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au 31 Mai 21 :
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Bec d'écaille, croc de plume
Par Jaiga
Originales  -  Romance/Fantaisie  -  fr
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    Chapitre 19     Les chapitres     64 Reviews     Illustration    
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Nuit tombante
Disclaimer : Tous les personnages/ lieux/ périodes sont issus de ma propre imagination. J’ai cependant utilisé certains personnages pour des forums Rpg, ne vous étonnez donc pas si vous les croisez un jour, au hasard du net. :3

Notes :

- Je m’excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d’orthographe qui m’ont échappée, j’avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur …

- Je remercie toutes les personnes qui ont pris le temps de me laisser une review, c’était vraiment très gentil de leur part. :3 Je remercie également tout mes lecteurs anonymes pour leur fidélité, parce que si vous lisez ces lignes, c’est que vous avez aussi lu (et aimé ?) tout le reste. :D

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Chapitre 19 : Nuit tombante

 

A l’instant même où Ader pénétrait dans la tour de la KGV, Ehissian, lui, quittait le bureau du prince à la poursuite de son amant. Fallnir n’était déjà plus dans le couloir et l’espace d’un instant, le phénix crut qu’il était descendu, peut-être dans sa chambre, ou bien en dehors même de la Volière. Pourtant, passé ce premier instant de panique, il remarqua bien vite le courant d’air qui provenait d’au dessus de sa tête.

Le bureau du prince était situé au sommet de la tour, au tout dernier étage. Pourtant, l’escalier ne s’arrêtait pas devant sa porte, continuait encore pour quelques volées de marches. Ces dernières permettaient d’accéder au toit, à condition de réussir à ouvrir la lourde trappe en fer qui en bloquait l’accès depuis des années.

Autrefois, le toit servait de piste d’atterrissages aux nombreux phénix qui sillonnaient ce monde, ou de terrain d’entrainement pour divers exercices. Mais depuis que les humains avaient commencé à s’établir tout autour de la Volière, la terrasse avait peu à peu perdu son utilité, jusqu’à devenir finalement l’un des rares endroits véritablement abandonnés de la Volière.

Un rayon de lune tombait sur le sommet de l’escalier, quelques mètres au dessus de la tête d’Ehissian. Son amant avait réussi à ouvrir assez rapidement, mais n’avait pas pris la peine de refermer derrière lui. Il dévala les marches quatre à quatre, le cœur battant, et fut frappé par une bourrasque de vent glacé dès qu’il passa la tête à l’extérieur.

Ehissian grelotta, surpris par le changement brutal entre la douce chaleur de la Volière et les très basses températures qu’il faisait en cette période. Il croisa les bras, pour se frictionner vivement, et sortit complètement sur le toit.

Il ne s’agissait en fait que d’une vaste esplanade, entièrement pavée de vieux carreaux de pierre blanche. La plupart étaient brisés ou effrités par le temps, excepté un disque de pierre brute, au centre, celui qui servait occasionnellement de cercle de transport à Ehissian.

Enseignes, lampadaires, pièces encore allumées à cette heures tardives, on pouvait voir toute la ville étinceler, du haut de ce promontoire. Les étoiles étaient cachées par des nuages, que la réverbération  rendait orange, comme si le soleil ne s’était pas encore couché ; il ne faisait jamais vraiment nuit, au dessus des grandes villes.

Fallnir était assis vers le bord, accoudé sur un morceau encore intact d’une antique balustrade aux sculptures noueuses. Le vent, plus fort à cette altitude, faisait voler ses mèches auburn dans tous les sens. Il n’en avait cure, et regardait fixement, droit devant lui, comme s’il cherchait quelqu’un à travers les rideaux tirés de l’immeuble d’en face. Même à cette heure tardive, des gens y travaillaient encore.

- Fallnir… ? Appela doucement le phénix en s’approchant de lui.

L’auburn se tourna lentement, et le dévisagea sans vraiment le voir, les traits aussi figés que ceux d’une statue de glace. Pourtant, Ehissian le voyait dans ses yeux clairs, il était profondément meurtri. Le stupide geste qu’il venait de faire, l’embrasser devant tout le monde, n’était déjà plus qu’un vague souvenir pour eux deux, une goutte dans la mer de leurs problèmes.

- Tu vas attraper froid, tu devrais redescen…

Fallnir tendit brusquement la main vers lui, le faisant sursauter. Pourtant, il n’y avait aucune animosité dans son geste. Il lui fit même un signe de tête, pour l’inciter à la saisir, ce que le phénix fit après une petite seconde d’incertitude. Le dragon le tira alors vers lui et le tint blottit tout contre son torse, enlacé entre ses bras, dans une  étonnante bulle de chaleur.

Ehissian écarquilla les yeux, surpris, mais eut tôt fait de se détendre. Il y a longtemps, lorsqu’il n’était qu’un apprenti chevalier, on lui avait appris que les dragons étaient traitres, et qu’il ne fallait se fier à aucun détail physique pour en reconnaître un. Sous forme humaine, la couleur de leurs cheveux changeait en fonction du dernier élément magique qu’ils avaient utilisé sous leur véritable forme, si bien qu’on ne pouvait faire confiance à ce détail pourtant indispensable pour les différencier.

Ehissian s’étonna un peu que Fallnir sache utiliser la magie, et plus encore, arrive à s’en servir sur ce monde. Lui-même ne connaissait que des sorts de bases et aurait été bien incapable de les utiliser, avec si peu de matière première. Mais on disait que les dragons étaient des maitres dans la magie élémentale, si bien qu’il ferma les yeux et se contenta de profiter de la bulle de chaleur que Fallnir avait tissé autour de lui. Comprenant enfin pourquoi les cheveux de Fallnir était auburn, et sa voix toujours enrouée.

Enrouée à cause des flammes qu’il avait craché la dernière fois qu’il avait repris sa véritable forme, sur leur monde, et jamais vraiment guérie depuis… -il apprit bien des années plus tard qu’en réalité, lorsque les dragons utilisaient la magie du feu ou de la glace, ils conservaient une voix enrouée jusqu’à ce qu’ils changent d’élément principal.

Ehissian noua ses bras autours du torse de son amant et enfouit son visage dans son giron, emplissant ses narines de son odeur si particulière. Fallnir le garda doucement serré contre lui, sans dire un mot, ni faire un geste. Sa respiration troublait à peine le silence de leur étreinte, tandis que les lointains bruits de la ville leurs parvenaient par intermittence, brumeux, comme altérés par un filtre, ou par les nombreux sortilèges qui recouvraient la façade de la Volière.

-Est-ce que c’est le prince qui t’as donné l’ordre de percuter ma fenêtre, la première fois que l’on s’est rencontré ?

