manyfics
     
 
Introduction Les news
Les règles Flux RSS
La Faq Concours
Résultats ManyChat
Plume & Crayon BetaLecture
Nous aider Les crédits
 
     

     
 
Par date
 
Par auteurs
 
Par catégories
Animés/Manga Comics
Crossover Dessins-Animés
Films Jeux
Livres Musiques
Originales Pèle-Mèle
Série ~ Concours ~
~Défis~ ~Manyfics~
 
Par genres
Action/Aventure Amitié
Angoisse Bisounours
Conte Drame
Erotique Fantaisie
Fantastique Général
Horreur Humour
Mystère Parodie
Poésie Romance
S-F Surnaturel
Suspense Tragédie
 
Au hasard
 
     

     
 
au 31 Mai 21 :
23295 comptes dont 1309 auteurs
pour 4075 fics écrites
contenant 15226 chapitres
qui ont générés 24443 reviews
 
     

     
 
Bec d'écaille, croc de plume
Par Jaiga
Originales  -  Romance/Fantaisie  -  fr
33 chapitres - Complète - Rating : T+ (16ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
    Chapitre 9     Les chapitres     64 Reviews     Illustration    
Partager sur : Facebook | Twitter | Reddit | Tumblr | Blogger
Excursion improvisée

Disclaimer : Tous les personnages/ lieux/ périodes sont issus de ma propre imagination. J’ai cependant utilisé certains personnages pour des forums Rpg, ne vous étonnez donc pas si vous les croisez un jour, au hasard du net. Le personnage d'Ethan appartient à Lia, qu'elle me prète gentiment. :3

Notes :

- Je m’excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d’orthographe qui m’ont échappée, j’avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur …

 ______________________________________________________________________

Chapitre 9 : Excursion improvisée

Sans un mot, Ehissian se faufila dans la pièce sombre, aussi furtif qu’une ombre. Sur la pointe des pieds, sa couette toujours sur ses épaules, il se rapprocha du lit, et observa un long moment la silhouette qui y était allongée, sans oser la rejoindre. Fallnir n’avait pas bougé, depuis son départ. Allongé dur le flanc, les draps remontés jusqu’aux épaules, son sommeil semblait si épais qu’il n’avait même pas remué d’un poil, chaque mèches étant toujours à la même place. Comment est-ce qu’Ehissian le savait ? Peut-être qu’il l’avait un peu trop observé, juste avant de partir. Assez pour se souvenir précisément de chaque détail de son corps.

Pourtant, si paisible et lourd qu’avait l’air d’être le sommeil du dragon, lorsque le phénix se glissa enfin à ses côtés, il sentit deux bras se nouer instinctivement autour de sa taille.

Il regrettait presque de ne pas pouvoir ronronner. Une fois, il avait entendu une rumeur, lors d’une interminable et très arrosée soirée à la salle commune, selon laquelle les chimères, les dragons, et peut-être même les démons en étaient capables, pour peu qu’on les titille au bon endroit.

Mais il n’avait jamais entendu Fallnir ronronner. Il faudrait qu’il essaie un jour, pour voir. Par pur souci scientifique. Etant donné qu’il n’avait pas de chimère ou de démon sous la main, il était forcément obligé d’expérimenter sur un dragon.

D’accord, il pouvait avoir un démon sous la main. Deux, même. Mais ce serait beaucoup plus amusant sur l’auburn. Et puis, il se voyait mal aller frapper chez les deux autres en leur demandant s’il pouvait les papouiller, pour savoir s’ils ronronnaient.

Le matelas était encore délicieusement chaud. Si les phénix ne craignaient pas la morsure du froid, ils n’étaient pas non plus insensibles à la douceur des rayons du soleil, ou toute autre source susceptible de leur apporter un peu de chaleur. Un habitant de la Volière avait déclaré, une fois, que cela confirmait bien l’expression « un petit nid douillet ».

On ne pouvait pas vraiment dire que le lit et les bras de Fallnir étaient un nid, mais une chose était sûre, douillet, ça, ils l’étaient.

En se tortillant, il éjecta royalement son bas de pyjama, bien trop gênant –et long- à son goût, avant d’accrocher l’une de ses jambes autour de celle du dragon. Bonheur et volupté… Et dire qu’il y avait quelques minutes à peine, il se tracassait la cervelle pour un problème d’ordre vital… C’était bien loin, à présent. D’ailleurs, il ne se souvenait même plus de ce que c’était, ce problème. Sans doute une broutille, comme toujours. Sa sœur lui avait souvent dit qu’il se prenait toujours la tête pour des choses sans importances.

Deux lèvres douces et chaudes se posèrent sur son front, et il en frissonna de plaisir. Apparemment, il s’était trompé. Le sommeil du dragon n’était pas si profond que ça. Quoique, ne disait-t-on pas qu’il ne fallait jamais titiller le dragon qui dormait ?

En fronçant le nez, il ouvrit les yeux, pour tomber sur le visage souriant de son lézard préféré. Ce dernier le fixait aussi, dans cet état propre aux personnes qui venaient de quitter en douceur une longue nuit réparatrice.

-‘Scuse moi, je t’ai réveillé, murmura Ehissian en se bouinant un peu plus contre lui.

L’auburn sourit, et referma les yeux.

-Non, je ne m’étais pas tout à fait rendormi.

Et Ehissian ne put s’empêcher de le trouver affreusement désirable, comme ça, à mi-chemin entre les bras attirants de Morphée et les siens. Le dragon était beau, tout de même. Peut-être un peu trop androgyne, quoique lui était très loin d’être un modèle de virilité, mais néanmoins beau, du moins à ses yeux.

Et il avait traversé tout un continent pour le retrouver, lui, un minable phénix tout frêle et couvert de cicatrices… Il ne comprenait pas vraiment pourquoi, ni ce qui avait bien pu l’attirer chez lui, ou ce qui l’avait poussé à faire ça aussi peu de temps après leur première et brève rencontre, mais une chose était sûre, il n’allait pas s’en plaindre, loin de là.

Le monde était merveilleux.

Et les étoiles l’étaient encore plus, songea la partie la moins embrumée de son cerveau, alors que le corps en sueur de l’auburn manquait de s’écrouler sur le sien. Sans prendre la peine de réfléchir plus, Ehissian noua ses bras autour de son cou, l’invitant à se laisser aller.

