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Bec d'écaille, croc de plume
Par Jaiga
Originales  -  Romance/Fantaisie  -  fr
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    Chapitre 30     Les chapitres     64 Reviews     Illustration    
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Royales nouvelles


Disclaimer : Tous les personnages/ lieux/ périodes sont issus de ma propre imagination. Merci de ne pas me les emprunter sans m’en avoir parlé au préalable :3

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Chapitre 30 : Royales nouvelles

 

Saphirre et Aurélia collèrent leurs oreilles sur les battants de la porte massive, ornée de dorures et de stucs, pour tenter de saisir le moindre bruissement.

L’antichambre du palais phénix, où elles se trouvaient, était complètement isolée de la pièce où se réunissaient les trois reines. Mais en tant que principaux membres de la garde personnelle de la reine Gaïa, elles étaient capables d’entendre des choses dont certain n’avaient même pas conscience, et espionner à travers les portes faisait partie de leurs aptitudes.

Saphirre était un ancien général de l’armée démone, et occupait actuellement le poste de grande intendante du château d’Abadiane. Son nom lui venait sans doute de ses longs cheveux, lisses et brillants comme des fils de saphirs. Elle accordait ses toilettes en conséquence, raffolant des robes de bleus profonds et de tissus chatoyants, qu’elle rehaussait de pierres précieuses. Démone de la foudre, elle était connue pour sa vivacité extrême.

Aurélia, elle, affichait son rang de démone des poisons jusqu’aux pointes de ses cheveux blonds. Ses robes étaient toutes légères et vaporeuses, dans des tons de verts et de bruns, si bien qu’on la croyait toujours vêtue d’une élégante broderie forestière faite de feuilles et de mousse. Stratège hors pair, elle préférait la réflexion à l’action pure et bien qu’elle ait été capitaine sous les ordres directs de Saphirre, elle prenait toujours ses propres décisions.

Quelques millénaires plus tôt, elles s’étaient retirées ensemble de la vie militaire pour vivre paisiblement au milieu des humains. Mais quand le roi avait été victime de l’agression de l’Onikam et que les généraux de l’époque avaient nommé Gaïa à sa place, elles étaient revenues aussitôt pour assurer à la reine temporaire une protection particulière. Elles n’avaient pas quitté ce poste depuis, et vivaient toujours à Abadiane parmi les autres dames de cour. Elles étaient d’ailleurs les deux seules à avoir fait le voyage avec la reine jusqu’au palais phénix, laissant les autres s’occuper du peuple démon en leur absence. Cependant, elles n’étaient plus des officiers mais de simples protectrices ; de fait, elles devaient rester à l’écart des réunions royales, n’en déplaise à leur intérêt.

C’était ainsi qu’elles se retrouvaient, dans leurs splendides toilettes, la joue collée contre la porte pour saisir la moindre bribe de discussion.

La curiosité des démones était légendaire.

On disait souvent qu’il y avait beaucoup de couples homosexuels, au sein de l’armée démone. C’était en partie dû au fait que les relations pouvaient être particulièrement tendues entre les membres de leur peuple, surtout entre les deux sexes. Ce problème là touchait tous les autres êtres vivants, mais du fait de leur irritabilité légendaire, c’était un problème flagrant chez les démons. De fait, bon nombre de compagnies n’étaient pas mixtes et ils s’habituaient très jeune à fréquenter le plus souvent des individus de même genre.

Saphirre et Aurélia avaient fait leurs classes ensembles, ne s’étaient jamais quittées depuis leur entrée à l’armée. Elles étaient unies comme les doigts de la main, et en arrivaient même à partager les mêmes défauts.

Mais elles avaient une excuse. Gaïa était une personne incroyablement distraite et elle oubliait toujours quelque chose, quand elle leur rapportait ce qu’il s’était dit au cours des réunions entre les trois reines. Elles se sentaient donc obligées de vérifier elles-mêmes le contenu de ces rencontres, d’autant plus qu’elles assuraient la protection de l’antichambre et se trouvaient donc totalement seules dans la pièce richement décorée.

Sauf quand, absorbée par leurs tentatives d’espionnage, elles en oubliaient de surveiller l’autre porte.

Elles sursautèrent en entendant les deux battants s’ouvrir et se redressèrent toutes les deux, raides comme des piquets.

-Votre majesté ! S’exclamèrent-elles d’une même voix avant de se courber en deux, les bras le long du corps, selon le salut formel de leur peuple.

Sur le seuil de la porte, le prince Nalderan les contempla d’un air surpris. S’il trouva bizarre de les voir toutes les deux plantées comme deux statues justes devant la porte du bureau, il ne montra rien et se contenta de leur rendre leur salut.

- Mesdemoiselles… s’inclina-t-il avec un doux sourire.

Il referma la porte derrière lui, tandis que les démones échangeaient un regard étonné. Il n’avait pas de suite qui l’accompagnait, et portait encore une cape de voyage autour de ses épaules.

- Pardonnez-nous, enchaina Saphirre, luttant pour paraître naturelle. Nous n’attendions pas votre venue si tôt. Si nous avions su…

- Nous avons pris un peu d’avance, la coupa simplement Nalderan, visiblement impatient. La reine est-elle à l’intérieur ?

Les deux jeunes femmes n’eurent pas le temps de répondre, et s’écartèrent précipitamment de la porte, qui s’ouvrit à la volée.

-Nalderan !

Emélcya en surgit en courant, relevant les bords de sa robe pour courir plus aisément, et se jeta dans les bras du prince en envoyant promener protocole, convenances et bienséance avec une étonnante facilité.

Il lui avait suffit de croire entendre le timbre grave de la voix de Nalderan, pour quitter sans prévenir ses royales compagnes et se précipiter à sa rencontre.

Dans le bureau, aux tons aussi blanc que tout le reste du palais, Gaïa et Léoma échangèrent un sourire amusé et posèrent leurs tasses pour se lever à leur tour.

Emélcya enveloppa de ses douces mains le visage anguleux de Nalderan, et l’examina sous toutes les coutures avec une certaine inquiétude. Le jeune homme se prêta au jeu avec amusement, serrant délicatement la taille fine de la reine. La silhouette fière et le port de tête altier, la prestance du prince phénix n’avait d’égale que sa gentillesse. Il était pourtant un guerrier redoutable, et en tant que bras armé de la couronne, se trouvait à la tête de toutes les armées phénix. Tout petit, Lékilam adorait glisser ses doigts menus dans les longs cheveux de Nalderan, et riait en disant qu’ils avaient la couleur du caramel. A vrai dire, ils avaient tous les deux le même sourire.