Ehissian se raidit en entendant ces mots, prononcés sans aucune émotion, et s’écarta de Fallnir sans pour autant quitter son étreinte. Les paroles du dragon l’avaient giflé violemment, mais il n’en montra rien et durcit l’expression de son visage. Il croisa le regard clair de son amant et le fixa longuement, les yeux rivés dans chacune de ses prunelles.

- Non. Je te jure que non. Je suis le seul à avoir décidé de l’itinéraire que j’ai suivi, et si je suis rentré dans ta fenêtre, c’était uniquement par accident.

Fallnir soutint sans ciller son regard déterminé, pendant plusieurs secondes encore. Il paraissait torturé, en proie au doute, et Ehissian aurait aimé pouvoir lui prouver de manière indéniable sa sincérité. Mais il n’avait que des mots et son visage pour affirmer sa franchise, ce qui était bien peu de chose comparé à l’ampleur de la détresse du dragon.

Pourtant, ce dernier finit par baisser la tête, et soupirer. Sans toutefois lui dire qu’il le croyait.

- Excuse-moi…

Il avait l’air si misérable, comme ça, si fragile et désemparé, lui qui était d’habitude si fort et bien campé sur ses deux jambes. Le phénix se sentit mal de le voir dans une pareille situation de faiblesse, à la fois penaud et désorienté. Pourtant, qui d’autre que lui pourrait approcher l’auburn alors qu’il se trouvait dans un état pareil, et tenter d’apaiser son tourment ? Il se blottit un peu plus contre le torse protecteur de son amant, et dans son dos, serra plus fort le tissu de ses vêtements.

- Et si… tu me racontais… ?

Il avait formulé sa demande d’une voix à demi étouffée, du bout des lèvres. Fallnir ne répondit rien, mais les bras qui serraient son amant tressaillirent une seconde. Ehissian bloqua son souffle, anxieux.

Est-ce qu’il allait de nouveau le rejeter ? Se murer dans son silence ? L’espace d’un instant, le phénix eut peur de ce qui pourrait se passer.

Pourtant, Fallnir ne fit rien de tout ce que son amant avait imaginé, prenant celui-ci de court.

Il se contenta de déposer un baiser sur sa tempe, et de soupirer une énième fois, profondément las.

- Qu’est-ce que tu veux que je te raconte ? Il n’y a rien qui en vaille la peine…

Les mots étaient amer, la voix teintée d’abattement, comme si la colère brûlante qui dévorait le dragon s’était envolée dans un souffle de vent, pour ne laisser derrière elle que les ruines de la mélancolie.

A vrai dire, Fallnir s’en voulait d’avoir douté de la sincérité de son amant, la seule chose à laquelle il pouvait encore se raccrocher, dans l’océan tourmenté qu’était devenu son cœur. Le fait de le voir lui affirmer aussi franchement que leur rencontre n’avait en rien été calculée avait cassé quelque chose, anéanti son courroux et son ressentiment. A moins que ce ne soit la fatigue accumulée ses derniers jours ? L’annonce du prince faite à midi, puis leur convocation, l’avait privé de repas depuis le début de la matinée. Et depuis que Shézac avait raconté cette histoire l’autre soir, que les premiers soupçons avaient germé dans sa tête, son moral avoisinait le zéro et sa forme était au plus bas.

-Alors comme ça… Tu n’es pas du clan Telesöh, mais du clan Garnësir ? demanda Ehissian d’une voix douce, plus pour inciter son compagnon à lui parler que comme une réelle question.

Fallnir poussa un soupir las, comprenant que son amant ne le lâcherait pas avant d’avoir obtenu les explications qu’il voulait.

- Non. Le prince l’a dit tout à l’heure. Ca fait longtemps que je ne suis plus dans aucun clan.

Et comme le phénix commençait à ouvrir la bouche, l’auburn s’empressa de rajouter :

- J’ai été banni, Ehissian. Plus aucune communauté ne voudra jamais de moi, c’est comme si je n’étais même plus un véritable dragon. C’est pour ça que le prince ne m’a jamais vu comme une menace.

Le jeune chevalier encaissa le coup comme il put, tentant vainement de cacher sa surprise. Fallnir ? Banni ?

Qu’avait bien put-il faire pour mériter une telle sanction, être chassé de son pays, loin de ses amis, de sa famille ? L’idée que de toute manière, les règles du clan Garnësir impliquaient que Fallnir n’avait jamais vraiment eu de famille n’effleura pas tout de suite les pensées d’Ehissian. Mais au fond, c’était peut-être pire ; parce que cela signifiait que le dragon s’était probablement retrouvé tout seul après son exclusion, sans aucun repère ni pensée réconfortante à laquelle se raccrocher.

Et à la vérité, c’était exactement ce qui s’était passé. Le dragon se souviendrait toute sa vie de son bannissement, alors qu’il aurait tout donné pour pouvoir l’oublier. D’un seul coup, tout ce qui avait fait son existence jusqu’à lors, tout ce à quoi il avait aspiré, rêvé, s’était effondré comme un château de carte.

A quoi bon continuer à s’entrainer, puisqu’il ne se battrait plus jamais pour un clan ? A quoi bon s’accrocher à la notion de justice, puisqu’il n’avait plus aucune raison de la faire respecter ? A quoi bon persister à être cynique, désagréable, haïr les autres peuples, puisqu’il n’y avait plus personne pour lui reprocher de ne pas se comporter comme un véritable dragon, de renier le passé et les traditions de leur espèce ?

A son départ du clan, il s’était retrouvé complètement déboussolé, anéanti, brisé. Aucune famille ou camarade chez qui trouver refuge, aucune idée de ce qu’il ferait à présent, ni même d’un endroit où aller. Il lui avait fallu rencontrer Shézac pour retrouver un semblant de vie, et jusqu’à très récemment, il se contentait de se laisser porter par les évènements, vivant au jour le jour comme le dragon solitaire et désabusé qu’il était.

Mais maintenant… Maintenant, il avait Ehissian… Ce même Ehissian qui le regardait avec un air de chien battu, blotti contre lui, les mains accrochées à ses vêtements.

- Mais…. Pourquoi ? Demanda le phénix avant de se mordre la lèvre inférieure.

Le jeune garçon avait peur, peur de découvrir quelque chose de terrible sur son amant, un fait atroce qui changerait à jamais sa vision de l’auburn. Ce dernier dut sentir sa crainte car, lentement, il relâcha son étreinte sur Ehissian et s’éloigna de lui.

La bulle de chaleur protectrice qu’il avait tissé autour de sa personne s’écarta avec lui, si bien qu’Ehissian se mit à frissonner, croisant les bras pour tenter de se réchauffer. La silhouette du dragon s’approcha de la balustrade ébréchée du toit, comme entourée d’un halo par l’effet de clair obscur des lumières de la ville, en contrebas.