L’un comme l’autre complètement à bout de souffle, le rythme cardiaque chamboulé, les muscles vidés de toute énergie et les joues encore rouges de ce mélange de chaleur et de plaisir, leurs regards troublés se croisèrent, et leurs lèvres entrouvertes se joignirent de nouveau.

C’était peut-être une drogue, qui n’était pas reconnue officiellement comme telle. Un peu comme les tablettes de chocolat du démon médecin. Un besoin atroce, provoquant une addiction totale et incontrôlable, dont on devenait instantanément l’esclave. Impossible d’y échapper, impossible de s’en défaire ou d’essayer de résister. Il n’y avait pas de remède ou de cure connue, du moins pas encore, et de toute manière, ni le phénix, ni le dragon, n’avaient l’intention de le chercher. C’était trop bon…

Trop bon de sentir les mains de l’autre glisser sur sa peau, son souffle dans son cou, ses lèvres contres les siennes, son torse se soulever par saccade, les muscles se tendre et se détendre dans un joyeux désordre…

Leur éloignement n’avait duré que deux misérables jours, et pourtant, toute la torture et la frustration qu’ils avaient subie durant ce court laps de temps les dissuadaient de retenter l’expérience. C’était pour cela qu’en fait, Ehissian savait bien qu’il leur serait impossible de rester éloigné l’un de l’autre, ne serait-ce que jusqu’à ce que Pavel digère l’arrivée de deux étrangers dans l’immeuble.

D’un autre côté, Fallnir n’aurait certainement pas pu loger dans un autre endroit de la ville que la Volière. L’arrivée d’un dragon se serait sue rapidement, un jour ou l’autre, et aurait provoqué une panique générale. Qui pouvait savoir ce que préparait un sac à main géant, aussi proche d’un lieu d’habitation phénix ? Non, si dragon il devait y avoir, il valait mieux que ce soit ici, là où ses actions seraient le plus restreintes et capables d’être surveillées. Du moins, si Ehissian avait été à la place du prince ou de son garde du corps, ce serait probablement ainsi qu’il aurait vu les choses.

Quoique le phénix blond semblait plutôt penser que le plus simple fut qu’il n’y ait de dragon ni dans la ville, ni dans l’immeuble, ni même sur toute la planète.

Fallnir rompit le baiser, ses poumons réclamant en urgence un oxygène qui avait déjà assez de mal comme cela à passer. Haletant autant que lui, Ehissian glissa une main dans ses cheveux auburn, et ferma les yeux. Sa propre tignasse s’étala comme une tache d’encre bleue sur le drap, lorsqu’il laissa sa tête reposer en arrière. Doucement, son amant posa sa joue contre son torse, se servant de son phénix comme d’un oreiller vivant. Ainsi, il sentait la cage thoracique du chevalier se soulever et se rabaisser au rythme de son souffle, dans une cadence affreusement douce et apaisante.

Tellement apaisante, que sans le vouloir, il s’endormit ainsi.

--

La lame de Pavel jaillit, siffla, comme un serpent argenté qui s’animerait au bout de son bras. Un serpent délicat, ensorceleur, à la morsure dangereuse et mortelle. Sa danse émerveillait, endormait, envoûtait ses adversaires, comme un poison délicieux mais paralysant, à double tranchant.

En guise de croc, il n’y avait qu’une pointe et un fil sans aucunes imperfections, parfaitement taillés, sans la moindre brèche ou fêlure. L’acier étincelait comme des écailles, renvoyant le soleil à la manière d’un miroir, dans lequel se reflétait aussi, par intermittence, le visage du charmeur de serpent.

Pavel était un guerrier redoutable, ce n’était plus à démontrer. Les rares personnes qui doutaient de sa légitimité en tant que garde du corps du prince, à l’époque où les épéistes étaient encore monnaie courante à la Volière, avaient connu un plus ou moins long passage chez le médecin, à la suite de leurs duels.

En même temps, la reine n’aurait pas confié la surveillance de son fils unique au premier chevalier venu…

Quoique Pavel n’était plus Chevalier ardent. Il l’avait été, autrefois. Il était même monté jusqu’au grade de capitaine, et avait inscris son nom dans la légende en combattant au côté de son roi, au cours de nombreuse batailles. Mais un jour, sans raison apparente, il avait donné sa démission.

Beaucoup s’en étaient inquiétés, et l’avaient supplié, ne serait ce que pour son avenir, de reprendre son poste. Mais il était resté intraitable, et s’était peu à peu mis en retrait de la communauté phénix. Jusqu’à ce que la reine lui fasse une proposition.

Lui confier la protection de son fils, de leur fils, l’unique enfant du couple royal.

Pavel lui même ne savait pas qu’elle était la force mystérieuse qui l’avait poussé à accepter sur le champ, sans même prendre le temps de réfléchir aux conséquences.

La lame s’abaissa un instant, et Pavel s’immobilisa, son regard doré fixé sur la porte d’entrée de la salle. D’un autre regard, il s’informa de l’heure, et disparut précipitamment, comme une ombre.

A moitié dans le cirage, Ehissian poussa la vieille porte de la salle d’entraînement.

C’était une pièce située juste au dessus des boutiques, au premier étage officiellement condamné, dont elle occupait d’ailleurs une grande partie.

Elle faisait autrefois le double de sa superficie, quand le nombre de chevaliers, d’apprentis et de soldats était nettement plus important que l’actuel, et n’était d’ailleurs autrefois réservée qu’aux jours de mauvais temps, ceux où on ne pouvait pas s’entraîner dehors, aux pieds de la tour.

Aujourd’hui, travailler son escrime en plein milieu du trottoir, ce n’était plus vraiment autorisé.

Grimée à l’époque en salle de sport à l’humaine, la tapisserie ne tenait aujourd’hui plus très bien sur les murs, et les tapis en mousse destinés à amortir les chocs s’effritaient, quand ils n’étaient pas tout simplement devenus aussi efficaces que le sol en pierre. Néanmoins, Ehissian fréquentait cette salle depuis tellement d’année qu’aujourd’hui, il s’y était attaché.