- Je suis tellement contente de te savoir ici, soupira Emélcya, satisfaite de n’avoir trouvé aucune égratignure sur le phénix.

- Les espions Garnësir se sont éloignés de la frontière hier après-midi, lui rapporta aussitôt ce dernier. Nous avons laissé les troupes en place, mais j’ai préféré venir t’annoncer la nouvelle en personne.

Nalderan était parti sitôt que les Garnësir leurs avaient déclaré la guerre, pour s’assurer avec fermeté que l’incident de l’accouchement d’Emélcya ne se reproduirait jamais. Ce jour là, l’armée dragonne était arrivé jusqu’aux portes du palais et la bataille avait eu lieu sous les fenêtres de la reine parturiente…

Les phénix n’étaient pas des guerriers par nature. Peu d’entre eux embrassaient une carrière militaire, et contrairement au peuple démon où les deux sexes étaient sur un total pied d’égalité, les femmes phénix ne prenaient que très peu part aux combats. Peut-être parce qu’elles étaient plus fragiles, et que les hommes considéraient que les protéger passait avant tout ?

Il y avait beaucoup de cela, dans la relation entre Nalderan et Emélcya. Il était d’abord un chevalier au service du trône, dévoué et volontaire. Mais leur couple était aussi connu pour sa très grande tendresse et sa complicité, si bien que beaucoup s’accordaient à dire que le jeune homme serait probablement le seul époux de la reine ; au vue de leur longévité exceptionnelle, les remariages n’étaient pourtant pas rare au sein de leur peuple, la routine et la lassitude ayant souvent raison des passions les plus fortes.

Issu de la noblesse guerrière, la carrière de Nalderan avait été fulgurante et il venait d’être nommé général lorsqu’on les avait présenté. Le coup de foudre avait été immédiat et ils s’étaient mariés quelques siècles plus tard, avant de donner un héritier au royaume.

Emélcya laissa un sourire de soulagement illuminer son visage. Les yeux rivés dans ceux de son époux, comme si leur entourage n’existait plus, elle ne tint pas plus longtemps et laissa sa joie déborder.

- Moi aussi, j’ai de bonnes nouvelle ! S’exclama-t-elle en serrant ses mains dans les siennes. Notre fils m’a fait savoir qu’il avait trouvé un moyen de mettre fin aux pressions des Garnësir, et qu’il avait une grande chose à nous annoncer !

L’information lui était parvenue la veille, par l’intermédiaire de Tyloé. Mais les communications par le monde des esprits étaient ardues et le jeune prince héritier avait assuré à sa mère qui lui enverrait très prochainement une lettre pour tout lui expliquer en détail.

Le cœur gonflé de fierté, Nalderan serra tendrement sa compagne contre lui, comme il rêvait de le faire depuis des jours. Derrière eux, les autres femmes reportèrent leur attention ailleurs, pudiquement. Elles commençaient à avoir l’habitude des étreintes amoureuses du couple royal, chaque fois que celui-ci se retrouvait avec un peu d’intimité ou entouré de personnes bien connues.

- Est-ce qu’il ne compte toujours pas revenir parmi nous ?  S’enquit le prince consort en relâchant doucement son étreinte. Adulte ou pas, je préfèrerais qu’il soit à l’abri au palais. Pavel a toute ma confiance, mais si les dragons apprenaient où il est…

- Je suis certaine qu’il sait ce qui est bon pour lui, le contredit doucement Emélcya.

Nalderan ne put que lui rendre son sourire. Quand il était encore connu sous le nom du général Haëlnor, Pavel avait été son plus fidèle bras droit, un chevalier d’exception entré dans la légende. Le prince consort et lui avaient toujours été extrêmement proche, et l’on racontait que le départ subit de Pavel et sa disparition du royaume phénix n’étaient pas étrangers au mariage de son seigneur avec la reine …

Mais Nalderan, lui, ne s’était jamais douté de rien, avait respecté le choix étrange de son plus proche compagnon et lui vouait toujours une confiance aveugle, même après tout ce temps.

- On dirait que le cauchemar n’aura pas duré longtemps, fit-il remarquer à son épouse, en la serrant de nouveau contre lui.

Emélcya se laissa aller dans la chaleur du prince, heureuse et soulagée.

 

oo

 

Un éclair frappa soudain, presque immédiatement suivi d’un coup de tonnerre. Les dragons n’en furent pas surpris, habitués depuis tout petits aux violents orages des montagnes, et sourirent au contraire en voyant le ciel se noircir et la pluie commencer à tomber.

Ils aimaient tous les trois ces jours de mauvais temps, où la lumière était grise et faible et où il faisait bon d’avoir un toit sur la tête.

La pluie était rassurante, leur donnait l’impression qu’elle allait laver tout ce qu’il s’était passé de désagréable dans leurs vies.

- Et que sont devenus Haldred et Lorfell ? Demanda Fallnir tout à coup, la météo ramenant en lui de vieux souvenirs.

Ils se trouvaient assis en tailleur à même le lit, dans une petite chambre de la Volière que l’on avait ouverte pour Gallwen et Eryad. La lumière était éteinte, comme pour mieux profiter de l’ambiance particulière de cette journée d’orage.

On avait prêté des vêtements aux deux dragons, des jeans élimés et des t-shirt aux dessins un peu bizarres. Leurs coupes ressemblaient beaucoup aux vêtements de toile qu’ils avaient jusqu’alors eu sur le dos, et ces tenues ne les avaient pas dérangé outre mesure. Les mains de Gallwen étaient complètement momifiées, de même que ses pieds, recouverts de bandelettes. Il avait aussi un bras en écharpe et une paire de béquilles au pied du lit, séquelles de sa tentative ratée de réception après leur chute du toit, et plusieurs pansements sur le corps qui résultaient de son affrontement contre Scysios.

Eryad, lui, était ressortit indemne de la dégringolade, grâce à son amant. Mais le bandage autour de son épaule était bien visible et il grimaçait toujours un peu lorsqu’il faisait des gestes trop brusques.

- Ils sont toujours crocs, tous les deux, raconta le blond avec un sourire tranquille. Ils n’ont pas beaucoup progressé, à vrai dire…

- Depuis que tu n’es plus là, ils passent plus de temps à flâner dans les grandes villes qu’à s’entrainer, renchérit Gallwen avec un soupir.