- Le Garnësir nous avait confié une mission, commença le dragon. Nous devions récupérer pour lui un document qui lui appartenait, dans la chambre forte d’un palais ennemi. Un document qu’on lui avait volé, et que d’autres clans convoitaient aussi. Alors nous sommes allés là bas, nous avons attendu la nuit, et nous avons pénétré dans le palais…

Ehissian s’avança vers son compagnon, dont la voix devenait de plus en plus amère. L’auburn lui tournait toujours le dos ; ses épaules paraissaient voutées, comme s’il portait tout le poids du monde sur ses épaules. Le phénix avait du mal à imaginer le terrible guerrier Garnësir qu’il avait dû être, le soldat impitoyable qui n’avait d’autre but que le respect de la justice.

Son Fallnir, si calme et taciturne, un mercenaire ? Le rôle de simple commerçant que lui avait attribué le prince collait plus au caractère du dragon, ou du moins, au caractère qu’il avait toujours affiché, depuis qu’Ehissian le connaissait.

- C’est moi qui était responsable des opérations, continua l’auburn comme pour contredire les pensées de son amant. J’ai réuni les hommes, préparé le plan, organisé la mission. Mais je n’avais pas prévu que les démons de la Morte-lune seraient aussi embauchés pour récupérer le même objet que nous.

Avec un frisson glacé, autant de peur que de froid, Ehissian retrouva le giron chaud de son compagnon. Fallnir l’accueillit de nouveau sans mot dire, posa son menton sur la tignasse bleue de son amant. Ce dernier avait la gorge nouée, ayant parfaitement compris ce que les derniers mots de l’auburn signifiaient, mais souhaitant tout de même l’entendre sortir des lèvres du dragon.

Lorsque les démons de la Morte-lune avaient une mission, ils avaient la réputation de toujours l’exécuter et la réussir avec succès, quitte à éliminer pour cela tous les obstacles qui se dressaient sur leur chemin. Il n’était pas difficile d’imaginer ce qui avait dû se produire, cette nuit là, lorsque dragon de Garnësir et démons de la Morte-lune s’étaient retrouvés en face, convoitant la même chose.

- Ca a été un vrai massacre… souffla Fallnir, resserrant sans même s’en apercevoir son étreinte autour de la taille de son amant. Tout ça à cause de moi.

Ehissian sursauta et regarda son amant d’un air ahuri, les yeux ronds comme des billes.

- Tu veux dire que… tu as été banni juste pour ça ? Parce que tu n’as pas deviné qu’il y aurait les démons de la Morte-lune ?

Fallnir le dévisagea, les sourcils froncés. Son regard le fixait d’une manière si sévère que le phénix en fut un instant effrayé.

- Juste pour ça ? Ehissian, on était trente à partir pour cette mission, nous ne sommes que cinq à être revenu ! Mon meilleur ami est mort ce soir là, et beaucoup d’autres que…

- Mais ce n’était pas ta faute ! Le coupa brutalement Ehissian. Tu ne pouvais pas prévoir que ça ce passerait comme ça !

Le chevalier s’était saisi des bras de son compagnon, se dégageant de son étreinte pour lui prouver sa détermination. A vrai dire, il était aussi perdu que son amant, les évènements se déroulant bien trop vite pour qu’il puisse tout assimiler aussi rapidement. D’abord, les révélations dans la salle commune, puis ici, sur le toit… Il n’avait même pas compris ce que Fallnir reprochait aux autres, ce qu’il avait contre Lékilam. Est-ce qu’il pensait qu’on l’avait manipulé, forcé à venir ici pour l’utiliser d’une manière ou d’une autre ? Que c’était le prince et son protecteur secret,  Derek Isdegarde, qui étaient derrière tout ça ?

C’était trop pour le phénix, qui avait toujours eu jusque là une petite vie bien tranquille.

- Si, j’aurai dû le prévoir, répondit Fallnir d’un ton amer. Ou au moins, considérer qu’on ne serait peut-être pas les seuls à être acquitté de cette mission.

Son amant le toisa d’un air désolé, autant pour ce qu’il était en train de lui raconter, que parce qu’il était visiblement convaincu à tort de sa responsabilité. Mais le dragon resta de marbre, le visage inhabituellement sombre. Il ressassait ses vieux souvenirs depuis presque deux jours, depuis l’histoire de Shézac qui avait fait remonter en lui toutes ces images douloureuses. Alors que cela faisait si longtemps qu’il n’y avait plus pensé… Au fil du temps, la colère et la honte de son bannissement s’étaient transformées en regrets amers, puis en désintéressement total. Sa rencontre avec Ehissian lui avait presque fait croire que finalement, il était tout aussi heureux comme ça.

Alors pourquoi est-ce que le spectre de son passé se mettait de nouveau à le poursuivre ?

- C’est pour ça que tu étais si en colère hier, après l’histoire de Shézac… C’est parce que c’est Derek Isdegarde et ses hommes qui ont tué tes camarades ? Et que tu penses qu’il te surveille toujours, après tout ce qu’il t’a fait ?

Fallnir détourna les yeux et ne répondit pas, mais son amant lu dans son regard que c’était effectivement le cas. Ehissian se pinça l’arrête du nez, grimaçant sous le coup de l’effort que fournissaient ses méninges.

-Et comme Shézac est son fils… Tu as pensé qu’en fait, il n’avait peut-être fait que t’utiliser pour t’emmener ici ?

De nouveau, le silence lui servit de réponse, lui arrachant un soupir.

Trop d’informations. Besoin d’une bonne nuit de sommeil. Ils verraient après comment évolueraient les évènements.

Doucement, il saisit une main du dragon, et le tira en direction de l’escalier. L’auburn ne rechigna pas à le suivre, encore trop déboussolé pour savoir ce qu’il voulait vraiment, et préférant de toute manière la compagnie de son amant à la solitude.

Il ne se retourna qu’un instant, avant de descendre l’escalier qui les ramènerait dans les étages. Pour lancer un regard vers l’immeuble d’en face, celui de la compagnie KGV, au dernier étage duquel brillait encore la lumière du bureau du directeur.

 

--

 

 On ne fit aucune embrouille à Ader, lorsque celui-ci traversa l’immeuble de la KGV pour se rendre jusqu’à son sommet. L’équipe de nuit de la sécurité était déjà en poste, et la quasi-totalité de ses membres étaient à la solde des vampires. Ader parcourut le hall sans retirer les mains de ses poches, s’engouffra dans un vaste ascenseur, et appuya en bâillant sur le bouton du dernier étage. Stratégiquement placée en face de la Volière, la tour avait été construite comme un véritable labyrinthe, un enchevêtrement inextricable de couloirs, de salles et d’escaliers. De fait, le bureau du directeur, au sommet de ce dédale, était quasiment inaccessible pour une personne se déplaçant à pied. L’unique voie d’accès était l’ascenseur, qu’il était très facile de surveiller et de protéger. L’ancien directeur qui avait fait bâtir l’édifice était très légèrement paranoïaque sur les bords et surtout, s’était un temps scrupuleusement opposé à la domination qu’exerçaient les vampires sur son entreprise. On l’avait retrouvé dans le fossé d’une route de campagne, à une soixantaine de kilomètres de là, saigné à blanc dans le coffre de sa voiture.