Etant le seul Chevalier ardent de la Volière, il n’avait pas de séances d’exercices quotidiennes et obligatoires, comme l’avaient bon nombre de soldats, et comme il l’avait lui même fait durant son enfance. Cependant, Pavel, dans on immense mansuétude, veillait à ce qu’il la fréquente régulièrement, dans le simple et bienveillant but de ne pas le laisser s’encroûter.

C’était ainsi que depuis des années, le phénix se présentait dans la salle de gym plusieurs fois par semaine, une heure avant la pause déjeuné que lui autorisait Kellnet, pour s’entraîner avec le garde du corps.

Garde du corps qui choisit ce moment pour réapparaître, fondant sur lui à toute vitesse, l’arme à la main.

La réaction d’Ehissian ne se fit pas attendre. Un premier réflexe lui dicta de lever sa lame, en position de défense, et de se préparer au choc. Qui vint. Un second réflexe lui insuffla l’idée de sauter en vitesse, salto arrière ou a pieds joint, n’importe, du moment que la pointe en acier passait à une longueur respectable de son abdomen déjà assez abîmé comme ça. Trois ou quatre millimètres, c’était plus qu’acceptable. Un troisième sursaut de lucidité lui ordonna alors de profiter de son saut, si c’était possible, pour pivoter sur lui même et rendre le coup, bien qu’il y n’ait qu’une chance sur plusieurs millions qu’il atteigne le corps de son adversaire.

Pavel était incroyablement fort, rapide, et intelligent. Là ou certains frappaient sans réfléchir, et se contentaient de parer les coups qu’on leur portaient, le blond, comme un joueur d’échec, n’attaquait jamais au hasard. Il étudiait en quelques dixièmes de secondes les techniques, la capacité physique, les particularités du combattant adverse ; la mobilité qu’offrait le terrain, la portée de leurs armes, leurs vitesses ; il était capable de prévoir une passe une bonne dizaine de coup avant qu’elle n’arrive, de savoir comment allait réagir telle ou telle personne, d’adapter son style de combat en conséquence.

Ehissian le trouvait effrayant.

Même autrefois, lorsque de véritables et respectés Chevaliers ardents vivaient à la Volière, le garde du corps avait toujours été le plus fort et le plus doué de tous. Il n’avait jamais trouvé d’adversaire à sa hauteur, ou capable de lui tenir tête plusieurs heures d’affilées. Certains disaient parfois qu’aucun phénix ne pouvait être plus puissant que lui. Pavel avait trop d’expérience, trop d’années de combat pour qu’on puisse rattraper le niveau de maîtrise qu’il avait acquis. D’ailleurs, l’arrivée d’un démon avait donné des espoirs à certains. Après tout, la totalité des démons étaient des soldats, entièrement dévoués au service de leurs quatre généraux, et de leur reine. Mais Scysios avait rapidement informé les intéressé que faire partie de l’armée ne signifiait pas forcément se battre. Les médecins étaient aussi considérés comme des militaires, bien que les seules armes qu’ils tiennent en main fussent leurs scalpels, ou leurs décoctions aux goûts divers et redoutables.

Juste pour essayer, le phénix se promit de demander à Shézac si lui savait se battre. Ce serait peut-être une occasion de gagner quelques jours de répits.

Une de ses vertèbres dut probablement craquer lorsqu’il se pencha en arrière, afin d’éviter un coup de taille. Profitant de son élan, il glissa au sol, et tenta un croche-patte certes fort peu loyal, mais tout à fait conventionnel dans une pareille situation. Et puis de toute manière, ce n’était pas comme si Pavel n’allait pas prévoir l’action et s’étaler de tout son long. La seule fois où il avait réussi à le mettre à terre, c’était à cause d’un coup de chance et parce que le garde du corps n’avait pas dormi depuis plusieurs jours.

Quand il était petit, Ehissian adorait les entraînements. Ils consistaient d’ailleurs plus à l’époque en des sortes de jeux, destinés à assouplir et remplumer les petits phénix récemment éclos. Parfois, les instructeurs insouciants –ou inconscients, la différence ne tenait qu’à peu de chose- les laissaient jouer aux soldats. C’était ce qu’il préférait par dessus tout, bien que sa mère piquait toujours une crise le soir en le voyant revenir couvert de bleus et d’écorchures. Mais il en était alors tellement fier, de ses blessures… Ca lui faisait ressembler à son père. Père dont il ne ratait presque aucun des entraînements, quitte à arriver en retard aux siens. C’était autre chose, de voir ces hommes trois fois plus haut que lui, vêtus d’armures de cuir ou de métal, se battre le uns contre les autres avec de vraies armes en acier, et non de simples bouts de bois… C’était peut-être ça, qui l’avait le plus poussé à devenir chevalier.

C’était fou de voir à quel point une cicatrice pouvait perdre sa signification, quand on grandissait.

A présent, il n’avait plus de père à qui ressembler, ni même de véritable chevalier qui aurait pu lui servir de modèle. Personne avec qui comparer, raconter ses mésaventures et apprendre celles des autres, faire le rapport complet de sa journée avec plus de fierté et de joie qu’un oiseau qui venait d’apprendre à voler.

Forcément, les blessures en perdaient un peu de leur attrait.

La lame passa si près de son oreille qu’il faillit bien en perdre un bout, s’il n’avait pas eu le réflexe de lever sa propre arme au dernier moment. Question modèle ou personne à imiter, Pavel ne comptait pas. Il était beaucoup trop… trop, pour servir d’exemple. Il était plutôt le héros de légende, l’invincible, celui qui faisait rêver les jeunes enfants mais grincer des dents leurs parents.

Le sifflement, puis le fracas et le tintement du métal, et enfin le bruit d’une lourde chute.

Fort. Voilà le mot qu’il cherchait.

Pavel était beaucoup trop fort. Suffisamment en tout cas pour le faire tomber d’une simple pression de lame.

Ayant à peine le temps de recouvrer ses esprits, Ehissian fit une roulade, une seconde, dans l’autre sens, et saisit enfin un moment d’ouverture qui lui permit de bondir souplement sur ses deux pieds, sans risquer de finir embroché, ou avec un joli trou en travers de l’estomac. Ca aérerait son organisme, c’était certain. Mais il doutait que ce soit très confortable, ni que Fallnir apprécie cette cicatrice là.

Est-ce que Fallnir savait ce battre ?

L’idée lui traversa soudain l’esprit, au sens figuré. Ce qui fit qu’un autre éclair faillit bien lui traverser la cervelle, mais au sens propre cette fois. Il n’avait jamais pensé à lui poser la question.