Fallnir se sentit sourire, amusé. Cela faisait déjà plusieurs heures qu’ils parlaient de tout et de rien, tous les trois dans cette petite chambre. Ils se rappelaient leurs souvenirs communs, racontaient à l’auburn tout ce qu’il s’était passé depuis son départ du clan, lui donnaient des nouvelles de tout le monde. Ils avaient l’impression d’être revenu à l’ancien temps, quand Fallnir rentrait d’une longue mission et qu’invariablement, il leur demandait ce qu’il était arrivé pendant son absence.

Le lien qui les unissait se consolidait, petit à petit, comme s’ils n’avaient jamais été en conflit.

- Même moi j’avais dû mal, avec ces deux tire au flanc… Avoua-t-il alors que son sourire s’élargissait, et qu’il se faisait rêveur.

Eryad échangea un coup d’œil avec Gallwen, hésitant légèrement. Ils étaient tous les deux côtes à côtes, assis en tailleur au sommet du lit. En face d’eux, Fallnir entourait de ses bras l’un de ses genoux repliés.

- Un jour, ils nous ont raconté qu’ils avaient cru t’avoir vu, à Kalisto. Ils n’étaient pas sûr que c’était bien toi, alors ils n’ont pas pris la peine te poursuivre…

Fallnir haussa les sourcils, surpris. Il lui fallut quelques secondes pour fouiller dans sa mémoire.

- Oh, oui, je m’en rappelle, souffla-t-il en baissant les yeux. J’ai travaillé au port de Kalisto pendant un petit moment, après avoir quitté le clan…

C’était là bas qu’il avait rencontré Shézac, alors qu’il s’apprêtait à chercher un bateau pour quitter le continent. Mais il n’avait pas su quelle destination prendre et le démon, qui l’avait rencontré fortuitement la veille et offert un abri pour la nuit, avait décidé de le garder sous son aile et de lui trouver un travail, jusqu’à ce que l’auburn sache quoi faire du reste de sa vie.

- Je voyais souvent certains des nôtres passer, pour prendre un bateau, mais j’évitais de me montrer… admit-il avec une moue contrite.

Il ne gardait pourtant ni sentiment désagréable, ni honte en évoquant cette petite période passée à travailler sur le port. Cela avait été une vie simple, fraiche et tranquille, comme s’il était subitement devenu un humain, mortel parmi les mortels. Mais voir d’anciens camarades passer au loin, équipés et armés pour partir en mission, le regard déterminé et la mine fière au milieu de tous les badauds qui se pressaient sur les quais…

- Ca prouve bien que ces deux fainéants n’avaient juste pas envie de courir, se moqua Gallwen, pour changer de sujet.

Ils échangèrent un regard complice.

La nuit atroce qu’ils avaient vécu leur semblait déjà être un lointain souvenir, un cauchemar commun qui ne s’était jamais vraiment réalisé et dont ils ne se rappelaient plus que des bribes. L’émotion, certainement, avait altéré leurs mémoires.

Celle de Fallnir, tout particulièrement.

C’était Ehissian, le plus en forme des cinq présents dans la ruelle, qui les avait pris en charge. Le dragon se rappelait également de l’arrivée de Libellule, alors que lui-même se redressait difficilement, toujours agrippé à son amant. « Ca empeste le dragon à l’autre bout de la rue », avait reniflé la nymphe. Ca, il s’en souvenait. Ensuite…

L’aube ne devait plus être très loin lorsqu’ils avaient pénétré dans la Volière et après ça, Fallnir ne se rappelait plus que de la douceur du matelas sous son corps et de l’odeur d’Ehissian qui l’imprégnait totalement.

Ils avaient tous dormi une bonne partie du jour, mais n’avaient eu aucun mal à se remettre au lit le soir venu. Ce matin, ils s’étaient réveillés en pleine forme et reprenaient lentement une vie normale.

Pourtant, ils préféraient ne pas repenser à ce qu’il s’était passé cette nuit là. Les évènements s’étaient succédés si rapidement, comme dans un rêve, qu’il était encore trop difficile pour eux d’en reparler.

Ils avaient bien abordé le sujet, quelques minutes, mais avaient tous réalisé que c’était trop frais et violent dans leurs souvenirs pour qu’ils puissent y réfléchir intelligemment.

Les démons qui surveillaient la frontière n’avaient pas vu Taenekos la franchir, après sa disparition. Derek avait conseillé à tout le monde de ne pas quitter la tour, et formellement interdit au couple de dragons de repartir chez eux sans escorte. Ils avaient été forcé d’obéir, réticent à l’idée de dépendre des phénix, mais bien obligés d’admettre qu’il était trop risqué pour eux de s’en aller maintenant. C’était pour cette raison qu’ils avaient refusé qu’on les soigne convenablement. Puisqu’ils allaient passer plusieurs jours immobilisés à la Volière, ils avaient préféré guérir le plus naturellement possible plutôt que d’utiliser la magie -Derek leur avait donné un peu de l’infect remède antidouleur qu’utilisait Scysios pour sa jambe, mais essayait toujours de les convaincre de le laisser faire usage de sa magie.

Tous les trois, ils avaient décidé de ce qu’ils allaient faire, à présent.

La guerre n’aurait probablement pas lieu, maintenant que le Garnësir avait perdu l’intérêt et le soutien de l’Onikam (Derek doutait même que ce dernier n’ait jamais été vraiment  séduit par ce conflit).

 Quand Eryad et Gallwen rentreraient dans le clan, ils raconteraient aux autres que Taenekos s’était allié aux phénix et avait tenté de les tuer.  Fallnir les aurait alors aidé à se cacher et à s’enfuir, mais aurait refusé de venir avec eux, tombé amoureux d’un phénix rencontré par accident. Ils diraient aux autres que l’auburn avait cependant juré de ne rien révéler aux phénix sur le clan, ne serait-ce que pour protéger son amant, et projetait d’emmener ce dernier loin de tout pour le mettre à l’abri du conflit.

Venant d’eux, la très grande majorité du clan ne poserait même pas la question de la véracité des faits, et goberait parfaitement cette histoire, parfaitement crédible quand on avait connu le caractère loyal et surprotecteur de Fallnir ; quant aux sceptiques, ils ne pourraient que se taire, faute de preuves.