La course de l’ascenseur ne fut pas interrompue, et une poignée de minutes après y être entré, Ader quitta la cabine pour traverser le hall du dernier étage. Les bureaux des secrétaires étaient déserts et plongés dans l’obscurité, mais un rai de lumière pâle filtrait sous la porte du bureau du directeur. Le vampire ne prit pas la peine de frapper, poussant la poignée de la porte comme s’il pénétrait dans son propre bureau – ce qui était un peu le cas, vu que l’entreprise appartenait à moitié aux vampires.

Au fond de la salle, assis derrière un meuble en bois massif disposé devant une immense baie vitrée, le directeur leva aussitôt les yeux vers lui, mais ne montra aucun signe de surprise. Il se contenta de refermer le bouchon de son stylo et de passer une main dans ses cheveux bruns, visiblement contrarié d’être ainsi dérangé pendant qu’il travaillait.

-J’avais toujours cru que les patrons de multinationales passaient plus de temps sur les terrains de golf qu’à leur travail. Il commence à se faire tard, monsieur Heath, vous ne croyez pas qu’il est l’heure de rentrer chez vous ?

L’homme darda sur lui ses deux prunelles violettes, les sourcils froncés.

- Je ne vois pas en quoi ça vous regarde. Je peux savoir qui vous êtes ?

Il était aussi jeune qu’on le disait, constata Ader avec un sourire narquois. La trentaine, peut-être un peu moins, de sorte qu’il ne pouvait décemment pas être parvenu dans ce fauteuil sans l’aide extérieure des phénix. Cela lui donnait la nausée, mais il dut reconnaître que Thane avait vu juste.

- Appelez-moi Ader, se présenta-t-il d’une voix enjouée, légèrement moqueuse. Vous ne me connaissez certainement pas, mais moi, j’ai beaucoup entendu parler de vous…

Le directeur roula des yeux, déjà agacé par ce personnage irritant. Il portait un élégant costume, dont la veste reposait soigneusement sur le dossier de son confortable fauteuil. Pour se mettre à l’aise, il avait dénoué sa cravate et détaché les deux premiers boutons de sa chemise blanche, ce qui lui donnait à la fois un air affairé et décontracté. Il était diablement séduisant, pour un PDG.

Ader s’assit sur une chaise de l’autre côté du bureau, prenant ses aises.

- Je suis le chef de ce quartier, et accessoirement de cette ville. On m’a fait comprendre que vous étiez nouveau, ici. Alors je suis venu voir si votre installation s’était bien passée, et si vous n’aviez pas oublié deux ou trois petites choses…

Le directeur se laissa aller dans son fauteuil, poussant un profond soupir.

- Les vampires, hein ? –comme Ader hochait la tête avec un sourire moqueur, il continua- Je m’attendais à recevoir votre visite. C’est à propos de votre pourcentage, c’est ça ? Il vous faut plus ?

Son vis-à-vis balaya l’air d’un geste de main en même temps qu’il parlait, comme pour illustrer les paroles qui suivirent.

- Allons, monsieur Heath, ce n’est pas moi qu’on aurait envoyé pour ce genre de chose. Vous voyez, vous étiez l’une des dernières personnes que l’on s’attendait à trouver dans ce fauteuil. Alors les chefs au dessus de moi se sont demandé comment vous aviez réussi à atterrir là, sans un petit coup de main de leur part…

Heath se massa les tempes, d’un air las. Il garda le silence quelques secondes, cherchant visiblement ses mots. Il n’y avait presque pas de lumière, dans le vaste bureau. A peine une petite lampe qui diffusait une lumière voilée, juste suffisante pour que le directeur puisse travailler, et qui creusait sur leurs visages des ombres étranges.

- Ecoutez… Je suis au courant, pour votre petite guéguerre avec les phénix. Mais il faut que vous sachiez que moi, je m’en balance – et pardonnez moi l’expression.

Le sourire d’Ader s’agrandit considérablement, tandis qu’il lançait au directeur un regard entendu. Il avait vu juste, ce jeune ambitieux ne travaillait que pour son propre compte, absolument pas pour l’un des deux camps.

- J’imagine tout à fait, monsieur Heath, et si ça ne tenait qu’à moi… Mais vous savez, j’ai cru comprendre que c’était mes chefs qui vous avaient mis dans votre précédent fauteuil, et que votre retournement de veste ne leur avait pas vraiment plu. Ils exigent une sorte de… compensation, de votre part…

Le jeune homme fronça les sourcils de plus belle, la mine sombre.

- Quel genre de compensation ?

Ader effaça son sourire, prit un air sérieux, celui qu’il avait toujours quand il était contrarié ou qu’il expliquait ses quatre vérités à un subordonné. Généralement, cette expression signifiait aussi que pour qu’il évacue son ressentiment, Maerys devait se préparer à avoir mal aux genoux ou à l’arrière train.

- Les phénix, justement, monsieur Heath. Ils vous ont aidé à atterrir ici, mais nous, ils nous gênent.

Le directeur haussa les sourcils, perplexes.

- Et vous voulez faire quoi ? Vous débarrasser d’eux ?

Le sourire moqueur d’Ader revint aussitôt et il se pencha en avant, les mains croisées sur ses genoux. Ca l’amusait beaucoup, de jouer au méchant vampire machiavélique, lui qui passait son temps à superviser la bande d’adolescents irresponsables qui se revendiquaient créatures de la nuit.

-C’est exactement ça, monsieur Heath. Nous débarrasser d’eux, définitivement.

Heath eut un reniflement amusé.

- Et vous pouvez me dire quel intérêt est-ce qu’on en retirerait ?

Il ouvrit un tiroir sur son bureau, fouilla quelques instants, puis jeta devant lui un épais dossier à la reliure de cuir.

- Ils représentent plus de cinquante pour cent du chiffre d’affaire du secteur agro-alimentaire de la KGV. Il y a énormément de chose qu’ils ne peuvent pas cultiver chez eux, et ce sont de vrais pingres. Ils préfèreraient mourir que d’acheter ce qu’il leur faut aux autres peuples de leur monde.

Ader soupira et lança à son interlocuteur un regard las.

- Je le sais bien, monsieur Heath. Croyez moi, ça ne me plait pas plus qu’à vous de les évincer, ils sont de très bons clients. Mais les ordres viennent d’en haut. Et au fond, peut-être qu’on y gagnerait beaucoup plus que ce qu’on pense… La liberté vaut plus que quelques bénéfices.

