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au 31 Mai 21 :
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Bec d'écaille, croc de plume
Par Jaiga
Originales  -  Romance/Fantaisie  -  fr
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    Chapitre 18     Les chapitres     64 Reviews     Illustration    
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Effet d'annonce
Disclaimer : Tous les personnages/ lieux/ périodes sont issus de ma propre imagination. J’ai cependant utilisé certains personnages pour des forums Rpg, ne vous étonnez donc pas si vous les croisez un jour, au hasard du net. :3

Notes :

- J’avais un peu beaucoup oublié que je publiais aussi cette fic sur manyfic… Je suis vraiment désolée. T_T Si cela devait se reproduire, sachez que je publie aussi cette fic sur fictionpress.com, et qu’elle y est plus avancée (moins relue cependant :p).

- Je m’excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d’orthographe qui m’ont échappée, j’avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur …

- Je remercie toutes les personnes qui ont pris le temps de me laisser une review, c’était vraiment très gentil de leur part. :3

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Chapitre 18 : Effet d’annonce

 

Quelqu’un tambourina à la porte de la chambre d’Ader, réveillant celui-ci en sursaut. Ravalant ses envies de meurtre, il repoussa le corps de Maerys agglutiné contre lui, et jeta un œil au cadrant de son réveil.

L’après midi n’était même pas encore terminé. Le soleil devait toujours darder ses rayons rouges sur la ville, aveuglant à demi n’importe quel vampire osant s’aventurer à l’extérieur, le rendant à l’état de taupe binoclarde qui venait de casser ses lunettes.

-Ader ! Quelqu’un veux te voir ! Il dit qu’il vient de la part du chef !

Le susnommé grogna, et s’extirpa du lit. Le chef en question vivait dans une vieille ville à des centaines de kilomètres de là, plus connue aujourd’hui pour son attrait touristique que pour sa puissance économique. Il régnait d’une main de maitre sur tous les vampires du pays, et réclamait régulièrement des comptes à chaque sous fifre qu’il avait placé à la tête d’une ville ou d’un secteur, sans jamais mettre lui-même un orteil en dehors de sa demeure. Et à vrai dire, s’il n’avait pas toute une compagnie de crétins à sa botte, éblouis par la prestance et le charisme en carton pâte de leur « vénéré maitre », il y aurait longtemps que ses subordonnés les mieux placés auraient fomenté un coup d’état contre lui, Ader en tête de liste.

- J’arrive ! Bougonna-t-il en s’habillant.

Il trouvait que ses hommes commençaient à prendre la fâcheuse habitude de toujours venir le déranger à coup de poings dans sa porte. Et il faudrait que ça change, d’une manière ou d’une autre, parce qu’être tiré de son sommeil ou perturbé pendant qu’il sautait Maerys au moins trois fois par semaine, ça commençait à légèrement lui taper sur le système.

Son subordonné s’écarta quand il vit la porte s’ouvrir, et laissa son chef lui emboiter le pas. Il était le vampire de garde ce jour là, chargé de surveiller la ruelle de l’aube jusqu’au crépuscule, pendant que le reste de la communauté dormait du sommeil du juste.

Un rai de lumière orange tombait par la bouche d’égout que le vampire avait laissée entrouverte. Ader grimpa l’échelle de fer en pestant contre tout ce qu’il pouvait, regrettant déjà son matelas douillet. Dès lors qu’il émergea du souterrain, ce qu’il avait prédit se réalisa, et il sentit ses yeux le brûler à cause de l’éclairage encore trop vif du soleil couchant. Il poussa un juron sonore et utilisa une de ses mains comme pare soleil, afin de scruter la ruelle à la recherche du responsable de son réveil intempestif.

Dès l’instant où il l’aperçu, il oublia complètement la raison pour laquelle il était de mauvaise humeur et dû faire un effort particulier pour empêcher sa mâchoire de se décrocher.

Le type attendait d’un air flegmatique, négligemment adossé contre un mur, ses courts cheveux noirs balayés par la brise du soir.  

Pendant une seconde, Ader aurait pu se croire redevenu à l’époque où il n’était pas encore un vampire, quand il parcourait le monde de ses yeux naïfs et ingénus, sans rien connaître de la noirceur de la vie. Mais il se reprit bien vite, bridant sans remord l’écœurante vague poétique qui avait failli s’emparer de lui, reprenant aussitôt sa mine renfrognée et ses mauvaises manières.

Certes, l’homme en face de lui présentait un aspect particulièrement avenant. Comme une plante exotique, à la forme sinueuse et au parfum envoûtant. Une magnifique plante carnivore. Ce fut exactement l’idée qui lui apparut à l’esprit, alors qu’il s’approchait de l’inconnu.

Celui-ci jeta son mégot de cigarette, tandis que son visage aux traits parfaits se dotait d’un dangereux sourire.

-Alors comme ça, vous venez de la part du chef ? lança Ader sans autre forme de procès, en le dévisageant de haut en bas. C’est vous, son fameux nouveau super copain ?

Il avait déjà entendu parler de lui, ces derniers mois. Un type débarqué un matin, les mains dans les poches, qui avait embobiné le chef en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Depuis, il semblait posséder les pleins pouvoirs, et sillonnait le pays pour porter la bonne parole à tous les subordonnés plus ou moins directs du grand manitou. Reproches, ordres, demandes, on devait tout lui passer, et il semblait fourrer son nez dans toutes les histoires des vampires.

Ader avait toujours été quelqu’un de méticuleux, qui faisait tourner ses petites affaires comme sur des roulettes. Il pensait que cet homme ne viendrait pas lui rendre visite avant un bon bout de temps.

Il disait s’appeler Thane et clamait avoir le même but qu’eux, à savoir l’éradication pure et simple des phénix –et de tous les étrangers qui allaient avec- de la surface de leur belle planète. Bien que ce Thane soit aussi étranger qu’eux, et sans aucun doute aussi nuisible, on disait de lui qu’il avait une aura telle qu’en sa présence, on ne pouvait s’empêcher de se taire, et d’obéir. Nul doute que leur chef, toujours à courir derrière la moindre petite étincelle de charisme, avait dû lui manger dans la main dès qu’il était apparu, avec son sourire carnassier et sa silhouette si sublime que l’on aurait pu vendre un rein rien que pour avoir un plan avec lui.

Si seulement il n’y avait pas eu cet éclat de folie pure, au fond de ses yeux noirs, Ader aurait certainement partagé la même opinion que tout le monde. Mais fort de son expérience passée, le vampire avait appris à reconnaitre quelles personnes il fallait éviter, lorsqu’on voulait épargner à ses fesses des dommages superflus.

Jusque là appuyé contre un mur de la ruelle, le présumé Thane se redressa, pour le toiser de toute sa hauteur.

En plus d’avoir un corps de rêve, il faisait presque une bonne tête de plus qu’Ader, pourtant déjà assez grand. Ce dernier tiqua, plus habitué à côtoyer ses rustres semblables que des canons de beauté étrangers.

- Il semblerait que ce soit moi, en effet. Désirez-vous une preuve de mon identité ?

Et en plus, à entendre sa manière de parler, il ne se prenait pas pour n’importe qui. Ader décida à l’instant que, même si ce type était hautement baisable et qu’il serait volontiers repassé du côté « mord l’oreiller » pour un seul coup avec lui, il ne pouvait déjà plus le supporter.

- Pas la peine, grogna Ader en agitant la main. De toute manière, si vous êtes un imposteur, on le découvrira bien assez tôt.

Il se tut le temps de fourrer les mains dans les poches de son jean.