Et, lentement mais sûrement, une rumeur grossirait, au sein des Garnësir. Un bruit selon lequel Fallnir avait refusé de revenir parce qu’il avait découvert un terrible secret sur le chef de leur clan.

Il y eut un nouvel éclair, mais le coup de tonnerre fut plus espacé dans le temps. La pluie crépita un peu plus fort contre les carreaux, captivant un court instant leur attention.

Bizarrement, ils étaient passés très vite sur ce qu’ils devaient faire, se mettant presque immédiatement d’accord.

Le passé les attirait beaucoup plus, et Fallnir se surprenait à trouver paisible cette période de sa vie chez les Garnësir, qui avait pourtant été la plus mouvementée.

Quelqu’un frappa doucement à la porte, les tirant de leurs rêveries nostalgiques. La tête d’Ehissian se faufila par l’embrasure, un peu intimidée.

- Fallnir, Derek voudrait te parler…

Le dragon hocha doucement la tête, son visage illuminé dès l’instant où il avait aperçu le jeune homme.

- Très bien, j’arrive, acquiesça-t-il simplement.

Ehissian leur fit un sourire hésitant et referma tout doucement la porte, aussi légèrement qu’il l’avait ouverte.

Un silence maladroit succéda aussitôt à son départ.

S’ils avaient pu constater assez succinctement que le phénix paraissait beaucoup plus appréciable que ce qu’ils pensaient au premier abord, les deux dragons n’avaient pas vraiment été enchantés d’apprendre qu’il était un chevalier ardent. Quoiqu’il arrive, ils auraient du mal à se faire à l’idée que Fallnir était tombé amoureux d’un phénix, même si les intentions de ce dernier à propos de leur compagnon n’avaient rien de mauvaises -leur pire crainte était que l’on se serve de la faiblesse de l’auburn pour Ehissian afin de l’utiliser.

- On se verra plus tard, proposa Fallnir en s’étirant pour dégourdir ses membres endormis. Si vous avez besoin de quelque chose, ma chambre est juste à côté…

Il n’était pas vraiment déçu de devoir les quitter maintenant. Ils avaient bien discuté, tous les trois, et passé un agréable moment. Mais, surtout, il avait bien remarqué les regards lourds de sens que se jetaient de temps à autre ses deux compagnons, et les effleurements retenus qu’ils échangeaient, pas assez discret pour les yeux à présent exercés de l’auburn. Il était temps de les laisser seul.

- Fallnir… commença pourtant Eryad, comme pour le retenir.

Il tourna vers eux un sourcil surpris.

- Est-ce que tu l’as dit à Ehissian ?

Les sourires s’étaient effacés sur les visages des deux amants, subitement devenus sérieux. Ils s’inquiétaient pour lui, Fallnir le comprit tout de suite. Mais cela ne parvint pas à retenir sa bonne humeur, qui plongea aussitôt. Il n’avait pas particulièrement envie de parler de ça avec eux, encore moins maintenant.

- Non, soupira-t-il en se massant la nuque. On ne se connaît que depuis quelques semaines, et je crois que ça lui ferait trop d’un coup si je lui expliquais…

- Tu pourrais tout simplement commencer par lui dire que tu l’aimes, reprocha Gallwen, les sourcils froncés.

Fallnir baissa la tête, n’osant pas soutenir leurs regards inquiets.

Il ne pouvait décidemment pas leur dire qu’il n’avait pas l’intention de révéler ses sentiments à Ehissian, et tout ce qu’ils impliquaient. Du moins, pas dans l’immédiat ; mais il doutait de trouver un jour la force nécessaire pour le faire.

- C’est une situation dangereuse, renchérit Eryad. Je comprends que ce soit dur, mais…

Il ne continua pas sa phrase, mais les deux autres comprirent ce qu’il voulait dire.

Etre les yeux d’un dragon représentait une lourde responsabilité, surtout quand on était aussi jeune qu’Ehissian. Personne ne pouvait vraiment dire comment il réagirait en apprenant que la vie de Fallnir dépendrait éternellement de la sienne. D’autant plus que ce dernier souffrait clairement du fait de devoir retenir ses sentiments, le cœur étouffé par tout ce qu’il ne pouvait exprimer.

Les épaules du dragon se courbèrent sous le poids de ses pensées. Il préféra les chasser avant qu’elles ne creusent un chemin trop profond dans son esprit, et qu’il ne puisse plus réfléchir à autre chose.

- Je sais, se contenta-t-il de souffler, amèrement.

 

oo

 

Kellnet soupira de désespoir en entendant le premier coup de tonnerre.

Sous les néons, les rayons de l’épicerie restaient désespérément vides. Il avait donné son congé à Meliam et ne tentait même plus d’appeler Ehissian pour savoir ce qu’il pouvait bien encore fabriquer.

L’annonce de la fermeture à durée indéterminée de plusieurs des magasins de la Volière avait fait fuir bon nombre de clients. Pavel lui avait donné l’autorisation de garder son épicerie ouverte, puisque certains habitants venaient régulièrement s’y approvisionner, mais les clients humains se faisaient de plus en plus rares et cet orage n’allait rien arranger.

En attendant, il s’occupait comme il pouvait dans le magasin désert.

De toute manière, tenta-t-il de se consoler, il avait déjà réduit les horaires depuis que la plupart des habitants étaient partis. Elika, qui avait fermé son propre magasin, s’était proposée pour garder les derniers enfants restant, mais il préférait ne pas trop occuper la jeune fille et passer autant de temps que possible avec Léto.

Surtout avec ce qu’il s’était passé, deux soirs plus tôt…

Libellule avait bien tenté de lui expliquer qu’il était probable que son fils soit doté de certaines capacités particulières, mais il n’y avait pas compris grand-chose et à vrai dire, cela l’effrayait un peu. Contrairement à Elecy, il n’avait pas trouvé que le comportement du petit avait changé, récemment. Pour lui, son bout de chou avait toujours été spécial, attiré par les histoires et les rêveries solitaires. Même à présent, il ne constatait juste chez lui qu’une bonne humeur un peu étonnante pour un petit garçon qui venait de voir sa mère s’en aller…

Il secoua vivement la tête, pour chasser ses mauvaises pensées. Ca n’était pas le moment de se morfondre. Il devait se ressaisir et aller de l’avant, pour le bien de Léto.