Heath ne parut pas convaincu, mais haussa les épaules pour montrer que cela lui était égal. De toute manière, il n’était pas en mesure de s’opposer à cette décision, ni même de la négocier, et il en avait parfaitement conscience.

- Très bien. Et que dois-je faire, pour conduire ma société à la faillite ?

Le sourire d’Ader devint railleur, sentant qu’ils approchaient de la partie sensible.

- Eh bien, à vrai dire, pas grand-chose. Nous savons que vous êtes en contact direct avec le prince –l’espace d’une demi seconde, les prunelles du directeur s’écarquillèrent, mais le vampire n’y fit pas attention- et qu’il y a même de forte chance pour que vous l’ayez déjà rencontré. Tout ce que nous vous demandons, c’est de l’attirer en dehors de leur satané tour.

Heath haussa de nouveau les sourcils, intrigué.

- Et vous allez en faire quoi ? Le tuer ?

Ader secoua la tête de gauche à droite, en souriant.

- Nous ne sommes pas fou à ce point. Ils nous écraseraient comme des moustiques, si on faisait une chose pareille. Non, nous voulons juste le garder comme otage.

- Et ne le leur rendre que lorsqu’ils auront quitté ce monde et démoli jusqu’à la dernière pierre de leur tour ? S’enquit aussitôt le directeur, en s’accoudant à son bureau.

- Vous comprenez vite, acquiesça Ader avec un sourire narquois.

Le directeur se massa les tempes, les yeux fermés, visiblement en pleine réflexion. Ader le laissa faire, amusé. A la même place, il aurait peut-être réagi de la même manière. Quoique non, en fait, il se serait d’abord énervé en apprenant qu’il avait été espionné, se serait emporté encore plus lorsqu’on lui aurait annoncé qu’il était obligé de courir au suicide, et aurait fini par casser la figure à l’émissaire en face de lui.

Du moins, il aurait fait cette dernière étape dans la mesure du possible.

Le directeur était grand et bien battit, avec des épaules larges sous lesquelles on devinait des muscles athlétiques. Peut-être était-il capable de frapper très fort, mais il n’était qu’un humain, et face à un vampire comme Ader, il ne tiendrait sûrement pas longtemps.

Comme en écho à ses pensées, Heath poussa un profond soupir, empli de lassitude.

- D’accord. Quand est-ce que vous voulez qu’on le fasse ?

Sortie du contexte, cette phrase aurait pu provoquer de très jolis quiproquos. Ou alors, Ader avait l’esprit trop mal tourné ? Il fallait dire que Thane avait réveillé en lui des sentiments qu’il croyait éteints depuis longtemps, et que plus le temps passait, plus il trouvait le fringuant directeur à son goût –beaucoup plus que Thane, d’ailleurs.

Avec un sourire narquois, Ader se leva.

- Je vous contacterais plus tard pour vous le dire. Il nous reste encore des choses à régler… Et je ne voudrais pas vous déranger plus longtemps.

Heath se leva également, pour le raccompagner jusqu’à la porte du vaste bureau. Il semblait un peu morose, mais paraissait également s’être résigné.

Ce type lui plaisait décidemment.

- Eh bien, à bientôt… soupira le directeur en ouvrant la porte de son bureau, pour jeter un œil dans le couloir –il ne savait sans doute pas que la présence d’Ader n’avait en rien perturbé la sécurité.

Le vampire le salua avec un mouvement de la tête, toujours souriant.

- A bientôt, monsieur Heath. Vous avez fait le bon choix…

Alors qu’il s’avançait pour quitter la pièce, le jeune humain sembla soudain se souvenir d’une chose, et l’interpella.

- Oh, avant que vous partiez… S’il vous plait, faites moi plaisir, arrêtez de m’appeler «monsieur Heath », j’ai l’impression que vous vous payez ma tête.

Et tandis qu’il le frôlait pour franchir le seuil, Ader sentit l’odeur du directeur, une odeur suave, salée, capiteuse. L’odeur d’un sang qu’il connaissait bien, et qu’il n’oublierait jamais. L’odeur du sang que lui avait donné Scysios, deux cent ans plus tôt, lorsque le médecin l’avait trouvé à moitié mort dans une rue et s’était pris de pitié pour lui. L’odeur du sang de Thane, qu’il avait saisi au vol lorsqu’ils marchaient tous les deux dans les égouts. L’odeur du sang du vieux, du grand père de Maerys, une boisson dont il s’était nourri tant de fois qu’il ne pouvait plus les compter, avant, après et parfois même pendant que le vieux le plaquait contre le matelas pour le posséder passionnément.

Oh oui, il aurait pu reconnaître l’effluve de ce sang entre mille, en retrouver une goutte au beau milieu d’une boucherie.

Ce type n’était pas humain. C’était un démon. Un enfoiré d’étranger.

- Mon prénom est Derek, signala le directeur avec un demi-sourire, avant de refermer soigneusement sur lui la porte du bureau.

 

--

 

Lékilam s’effondra en bâillant sous sa couette, ne prenant même pas la peine de se changer. Il se sentait littéralement vidé, exténué par la confrontation qu’il venait d’avoir avec les autres, et toute l’énergie qu’il avait dû fournir depuis la veille. Sans parler de la frayeur que lui avait causé Pavel…

Cela faisait plus de trente heures qu’il n’avait pas dormi. D’autres immortels auraient très bien pu tenir encore plusieurs jours avant de ressentir les affres de la fatigue, mais lui, de part sa faible constitution et son jeune âge, était complètement éreinté. Il avait encore des dizaines de choses à faire, de détails à traiter, mais il était décidément trop tard, et trop tôt à la fois. Demain serait un autre jour, durant lequel il pourrait arranger ce qu’il lui restait à faire. Mais en attendant…

Un poids s’ajouta soudain sur le matelas, alors que Pavel le rejoignait sur le lit. Instinctivement, le prince se blottit dans les bras chauds de son garde du corps, ce dernier l’enlaçant aussitôt.

- Je n’en peux plus… Se plaignit le jeune homme en fermant les yeux. Si tu savais comme j’ai envie de dormir…

Son garde du corps lui caressa doucement les cheveux, avec affection. Pourtant, sous la tendresse de ses doigts, Lékilam perçu aussi un autre sentiment, sous-jacent, totalement différent.

Du reproche ?

Il se mordit la lèvre et releva la tête vers celle de son amant. Les yeux dorés de Pavel le fixaient sans ciller, avec un mélange d’amour bienveillant et de rancune contenue.

-… Toi, tu préfèrerais qu’on parle avant de dormir, c’est ça ? demanda le plus jeune d’une toute petite voix.

Son ainé soupira, hochant doucement la tête. Ils se connaissaient trop bien, tous les deux. Ou du moins, savaient par moment interpréter les signes de l’autre.