Mais en y réfléchissant bien, les dragons aussi étaient un peuple de guerriers…

Des mercenaires, de ce qu’il se rappelait. La grande majorité du peuple demeurait recluse dans les grandes steppes et les montages du continent est, en communauté qui ne vivaient que de l’argent que leur rapportait leurs travaux. Nulle trace d’agriculteurs ou de savants solitaires, ils ne se déplaçaient jamais qu’en groupes d’au moins deux individus.

Quoique Fallnir était seul.

L’évidence le frappa de nouveau d’un bloc, si bien qu’il en resta quelques secondes sans réaction.

Et le plat de la lame du blond lui fit brutalement perde connaissance.

--

-Ehissian ! Ehissian ! ! !

Il ouvrit lentement les yeux, clignant plusieurs fois des paupières, avec une telle difficulté qu’il faillit bien renoncer. La lumière du jour lui brûla les yeux, et réveilla aussitôt une vive douleur sur l’arrière de son crâne. Il y porta subitement sa main, et gémit lorsqu’il sentit l’énorme bosse qui commençait à apparaître.

Encore dans le cirage post évanouissement, il lui fallut quelques secondes pour percer le voile de douleur qui lui obscurcissait les sens.

La première vraie chose qu’il remarqua fut donc la présence lumineuse de Libellule, sa longue tresse pendant de son épaule, penchée au dessus de lui.

-Tu te sens comment ?

Une main fine et fraîche se posa sur son front, et le fit frissonner. Faiblement, il tenta un sourire et la repoussa. Il essaya aussi de parler, mais sa voix était étrangement faible.

-Ca va… Comme quelqu’un qui vient de se faire assommer pendant un entraînement…

Un reniflement dédaigneux résonna non loin d’eux, et Ehissian reconnu la délicatesse et la compassion naturelle de son adversaire préféré. Il était d’ailleurs étonnant qu’il n’ait pas encore fait de commentaire sur le manque d’inattention qui lui avait valut cette charmante bosse et son moment d’absence.

Etrange. D’habitude, il ne ratait pas une occasion de lui rappeler à quel point leur différence de niveau était grande, et qu’il était indigne de porter le titre de chevalier, que le prince était fou de le garder à ses côtés, que c’était encore plus stupide de le laisser s’occuper seul de quasiment toutes leurs missions personnelles, que…

-Bien sûr… Combien tu vois de doigts ?

Plissant les yeux, le phénix essaya tant bien que mal d’apercevoir les doigts blancs de la nymphe. Mais ceux-ci remuaient sans arrêt, et s’amusaient même à se dédoubler, ou à jouer à cache-cache les uns derrière les autres.

-…. Six ?

Il l’entendit soupirer.

-Mauvaise réponse. Pavel, il est hors de question qu’on le laisse y aller seul.

Ben tiens. Ca l’étonnait, aussi, qu’on le ménage autant. C’était facile de le traiter d’incapable, quand on n’avait rien à lui faire faire… Mais évidemment, dès qu’il y avait du boulot, il devenait subitement le plus merveilleux et fort Chevalier ardent que la terre ait jamais porté…

S’il l’avait pu, il aurait soupiré, lui aussi. Mais le simple fait d’envisager d’essayer de se redresser lui semblait déjà une épreuve insurmontable.

-Eh bien t’as qu’à l’accompagner, si t’en as envie, mais il faut absolument qu’on ait ce médicament avant demain soir.

Malgré l’espèce de verre grossissant qu’on lui avait mis sur les yeux, le phénix, allongé au sol, vit très clairement Libellule froncer les sourcils, et très probablement murmurer une insulte particulièrement salée au garde du corps. Elle n’en avait pas l’air, comme ça, toute souriante et gentille, mais la nymphe pouvait parfois être extrêmement vulgaire. A l’inverse de sa jumelle Elécy, qui elle, imposait toujours une limite à son franc parler.

-Ehissian ? Tu te sens capable d’aller jusqu’à l’apothicaire ? La maladie du prince ne passe pas, Scysios dit qu’il lui faudrait quelque chose de plus fort, mais il n’a pas ce qu’il faut sous la main. S’il te plait, rajouta-t-elle en lançant un regard noir dans une direction, qu’il déduisit être celle de Pavel.

Il fallut un certain temps au phénix pour répondre. Déjà, il dut retravailler dans sa tête toute la tirade de Libellule, pour traduire le maximum d’information qu’était capable de comprendre son esprit douloureux.

Ensuite, ses neurones tentèrent de se réunir en masse, afin de se décider sur la réponse à donner. Autant dire que ce n’était pas évident.

Il mourait, pour ne pas dire crevait d’envie de courir rejoindre Fallnir, de le plaquer sur le matelas –ou plutôt de se faire plaquer, parce que mine de rien, le dragon était plus fort que lui, et puis il avait encore mal à la tête, et bref-, pour y rester pendant aux moins deux jours.

Mais son prince avait besoin de lui. La cuvette des toilettes n’était pas de très bonne compagnie, il le savait d’expérience. Il ne pouvait donc pas le laisser comme ça.

- … Je crois que oui…

Il faisait étrangement sombre, dans la chambre de Fallnir. Le silence était lourd, pesant, envahissant. Seul le tic-tac régulier de son réveil brisait le lourd manteau du silence. Allongé sur son lit aux draps défaits, les yeux rivés au plafond, les bras croisé derrière sa tête, il réfléchissait. Le seul mouvement de son corps était celui de ses paupières, qui se refermaient à peine l’espace de quelques secondes, avec plusieurs minutes d’espacement.

Ehissian était parti à l’aube, avant même que ne raisonne la sonnerie assourdissante du réveil de son téléphone portable. Alors à peine émergeant des brumes du sommeil, le dragon l’avait entendu lui dire, entre deux baisers, qu’il devait aller travailler, mais qu’il reviendrait aux alentours du déjeuner, soit dans une petite poignée d’heure. Confiant, et surtout beaucoup trop épuisé pour émettre une objection, Fallnir l’avait laissé partir sans rien dire ou faire, à part peut-être lui sourire, et lui murmurer un au revoir au creux de l’oreille.

Le début de l’après midi était déjà bien entamé, et Ehissian n’était toujours pas revenu.