- Je peux savoir ce qui nous vaut l’honneur de votre visite ? S’enquit-il d’une voix teintée d’ironie, se moquant du langage visiblement soutenu de son interlocuteur.

Ce dernier ne releva pas et se contenta de sourire, un sourire moqueur, glacial, féroce. La lumière rougeoyante de la fin d’après midi faisait briller dans ses yeux noirs des étincelles ensanglantées, si bien qu’Ader ne put réprimer un frisson lorsqu’il lui répondit d’un ton doucereux.

- Ne vous inquiétez donc pas, ma visite ne signifie en aucun cas que j’ai des reproches à vous faire. Bien au contraire, j’ai une affaire à traiter avec vous.

Le vampire le considéra un moment, dubitatif. Derrière eux, l’homme de garde se tenait à une distance raisonnable, tendant malgré tout l’oreille pour saisir des bribes de leur conversation. Si la plupart lui mangeaient dans la main au moindre haussement de sourcil, quelques uns de ses subordonnés n’avaient toujours pas pardonné à Ader la manière énergique par laquelle il avait pris la tête de leur groupe. Et certains verraient sans doute d’un très bon œil un éventuel remontage de bretelle de la part de leur chef suprême.

- Suivez-moi, on sera mieux en bas pour discuter.

L’illustre invité ne se fit pas prier, et suivit Ader sans rechigner jusque dans les égouts. Son visage lisse ne laissa transparaitre aucune émotion, pas même lorsqu’ils quittèrent la lumière chaude du soleil pour s’engouffrer dans l’humidité glauque des égouts.

Cela faisait plus de soixante-dix ans que les vampires occupaient les étroits couloirs de béton des galeries souterraines. De fait, il n’y avait plus dans les murs qu’ils arpentaient le parfum écœurant des eaux usées, qui passaient autrefois dans les endroits mêmes où ils dormaient à présent. Toutefois, les lieux n’en étaient pas devenus plus accueillants pour autant, loin de là. L’atmosphère était chargée d’odeur de moisi, de renfermé, et de la sueur de tous les vampires qui s’entassaient dans les dortoirs au plafond bas.

Laissant à son subordonné la charge de refermer la bouche d’égout derrière eux, Ader mena directement son hôte jusqu’à la plus grande salle de leur squat souterrain. Sous l’éclairage blafard des néons, leurs ombres paraissaient étrangement pâles, tandis que leurs pas raisonnaient d’un bruit inhabituel. Le vampire déverrouilla une lourde porte rouillé, qu’il ouvrit dans un assourdissant raclement métallique. Il la referma soigneusement une fois que Thane fut passé, leur garantissant ainsi un semblant de tranquillité.

Ils se trouvaient dans une vaste salle carrée, remplie de caisses et d’objets divers. C’était là qu’ils entassaient toutes leurs marchandises, légales ou non, en attendant de la vendre ou de la transférer à un autre groupe de vampires. C’était là aussi qu’une fois pas mois, Ader réunissait toute sa communauté pour faire le point, et dresser à leur vénéré chef un rapport plus ou moins précis de leur situation. C’était également là que les responsables successifs du groupe avaient toujours rassemblé leurs subordonnés dès qu’ils avaient la moindre chose à leur dire. Enfin, c’était ici même qu’Ader, alors déjà quasiment responsable de tout ce qui se tramait chez eux, avait manifesté son mécontentement de la gérance de leur ancien chef à coup de poignard dans l’estomac de celui-ci, et était passé du rang de bras droit au grade légèrement plus élevé de maitre incontesté du quartier.

Dans un espace dégagé, il poussa sans ménagement une caisse–d’authentiques copies de sacs de luxe- d’un coup de pied bien placé, puis dénicha deux chaises dans tout leur fatras hétéroclite, dans le but certain d’obtenir quelque chose qui s’approchait vaguement d’un bureau.

- Je vous offrirais bien quelque chose à boire, mais malheureusement, tout ce qu’il y a ici, c’est de l’eau croupie.

Lors de la transformation en vampire, tous les organes qui participaient à la digestion se modifiaient, pour pouvoir accueillir le sang humain comme ils le faisaient autrefois avec la nourriture. De fait, tant qu’il avait du sang, un vampire n’éprouvait plus le besoin de boire ou de manger des aliments normaux. Il arrivait parfois que, dans un sursaut de sa fonction d’antan, l’estomac se mette à réclamer une pizza ou un sandwich. Mais la plupart du temps, ce genre de faim leur était totalement inconnue et même l’image d’un succulent gâteau au chocolat les laissait sans aucun autre sentiment qu’un vague désintérêt. Par conséquent, ils ne stockaient dans leur antre aucune nourriture.

- Je suis touché que vous vous préoccupiez à ce point de mon confort, répliqua Thane sans se défaire de son sourire narquois.

Il prit place sur l’une des deux chaises et croisa négligemment ses longues jambes, aux muscles et aux formes parfaitement soulignés par la coupe de son jean noir. Gonzesse, songea vaguement Ader alors qu’il s’asseyait à son tour, de manière certes plus virile, mais beaucoup moins classieuse et recherchée.

- Alors ? S’enquit-il sans autre forme de procès.

L’étranger fit craquer les jointures de ses mains, s’installant plus à son aise sur la chaise, qui ne se prêtait pourtant absolument pas au moindre confort.

- A votre avis, depuis combien de temps les phénix sont-ils ici ?

Ader tiqua légèrement, ne voyant pas vraiment où l’homme voulait en venir. Il ne fit pourtant aucun commentaire et haussa les épaules en signe d’ignorance.

- Aucune idée. J’étais pas né à l’époque.

Il n’avait pas plus de deux cent ans, ce qui était à peine plus de l’âge moyen chez les vampires. En vérité, de mémoire, jamais un seul vampire n’avait quitté le monde des vivants de manière naturelle, tant les guerres intestines, les bagarres et les règlements de comptes faisaient des ravages dans leurs rangs. Leur grand chef ne devait pas avoir plus d’un demi-millénaire d’existence, relativement peu pour quelqu’un de son rang.

Le sourire inquiétant de Thane devint plus large.

- Cela fait plus de mille ans qu’ils sont ici. Mille ans qu’ils ont colonisé votre terre, et ramené avec eux des centaines d’envahisseurs étrangers. Savez-vous comment j’ai appris cela ?

Ader haussa de nouveau les épaules, en signe de négation.

- Vous n’êtes pas sans ignorer que je suis originaire du même monde qu’eux… ? –sans lui laisser le temps d’acquiescer, il continua- Voyez-vous, ils ont beau être tout puissant sur cette planète, chez nous, les phénix sont loin d’avoir une influence majeure. Leurs opposants sont nombreux, et il existe beaucoup de gens comme moi, qui aimeraient les voir tomber…

Thane marqua une pause, le temps pour lui de croiser ses deux mains.

- Les phénix sont arrivés sur vos terres à la date exacte à laquelle leur reine bien aimée annonçait à qui voulait l’entendre qu’elle avait envoyé son fils loin de chez eux. Dans un autre monde, une planète encore ignorée par leur peuple, et soigneusement tenue secrète afin qu’aucune personne malveillante ne puisse la retrouver…

Ader fronça les sourcils, pas sûr de comprendre. Ou plutôt, préférant ne pas vouloir comprendre, plutôt que d’admettre là où son interlocuteur voulait en venir. Pourtant, les mots furent plus rapides que sa pensée.

- C’est leur prince qu’ils cachent dans cette tour, c’est ça ?

Comme Thane hochait la tête, il ajouta.