- Tu as tout compris… souffla Pavel sans cesser de le cajoler.

Penaud, Lékilam baissa les yeux et se blottit un peu plus contre son amant. Il enfouit sa tête contre le torse de celui-ci, respirant à plein poumon son odeur rassurante, comme pour se recroqueviller dans sa chaleur.

- Que tu ne m’ais rien dit pour Scysios et Libellule, je peux comprendre…

Le garde du corps avait toujours été au courant que les démons de la Morte-lune assuraient aussi la protection du prince. C’était Derek Isdegarde en personne qui l’avait retrouvé, dans le village où Pavel s’était retiré après qu’il ait quitté l’armé, et qui l’avait convaincu de retourner à la capitale pour écouter la requête de la reine. Le phénix se doutait donc depuis longtemps qu’il y avait quelqu’un, dans leur entourage plus ou moins proche, qui assurait la liaison entre la tour et les mercenaires.

De même, lors du grand renouvellement de la population de la Volière, quelques siècles auparavant, il avait toujours suspecté que le remplacement de la flopée de conseiller qui entouraient le prince par une seule et unique personne, étrangère de surcroit, n’était absolument pas anodin.

- Mais pour les deux autres ?

Son ton était légèrement réprobateur, mais le reproche était toujours étouffé par un voile de douceur. Il savait que dans son état de fatigue avancé, Lékilam pourrait se braquer aussi vite que l’adolescent caractériel qu’il était…

Qu’il était censé être.

Aussi étrange que cela puisse paraître, le rustre et sévère Pavel savait faire preuve d’une grande tendresse, lorsqu’il s’agissait de son prince.

- Fallnir… Derek a toujours gardé un œil sur lui. C’est lui qui s’est porté garant de son comportement, lorsqu’il a demandé à venir à la Volière… Ma mère a hésité avant de me mettre au courant de sa présence sur notre monde, alors elle n’a pas voulu que d’autres personnes sachent que les phénix avaient autorisé un dragon à vivre dans nos murs, surtout sur les conseils d’un démon. Même Libellule ne savait pas, avant qu’il arrive ici.

Le garde du corps ne dit pas un mot, mais n’en pensait pas moins. S’il avait su que ce Fallnir était un Garnësir, en plus d’être un dragon, il l’aurait tué dès le premier pied posé sur le sol de la Volière, que Derek Isdegarde en personne se soit porté garant ou non.

Il ne voulait pas savoir, n’osait même pas imaginer sous quel prétexte une telle folie avait été rendue possible. Se massant doucement les tempes, il préféra changer de sujet.

- … Et ce Shézac, c’est vraiment le fils d’Isdegarde ? Je croyais qu’il s’appelait Meroën…

- C’est un pseudonyme qu’il utilise beaucoup… bâilla le prince, comme s’il connaissait le démon depuis toujours.

Puis il sembla réaliser quelque chose, et plongeant ses yeux dans ceux de Pavel, il continua.

- S’il te plait, ne le brutalise pas. Il est bien plus que le fils de Derek, son rang est presque aussi élevé que le mien. Il n’est pas vraiment du genre à aller se plaindre, mais je n’ai pas envie que vous provoquiez un incident diplomatique, avec vos bagarres…

Pavel haussa les sourcils, oubliant pour le coup que son amant venait presque d’insinuer qu’il était un homme au caractère imprudent et irréfléchi. C’était d’ailleurs exactement ce qu’il était, même s’il refusait de l’avouer.

Un rang égal à celui d’un prince héritier ? A moins d’être membre d’une quelconque famille royale…

- C’était l’amant du second héritier démon, expliqua Lékilam en voyant son étonnement. Du frère de leur ancien roi…

Pavel resta maitre de lui et réussit à contenir une exclamation de surprise. Pourtant, il n’en ressentait pas moins d’incrédulité, tellement qu’il s’était arrêté de caresser machinalement les doux cheveux de son prince.

- C’était ?

Lékilam opina doucement, d’une voix ensommeillée.

-Tu connais l’histoire, non… ?

Pavel hocha la tête, mais resta songeur. Comme tout le commun des immortels, il avait longtemps cru que l’Onikam n’était qu’une légende, jusqu’à ce qu’il ne parvienne à l’un des plus hauts grades de l’armée phénix et qu’on ne lui explique très officiellement l’histoire. Il s’était même retrouvé une fois face à cet être mystique, sur un champ de bataille, quelque siècle auparavant. Un adversaire redoutable, un esprit que l’on ne savait trop comment tuer, faute d’avoir déjà connu un cas comme le sien ; si bien que lorsqu’il prenait possession d’un corps, c’était comme s’il prenait en otage son propriétaire. De fait, il ne s’intéressait qu’à des personnages importants, des individus illustres, à la fois pour s’accaparer leur puissance que pour assurer un peu plus ses arrières…

Car puisqu’il n’était plus qu’un esprit, la mort n’était plus pour lui un obstacle. On avait beau brûler son corps, le transpercer, le noyer, le frapper à coup d’oreiller en plume, c’était toujours son hôte qui perdait la vie, et lui n’avait plus qu’à quitter le cadavre encore chaud pour s’approprier un nouveau corps.

Quand il avait voulu posséder le roi des démons, plusieurs millénaires auparavant, celui-ci s’était tellement défendu que contre la puissance écrasante de l’Onikam, son esprit s’était écrasé, avait éclaté en morceau, comme une statue de marbre que l’on aurait jetée des plus hauts étages d’une tour phénix.

Sans doute dérangé par la présence, dans le corps royal, de cet esprit agonisant, l’Onikam avait aussitôt changé de victime, ne rendant au peuple démon qu’une coquille vide de ce qui fut autrefois leur roi. Et le frère du dit roi, à la fois deuxième dans la liste d’accession au trône et dans celle des victimes potentielles de l’Onikam, avait tellement été effrayé par le sort de son ainé qu’il n’avait émis aucune résistance, quand le dévolu de l’esprit maléfique s’était jeté sur lui.

On avait raconté cela à Pavel parce qu’il en avait résulté, chez les démons, plusieurs siècles de guerre civile silencieuse et d’affrontements sous-jacents pour savoir qui remplacerait temporairement les deux frères héritiers, dans l’hypothèse où le premier parviendrait à guérir un jour son esprit mutilé, ou si l’Onikam rendait le corps du second avant que celui-ci ne soit tué au cours d’une quelconque bataille. Les autres peuples avaient longtemps eu peur que les débordements ne finissent par les atteindre, ou pire, par provoquer une guerre. Les généraux démons avaient finalement réussi à imposer à leur peuple une reine éphémère, que personne n’avait osé contester, dont le règne provisoire durerait jusqu’à ce que le sort des héritiers soit fixé.