La clochette de la porte tinta soudain, et il se redressa comme un i sur le fauteuil derrière sa caisse.

Deux grands yeux dorés et un visage curieux se posèrent sur lui.

- Bonjour, je peux vous aider ? Lança-t-il avec entrain, ressortant son plus beau sourire commercial pour l’occasion –un exploit quand on savait qu’il n’était que le matin et que le phénix n’était techniquement pas encore tout à fait réveillé.

C’était un jeune homme, petit et mince, aux longs cheveux argentés et à l’air naïf. Il fallut quelques secondes à Kellnet pour remarquer la chose renfrognée qui serrait sa main droite, format miniature de l’inconnu, avec des cheveux noirs dont une mèche bardée de perle.

N’importe qui se serait méfié en croyant reconnaître deux étrangers. Lui, il leva simplement un sourcil surpris.

- Euh, bonjour, répondit le jeune homme, hésitant. Je ne sais pas trop si vous êtes la bonne personne, mais… je viens de la part d’un certain Ehissian… se lança-t-il soudain.

Kellnet cligna des yeux, plusieurs fois. Un homme qui connaissait le chevalier phénix ? Il aperçut derrière leurs dos tout un tas de sacs et de valises, et comprit enfin.

- Vous êtes des étrangers, c’est ça ?

Il crut vaguement se souvenir d’une discussion qu’il avait eue avec quelques autres, où il avait appris que tant que la situation ne serait pas redevenue tout à fait normale, le prince avait prévenu tous les étrangers qui vivaient sur cette planète pour les inciter à rentrer chez eux ou à venir vivre à la Volière. Mais depuis la vendetta qu’avaient menée les vampires quelques années plus tôt, nombre d’étrangers avaient déguerpi et ce jeune homme et son petit garçon étaient les premiers qui se présentaient.

- Je m’appelle Ethan, acquiesça le jeune homme, avant de pousser doucement le garçon devant lui. Et voici mon fils Morgan…

L’intéressé se contenta de jeter un regard renfrogné au phénix.

Le jeune garçon n’avait pas du tout apprécié de devoir quitter la maison de l’apothicaire, à laquelle il avait fini par s’habituer. Pour le trainer jusqu’ici, Ethan avait dû le convaincre que le vieil elfe et ses deux petits enfants les rejoindraient d’ici quelques jours. La rébellion d’Ader et de ses vampires causait déjà du grabuge dans leur ville lointaine, et l’apothicaire craignait que le quartier mal famé où il avait installé sa boutique ne devienne le théâtre d’un affrontement sanglant.

Kellnet se gratta la tête, perplexe, puis se décida finalement à se lever.

- Je vais vous conduire au prince. Je m’appelle Kellnet, se présenta-t-il ensuite avec un sourire plus doux. Ravi de faire votre connaissance.

Les joues d’Ethan rosirent un peu, sans qu’il comprenne pourquoi, et le phénix se sentit troublé.

Peut-être parce que, encore chamboulé par le départ de sa femme, croiser un père visiblement seul avec son fils lui gonflait le cœur de sympathie ?

Il se prit tout de suite d’affection pour eux, et décida de les prendre sous son aile aussi longtemps qu’il le faudrait, alors qu’il ne connaissait strictement rien d’eux.

- Le plaisir est partagé, sourit Ethan, un peu plus à l’aise.

 

oo

 

Shézac glissa une main caressante dans les cheveux de Scysios, arrachant un gémissement de bien-être à ce dernier, sans toutefois réussir à lui faire ouvrir les yeux. Le blond dû changer de tactique d’approche, et se pencha jusqu’à son oreille pour la mordiller.

- Debout grosse limace, chuchota-t-il affectueusement.

Etalé sur le lit, ses longs cheveux châtains répandus tout autour de son visage, Scysios grogna. Il ne portait que des vieux vêtements larges, dont une chemise grande ouverte sur son torse bandé. Shézac lui caressa la nuque avec douceur, bien décidé à le faire céder.

- Quel siècle on est ? Finit par grommeler le médecin, sans prendre la peine d’ouvrir les yeux.

- Ca fait à peine vingt-quatre heures que tu dors, se moqua Shézac en comprenant le sens caché de sa question. C’était avant-hier soir.

Le maudit resta immobile, la mine renfrognée. Sa rencontre avec Taenekos et sa transformation en brochette à la viande de démon l’avait complètement vidé de ses forces, toutes utilisées pour soigner sa blessure. Il allait probablement passer la semaine à dormir, pour récupérer.

- Mon père a dit que tu récupèrerais plus vite si on te réveillait de temps en temps pour que tu manges.

Scysios se blottit dans la chaleur de son compagnon, pour inciter ce dernier à se taire et à le laisser tranquille, mais ses maigres tentatives d’intimidation restèrent sans succès. Aucun chantage au monde ne pouvait faire céder un Shézac inquiet. 

Quelques minutes plus tôt, le blond avait accompagné Ehissian voir Derek, de peur que le phénix soit trop intimidé en présence du chef des démons de la Morte-lune. Ce dernier s’était occupé des quelques égratignures du chevalier, et s’était assuré de son état de santé. Après quoi, Derek avait demandé au phénix d’aller chercher son amant, et renvoyé Shézac surveiller Scysios.

Fallnir devait toujours être en train de discuter avec ses deux camarades, comme il l’avait fait toute la matinée. Cela laissait un peu de temps à Shézac avant de retourner dans la chambre qu’on avait prêtée à Derek ; il voulait éviter que la rencontre entre son père et son ami ne finisse en bain de sang, ou pire.

- Allez, remue-toi, chuchota le blond à l’oreille de son compagnon, tout en lui caressant le dos.

Vaincu –et affamé, il devait l’avouer-, Scysios se frotta les yeux et ouvrit lentement les paupières. Tout son corps pesait une tonne, sa bouche était pâteuse et il avait une folle envie de se rendormir aussi sec. Mais le sourire de Shézac l’aida à lutter contre le sommeil.

Ils restèrent un petit moment enlacé, les yeux dans les yeux, le blond caressant les cheveux de son ami le temps que celui-ci se réveille à son rythme. La chaleur de leurs deux corps était très agréable, et le clapotis de la pluie contre les carreaux avait quelque chose de rassurant.

- Ca va, toi ? Finit par demander Scysios, qui semblait toujours autant épuisé.

Pour toute réponse, le blond hocha la tête en souriant.