- Okay, je vois. Mais vous savez, ici, on est plutôt en bon terme avec eux. Ils gênent pas nos affaires, au contraire. Et puis, de toute manière, leur tour est plus protégée que la plus grande réserve d’or du pays, alors je vois pas vraiment ce que ça peut faire que…

- Ils ne gênent pas vos affaires, mais s’ils n’étaient plus là, il n’y aurait plus que vous sur le marché, le coupa très justement Thane.

Il avait raison. Par la menace, les vampires tenaient sous leur coupe les plus grandes sociétés du secteur, et la plupart des grands hommes qui gouvernaient étaient à leur botte. Mais les phénix, d’une manière ou d’une autre, parvenaient toujours à avoir un coup d’avance sur eux, ou amenuiser leur puissance pour accroitre la leur. Sans parler de tous les autres étrangers qui avaient été attirés par leur présence, et qui s’infiltraient souvent dans leurs commerces, comme des grains de sables dans les rouages d’une vieille horloge.

Comme il ne protestait pas, son vis-à-vis continua.

- Et pour ce qui est du problème de la tour… Certes, le prince est intouchable à l’intérieur. Mais si nous parvenions à l’en faire sortir…

Tandis que Thane continuait, Ader songea vaguement qu’en s’attaquant aussi directement aux phénix, le peuple vampire signait son arrêt de mort.

Mais s’il était le chef de ce quartier, et par la même de la quasi-totalité de la ville, il n’en restait pas moins un subordonné de leur seigneur.

Il ne pouvait qu’obéir, en priant tout ce qui pouvait être prié pour qu’ils s’en sortent sans trop de bobo.

 

--

 

Emélcya se laissa aller en arrière sur son fauteuil, poussant un profond soupir. En face d’elle, sous une vaste fenêtre du bureau royal, son aïeule sirotait calmement une infusion de plante. Léoma était arrivée la veille au palais des phénix, venue en urgence après l’appel de son arrière petite fille.

Et comme d’habitude, dès que la reine des anges se déplaçait pour une affaire concernant un autre peuple que le sien, la reine Gaïa avait également fait parti du voyage.

Il était amusant de voir à quel point les deux femmes pouvaient être amies, alors que les anges et les démons qu’elles gouvernaient ignoraient superbement jusqu’à l’existence de l’autre ethnie. Sans aucun remord, Gaïa abandonnait son trône et son peuple aux mains de ses généraux, faisait ses valises en quelques heures et déguerpissait illico à la suite de son amie. Et Léoma en faisait probablement de même lorsque c’était l’autre reine, qui partait en voyage.

Bien qu’elles soient à la tête de deux ethnies officiellement en mauvais termes, elles restaient toutes deux les derniers vestiges d’une époque révolue, les derniers témoins de temps si anciens qu’elles en étaient les deux seules survivantes.

Gaïa et Léoma avaient connu l’époque où les dieux étaient encore vivants, et n’avaient pas encore été presque tous exterminés par l’Onikam…

Emélcya frissonna à cette pensée. Longtemps, l’Onikam n’était resté pour elle qu’une légende, une histoire qu’on lui racontait quand elle était petite, pour lui faire peur. Qui pouvait croire à cette histoire de démon devenu fou, qui ne vivait plus que pour causer la douleur partout autour de lui, afin d’oublier la sienne ?

Léoma, elle, lui avait dit qu’elle y croyait. Parce que cet Onikam, si craint et terrifiant, elle le connaissait. Cela datait du temps où on ne l’avait pas encore baptisé l’Onikam, où il était encore un démon comme les autres, et où on le nommait Taenekos. Il était alors le démon de l’esprit, un homme à la puissance spirituelle qui n’avait d’égal que sa gentillesse et sa douceur. Le demi-frère de Léoma, celui qu’elle aimait alors plus que tout.

La reine des anges avait raconté à la très jeune Emélcya comment est-ce que, du jour au lendemain, il était devenu fou. Une folie inexplicable, incontrôlable, une douleur lancinante qui le brûlait en permanence, le consumant lentement. Le rendant plus mutilé, dangereux, puissant que jamais.

Les plus hautes autorités de leur monde, alerté par le danger qu’il représentait, avaient décidé de l’exterminer avant qu’il ne puisse nuire à quelqu’un. Mais il en fallait plus que cela pour tuer le démon possédant le pouvoir de l’esprit… Sa puissance était si phénoménale que l’on n’était guère parvenu qu’à détruire son enveloppe physique. Et son âme meurtrie, trahie par tous ceux qu’elle avait autrefois aimée, avait survécu, plus torturée encore qu’elle ne l’était naguère. Les anges et les démons, seuls peuples d’immortels à pouvoir être affiliés à un pouvoir, ainsi que l’étaient les dieux, transmettaient leurs affiliations à leurs successeurs, lorsque leur mort survenait ; Taenekos n’était pas réellement mort, mais il avait néanmoins perdu son statut de démon de l’esprit lorsque son corps avait été détruit.

Depuis, il vivait en utilisant les derniers résidus de son ancienne affiliation, pour prendre possession des corps de ses descendants, comme une sangsue maléfique qui ne pouvait s’accrocher qu’à ceux de son propre sang. Et en tant qu’arrières petits enfants de la reine Léoma, Emélcya et Lékilam étaient des cibles potentielles.

Gaïa pénétra enfin dans le bureau royal, vêtue d’une simple robe noire, couleur symbolique de son peuple. La reine des démons était connue pour son grand naturel. Cela venait sans doute du fait qu’elle n’était pas réellement la souveraine légitime ; les généraux lui avaient donné les pleins pouvoirs afin d’éviter les conflits de successions, lorsque le précédent roi avait été possédé par l’Onikam et réduit à l’état de coquille vide, absolument amorphe. L’esprit complètement ravagé, pour avoir vainement lutté comme l’intrusion forcée.

En voyant son amie arriver, Léoma déposa gracieusement sa soucoupe sur une table basse, tandis qu’Emélcya lui lançait un regard ampli de gratitude.

- Je vous remercie d’être venue aussi vite. Sans vous, je ne sais pas ce que j’aurai fait… soupira-t-elle avec reconnaissance.

Gaïa s’assit sur un fauteuil de velours non loin de Léoma, et se servit elle-même une tasse d’infusion.

- C’est tout naturel, ma chérie. Ce genre d’affaire dépasse le peuple phénix, cela nous concerne tous.

La reine aux cheveux lavande hocha doucement la tête, la mine sombre. La lettre du Garnësir trônait toujours sur son luxueux bureau, soigneusement repliée. Les mots du chef du clan étaient solennels, durs, mais néanmoins très respectueux et courtois. C’était quelque chose qu’elle avait toujours respecté chez les dragons, et en particulier chez ce clan, pourtant l’un des plus virulents à leur égard. Quelles que soient les circonstances, les Garnësir restaient toujours extrêmement civilisés dans leurs propos, que leur interlocuteur soit ami ou ennemi.

Certes, cette lettre n’en était pas moins une déclaration de guerre. Mais tout de même, elle appréciait cette courtoisie, qui lui laissait le maigre espoir que des négociations étaient encore possibles.

Gaïa avala doucement quelques gorgées d’infusion, avant de reprendre la parole. Cette fois-ci, elle était plus impliquée que d’ordinaire dans les relations entre les phénix et les dragons. Elle avait elle-même autorisé Derek Isdegarde à vendre les services de ses mercenaires pour la protection du prince Lékilam. D’ordinaire, les démons de la Morte-lune étaient autonomes, et souscrivaient des contrats avec qui ils voulaient. Mais Gaïa possédait toutefois un droit de réserve sur leurs actions, et lorsque la mission qu’on leur proposait dépassait les simples intérêts personnels pour toucher à l’intégrité d’une nation, elle pouvait ordonner à Derek de refuser un travail.