Gaïa, une ancienne souveraine qui s’était retirée de la vie politique des dizaines de millier d’année plus tôt, gouvernait depuis le peuple démon avec la plus grande sagesse.

- Il est de la famille royale, alors ? S’enquit Pavel dans un haussement de sourcil, après une longue pause.

Il avait beaucoup de mal à imaginer le blond surexcité au milieu de gens de hautes lignées. D’autant plus qu’il y avait eu des rumeurs, ces derniers temps, qui étaient remontées jusqu’à ces oreilles… Le bruit selon lequel les deux démons de la Volière étaient amant ne semblait donc pas être vrai. Et dire qu’il commençait à peine à envisager d’aller s’excuser auprès de Scysios, pour la fois où il lui avait reproché son comportement volage avec le blond excentrique.

- Hmhm… acquiesça doucement le prince. On peut dormir, maintenant, ou tu as encore des questions ?

Pavel secoua la tête et berça doucement son prince, l’invitant à se laisser aller au sommeil. Le jeune homme était littéralement épuisé, ce n’était pas la peine de le forcer à rester plus longtemps éveillé. Il ne voulait pas voir les cernes sur sa peau blanche se creuser d’avantage.

Lékilam s’endormit sous ses caresses, dans une chaleur comateuse, laissant Pavel à ses réflexions.

La perspective qu’il y ait un autre invité de marque à la Volière ne lui plaisait pas particulièrement. Car loin d’être une force, c’était au contraire une incitation supplémentaire à l’attaque de la tour.

D’autant plus que si Shézac était l’amant du prince des démons… Cela signifiait aussi qu’il était l’amant de l’Onikam, ou tout du moins, du corps actuel de ce dernier.

 

--

 

-Je ne suis qu’une grosse nouille, renifla Shézac en encerclant ses jambes de ses deux bras, pour se faire tout petit sur le matelas.

Scysios poussa un soupir amusé et vint doucement l’enlacer, se collant contre le dos de son camarade. Ce dernier se laissa aussitôt aller contre lui, comme un animal dans l’étreinte de sa mère.

- Parce que tu n’as pas dit plus tôt la vérité à Fallnir ? demanda doucement le médecin, légèrement amusé.

Shézac renifla de nouveau, pathétiquement anéanti.

- Il savait que j’étais le fils de Derek, mais je lui avais dit qu’on était fâché et que j’avais plus aucun contact avec lui…

Dans un sens, c’était vrai. L’éternel adolescent qu’était Shézac avait toujours eu des confrontations houleuses, avec son héros de père. Tous les deux n’avaient que très peu de contacts, et cela devait bien faire quelques siècles qu’ils ne s’étaient pas vus.

Toutefois, Derek gardait toujours un œil sur ses enfants, en particulier sur son unique fils. D’une manière ou d’une autre, il avait su que Shézac côtoyait Fallnir, peu après que le dragon ait été banni de son clan et se soit temporairement réfugié chez le blond.

- Je crois que l’histoire de l’autre soir lui a fait faire le rapprochement entre moi, mon père et le type mystérieux qui avait autorisé sa venue ici…

Scysios restait silencieux, immobile. Chose rare pour un homme, il savait écouter les autres raconter leurs problèmes sans tout de suite chercher à y trouver des solutions. C’était exactement ce dont son ami avait besoin, ce soir là.

- Et avec ce que le prince lui a dit tout à l’heure… continua Shézac d’un air penaud. Il doit me haïr, maintenant…

Le blond geignait de manière très comique, continuait de faire le clown en même temps qu’il s’apitoyait sur son propre sort. Dans un sens, c’était plutôt bon signe, car Scysios savait qu’il ne devait vraiment s’inquiéter que lorsqu’il cessait définitivement de jouer aux imbéciles.

- Il ne te hait peut-être pas tout à fait… Tempéra-t-il avec un léger sourire que Shézac devina grâce au son de sa voix. Et puis, tu lui as quand même menti plusieurs fois, pour l’attirer ici…

Le démon larmoyant bondit tout d’un coup, se dégageant de l’étreinte d’un Scysios étonné par une réaction aussi vive. Il se tourna vers lui et le foudroya du regard.

- Mais je ne lui ai pas menti ! Si je l’ai fait venir sur cette planète, c’est juste parce qu’il m’avait dit vouloir changer d’air. J’ai eu l’idée de l’amener ici parce que toi tu vivais souvent là. Et c’est lui qui est venu me demander pour rejoindre la Volière…

Il se radoucit, baissant de nouveau les yeux. S’il avait fait venir Fallnir sur ce monde de son propre chef, il devait en revanche avouer qu’il en avait tout de suite informé son père. Mine de rien, Shézac savait parfaitement qui était le dragon, avant qu’il ne se fasse bannir de son clan. Et il savait aussi à quel point les gens de son peuple avaient des sautes d’humeurs violentes ; il en avait eu une nouvelle preuve quelques heures lus tôt, dans le bureau du prince. Aussi abattu et désemparé qu’était Fallnir après son exclusion, il n’en restait pas moins un individu potentiellement dangereux.

C’était l’une des rares choses que l’auburn pouvait lui reprocher légitimement…

Comme Scysios soupirait et ouvrait les bras, Shézac revint se blottir contre lui en vitesse. Le médecin était pour lui le meilleur des remèdes, un véritable antidépresseur ambulant, et la réciproque était sans doute vraie. Le blond s’allongea à demi sur le lit, posant la tête sur les genoux du maudit. Celui-ci se mit machinalement à glisser ses doigts dans les longs cheveux dorés, plongeant son regard violet dans les yeux bleus de son camarade.

- Tu devrais aller tout lui dire, demain. Quand il aura parlé avec Ehissian, et qu’il se sera un peu calmé.

Shézac acquiesça timidement. Il aurait tout aussi bien pu quitter ce monde, puisque sa présence n’était plus vraiment d’une grande utilité, ou ne plus jamais chercher à croiser le dragon. Après tout, il était peu probable que l’auburn souhaite lui reparler un jour, et plus encore, lui pardonne ses nombreux mensonges par omission. Cela n’aurait été qu’une amitié de perdue, et il n’était plus à un ennemi près. D’autant plus qu’en fait, lui et Fallnir n’avaient jamais vraiment été très proches…

Mais d’un autre côté, Shézac avait horreur des relations qui se terminaient mal, quelles que soient la nature de ces dites relations. Et après tout, c’était sa faute si le dragon s’était retrouvé piégé dans les griffes manipulatrices de son père et des phénix, peut-être condamné à affronter son propre clan pour avoir été séduit par un chevalier aux yeux trop bleus et au sourire trop franc…

- Oui, je ferais comme ça… approuva-t-il à mi voix.