Depuis, l’auburn était à l’affût du moindre bruit, du moindre signe qui aurait put indiquer le retour du phénix. A chaque tintement de clef, grincement de porte, murmure de voix, il sursautait presque, et le cœur battant, se redressait sur sa couche pour veiller la poignée de la porte d’entrée.

En vain.

Au début, il avait seulement été un peu inquiet, et vexé aussi, il était forcé de l’avouer. Il avait pensé que le phénix aurait tout simplement trouvé autre chose à faire, et n’aurait pas vu l’heure passer. Après tout, ce n’était pas comme s’il avait une obligation ou des engagements envers lui…

Mais le temps avait passé, et ce qu’il ne pensait être qu’un simple retard avait apparemment pris une autre orientation. Alors l’inquiétude avait mué en angoisse, qu’il soit arrivé quelque chose à Ehissian, ou que ce dernier n’ait en fait jamais eu l’intention de revenir, et ne soit volontairement pas passé le revoir, comme il lui avait pourtant promis…

Le dragon s’était alors repris en se disant que ce ne serait vraiment pas le style du jeune homme. Ce dernier était beaucoup trop gentil pour son propre bien, et le faux air insolent qu’il lui avait trouvé la toute première fois, lors de leur premier regard, n’était réellement qu’une façade pour tenter de se donner une allure un peu plus impressionnante. Du moins, la plupart du temps.

Alors ne restait que l’hypothèse qu’il lui soit arrivé quelque chose.

Et ce n’était pas rassurant.

Un peu plus tard, il avait été pris de l’envie de partir à sa recherche. Se lever tout de suite, ouvrir la porte à la volée, et parcourir tous les étages de l’immeuble en quatrième vitesse, en remuant chaque pot de fleur, chaque caillou, pour voir s’il n’était pas derrière.

Ca lui avait paru stupide un dixième de seconde plus tard. Demander aux gens s’ils l’avaient vu ? Et leur dire quoi, dans ce cas là ? Demander à qui ? Il ignorait quelles relations pouvaient avoir les phénix entre eux, et ne voulait pas créer d’embrouille à Ehissian. Cela voulait donc dire rester discret, et ne pas trop attirer l’attention sur lui, tant qu’il n’était pas au courant de tout ce qui se tramait dans cette tour. Sans doute une déformation professionnelle.

Voilà donc là où il en était, à ce moment là. Perdu, sans savoir quoi faire. Peut-être aller ouvrir à la personne qui était en train de frapper à la porte. Cela serait sans doute une bonne idée.

Comme un ressort, il sauta au pied de son lit et se rua sur le pauvre battant de bois, qui se retrouva déverrouillé et quasiment arraché de ses gonds sans plus de cérémonie.

-Ehi…

Mais ce n’était pas Ehissian. A moins que ce dernier ait soudainement pris une quinzaine de centimètres, se soit teint en blond, et se soit fait posé des rajouts capillaires.

Shézac lui fit un grand sourire plein de dent.

-Fallnirouneeeeeeet ! !

Le dragon lui claqua la porte au nez.

Il s’appuya dessus, une veine pulsant dangereusement sur son front, et poussa un profond soupir. Et dire que l’espace d’u instant, il avait cru dur comme fer au retour du phénix… L’amertume avait un goût étrange, tout de même.

--

Ehissian se traita d’imbécile pour la quarante-septième fois de la journée. Quelle idée saugrenue, hallucinante, folle, complètement suicidaire, lui était venue à l’esprit lorsqu’il avait accepté ? Il éprouvait une fidélité sans borne envers son souverain. D’accord. C’était son devoir. D’accord aussi. Il était nourri, logé et blanchi pour ça. C’était discutable, la nourriture, il devait parfois la payer. Son prince avait besoin de son aide. Ok. Libellule avait insisté. Moui. Pavel lui avait lancé un regard.

… La voilà, la vraie raison.

Pavel était un combattant hors du commun, ayant un charisme épouvantable, un corps de rêve, une langue acérée et un crochet du droit redoutable. Sa frustration n’avait jamais réussi à lui résister.

S’il se pointait plusieurs fois par semaine à la salle de sport pour se prendre des coups et, le terme n’était pas exagéré, se rendre ridicule, ce n’était pas seulement pour faire de l’exercice, ou parce que d’une manière ou d’une autre, il y était obligé.

C’était parce que c’était Pavel, qui le lui avait demandé, quelques années auparavant.

A l’époque, Ehissian sortait à peine de la très longue, surtout pour les phénix, période de l’adolescence. Récemment promu chevalier, il était jeune, insouciant, et surtout bourré d’hormones. Seulement son problème, c’était que les jeunes tourterelles, ce n’était pas vraiment son truc.

Il l’avait d’ailleurs compris en observant Pavel, ou plutôt en se surprenant à l’observer. A la sortie des entraînements, lorsqu’il se changeait. Assis aux côtés du prince, dans une attitude agressive et pourtant ô combien attirante. Chaque fois qu’il le croisait dans les couloirs, que ses yeux se posaient sur sa silhouette, ses épaules musclées, son petit…

Bref. Un premier amour de jeunesse, en quelque sorte. Celui qui lui avait ouvert les yeux, et qui l’avait fait passer trois jours entiers à se morfondre sous sa couette, et se traiter de tous les noms. Parce que quand on était orphelin, il n’y avait plus beaucoup de monde pour vous expliquer le principe des abeilles et des petites fleurs. Alors lorsqu’on se trouvait être une abeille fortement intéressée par une autre abeille, forcément, on trouvait cela étrange.

Depuis, ses sentiments avaient changé. Il n’était plus amoureux du garde du corps, grand bien lui en fasse. Mais il subsistait, au fond de lui, comme une envie de devenir important à ses yeux, et de tout faire pour le rendre heureux. C’était sans doute pour ça, qu’il acceptait aussi facilement et sans réfléchir les ordres qu’on lui donnait. Et c’était sans doute pour ça aussi qu’il craignait autant sa réaction s’il apprenait quel genre de relation il entretenait avec un dragon.

Ehissian remonta le col de son blouson, remonta la lanière de son sac à dos sur son épaule, et enfouit ensuite ses mains dans ses poches. Il n’avait pas particulièrement froid, mais la morsure du vent était redoutable, dans cette région. Presque une légende nationale. D’ailleurs, de grandes éoliennes étaient installées au quatre coins de la ville, et parfois même en plein milieu, afin d’en tirer le maximum de profit.