Délicatement, Gaïa reposa la tasse de porcelaine, consciente que ses deux amies n’avaient d’yeux que pour les nouvelles qu’elle leur rapportait.

- Je me suis entretenue avec Derek, par l’intermédiaire de Tyloé. Il m’a fait part de ce qu’il avait découvert, concernant les agissements des Garnësir…

Les deux autres reines acquiescèrent en silences, toutes deux ayant plusieurs fois eu recours aux services de la jeune démone de l’esprit. Tyloé faisait partie de la garde rapprochée de Gaïa, un groupe de démones affiliées particulièrement redoutables, qui se cachaient sous des faux airs de dames de compagnies. Saphirre, démone de la foudre, et Aurélia, démone des poisons, avaient fait le voyage en compagnie de leur reine jusqu’au palais phénix. A ce moment même, elles étaient probablement en train d’attendre leurs ordres dans une antichambre, en compagnie de quelques dames de cours d’Emélcya.

- … Il est fortement probable que ce soit l’Onikam, qui les ait poussés à vous déclarer la guerre. Il a récemment quitté notre monde, en compagnie de deux dragons du clan Garnësir. Cependant, les démons de la Morte-lune n’ont pas été en mesure d’identifier leur destination. Derek pense qu’ils recherchent probablement l’objet que vous possédez… Celui qui pourrait pousser le chef du clan à revoir ses menaces à votre égard.

Emélcya poussa un profond soupir, passant les deux mains sur son délicat visage. Dès que la démone avait prononcé ces mots, une peur sourde lui avait nouée les entrailles.

-J’aurai dû ordonner à Lékilam de rentrer à la maison… Mon dieu, si jamais…

Dans un bruissement de voiles et de soie blanche, Léoma se leva et vint doucement poser ses mains sur les frêles épaules de sa descendante. La reine des anges avait toujours su quand on avait besoin d’elle, et comment faire pour apaiser les gens.

- Ne t’en fais pas pour lui, Emy. Ton fils a les meilleurs gardes que tu puisses lui donner. Même si Taenekos savait où il se trouvait, il ne pourrait rien faire contre Derek Isdegarde. Il a trop peur de lui… Et n’oublie pas que nous avons toujours une carte en main, pour contrer les Garnësir.

Emélcya opina doucement, se détendant peu à peu. Depuis le jour où il avait envoyé ses mercenaires défendre le palais royal, alors attaqué par toute une armée de dragons tandis qu’elle accouchait, Derek Isdegarde avait pris en main la sécurité de son fils. Cela faisait plus de trois mille ans qu’il œuvrait en silence, afin de mettre toutes les chances de leur côté en cas de conflit. Un démon de la Morte-lune était perpétuellement aux côtés du prince, et il y avait quelques siècles de cela, ils étaient allés jusqu’à dérober un précieux document aux Garnësir, puis à s’assurer que l’unique personne qui puisse en attester l’authenticité soit à portée de main des phénix.

En trois mille ans, Derek n’avait jamais commis une seule erreur. Elle devait lui faire confiance, en dépit du mauvais pressentiment qui la taraudait sans cesse.

 

--

 

Fallnir et Ehissian patientaient dans la salle à manger, enlacés l’un contre l’autre non loin de la porte reliant à la salle commune, les doigts solidement mêlés. Le phénix était adossé au mur, prisonnier de l’étreinte presque éperdue de son amant, le visage enfoui dans le cou de ce dernier.

Quelques minutes plus tôt, le prince avait annoncé à tous les habitants de la Volière que les dragons de Garnësir avaient déclaré la guerre au peuple phénix. Ehissian ne saurait trop mettre de mot sur le sentiment qui l’avait étreint à ce moment là. Un mélange de surprise, de peur sourde, d’abattement, et une envie irrépressible d’aller se blottir dans le giron de son amant. Lékilam s’était empressé d’ajouter qu’il ne s’agissait que d’un clan parmi les dizaines que le peuple dragon comptait, si bien que la menace n’était que minime, encore isolée.

Mais bon nombre d’habitants s’étaient aussitôt rappelés de faits similaires, presque trois mille ans plus tôt, qui avaient provoqué la destruction d’une tour phénix et leur exil sur cette terre inconnue.

Ehissian avait frissonné, autant à cause de sa propre crainte que de tous les regards qu’il avait sentit se poser sur Fallnir.

Le dragon s’était placé en retrait de la foule, comme toujours, mal à l’aise dans ce genre d’attroupement. Lorsque l’information était tombée, il n’avait pas cillé, n’avait laissé échapper aucune expression sur son visage impassible. C’était tout juste s’il avait frémi, lorsque quelques autres phénix l’avaient fixé un peu plus longtemps d’un air peu affable.

Ils s’étaient éclipsés dès qu’ils l’avaient pu, sitôt que toute l’attention des autres s’était reportée vers le discours du prince. Libellule était venue les aborder, discrètement, pour les informer que Lékilam voulait s’entretenir avec eux, une fois la conversation avec les autres terminée. Ils avaient échangé un regard et, d’un commun accord, étaient partis se réfugier dans la salle à manger, après avoir vérifié que personne ne regardait dans leur direction.

De toute manière, le fait de rester discret ne leur importait plus. Ils avaient eu la même idée, la même pensée en sortant de la pièce. Sans presque échanger un mot, ils s’étaient enlacés comme si c’était la dernière fois, embrassés comme s’ils ne l’avaient plus fait depuis des mois.

Après une telle déclaration, il y avait deux raisons pour laquelle Lékilam pouvait souhaiter les voir. Soit le prince souhaitait que Fallnir s’éloigne des phénix, soit leur liaison avait été découverte.

A vrai dire, il y avait aussi tout un tas d’autres possibilités, auxquelles ils avaient réfléchi pendant des heures, tournant et retournant dans leurs têtes les évènements et leurs conséquences, sans oser vraiment matérialiser leurs idées en les prononçant à voix haute.

Mais toutes leurs hypothèses avaient atteint la même conclusion. Ils ne pourraient probablement pas rester ensemble plus longtemps.

A bout de souffles, haletants, ils avaient doucement séparés leurs lèvres et s’étaient laissés aller contre la cloison, incapables de tenir debout par la seule force de leurs jambes. Ils n’avaient pas bougé depuis, insensibles aux heures qui passaient, au soleil qui déclinait, sourds aux rumeurs qui leurs parvenaient de l’attroupement de phénix dans la pièce d’à côté. Il n’y avait que le bruit apaisant de leurs respirations, l’odeur, la douceur de l’autre, et leurs propres pensées.

Fallnir était un dragon. L’ennemi héréditaire de son peuple, un de ces individus qui étaient responsable de la mort de ses parents, et de beaucoup d’autres phénix, de tous les âges, de tous les sexes. Ehissian avait depuis longtemps enterré sa rancune à leur égard ; lui-même soldat, il jetait sur la situation le regard de quelqu’un qui passait sa vie à exécuter les ordres, sans jamais chercher à y réfléchir ou à les contester. Si Lékilam lui donnait l’ordre d’abandonner la Volière pour rejoindre les autres Chevalier ardents, il le ferait. Si une fois là bas, un plus haut gradé lui ordonner de se mêler à une bataille contre des dragons, il le ferait également.

Si le prince demandait à Fallnir de quitter la tour par mesure de sécurité, il était fort possible que le dragon obéisse aussi, exactement de la même manière que lui.

Comme en écho à ses pensées, l’auburn le serra un peu plus fort contre lui.

