sourire, se débrouilla pour se retrouver en quelques secondes devant la table où jouaient les deux amis. Fallnir le rejoignit en soupirant, et s’installa entre Ehissian et Scysios, tentant de faire comme si de rien n’était. La preuve, il réussit à ne pas lui sauter au cou, lorsque son phénix lui fit un timide salut.

Ce n’était pas possible de se sentir aussi bête.

Discrètement, ils décalèrent leur chaises l’un vers l’autre.

Côté démon, l’ambiance était nettement moins détendue.

-Non non, allez y, installez vous, répondit Scysios d’un sourire glacial. Bonjour Fallnir. Tu mélanges les cartes, ‘Ssian ?

Le phénix acquiesça, et pendant que le blond prenait ses aises, Fallnir fit une rapide grimace d’excuse au médecin, lequel lui répondit par un sourire compréhensif. Et à nouveau, sous le regard peut-être trop gourmant de l’auburn, les doigts adroits d’Ehissian distribuèrent les cartes.

Il n’y eut nul besoin d’expliquer les règles, tout le monde se mit d’accord en quelques paroles. A peine quelques regards échangés, quelques mots de temps à autres, quelques excuses ou remerciement. Puis, le silence.

Bientôt, on n’entendit plus dans la pièce que les froissement des cartes, les cris des joueurs au fond de la salle, le bruit des balles contre les parois du billard, et le raclement des dès sur un plateau de jeu. L’un de ces silences qui survenait parfois dans une salle peuplée de plusieurs groupes, et qui s’installait longtemps, car personne n’osait dire un mot de peur d’être entendu par l’une des autres factions. Cela dura un long moment.

Peu à peu, certains s’en allèrent. Quelques bruits se turent, définitivement éteint par le grincement de la porte d’entrée, et le départ des joueurs. D’autres se créèrent parfois, des éclats de voix, des bribes de discussions, mais jamais du côté des joueurs de cartes. Une chape de plomb semblait posée autour de leur table. Un phénix ou deux, en quittant la salle, passèrent derrière eux et jetèrent un coup d’œil à la partie. Personne ne fit néanmoins de commentaire, et bientôt, ils furent seul dans la pièce.

Ils ne s’en rendirent pas compte tout de suite.

Ehissian fut le premier à réaliser l’absence de bruits aux alentours. Il releva à peine le regard, de peur de briser la concentration de ses partenaires, et observa la salle vide. Shézac tortillait pensivement une mèche de ses longs cheveux blonds, autour de ses doigts. Scysios, ses yeux violets rivés sur le tas de carte au centre de la table, réfléchissait à son prochain coup. Et Fallnir, enfin, tenait son jeu d’une main, l’autre étant posée sur son genou, sous la table.

Il n’hésita presque pas.

La pièce était déserte, il n’y avait qu’eux, les deux démons semblaient absorbés par leurs jeux, et surtout, il en mourait d’envie. Lentement, il tendit la main, pour attraper celle qui restait cachée, protégée, et la serrer dans la sienne.

Le dragon frissonna, imperceptiblement, mais camoufla son trouble en se redressant sur son dossier. En revanche, sous la table à l’abri des regards, il caressa doucement du pouce le dos de la main de son amant.

Ehissian était aux anges. C’était la manière du dragon, tendre et délicate, de lui dire qu’il ne lui en voulait pas, qu’il lui avait manqué, et qu’il voulait à tout prix se retrouver seul avec lui.

Les deux démons étaient leurs amis respectifs, mais apparemment, ni le phénix, ni le dragon, ne tenaient à ce qu’ils ne soient plus au courant de leur histoire qu’ils ne l’étaient déjà. Du moins, que l’un des deux ne l’était déjà.

Bref. Le chevalier ne voulait pas y penser. Pour le moment, il n’y avait que la main de Fallnir dans la sienne, leurs doigts entremêlés, et cette douce chaleur….

Shézac abattit brutalement son jeu sur la table, les faisant tout deux sursauter et se lâcher la main, craignant d’avoir été découvert. Une peur sourde se logea dans leur cœur, exactement au même moment, lorsque le démon les regarda tour à tour, l’un, puis l’autre, puis Scysios. Avant de sourire, mystérieusement.

- Bien, maintenant qu’on est tous les quatre, si on parlait des choses sérieuses ? annonça-t-il d’une voix guillerette, en souriant aux deux amants. Vos retrouvailles se sont bien passées ?

Fallnir et Ehissian se regardèrent du coin de l’œil, alors que leurs cœurs commençaient à battre la chamade. Surtout celui d’Ehissian, à vrai dire, qui ne savait absolument pas que Shézac était au courant.

- Ils n’ont pas besoin que tu te mêles de leur vie sexuelle, Shézac, tu sais ? Soupira Scysios en posant son jeu sur la table. De quoi veux-tu qu’on parle ? Ils sont grands, ils peuvent se débrouiller tout seul…

- Mais, Scy, c’est nous qui les avons mis dans cette galère, intervint Shézac avec une moue apitoyée. Si jamais ils étaient découverts, on aurait des problèmes aussi…

A suivre…

ooo

Je crois que les chapitres 11 et 12 sont presque ceux que j'aime le moins. Je les trouves bancals, maladroits... Encore plus bizarres que les autres chapitres. XD

Sur ce, je vous remercie d'avoir lu jusqu'ici. N'hésitez pas à me faire part de votre ressenti par rapport à ce chapitre, ce qui vous a plu ou déplu, n'importe quoi, juste pour que je puisse me faire une idée de ce que vous en avez pensé. :3

A bientôt ! :3

 
 
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