Scysios sourit et Shézac tendit la main, pour lui effleurer la joue. Sa peau était douce, dénuée de pilosité ; les immortels de sexe masculins bloquaient presque tous leurs horloges biologiques de manière à ne pas avoir à se raser tous les matins. Les démons en particuliers, qui étaient plus souvent sur les routes que dans leurs foyers, et préféraient limiter au possible les gestes quotidiens contraignants.

- Ca fait combien de temps que mon père est ici ? S’enquit-il abruptement, porté par le fil de ses réflexions.

- Trois ans, je l’ai dit tout à l’heure, répondit aussitôt le médecin avec un vague haussement d’épaule. Il fait des aller-retour, depuis mon accident… Il a préféré venir lui-même plutôt que d’envoyer quelqu’un pour me remplacer.

Shézac hocha silencieusement la tête, sans cesser de lui caresser la joue, leurs deux regards profondément plantés l’un dans l’autre. N’importe qui aurait fini par être gêné par cet échange visuel si long et si intense, mais eux, ils y étaient parfaitement habitués. Mieux, ils n’auraient pu communiquer que par leurs simples regards, sans échanger la moindre parole. Mais le son de la voix de l’autre, si chaud et agréable à leurs oreilles, était bien trop plaisant pour s’en passer.

- Tu aurais pu me le dire, grogna Shézac en fronçant le nez.

Comme Scysios se contentait de sourire, sans rien ajouter pour sa défense, Shézac tendit un peu plus la main, quittant sa joue pour atteindre le catogan du médecin. Il fit glisser l’élastique le long des cheveux châtains de son ami, jusqu’à ce qu’un voile de mèches soyeuses ne vienne lui chatouiller le visage.

Il savait que Scysios n’avait jamais particulièrement apprécié d’avoir les cheveux longs. Pourtant, à leur longueur, il devinait que cela devait bien faire trois ans qu’il ne les avait pas coupé…

Depuis que le maudit avait eu cet accident qui avait blessé sa jambe droite, et lui avait fait rencontrer cet humain dont il était sans doute aussitôt tombé amoureux. Cet humain qui était mort il y avait maintenant un peu plus de trois mois, et qui ne quitterait plus jamais les pensées ni le cœur du démon, comme tous les autres avant lui. Cet humain dont Scysios faisait toujours le deuil, et le ferait encore jusqu’à la fin de sa vie.

Shézac était tellement bien placé pour savoir ce que cela faisait, de ne plus pouvoir serrer contre soi la personne que l’on aimait…

Doucement, il se redressa, s’agenouilla devant le maudit pour s’emparer de sa bouche. Le simple contact des douces lèvres de son camarade suffit pour attiser en lui l’envie d’en avoir plus. Avant qu’il ne le retrouve, la peau de Scysios n’avait pas été touchée depuis plus de trois mois, ce qui était très long pour un démon. Si le blond s’évertuait à y remédier, et bien que le médecin s’épuisait à dire le contraire, son corps n’en restait pas moins affamé de caresses, avide d’attentions. Ou alors, c’était Shézac qui s’accrochait à l’hypothétique frustration de son camarade pour justifier la satisfaction de ses propres pulsions ?

Au fond, il s’en fichait pas mal, et tandis qu’il embrassait Scysios avec un peu plus d’ardeur, glissant doucement les mains sous son t-shirt pour caresser la peau frémissante de son dos, il sentit le désir s’emparer de lui.

Comme un feu dévorant ancré dans ses reins, une passion subite et incontrôlable qui le saisit sans prévenir, pour ne plus le lâcher avant d’être assouvie.

Il ne laisserait pas des morts lui voler Scysios, des souvenirs du passé ternir ses yeux violets et son visage aux traits si calmes. Le démon lui appartenait, corps et âme, ou du moins lui appartiendrait l’espace de quelques heures.  Il avait sur lui des droits que personne ne pourrait lui ôter, pas même le fantôme d’un amant qui hanterait à jamais son camarade.

Sa décision fut prise à l’instant même où le corps du maudit s’étendit enfin sur le matelas, sous la poussée impérieuse des mains de Shézac. Il allait lui faire l’amour jusqu’à le faire crier, l’emprisonner dans cette chambre jusqu’à ce qu’il sombre dans un sommeil de plomb, complètement vidé.

Peu lui importait que Scysios soit en fait beaucoup plus fort et endurant que lui, et pourrait l’éjecter de la pièce en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, si l’envie lui en prenait. De toute manière, Shézac comptait bien l’envoyer suffisamment haut pour qu’il ne soit même plus capable de faire autre chose que gémir.

Il fit glisser sans hésitation le t-shirt le long des bras du médecin, pour le jeter ensuite au fond du lit, là où il ne gênerait pas. Il fit de même avec son propre haut puis, se saisissant d’une main des poignets du maudit, il les maintint fermement au dessus de leurs deux corps, plaqué despotiquement contre l’oreiller. Ils s’embrassaient toujours, avec la fougue des amants affamés, guidés par une passion de plus en plus puissante à chaque secondes qui passaient.

La dernière fois qu’ils s’étaient embrassés ainsi ne remontait pas à si longtemps que ça. Cela datait d’à peine plus de deux semaine, lors de cette partie de carte avec Fallnir et Ehissian, qu’ils avaient quitté quelques minutes pour régler leurs comptes une bonne fois pour toute. A ce moment là, Scysios n’avait pas encore révélé ses secrets, gardait pudiquement toutes ces choses que Shézac n’avaient apprises que la veille, à propos de son amant humain, de l’accident qui avait provoqué sa rencontre.

A présent, Scysios ne lui cachait plus rien, ou du moins, plus rien qui ne concernait que lui.

Shézac rompit le baiser avec un sourire, plongea ses yeux bleu marine dans les prunelles malicieuses du maudit. Celui-ci se mordilla la lèvre inférieure, geste gourmant qui envoya des frissons d’impatiente dans les reins de son amant.

Le blond repartit à l’assaut des lèvres de Scysios, bien décidé à ne plus les lâcher avant l’aube, d’ici une bonne dizaine d’heures.

 

A suivre…

 

ooo

 

Je trouve ce chapitre particulièrement maladroit… J’ai essayé de l’arranger comme j’ai pu, mais je ne suis toujours pas satisfaite du résultat. D’autant plus que tout comme le précédent, ce chapitre est particulièrement riche en révélations…

J’espère que ça n’achèvera pas de vous dégouter de cette histoire déjà bancale. :p

Si jamais vous aviez la moindre remarque à me faire, ou simplement envie de me dire ce que vous avez pensé de ce chapitre, n’hésitez pas à me laisser une review ou même à m’envoyer un mail. Après tout, c’est le seul moyen que j’aie pour savoir ce qui vous plait ou vous déçoit dans cette histoire. :p

Sur ce, je vous remercie infiniment d’avoir lu jusqu’ici, et j’espère vous retrouver très bientôt pour le prochain chapitre !

 

 
 
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