C’était faux, et son camarade le vit tout de suite, mais n’en fit aucune remarque.

Deux fois dans la même soirée, Shézac avait cru le retrouver blessé à mort, baignant dans son propre sang. La seconde fois s’était révélée être la bonne, et l’avait mis dans un état de détresse abominable. Pour ne rien arranger, un sixième sens, ou bien une voix dans son esprit, lui avait hurlé de courir tout de suite à l’extérieur. Il l’avait écoutée et s’était retrouvé face à celui qu’il redoutait le plus au monde, Taenekos.

Il devait vivre continuellement avec la douleur de l’absence de Zénon. Le temps avait fini par passer du baume sur sa blessure, mais il suffisait d’un rien pour que la plaie s’ouvre de nouveau. Il y pensait le moins possible, fuyait les gens qui en parlaient, évitait les conversations qui pouvaient évoquer en lui des souvenirs de son amant, mais rien n’y faisait, et la souffrance était toujours là.

Shézac pensa fugacement à Prodès Acilès, le démon qui était l’amant de leur roi, son « beau frère », comme il se moquait souvent de lui. Il se demandait parfois laquelle de leurs deux situation était la pire. Shézac savait que celui qu’il aimait était en bonne santé, mais ne pouvait ni le voir ni le toucher, condamné à vivre avec son souvenir et la crainte qu’il ne finisse par lui arriver quelque chose. Prodès, lui, veillait nuits et jours sur la dépouille inanimé de leur souverain, mais n’avait aucune certitude que son esprit finirait par se reconstruire et que la coquille vide se mouvrait à nouveau de sa propre volonté.

Shézac embrassa fugacement les lèvres de Scysios, comme pour chasser le souvenir lointain de celles de Zénon. Dans son malheur, il avait de la chance ; il n’était pas complètement seul.

Même s’il avait déjà prévu de passer un savon magistral à son ami pour tous les risques qu’il avait pris, dès que celui-ci serait rétabli.

- Allez, viens manger, lança-t-il au maudit tout en se redressant. Je dois retourner voir mon père, il veut rencontrer Fallnir.

Scysios bâilla et s’étira de tout son long, comme un gros chat mal luné.

- Ils veulent s’entretuer ? Grogna le maudit en se frottant à nouveau les yeux, avant de nouer sommairement ses longs cheveux emmêlés.

Il avisa un plateau-repas que Shézac avait déposé sur un coin dégagé de son bureau, puis se tourna vers le réveil pour réaliser que la matinée n’était même pas encore terminée. Il aurait pu dormir encore quelques heures.

- Non, lui apprit Shézac avec un reniflement amusé. Mon père veut savoir ce que Fallnir va faire, maintenant.

Le blond était négligemment installé sur le lit, le bras posé sur un genou replié. Scysios s’assit sur le bord du matelas et se massa la nuque, tentant vainement d’émerger et de remettre un peu de clarté dans ses idées. Il ne savait pas ce qu’il s’était passé depuis sa perte de conscience, mais se doutait à la mine de Shézac que tout devait être rentré dans l’ordre. A vrai dire, il était trop dans le cirage pour se soucier de quoi que ce soit.

- D’ailleurs, je vais aller voir tout de suite, soupira Shézac en se redressant. Ca va aller, pour toi ?

Scysios resta longuement immobile, les yeux dans le vide. Il fallut un certain temps à son esprit embrumé pour comprendre la question et articuler une réponse de sa voix enrouée par le sommeil.

- Oui, je crois que ça va aller.

Rassuré par cette réponse, son compagnon s’approcha de lui et lui déposa un tendre baiser dans le creux de la gorge. Scysios eut un léger frisson de plaisir.

- Je reviens vite, chuchota le blond avec un énième sourire, avant de se lever.

Le maudit lui assura qu’il pouvait prendre son temps, et le regarda partir en étouffant un nouveau bâillement. Quand il irait mieux, il faudrait qu’il ait une longue conversation avec Shézac.

Quand il irait mieux.

Posant la main sur son estomac crispé, il accorda enfin un peu plus d’attention à son futur repas, et réalisa avec horreur qu’il ne s’agissait que d’un vulgaire et gigantesque plat de pâtes.

Il fallut bien un bon quart d’heure au démon pour s’habiller et retrouver dans son fatras médical une béquille à peu près stable. Le couloir était désert, mais il aperçut un rai de lumière sous la porte de la chambre d’Ehissian, sans toutefois oser aller le déranger.

Shézac reviendrait certainement avant lui, et s’inquièterait en trouvant le lit vide. Mais Scysios était trop fatigué pour s’en soucier, avait d’autres priorités dans un futur immédiat. Il savait pertinemment qu’il allait passer une semaine atroce, entre sommeil de plomb et état comateux, et préférait dès lors s’assurer de souffrir dans les meilleures conditions possibles.

Il était hors de question qu’il avale quoi que ce soit d’autre que du chocolat.

Si Libellule était droguée à la caféine et n’envisageait pas une journée sans son café du matin, le médecin, lui, n’arrivait jamais à se sentir en forme quand il était en manque de cacao. Cette mauvaise habitude lui venait d’ailleurs de Shézac…

Recueilli par Derek dès les premières heures de sa naissance, Scysios avait passé avec lui les premières années de sa vie. Mais les activités des démons de la Morte- lune avaient très vite retenu le guerrier légendaire ailleurs et ce dernier s’était vu obligé de confier le jeune garçon à quelqu’un. 

Scysios s’était retrouvé chez Shézac et Zénon, un couple d’inconnus, dans une maison inconnue, entouré d’objets inconnus. Pour ne rien arranger, quelques jours seulement après son arrivée, une violente tempête avait paralysé la ville pendant plusieurs jours, traumatisant le démon miniature, qui n’avait jusqu’alors connu que le soleil brillant des contrées du sud où vivait Derek. Shézac et Zénon, bien peu doués avec les enfants, avaient eu l’idée de le gaver de chocolat pour consoler la petite chose traumatisée qui s’enfonçait un peu plus dans son lit à chaque coup d’éclair.

Cela l’avait marqué à vie.

Les coups de tonnerres qui éclataient dehors lui rappelèrent ces lointains souvenir, et il se perdit dans ses pensées. Souriant malgré sa fatigue, il se dirigea clopin-clopant dans les couloirs vides de la Volière, errant presque dans l’obscurité à cause du mauvais temps à l’extérieur. Il atteignit toutefois la salle à manger sans encombre, et sans avoir croisé personne, la faute sans doute au dépeuplement massif de la tour. Il longea la grande t               able jusqu’au fond de la pièce, et jeta un œil discret à l’intérieur de la cuisine.