Ils avaient été tellement prudents, depuis tout ce temps… Ils ne se montraient ensemble que lorsque la situation le permettait, de par le hasard ou leurs connaissances communes. Lorsqu’ils regagnaient l’appartement de l’un ou de l’autre, ils veillaient toujours à ce que le couloir soit désert et que personne ne les ait remarqués. Etait-ce vraiment possible que quelqu’un ait découvert leur relation ? Les phénix avaient beau être de nature naïve, si les deux amants avaient commis une erreur, il était fort probable que quelqu’un ait eu la puce à l’oreille…

Ehissian dégagea une main pour se frotter les yeux, tandis que son amant se mettait à doucement lui caresser les cheveux.

Il ne savait plus depuis combien de temps ils attendaient là. Une demi-heure ? Une heure ? Beaucoup plus ? Le prince devait certainement être en train d’essayer de rassurer la population, ou peut-être de proposer une évacuation, il n’en savait trop rien. Il ne savait plus. Sa gorge était nouée, son esprit embrumé ; il avait l’impression que son corps était si lourd qu’il allait s’enfoncer dans le sol. Il remuait sans cesse les mêmes pensées, la même angoisse, incapable de se rassurer ou de penser à autre chose. L’attente était affreusement longue, l’incertitude extrêmement douloureuse.

A côté de lui, Fallnir semblait si calme… Les paupières closes et le visage impassible, il paraissait simplement détendu. Ehissian se demanda un instant si sous ses airs tranquilles, il n’était pas en réalité aussi déboussolé que lui.

Lorsque les bruits à côté s’estompèrent enfin, le soleil n’était déjà plus qu’un point rouge qui jetait sur le monde ses derniers rayons. Une sorte de présage funeste qui serra le cœur d’Ehissian, comme si le moment qu’il venait de partager seul avec son amant était aussi leur ultime étreinte. Les membres légèrement engourdis, ils se séparèrent après un dernier baiser passionné, qui sapa les dernières onces d’espoir du phénix. L’instant d’après, Libellule frappait à la porte, les appelants d’une voix douce. En d’autres circonstances, ils auraient paniqué à l’idée d’avoir été découvert alors qu’ils s’étaient isolés en tête à tête. Mais à présent, ça leur était bien égal.

Lorsque Fallnir poussa la porte commune à la salle de repos, la première chose qu’il vit fut le sourire rassurant de la nymphe, par-dessus l’épaule de laquelle il put constater que les autres habitants étaient bien partis.

Et il aurait probablement eu le temps d’apercevoir Lékilam, Scysios et Shézac dans un coin à l’écart, si Pavel ne s’était pas brutalement jeté sur lui.

La lame siffla, l’obligeant à bondir sur le champ pour l’éviter. Les muscles du dragon étaient encore endoloris par le long moment qu’il venait de passer immobile, ses jambes étaient lourdes d’être resté debout si longtemps. Pourtant, lorsque le garde du corps tenta de nouveau d’abaisser son épée sur lui, il n’eut aucun mal à esquiver.

Un vieux réflexe qu’il croyait oublié depuis des siècles lui fit porter la main à ses côtés, mais au lieu de la poignée qu’il s’attendait à trouver, il ne rencontra que du vide. Evidemment, songea-t-il avec amertume, cela faisait longtemps qu’il ne portait plus d’arme.

Tout c’était passé extrêmement vite, beaucoup trop pour les mécanismes endormis d’Ehissian. A vrai dire, le phénix ne réalisa vraiment ce qu’il se passait que lorsque la voix du prince retentit, étrangement forte et autoritaire.

- Pavel !

L’interpelé se figea aussitôt, mais ne relâcha pas la prise sur son arme, pas plus qu’il ne cessa de menacer le dragon de la pointe de l’épée. Face à lui, l’auburn était tendu, prêt à bondir de nouveau au moindre geste brusque.

- C’est un Garnësir ! Rugit Pavel, les traits durcis par la colère. Il est dangereux, Lékilam ! Je ne laisserai pas vivre plus longtemps un dragon entre les murs de la Volière !

Fallnir eut le temps de songer que le prince devait probablement venir de lui dire la vérité, à son sujet. Ou du moins, avait commencé à lui en raconter une partie, pour voir son explication interrompue par le retour des deux amants. En apprenant qu’il y avait un dragon de Garnësir juste à côté d’eux au moment même où le principal intéressé pénétrait dans la pièce, nul doute que Pavel avait dû voir rouge. Suffisamment, en tout cas, pour décider de mettre immédiatement un terme à la menace potentielle.

Subitement, Pavel passa de nouveau à l’attaque. Sur ses gardes, Fallnir s’y attentait et put s’éclipser de justesse, glissant au sol à une distance respectueuse de son agresseur. Se défendre à main nue était risqué. Le blond n’était pas un guerrier ordinaire, sa posture n’offrait que très peu d’ouvertures et il avait de très bons réflexes. Il mit cependant un terme à ses hésitations lorsque le garde du corps pivota sur lui même pour tenter de faucher le dragon en pleine tentative d’esquive.

Et l’auburn aurait certainement engagé le combat contre le phénix, si Libellule et Ehissian n’étaient pas intervenus.

Dans un bruissement de tissu, les spectateurs passifs de l’affrontement ne virent que la jupe longue de la nymphe virevolter. Puis, il y eut un cliquetis suivi d’un bruit sourd, et l’étoffe jaune du vêtement de la jeune femme retomba dans un froufroutement presque déplacé.

Elle appliquait fermement la pointe d’un revolver en argent sur la nuque du garde du corps, qui avait aussitôt lâché son arme, agenouillé sur le sol. Ehissian, lui, serrait fermement les épaules de son amant, autant à cause de la frayeur qu’il venait d’avoir, que par crainte qu’il prenne à Fallnir l’envie de riposter.

- Haëlnor, je te conseille de te calmer tout de suite et d’écouter jusqu’au bout ce que le prince a à te dire, ordonna Libellule d’une voix glaciale.

C’était la première fois qu’Ehissian la voyait avec une expression aussi dure sur le visage. C’était aussi la première fois qu’elle s’adressait à Pavel par son nom de famille, elle d’habitude si chaleureuse et familière, mais le jeune chevalier était encore trop dépassé par la tournure des évènements pour pouvoir tout comprendre.

Pavel renifla dédaigneusement.

- Et qu’est ce que tu comptes faire, avec ton arme d’humain ? Si j’ai envie de bouger, je…

-Ce n’est pas une arme humaine, le coupa impérieusement la jeune femme. Alors je te conseille de m’obéir.

L’arme était braquée sur la nuque du garde du corps, si bien qu’il n’avait pas pu la voir. Mais en entendant les mots de la nymphe, il ne put que blêmir.

Les balles de revolver étaient inefficaces sur des immortels comme Pavel. Trop bruyantes, trop prévisibles, elles ne causaient que des blessures de petites tailles, quand elles parvenaient seulement à traverser la peau endurcie des combattants. Mais il existait pourtant sur leur monde une caste particulière, qui ne jurait que par ces armes, transformées à leur manière : ils utilisaient des balles magiques, beaucoup plus efficaces et aux effets variés. La magie de leur monde ne pouvait toutefois tuer une personne, et les lésions occasionnés par ces revolvers n’étaient jamais mortelles, aussi douloureuses ou bien placées soient elles. De fait, ces gens se faisaient appeler les « Gardiens de la paix », une milice aux arguments pacifiques, d’autant plus crainte et respectée que leurs armes étaient incapables de donner la mort.

Ehissian sentit sa mâchoire se décrocher en réalisant que si elle possédait une telle arme, alors Libellule en faisait forcément partie, oubliant par la même de garder son emprise sur Fallnir. Mais ce dernier, aussi éberlué que son amant, ne fit pas un geste lorsqu’il sentit les mains sur ses épaules relâcher leurs pressions.