Il n’était plus dans la région où se situait la Volière, ni même dans le même pays. L’apothicaire chez qui il devait se rendre était particulier, et habitait à des centaines de kilomètres de chez eux. Sans son moyen de locomotion particulier, il lui aurait peut-être fallu des jours pour l’atteindre, même en train. Train qui, d’ailleurs, passa à une vitesse hallucinante sur les rails à côté de la rue, provoquant un vacarme étourdissant, seulement à moitié étouffé par l’épais mur de béton qui séparait la voie ferré du reste de la cité.

Ehissian n’aimait pas cette ville.

Lorsqu’ils avaient choisi de s’installer ici, les phénix n’avaient pas pris la décision au hasard. Ils avaient, tout d’abord, vérifié qu’aucune peuplade particulière, autre que les humains ou espèces s’en approchant, n’occupait déjà les lieux. De ce côté-là, il y avait déjà sur cette planète une sorte de race, proche des mortels ; mais à l’époque, on les avait - à tort- sous-estimés.

Ensuite, les phénix s’étaient assurés de la crédulité des autochtones, s’étaient arrangés pour les dissuader de partir un jour à la conquête des airs, et n’avaient entamé la construction de la tour qu’une fois tout ces critères réunis. Aujourd’hui, les humains créaient des trains qui roulaient à des vitesses effarantes et parcouraient un continent en quelques heures, mais n’avaient jamais tenté de construire la moindre petite montgolfière. Cela avait ses avantages, comme ses inconvénients. Mais le principal était qu’en cas d’extrême urgence, les phénix pourraient toujours s’enfuir sans danger par la voie des airs.

Après leur installation, ces derniers avaient ensuite veillé à ce que le hameau près duquel ils s’étaient implantés gagne rapidement en influence. Tout en restant, justement, sous leur influence. Le hameau était ainsi devenu village, puis ville, puis mégapole. Une cité d’un autre genre, ou même le quartier des affaires avait ses épiceries et ses commerces de proximité, ainsi que ses immeubles de résidences. Une cité où la pollution était réduite, le crime –diurne- plus faible que les autres, les progrès plus importants. C’était la tâche de Lékilam, que de veiller au bon fonctionnement de la ville. Une sorte d’entraînement à son futur règne, qui serait à une toute autre échelle. Il ne se débrouillait pas trop mal.

Ehissian s’en rendait compte à chaque fois qu’il venait ici.

Si la ville où vivaient les phénix était « propre » et en bonne état, celle-ci en était le parfais contraire. Comme une forêt de mauvaise herbe qui aurait poussé trop vite, les champignons de béton et de verre se superposaient, se piétinaient les uns les autres, de plus en plus rongés par les bas fonds aux ruelles étroites et aux immeubles délabrés. Un centré économique, politique, certes. Mais certainement pas social. Les businessmen en costumes n’étaient qu’à quelques rues des jeunes désabusés et des filles paumées. Le ciel était toujours gris, les grandes avenues sales, les façades recouverts de graffitis. Le train découpait la ville en morceau, séparé des rues par ses épais murs de bétons gris, qui faisaient d’ailleurs douter de leur efficacité. Les éoliennes étaient seulement là pour donner l’illusion d’une certaine amélioration. Mais Ehissian se rendait bien compte, en se rendant chez l’apothicaire, que ce n’était que de la poudre aux yeux. Les bas-fonds s’approchaient plus de la réalité.

Bidon ville créé en plein milieu de la ville, le quartier était peut-être le plus pauvre de la cité. Forêt de linge entres les maisons de tôles construites à même la rue et les immeubles délabrés, tout à l’égout inexistant, ramassage des poubelles et rondes des services de sécurités aux abonnés absents, seringues dans tous les coins de caniveaux, ivrognes et filles de joie sous chaque panneau de signalisation, musiques étranges montées au maximum qui s’échappaient des fenêtres d’un bâtiment désaffecté, coin de ruelle recouvert de matière louche, odeurs peu engageantes, escrocs, receleur de drogue, proxénète, voyou en tout genre.

Bienvenue au paradis.

Il ignorait ce qui était passé par la tête du vieil homme le jour où il s’était installé ici. Peut-être un excès de bonté, qui l’avait poussé à ouvrir boutique au plus proche de la clientèle qui aurait le plus besoin de ses services. Le bitume attaquait une pente douce, tout en bas de laquelle il apercevait, à travers les cordes à linges et les objets abandonnés, l’enseigne décrépie de l’apothicaire.

Prenant une inspiration, il pressa le pas. Voilà déjà une bonne demi-heure qu’il marchait, il avait hâte de quitter l’endroit. Au plus vite. Avant que la bande de jeune, assise sur le perron d’une bâtisse prête à s’écrouler, ne le remarque, par exemple. Ce serait une judicieuse idée. Ehissian saurait se défendre, bien entendu. Mais il avait eu sa dose de bagarre pour la journée. D’autant plus que, là haut, le ciel devenait de plus en plus gris. Et son moyen de locomotion miracle était en panne, en cas d’orage.

La porte vitrée émit un son de clochette, lorsqu’il la poussa. Aussitôt, son odorat fut assailli par les odeurs de plantes et d’onguents aromatiques, qui embaumaient fortement la pièce exiguë. Des fleurs séchées et des pans de tissus colorés pendaient du plafond comme un labyrinthe qui régalait à la fois la vue et l’odorat. Des étagères encombrées de bric-à-brac, bougies, pots en terre, fioles en verres, alambics, babioles étranges et vieux grimoires trônaient le long des murs décrépis. Une caisse enregistreuse rouillée, qui avait certainement connu des temps meilleurs, et très probablement l’époque ou cette ville n’était qu’un village, parvenait à se faire une place sur le comptoir surchargé. Ehissian fronça le nez. Cet endroit n’avait pas changé, et les effluves de plantes étaient toujours aussi forts et incommodants. Pas nauséabonds, mais si prononcés qu’ils montaient au nez et piquaient les yeux.