Il fut surpris d’y trouver quelqu’un, à cette heure-ci de la matinée. Alerté par le bruit de la porte, l’autre se retourna, et ils échangèrent un regard stupéfait.

- Scy- Scysios ? Balbutia Pavel, les yeux écarquillés.

Il avait un plateau dans les mains, et piochait dans les restes du repas de la veille pour remplir quelques assiettes. Le prince l’avait certainement envoyé ici pour glaner quelques petites choses à grignoter.

Ils restèrent à se dévisager pendant plusieurs secondes, incapable de savoir quoi faire. Ils ne s’attendaient certainement pas à se rencontrer, surtout pas ici. Ils avaient peut-être même tous les deux prévus de s’éviter aussi longtemps que possible.

Le phénix portait quelques pansements sur le visage, mais le gros de ses blessures avaient dû être soignées par Derek. Il était finalement en moins piteux état que le démon, et ce fut cette constatation qui le poussa à ravaler sa surprise.

- Est-ce que… tu as besoin d’un coup de main ? Demanda-t-il après un instant d’hésitation, en fixant ostensiblement la béquille de Scysios.

Celui-ci cligna des yeux, puis suivit son regard, et sembla soudainement se rappeler de la présence de l’objet sur lequel il s’appuyait.

- Oh… Non, merci, ça va aller, assura-t-il avec ce gentil sourire qui le caractérisait tant, quoiqu’un peu crispé. Je viens juste prendre deux ou trois petites choses.

Pour illustrer ses dires, il boitilla jusqu’aux placards où étaient entreposés toutes les victuailles sucrées. Il venait ici chaque fois que ses propres réserves étaient vides, et il connaissait à présent parfaitement les lieux. Il suffisait de venir en dehors des heures de repas, quand la cuisine était totalement déserte, et surtout d’éviter de se faire coincer par Libellule….

Pavel haussa les épaules et reprit ce qu’il était en train de faire avec un soupçon de nervosité, se plongeant rapidement dans ses pensées pour décider de ce qui conviendrait le mieux à un jeune phénix en pleine santé.

Un silence un peu maladroit s’installa entre eux. Ils avaient bien failli s’entretuer l’avant-veille, et leurs relations risquaient d’être tendues pendant un bon moment. Le phénix était le plus mal à l’aise ; après tout, c’était lui qui avait tenté de se débarrasser du démon, ce dernier ne faisant que se défendre. Mais Scysios avait aussi de quoi se sentir fautif ; il ne l’avait pas conduit directement à l’endroit où était retenu le prince, doutant de lui.

Ils restaient tous les deux muets, incapable de trouver quoi dire, quoi faire pour arranger la situation.

La lumière vacilla une demi-seconde après un coup de tonnerre un peu trop proche. Le crépitement de la pluie se fit plus fort, comme pour meubler le silence entre eux.

Le démon, épuisé, avait un peu de mal à fouiller dans le placard et se forçait à ne pas le quitter des yeux, pour donner l’illusion d’être occupé et ne pas être obligé d’entamer la discussion. Parce qu’il n’avait jamais été très doué pour ça, et qu’il ne savait strictement pas quoi dire à Pavel.

Les étagères étaient remplies de boites de gâteaux prévues pour les goûters des enfants, et ceux qui l’intéressaient, forts en chocolat, se trouvait tout au fond. Sans parler de la boite en fer perchée tout en haut des placards, caverne d’Ali baba version plaquettes de chocolat, cachette ultime de Libellule contre les petites mains baladeuses.

Concentré, il fit semblant de ne pas avoir entendu Pavel s’approcher, puis se planter silencieusement dans son dos.

-Je ne sais pas comment m’excuser, souffla tout à coup le blond, si bas que la pluie faillit recouvrir sa voix.

D’abord surpris, Scysios soupira, abandonnant ses recherches.

Il tourna les talons pour faire face au phénix. Le blond avait les joues rosies par la gêne et détournait le visage, incapable de le regarder. Il n’était pas à l’aise avec les sentiments, encore moins avec les mots. Il devait vraiment se sentir coupable pour oser faire un geste d’excuse aussi directement.

- Tu n’as pas à le faire.

Pavel releva un peu les yeux, intrigué. Le démon lui souriait, sans doute pour le rassurer.

- Tu savais qui j’étais depuis le début, analysa calmement Scysios, mais tu n’as jamais rien dit. Je suppose que si tu as réagis comme ça l’autre soir, c’était juste la faute de la panique…

Le garde du corps avait toujours fait semblant de ne pas savoir que le médecin de la Volière était un démon de la Morte-lune et plus encore, un officier de l’armée démone. Il n’avait jamais rien dit non plus sur son statut de démon de la mort, se permettant même quelques remarques sur ses yeux maudits pour étouffer les éventuels soupçons des autres.

Pour tout cela, Scysios réalisait à présent qu’il lui était reconnaissant.

- Et puis tu sais, je crois qu’à ta place, j’aurai réagi de la même manière si Shézac avait eu des problèmes, lui avoua-t-il avec un léger rire, tout en se retournant de nouveau.

Pavel réalisa avec horreur que si la situation avait en effet été inversée et que Scysios avait tenté de l’éliminer, il ne serait probablement plus de ce monde à l’heure qu’il était.

Perplexe, il n’osa pousser plus avant ses questions. Est-ce que c’était tout ? Il avait quand même eut l’intention de faire du mal à Scysios, peut-être même de le tuer, pendant plusieurs minutes. Il s’en sentait tellement honteux qu’il avait eu du mal à fermer l’œil, la nuit précédente.

S’excuser lui avait parut être la meilleure chose à faire dans l’immédiat, une sorte de premier pas pour une réconciliation qu’il n’espérait pas. C’était presque son instinct qui l’avait poussé à rassembler son courage pour s’approcher du démon.

Est-ce que cela suffisait vraiment ?

A en voir l’application que mettait à présent le maudit pour trier les biscuits en deux tas distincts –chocolatés et non chocolatés-, il devait certainement en déduire que oui. Mais peut-être que le médecin était seulement trop fatigué pour lui en vouloir vraiment. Il avait d’énormes poches sous les yeux et paraissait aussi énergique qu’un escargot paraplégique.