Si on leur avait dit que la douce et maternelle Libellule était une Gardienne, ils auraient tous les deux éclaté de rire.

A contre cœur, Pavel détourna la tête et ravala ses envies meurtrières. En voyant le phénix détendre ses muscles, Libellule abaissa son revolver, sans pour autant le ranger. Elle attendit pour se faire que le blond ait rengainé son épée et soit retourné au côté de son prince, de l’autre côté de la salle commune.

Dans l’affrontement, lui et le dragon avaient renversé deux tables et plusieurs des chaises qui meublaient la pièce. Personne ne fit pourtant mine de vouloir les ramasser, ni même de s’enquérir d’autres dégâts matériels, tant la tension était encore palpable.

- Pavel… souffla Lékilam lorsque son garde du corps ne fut plus qu’à quelques centimètres de lui.

S’il n’y avait pas eu tout ces gens autours, il se serait précipité dans son giron, le cœur encore battant après ce qui venait de se produire. Mais aussi forte soit son envie, il la maintint fermement enfouie dans son âme et se contenta de froncer les sourcils. Pourtant, son regard clair était encore empli de la frayeur qu’il venait d’avoir, et n’échappa pas à l’observation de son amant secret.

Il aurait pu être tué…

- Pavel, répéta-t-il d’une voix plus forte et plus ferme, Fallnir n’est plus un Garnësir. Il est de notre côté, maintenant…

- Ah bon ? Ne put s’empêcher de lâcher avec cynisme le principal intéressé.

Mais la main d’Ehissian se referma autour de son bras, à la fois craintive et déterminée, mettant un terme à ses réminiscences de railleries dragonnes.

Ce qui n’empêcha pas le guerrier blond de lui lancer un regard meurtrier.

- Ce type…

- Pavel ! s’écria le prince avec une vigueur qui l’étonna lui-même. Je t’en prie, arrête. Si je vous ai demandé de rester ici, ce n’est pas pour vous voir vous entretuer.

La mine du garde du corps se renfrogna, mais les mots du prince firent visiblement mouche, et il se tut pour de bon.

Libellule, rassérénée, rangea son revolver d’argent dans son holster, attaché autour de son mollet – avec un frisson glacé, ils comprirent enfin pourquoi elle ne portait jamais que des jupes ou des robes longues. Elle se saisit de sa lourde tresse de cheveux sombres, qui avait glissée par-dessus son épaule durant son intervention, pour la replacer dans son dos d’un geste naturel.

Lentement, Ehissian se détendit et lâcha de nouveau le bras de son amant. Il échangea un regard avec ce dernier, un regard hésitant, mal assuré, perplexe.

Depuis la veille, Lékilam avait imaginé cette scène dix fois dans sa tête, sans jamais penser que les évènements pourraient prendre cette tournure là. Il aurait plutôt cru qu’ils se seraient tous assis autour d’une table, ou bien qu’ils auraient attendu la fin de son discours pour s’entretuer…

Il était décidemment trop fatigué pour réfléchir correctement.

- Bien… Soupira-t-il en voyant que le calme semblait enfin être revenu. Alors je vais faire vite, pour que nous puissions tous retourner sereinement à nos occupations.

Dehors, la nuit était en train de tomber, tout doucement. L’image de son oreiller rembourré traversa vivement l’esprit du jeune prince. Son visage affichait une expression imperturbable, en fort contraste avec l’agitation qui venait de survenir.

- Comme vous le savez à présent, les habitants qui le souhaiteront seront évacués dans deux jours. Cette proposition vaut aussi pour vous tous, sans exception, annonça-t-il en balayant son auditoire du regard, son regard s’attardant particulièrement sur Fallnir, Libellule et Ehissian, tous trois dans le même coin de la pièce.

- Mais vous, votre altesse ? S’enquit la nymphe d’un ton intrigué, toute sévérité envolée.

- Mon sort dépendra du votre. S’il ne reste pas assez de personnes pour assurer ma sécurité, je devrais sans doute partir pour une autre tour, dans un autre monde…

Son ton d’ordinaire si espiègle et indifférent devint soudain mal assuré, hésitant. Pour la plus grande surprise de ceux dans la salle qui le connaissaient depuis longtemps.

-… C’est pour cette raison que j’aimerai vous demander de rester, se lança-t-il enfin, les yeux fermés. J’ai encore des choses à faire, sur cette planète. Après tout ce que nous y avons fait, nous ne pouvons pas la quitter de cette manière. Ce serait trop… injuste.

Seul Shézac ne vit pas où le prince voulait en venir, car il n’avait pas passé assez de temps à la Volière pour avoir entendu parler de ça. Fallnir, lui, habitait déjà sur cette planète lorsque cela c’était produit. Aussi, il comprit autant que les autres de quoi parlait Lékilam.

Le grand massacre d’étrangers qu’avaient organisé les vampires, quelques décennies plus tôt… Les phénix avaient tenté de mettre le plus de monde possible à l’abri, d’avertir le maximum d’expatriés du danger qui planait sur eux. Mais leurs moyens étaient déjà très limités, à l’époque, et rien n’avait pu empêcher les vampires d’exécuter leur vendetta contre tout ces gens anormaux qui leur avaient volé leurs terres.

Lékilam considérait cela comme le plus grand échec de tout son apprentissage.

- Je sais que c’est déplacé de vous demander ça, et que vous ne me devez rien. Mais… est-ce que accepteriez de rester, pour m’aider… ? demanda-t-il d’une voix presque timide.

Il était si touchant, si fragile dans sa requête que la même émotion parcourut toutes les personnes présentes dans la salle.

En quelques secondes, Scysios et Shézac échangèrent un regard, le regard d’Ehissian se fit déterminé, tandis que Libellule se préparait à annoncer leur accord à haute voix, persuadée de la réponse positive que fourniraient les autres.

Mais Fallnir fut bien plus prompt qu’eux à réagir.

- Ca dépend, dit-il sur un ton nasillard, les bras croisés sur son torse. Est-ce qu’on est vraiment libre de partir, ou est-ce que c’est seulement ce que vous allez nous faire croire, tout en trouvant un moyen détourné pour qu’on fasse exactement ce que vous voulez ?

Le prince soutint le regard clair de l’auburn, retrouvant un peu de sa détermination. Ils occultèrent volontairement l’espace d’un instant la présence des autres à leurs côtés, qui de toute manière n’avaient pas saisi grand-chose du but de la question. Cette interrogation ne concernait qu’eux deux.

- Alors c’était vrai, vous avez fini par comprendre… ? S’enquit doucement Lékilam.

Fallnir haussa les épaules. Tout proche de lui, Ehissian sentit soudain en son amant une tension, une colère contenue qu’il ne lui avait encore jamais vue. Soupçonner la réalité d’un fait était une chose, entendre la confirmation de ce fait de la bouche même du prince en était une autre.

- En même temps, ce n’était pas très malin de la part de Shézac de raconter cette histoire, l’autre soir…

Et le regard ferme du dragon se posa un instant sur le blond, qui ne put s’empêcher de faire un pas en arrière, comme pour se dégager de toute responsabilité.

- Alors oui, j’ai compris que vous avez tramé derrière mon dos pour essayer de m’utiliser, confirma l’auburn. Il y a encore des détails qui m’échappent, mais je suis sûr que vous allez me les donner.

- Très bien. Que voulez vous savoir ? répondit le prince du tac au tac.