De l’arrière boutique, repoussant un rideau de petites perles de bois qui tintèrent à son passage, un vieil homme apparut. Son visage fin était parcouru de ride et de sillons. De petite corpulence, son teint était pâle, presque crayeux, et ses yeux bleus comme le ciel lui donnait un regard étrange, perçant. Une courte barbe blanche, soigneusement taillée, couvrait le bas de son visage, et ses oreilles, longues et effilées, se terminaient par une pointe délicate.

Lorsque les phénix s’étaient installés, quelques siècles auparavant, ils avaient certes négligé les deux principaux peuples d’autochtones avec lesquels il allaient cohabiter, mais avaient à la place soigneusement surveillé l’installation de tout autre membre d’un monde ou d’une origine différente de la leur. Il y avait eu un temps où des soldats particuliers étaient dépêchés aux quatre coins du monde, dans le but de surveiller discrètement les allées et venues de chaque étranger, quel qu’il soit. Une sorte de mesure de précaution, pour montrer à tous que cette terre était à présent sous l’autorité des phénix d’Isallyis. Cette époque était aujourd’hui révolue, faute de moyen. Trop d’étrangers, pas assez de personnes pour les suivre, et surtout, manque flagrant d’utilité de la manœuvre. Mais il restait toujours des traces, des archives, des dossiers, soigneusement conservés par le prince et ses conseillers.

Ainsi, lorsque l’elfe s’était installé dans cette ville, il y a bien longtemps, quelqu’un avait été dépêché sur place pour l’observer. C’était comme ceci qu’ils avaient appris l’existence de ce guérisseur à qui rien ne résistait.

D’après ce qu’il en savait, l’apothicaire avait fuit son monde d’origine pour une raison politique. Conflit intérieur, situation qui devenait trop dangereuse, Ehissian connaissait, c’était l’une de la principale cause d’immigration sur bon nombre de mondes. Mais en fin de compte, le passé de cet homme n’était qu’un détail. Seules ces capacités actuelles préoccupaient en ce moment le phénix.

-Je peux vous aider ?

La voix de l’elfe était grave, malgré son âge. Ses yeux perçants se posèrent sur le chevalier, qui se sentit frissonner de la tête au pied. Sortant vivement les mains de ses poches, il s’inclina légèrement, à la manière de son propre peuple. Il ignorait toujours comment les elfes du monde de l’apothicaire pouvaient bien se saluer. Les peuples avaient beau porter souvent les mêmes noms d’un monde à l’autre, ils n’en étaient pas moins tous extrêmement différents, que ce soit sur le plan physiologique ou au niveau des mœurs.

- Je suis envoyé par le prince Lékilam. De la Volière. J’ai ceci pour vous…

Il sortit une lettre soigneusement cachetée de la poche de son blouson. C’était Scysios qui l’avait écrite. Personne d’autre que lui n’aurait été capable de retenir le nom de la chose extrêmement bizarre dont il avait besoin. L’elfe la prit, et la parcourut rapidement des yeux. Quand il eut fini, il plissa les paupières, et, croisant ses mains noueuses derrières son dos, se mit à sourire malicieusement.

- Ah oui… Le jeune prince… Sa maladie ne le laissera donc jamais en paix… Bien, je pense avoir ce qu’il lui faut. Comme d’habitude… Il a vraiment une santé fragile…

Ehissian ne l’écoutait déjà plus. Lorsqu’il commençait, le pharmacien pouvait monologuer pendant des heures, à radoter inlassablement les mêmes observations ennuyeuses. Parfois, le phénix se demandait si ce n’était pas à cause de l’âge avancé de l’individu, car après tout, les membres de son peuple d’elfe n’étaient visiblement pas des immortels, et étaient soumis aux règles de la nature. Pour les phénix, ce n’était pas une chose commune, que de voir une personne d’un certain âge devenir gâteuse.

Poussant un soupir, il examina les étals colorés, alors que le vieil homme disparaissait derrière son rideau de perle pour fureter dans ses remèdes. De nombreux objets étranges possédaient une utilité obscure qu’il ne parvenait pas à identifier. Aussi, chaque fois qu’il venait, comme par jeu, il s’amusait à deviner à quoi ils pouvaient bien servir.

La clochette de la porte tinta de nouveau, le tirant de ses observations. Un carton apparut dans l’embrasure de la porte.

Rectification, ce n’était pas un carton, mais un homme. Qui tenait à bout de bras une boite presque aussi volumineuse que lui. L’espace d’un instant, Ehissian fut tenté d’aller l’aider. Mais sitôt après être entré et avoir refermé le panneau de la porte, le nouveau venu déposa son fardeau au sol, et poussa un profond soupir de soulagement.

C’était donc un homme. Pas un elfe, mais pas un humain non plus, il n’aurait trop su dire de quelle origine il était. Mais une chose était sûre, s’il l’avait déjà croisé quelque part, il ne l’aurait certainement pas oublié. Pas avec d’aussi beaux yeux dorés. Le jeune homme lui fit un sourire, en l’apercevant. Lui non plus n’était pas très épais. Plutôt menu, de la catégorie poids plume. Sa peau était si pâle qu’on aurait dit une petite poupée de porcelaine. D’ailleurs, ses longs cheveux argentés étaient sagement tressés dans son dos, dégageant son visage ovale.

-Je peux vous aider ?

Il le fixait avec un sourire engageant, amical, auquel Ehissian répondit par un haussement de sourcil étonné.

-Euh… Qui êtes vous ?

C’était vrai, quoi. Il venait ici assez régulièrement, et il n’avait jamais croisé ce jeune homme. Il était donc tout à fait dans son droit de demander son identité. De son point de vue, du moins.

-Oh, excusez moi ! Je m’appelle Ethan. Ravi de vous rencontrer ! Se présenta-t-il en tendant sa main, main que le phénix fixa d’ailleurs avec suspicion, se demandant ce que ce geste signifiait.

L’inconnu dut comprendre son désarroi, car il la retira, avant de reprendre.

-Je suis un ami du propriétaire. Je loge ici pour quelques temps, alors je donne un petit coup de main à la boutique en compensation.

-Oh.

Pas un ennemi potentiel, il pouvait baisser sa garde. Il s’autorisa à sourire, se détendre, et même à sortir une petite plaisanterie. Faire un effort de gentillesse, en somme.

-Vous n’avez peut-être pas choisi le bon quartier, alors.

Ethan sourit, et secoua la tête.