Pavel ne chercha pas à en savoir plus. Il devait déjà s’estimer heureux que Scysios ne lui en veuille pas plus que ça.

- Tu es sûr que tu n’as vraiment pas besoin d’un coup de main ? demanda-t-il avec une pointe d’inquiétude, lorsque Scysios tira un tabouret.

Le démon parut réfléchir l’espace d’un instant, avant de le dévisager avec des yeux brillants d’espoir.

- Tu pourrais attraper la boite en fer, là haut ? demanda-t-il en désignant du doigt l’objet incriminé.

Pavel fronça les sourcils, pas certain de savoir s’ils avaient le droit de toucher à ces victuailles là. Mais si cela pouvait aider à repartir sur de bonnes bases…

- Libellule est d’accord ? S’enquit-il tout de même, pour vérifier.

- Ca fait des mois qu’elle croit que ce sont les petits qui ont trouvé le moyen de grimper jusqu’en haut, se justifia Scysios sans la moindre trace de remord.

Le phénix poussa un soupir lourd de lassitude, mais grimpa tout de même sur le tabouret, pour la plus grande joie du démon.

 

oo

 

La pluie rendait l’air humide, dans les vieilles pierres de la Volière, et Libellule prit l’initiative d’allumer la cheminée pour réchauffer le bureau.

Lékilam ne paraissait pourtant pas se soucier de la température, occupé qu’il était à relire une énième fois une lettre longue comme son bras. Il avait envoyé Pavel faire quelques bricoles, pour le tenir éloigné le temps de terminer. Depuis les évènements de l’avant-veille, le garde du corps se montrait particulièrement protecteur et attentionné, suivant les moindres faits et gestes de son amant.

Celui-ci tentait de faire bonne figure.

Le prince phénix avait déjà chassé de son esprit le traumatisme de son enlèvement. Il faisait des efforts pour ne pas y repenser et jusqu’à présent, se sentait parfaitement bien. Mais à vrai dire, dès l’instant où Ehissian avait refermé le toit de la Volière, et où ils avaient entendu les pas précipités de Pavel dans l’escalier, alerté par le bruit, il s’était tout de suite sentit mieux. Et le fait de passer les douze heures suivantes les yeux fermés dans les bras de son garde du corps n’avait fait qu’améliorer un peu plus son état.

Il s’était donc mis à la dure tâche qui l’attendait avec toute sa concentration.

Lékilam avait beaucoup réfléchi, durant ces dernières vingt-quatre heures. Cette soirée cauchemardesque avait été l’occasion pour lui de faire le point, et de prendre les décisions qui s’imposaient.

Il ne pouvait plus continuer à mentir par égoïsme, pas alors que le royaume phénix était au bord de la guerre, entouré de clans dragons qui n’attendaient que la première étincelle pour s’embraser. Il fallait que le royaume retrouve des forces, reprenne espoir, et l’annonce de l’entrée du prince dans l’âge adulte était certainement le meilleur moyen possible.

Même si cela signifiait renoncer à tout ce qu’avait été sa vie jusqu’à présent.

- Bien, j’ai terminé, soupira-t-il en pliant soigneusement la lettre, avant de la cacheter.

Il avait pris le temps d’expliquer à sa mère tout ce qu’elle devait savoir à propos de cette situation. Il ne lui avait toutefois rien dit sur son enlèvement, et celui-ci resterait sans doute un énième secret bien gardé de la Volière ; pour cela, il faisait confiance à tous ceux qui avaient joués un rôle au cours de cette soirée.

Mais son retour au royaume phénix ne se ferait pas sans condition.

Bien sûr, tout cela n’était encore qu’à l’état de germe dans sa tête, mais il comptait bien passer les jours suivant à y réfléchir.

S’il avait appris quelque chose durant son exil, c’était bien de ne pas se laisser marcher sur les pieds. Il aurait des tas de choses à faire, une fois que son nouvel état d’adulte serait officialisé. Il devrait faire ses classes, probablement auprès du peuple démon, et parfaire son éducation politique chez les azurys, le peuple des sirènes.

Mais n’en déplaise à sa mère, il reviendrait à la Volière, dès lors que tout ceci serait terminé.

Et quoi que dise le principal intéressé, il ordonnerait que Pavel soit son chevalier attitré, aussi longtemps qu’il vivrait.

- On dirait un animal qu’on envoie à l’abattoir, se permit d’observer Libellule, devant sa mine renfrognée.

Lékilam soupira, déposant la lettre sur un coin de la table, avant de reporter son attention sur la pluie qui tombait au dehors.

La nymphe s’appuya sur le rebord de la fenêtre, elle aussi à deux doigts de plonger dans ses pensées.

- C’est simplement que je me suis attaché à ce monde, expliqua-t-il avec un triste sourire. Il change tellement vite, dans un siècle il ne sera déjà plus le même…

Leur propre monde, en comparaison, restait désespérément figé. Il arborait le même visage depuis des dizaines de millier d’années ; les cartes changeaient à peine, la plupart des royaumes n’évoluaient plus, et il n’y avait guère que chez les humains que l’on pouvait observer l’influence des années.

Les immortels avaient une conception différente du temps qui s’écoulait. Pour eux qui pouvaient vivre l’éternité s’ils le souhaitaient, les siècles et les millénaires n’avaient pas la même valeur que pour les mortels.

Lékilam était peut-être l’un des rares parmi ses semblables à regretter que tout autour d’eux soit aussi lent, à l’image de la conception même de leurs propres vies.

- Vous vous y ferez, tenta de le consoler Libellule, bien maladroitement.

Le prince croisa les bras sur la table et y laissa reposer son visage, comme pour sortir de son champ de vision cette lettre funeste qui scellerait son destin.

 

A suivre…

 

ooooooooooooooo

 

Après l’enfer du chapitre précédent, les évènements sont beaucoup plus calmes… J’ai bien peur que ce chapitre souffre un peu de sa place de transition et malgré plusieurs relectures, le début me pique toujours les yeux (je crois qu’il faudra une réécriture complète dans quelque mois pour que ça change

Comme d’habitude, n’hésitez pas à me faire part de la moindre de vos remarques, ou me laisser un petit message pour me dire comment vous avez trouvé ce chapitre. ^^

En vous remerciant d’avoir lu jusqu’ici, je vous dis à très bientôt. ^^


 
 
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