Fallnir décroisa les bras, décontenancé par une réaction aussi franche et rapide. Pendant une seconde, le masque d’irritation et d’ironie qu’il s’était construit se fissura, révélant qu’au fond, il se sentait beaucoup plus perdu que véritablement en colère.

Tout ce qu’il voulait, c’était comprendre. Alors il saisit l’invitation de Lékilam au vol.

- … Depuis quand est-ce que les démons de la Morte-lune assurent votre protection ?

Ehissian fut bien le seul à sursauter, et pas parce qu’il était aussi le seul à ne pas savoir contrôler ses émotions. Tout les autres étaient déjà au courant, et pour cause.

- Depuis toujours, répondit calmement le prince. Depuis que votre ancien clan a attaqué le château de ma mère, le jour de ma naissance. Ce n’était un secret pour personne.

Fallnir hocha la tête, satisfait de cette réponse dont il s’était finalement toujours un peu douté.

- Et depuis quand Derek Isdegarde est-il ici ?

Lékilam parut réfléchir quelques secondes, les yeux fixant le sol. Puis il secoua doucement la tête, de gauche à droite.

- Là, je vous avouerais qu’on ne m’a pas tout de suite mis dans la…

- Depuis trois ans, le coupa Scysios en s’immisçant brusquement dans la conversation. Lorsque les Garnësir ont commencé à montrer des signes d’hostilités, il a décidé de venir s’assurer lui-même de la sécurité du prince. Mais il est toujours resté à la frontière, avec les autres.

Ehissian sursauta de nouveau –et fut encore une fois l’unique membre de l’assemblée à avoir une telle réaction. Mais cette fois-ci, ce fut uniquement parce que Pavel, le seul autre à ne pas être au courant des activités de Scysios, savait se maitriser.

- Tu es leur porte parole, c’est ça ? demanda Fallnir en s’adressant directement au maudit.

De ça aussi, il s’en était toujours un peu douté. Depuis qu’il avait aperçu les prunelles violettes du démon, ce fameux soir où ils étaient allés voir les vampires. Derek Isdegarde, maudit lui aussi, avait toujours eu la réputation de veiller particulièrement sur chacun de ses semblables. Les anciens du clan Garnësir disaient même qu’une fois, il avait bravé les défenses redoutables de leur forteresse, pour venir récupérer un bébé dragon aux yeux violets que le clan envisageait à l’époque de faire discrètement disparaître.

Alors oui, il avait toujours plus ou moins pensé que la présence du médecin à la Volière n’était pas anodine. Surtout lorsqu’il avait apprit que Shézac le connaissait.

- Scysios a effectivement été envoyé ici comme représentant des démons de la Morte-lune, expliqua le prince. La présence d’un mercenaire dans nos murs aurait beaucoup trop inquiété la population…

- Je comprends, assura Fallnir, d’une voix dans laquelle l’ironie perçait de nouveau. Vous ne vouliez pas d’un démon de la Morte-lune dans vos murs. Mais le fils unique de leur chef, ça, ça ne vous dérangeait pas…

Shézac fit une grimace très explicite, tandis que les regards d’Ehissian et de Pavel se posaient brutalement sur les deux démons, en particulier sur Scysios. Le chevalier avait les yeux écarquillés de surprise, alors que le visage du garde du corps se fit suspicieux, presque menaçant. Libellule, elle, se racla la gorge et tâcha de se faire la plus petite possible dans cette conversation dont on l’excluait de plus en plus.

Scysios soutint les regards braqués sur lui sans se démonter, faisant preuve d’une assurance qu’on ne lui soupçonnait pas. Comme le prince ne semblait pas décider à parler, et que Shézac essayait vainement de disparaître derrière lui, il se décida à intervenir.

- Ce n’est pas pareil, Fallnir. Crois-moi, Shézac n’a strictement rien à voir avec les affaires de son père.

Fallnir fronça les sourcils, l’énervement remontant dans ses veines à la vitesse d’une locomotive surpuissante.

- Vraiment ? Alors pourquoi est-ce que c’est lui qui m’a proposé de venir vivre sur ce monde, comme par hasard ?

Voir Scysios et le prince rester aussi calme et maitre d’eux, alors que plus le temps passait, et plus il se sentait perdu et irrité…

- Je vous assure que nous ne vous n’avons pas fait exprès de vous faire venir ici, expliqua Lékilam de la voix la plus douce qu’il put, terminant d’énerver le dragon. Nous voulions garder un œil sur vous, je suis forcé de vous l’avouer, mais jamais…

- Inutile, j’ai compris, l’interrompit Fallnir avec agacement.

Il secoua la tête, laissant tous les autres suspendus à ses lèvres, dans l’attente de sa réaction. Libellule crut un instant qu’il allait exploser, comme elle avait souvent vu faire d’autres dragons. Elle se prépara donc à intervenir, ainsi que Pavel, qui se crispa légèrement.

Mais Fallnir se contenta de soupirer, à bout de nerf. Ses pensées se bousculaient, noyées sous le trop plein de révélation qu’il venait d’avoir. S’il ne sortait pas tout de suite, il allait véritablement perdre la dernière goutte de contrôle qu’il avait encore sur lui-même.

- Je ne sais pas ce que vous me voulez, ni pourquoi vous avez fait tout ça. Mais il faut que vous sachiez une chose. Si je reste ici, ce n’est absolument pas pour vous. Vos petites histoires de guerres et d’identités secrètes ne m’intéressent plus depuis longtemps.

Et sur ces mots, Fallnir attrapa violemment le bras d’Ehissian pour le tirer à lui et l’embrassa passionnément, sous les yeux éberlués du reste de l’assemblée.

Le phénix cligna des yeux, surpris par une tel geste après les deux semaines de liaison secrète qu’ils avaient vécu. Mais le temps qu’il décide de quelle réaction adopter, le dragon le relâcha et quitta la pièce en claquant la porte.

Pendant plusieurs longues minutes, personne n’osa ouvrir la bouche, les yeux rivés sur la porte. Puis, Libellule fronça très légèrement les sourcils et se tourna vers Ehissian.

- … Je ne savais pas que tu étais gay, dit-elle alors d’un air surpris.

Le chevalier piqua du nez et devint aussi rouge qu’une tomate, balbutiant vaguement une réponse. Scysios s’approcha de lui et lui posa doucement une main sur l’épaule.

- Je crois que tu devrais aller le rejoindre, ‘Ssian… conseilla-t-il avec un sourire.

Le susnommé hocha la tête et déguerpit au plus vite, les joues toujours enflammées. Fuyant les regards de merlans frits que lui jetaient Lékilam et Pavel, les deux derniers dans la salle à ne pas être au courant pour lui et Fallnir.

Ce fut d’ailleurs le prince qui recouvra la voix le premier, quelques instants après le départ du phénix.

- … Vous ne m’aviez pas dit que Fallnir était venu ici parce qu’il était devenu ami avec Ehissian ?

Shézac se gratta l’arrière du crâne, mal à l’aise.

- Eh bien, tout dépend de ce que vous considérez comme étant de l’amitié…

 

--

 

Anya se dandinait d’une jambe sur l’autre, gênée. En face d’elle, le directeur jeta un œil distrait au dossier qu’elle venait de lui donner. Par-dessus les larges épaules du jeune homme, à travers l’immense baie vitrée qui clôturait son bureau, la Volière recueillait sur ses murs de pierre les derniers rayons du soleil. La phénix se gorgea de cette image, une boule dans la gorge à l’idée que c’était peut-être la dernière fois qu’elle la contemplait.

-Vous avez mis du temps à me soumettre ce congé maternité, remarqua soudain le directeur, semblant apercevoir pour la première fois depuis de longues minutes la présence de sa secrétaire.