-Tous les quartiers se valent, dans cette ville… Mais cette rue là est plutôt tranquille. Les enfants peuvent encore jouer dans la rue la journée, et cette boutique est relativement épargnée par certains… débordement.

Les enfants non humains, cela coulait de source. Aucune mère humaine normalement constituée n’aurait laissé ses rejetons déambuler seuls dans ce genre de quartier.

Ils échangèrent un regard entendu, et un petit silence gêné s’installa. Ce genre de silence frustrant, lorsque l’on était en présence d’une personne inconnue avec laquelle on essayait désespérément de lier connaissance, et à qui on cherchait en vain quoi dire, de peur de paraître inamical. Et de laisser un silence de ce genre perdurer.

-… Mais au fait, et vous ? Vous ne vous êtes pas présenté…

Le jeune homme avait posé cette question d’une voix un peu confuse, comme s’il ne voulait pas paraître impoli. Le phénix faillit s’empourprer. C’était bien son style, songea-t-il en se giflant intérieurement, de sauter à la gorge des gens et de discuter ensuite avec eux comme si de rien n’était sans même se présenter. Il avait presque fait la même chose avec Fallnir, le tout premier soir

-Excusez moi… Je m’appelle Ehissian.

Avec un sourire, il s’inclina de nouveau. Le vieil homme réapparu à ce moment là, tenant une fiole remplie d’un liquide peu avenant, et un étrange petit paquet.

-Tiens, Ethan ! Tu es revenu ? Je vois que tu as fait connaissance avec l’un de nos plus fidèles clients. Tu es allé au…

A nouveau, Ehissian fit la sourde oreille, ne répondant même pas à sa boutade. Il se contenta de poser un billet sur le comptoir, et d’attendre, en laissant le jeune homme se débrouiller avec l’elfe. Quel courage, d’avoir choisi de vivre ici… Il jeta un œil dehors. Le ciel était de plus en plus gris, comme s’il allait bientôt y avoir un…

Soudain, la porte s’ouvrit à la volée, et en même temps qu’un coup de tonnerre ébranlait la bâtisse, trois gamins entrèrent en hâte dans la boutique. Dehors, la pluie se mit à tomber avec fracas, presque assourdissante, jusqu’à ce que la porte se referme.

Une petite fille aux cheveux roses courut jusqu’aux jambes du vieil elfe. Glissant quelques mots dans une la langue étrange au vieil homme, elle disparut ensuite dans l’arrière boutique, aussi vite qu’elle était apparue. Ehissian la connaissait vaguement, ainsi que le garçon plus jeune, à la petite bouille ronde, qui l’accompagnait. Ils étaient les petits enfants de l’apothicaire, qui vivaient avec le vieil homme depuis la mort de leurs parents, d’après ce qu’il en savait. Ils aidaient leur grand père dans beaucoup de ses travaux, et passaient le reste de leur journée à courir dans les rues.

Heureusement que les humains étaient habitués aux étrangetés, dans ce monde. Trois personnes aux couleurs de cheveux peu banales et aux oreilles pointues auraient eu du mal à se fondre dans la masse, ailleurs qu’ici. Cela pouvait d’ailleurs aussi s’appliquer au phénix, songea-t-il alors qu’il croisait son reflet et ses yeux bleu nuit dans un miroir tarabiscoté.

Entré en même temps que les deux autres, un troisième enfant, aux cheveux et aux yeux noirs comme de l’encre, se précipita vers Ethan.

-Papa !

Le jeune homme s’agenouilla, et souleva dans ses bras le petit bout à la peau presque aussi pâle que la sienne. Avec un sourire, il lui ébouriffa les cheveux, et serra la frêle silhouette contre lui.

-Comment ça va, mon poussin ?

Le petit garçon fit un sourire à la fois angélique et resplendissant de malice, avant de se lancer dans une longue explication de toute son après midi de jeu avec les deux petits elfes. Ehissian nota au passage qu’un bagout pareil et un air aussi rusé, il ne les tenait certainement pas de son père. Pauvre Ethan, la mère de ce petit monstre devait être une sacrée renarde manipulatrice, pour avoir mis au monde un gamin pareil. Même s’il avait malgré tout un air adorable.

L’elfe sourit, et tout en empaquetant soigneusement les médicaments dans du papier kraft, jeta un œil au dehors.

-Dites moi, vous rentrez comment chez vous, déjà ? Parce qu’avec l’orage qu’il fait, vous aurez intérêt à faire attention. Surtout que ces fichus orages sont longs, par ici… Tenez, pour votre prince. Elle est loin, votre tour, non ? Vous allez…

Ehissian attrapa le paquet dans un état second. Dehors, le clapotis de la pluie était de plus en plus rapide, et un éclair déchira de nouveau le ciel, bientôt suivi d’un coup de tonnerre qui les fit tous frissonner.

Avait-il déjà signalé que son moyen de transport particulier ne marchait pas pendant les orages ?

Complètement amorphe, il lui fallut quelques secondes pour sentir la main d’Ethan qui lui tapotait l’épaule.

-Dites, ça va ? Si vous voulez, on a un canapé de libre, vous pouvez rester ici en attendant que ça se calme…

Ehissian zappa la fin de la phrase, et acquiesça sans réfléchir plus à la proposition qu’on lui faisait, les yeux rivés sur l’extérieur, et la tempête qui prenait de l’ampleur.

Orages qui duraient longtemps. Même pas prévenu Fallnir. Coincé au moins jusqu’au lendemain.

Il était maudit.

A suivre...

ooo

Fin du chapitre 9… Avec du recul, il me parait un peu bizarre… Mais bon. Les explications de pas mal de détails viendront avec le chapitre suivant, notamment sur la fin, qui présentée comme cela, parait un peu en queue de poisson… ;p

Voilà, merci beaucoup d’avoir lu jusqu’ici. Surtout, n’hésitez pas à m’envoyer un mail ou me laisser une review pour me donner votre avis, je n’attends que ça, et j’aimerais beaucoup discuter avec vous à propos de certains points qui auraient pu vous paraître trop flous ou maladroits. :3

Merci encore, et à bientôt !

 
 
Chapitre précédent
 
 
Chapitre suivant
 
 
 
     
     
 
Pseudo :
Mot de Passe :
Se souvenir de moi?
Se connecter >>
S'enregistrer >>