Celle-ci écarquilla les yeux, aussi ébahie que surprise dans ses réflexions.

- Pardonnez-moi ? Demanda-t-elle d’une voix mal assurée, persuadée d’avoir mal entendu.

Le directeur apposa rapidement sa signature au bas de la feuille, referma le dossier et le tendit à la jeune femme.

- J’ai dit que vous aviez mis du temps à me remettre votre congé maternité. Je pensais que vous le feriez dès mon arrivée ici.

Anya fixa son supérieur avec des yeux incrédules. Dès son arrivée ? Elle n’avait appris sa grossesse que quelques heures plus tôt, et n’aurait pas demandé de congé avant quelques semaines, si Lékilam ne leur avait pas annoncé la menace qui pesait sur les phénix.

- Mais… Vous… Vous…

Comment avait-t-il pu savoir ? C’était impossible, elle devait mal interpréter ce qu’il venait de dire… Pourtant, le souvenir de leur première rencontre lui revint en mémoire. Quelques jours plus tôt, quand le directeur était arrivé, lors de cet affreux entretien qui l’avait tellement remontée contre son supérieur… Il lui avait dit à ce moment là qu’elle ne resterait pas longtemps.

- Je ? S’enquit-il en haussant un sourcil perplexe, très légèrement irrité par cette interruption qui s’éternisait.

Malgré le fait que ses jambes soient devenues aussi molles que deux boules de glaces fondues, Anya fut prise de l’envie de s’enfuir loin, très loin de ce personnage devenu soudainement si effrayant. Le fait que cet homme ait pu savoir avant elle qu’elle était enceinte la terrifiait littéralement ; pas tellement pour l’information en elle-même, mais plutôt pour la manière dont il l’avait obtenue.

Elle ne voulait pas savoir, n’osait même pas imaginer comment est-ce qu’il avait fait.

- … Rien, monsieur le directeur, excusez-moi, dit-elle précipitamment. Je... Je vous remercie. A très bientôt, monsieur.

Et elle déguerpit aussi vite que possible, sous le haussement d’épaule indifférent de son supérieur, qui se replongea aussitôt dans son travail.

 

--

 

Ader sorti une troisième cigarette de son paquet cartonné, qui devenait de plus en plus léger au fur et à mesure que le temps passait.  La lumière de son briquet lui parut bien fade, dans l’ambiance bleu sombre de la fin de la soirée. Derrière lui, les premiers éclairages s’allumèrent de concert, comme une rangée de bougies.

Si cela continuait, il allait mourir d’un cancer avant même que la nuit ne tombe vraiment. Mais les ordres venaient du grand manitou, et Ader n’avait pas son mot à dire sur ces choses là. Dans son immense mansuétude, le grand chef tolérait déjà le fait qu’Ader ait succédé à son ancien supérieur en lui ayant ouvert le ventre à coup de couteau, et Ader n’avait donc pas le droit de grogner, sinon quoi Ader se verrait à son tour avec un couteau planté dans l’estomac, et accessoirement dans son joli petit cœur tout frétillant.

Il donna un coup de pied hargneux dans une canette, qui avait pour seul tort de traîner devant lui.

L’image de son chef lui revenait en tête dès qu’il pensait à lui, comme un arrière goût désagréable lorsqu’on croquait dans un fruit pourri. Le grand manitou avait été nourri part les romans morbides et les films d’horreurs à petit budgets. Il en gardait le stéréotype étrange selon lequel tous les méchants suceurs de sangs devaient avoir des racines gothiques, et une espèce de charisme douteux. Aussi, il prenait des bains –comble du luxe pour un vampire- plusieurs fois par jours, se teignait les cheveux en blanc et usait des tonnes de produits de soin pour qu’ils restent longs et raides, se fardait le visage pour avoir un teint cireux, et avait appris à vivre le petit doigt en l’air, en sirotant une coupe de bon vin dans des luxueux vêtements de soie noire.

Forcément, quand tout le reste de la communauté ne jurait que par douches occasionnelles, inculture totale et blouson en cuir volé à un vieux motard, le chef pouvait avoir, aux yeux de certains, une certaine classe désuète et un sex appeal charmant.

Ader, lui, devait se retenir d’éclater de rire chaque fois qu’il était tenu de lui faire un rapport sur la situation de la ville. Et à chaque visite, le chef semblait s’être enfoncé un peu plus dans son trip de grand méchant de film d’horreur. Même les toiles d’araignées qui pendaient autours des chandeliers en fer forgées avaient l’air factice, et rajoutées dans le bureau en velours pourpre du chef uniquement pour entretenir le côté caveau de la pièce.

Peut-être que c’était pour ça que quand un type avec de la classe, de la vraie, allait frapper à la porte du chef, celui-ci se mettait à lui manger dans la main sans chercher à voir plus loin.

Ader écrasa son mégot en songeant à Thane, cet inconnu débarqué il y a peu, dont personne ne connaissait rien, mais qui avait embobiné tout le monde rien qu’avec son regard carnassier et son sourire ensorceleur.

Le claquement des talons aiguilles lui fit perdre le fil de ses réflexions. Tailleur gris perle juste au dessous du genoux et chignon blond secrétaire, la phénix traversait le passage clouté qui séparait l’immeuble de la KGV de la Volière. Il n’avait jamais trop su si elle était venu travailler comme secrétaire de son plein grès, où si on l’avait placée là comme espionne involontaire à la solde de son peuple, pour surveiller ce qui se tramait dans l’immeuble voisin, et accessoirement siège de la plus grosse boite du pays. Cette firme avait d’ailleurs l’amusante particularité d’appartenir autant aux vampires qu’aux phénix. Du moins, c’était le cas avant que le directeur ne change, quelques jours plus tôt ; catapulté du siège d’un département jusqu’au sommet de la société, le nouveau PDG était un jeune requin fraichement débarqué en ville, qui avait rapidement grimpé les échelons en utilisant sans vergogne l’influence des vampires. Pourtant, selon un groupe de vampire directement sous les ordres de Thane, qui avaient réussi à intercepter un courrier confidentiel, ce jeune coq devait sa toute nouvelle position à un oncle bienveillant, et plus indirectement à une relation particulière avec les phénix.

Ader avait été expressément envoyé pour vérifier dans quel camp se trouvait vraiment le directeur, si du moins il en avait un, et n’était pas qu’un opportuniste bien informé qui rebondissait dès qu’il le pouvait pour toujours sauter un peu plus haut.

Cependant, qu’il soit du côté des vampires, des étrangers ou pour son propre intérêt, cet individu n’en restait pas moins l’une des rares personnes qui pouvaient peut-être faire sortir le prince phénix de sa forteresse verticale.

Ecrasant son mégot de cigarette sous l’une de ses semelles, Ader pénétra dans l’immeuble de la KGV par l’entrée principale. C’était le chemin le plus court pour se rendre dans le bureau du directeur.

 

A suivre…

 

ooo

 

Et une nouvelle couche d’informations et de révélations… :p

Je trouve ce chapitre particulièrement obscur. J’espère qu’il ne vous aura pas paru complètement incompréhensible…Si jamais il y a quelque choses que vous auriez mal compris, surtout, n’hésitez pas à me le signaler, je ferai mon possible pour améliorer ça.

Et comme d’habitude, si vous avez la moindre autre chose à me dire, n’hésitez pas non plus ! ( de plus, je vous avouerai qu’en ce moment, j’ai vraiment besoin de savoir ce que vous pensez de cette fiction et que ça me ferait très plaisir de connaître vos avis, pour achever les tous derniers chapitres. :p )

Voilà, merci encore d’avoir lu, je tâcherais de publier la suite très bientôt !

 
 
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