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au 31 Mai 21 :
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Bec d'écaille, croc de plume
Par Jaiga
Originales  -  Romance/Fantaisie  -  fr
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    Chapitre 5     Les chapitres     64 Reviews     Illustration    
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Fin du voyage

Disclaimer : Tous les personnages/ lieux/ périodes sont issus de ma propre imagination. J’ai cependant utilisé certains personnages pour des forums Rpg, ne vous étonnez donc pas si vous les croisez un jour, au hasard du net. :3

Notes :

- Je m’excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d’orthographe qui m’ont échappée, j’avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur …

Chapitre 5 : Fin du voyage

Avec un plaisir non dissimulé, Fallnir expédia sa couverture au pied de sa couchette, et bondit sur le sol. Nullement gêné par les cahots du train, il se dirigea vers l’épais rideau qu’il ouvrit d’un geste vif, libérant une lumière crue et blanche dans la cabine.

Shézac émit un gémissement de souffrance et appuya son oreiller contre son visage.

Ignorant superbement la réaction du démon, Fallnir renonça à rejoindre la cabine de douche, au bout du wagon, certainement prise d’assaut par les autres voyageurs. Alors il rangea la belle plume bleue entre deux pages de son livre, et entreprit de dénicher des vêtements propres dans son sac. Le dragon allait d’ailleurs se changer en plein milieu de la pièce, commençant déjà à enlever son pantalon de pyjama, quand il se rappela soudain la présence de Shézac derrière lui, et préféra se réfugier de nouveau sous la couverture.

L’opération serait plus délicate et sportive, mais au moins, il n’aurait pas la sensation désagréable de sentir comme un regard sur lui. D’ailleurs, le ricanement à moitié étouffé qui lui parvint confirma qu’il avait bien fait.

Le chariot repas ne devait pas tarder à passer. En attendant, Fallnir retira les draps, qu’il plia proprement et rangea dans l’espace prévu à cet effet, sous la couchette, tout en retirant la banquette du siège et en la remplaçant par dessus le matelas dénudé. Il s’allongea à moitié, adossé contre la paroi du train, et se cala le dos à l’aide de l’oreiller. Son livre à la main, il reprit sa lecture, sans un mot, sans un bruit.

A à peine un mètre de lui, Shézac bâilla longuement. Le démon lui tournait le dos, et ses longs cheveux blonds s’éparpillaient un peu partout sur les draps. La séance de démêlage promettait d’être longue et éprouvante, si du moins il consentait à se lever.

Au bout de quelques minutes cependant, sa couverture fut également repoussée, avec néanmoins beaucoup moins de volonté que celle du dragon. Shézac s’assit tout d’abord sur le lit, passant une main paresseuse dans ses cheveux pour tenter d’y remettre de l’ordre, et ses yeux balayèrent la cabine d’un air éteint. Il hésitait visiblement entre se lever pour de bon ou se recoucher sur le champs. Il opta finalement pour la première solution, bien que ses paupières émirent quelques réticences à rester ouvertes aussi longtemps.

D’un geste las et fatigué, Shézac se leva, et manqua de s’écrouler à terre. Le mouvement du train lui avait fait perdre son équilibre, et il ne s’était rattrapé que de justesse. Du coin de l’œil, Fallnir s’en aperçu, mais ne fit aucun commentaire.

Le démon s’agenouilla devant son propre sac, envoyant voler chemises, chaussettes, jeans et boxers sur son lit, et extirpa une brosse à cheveux ayant connu des jours meilleurs. S’asseyant à même le sol, Shézac tenta vainement de remettre de l’ordre dans sa chevelure, attrapant de pleines poignées de mèches d’or pour essayer d’en extirper les nœuds. La manœuvre dura une bonne dizaine de minute, au bout desquelles un Shézac satisfait daigna remonter sur son lit pour enfiler quelque chose de plus décent que son caleçon.

Il était beaucoup moins pudique que le dragon, et surtout, ne craignait pas les regards indiscrets. Fallnir dut, pendant un très long quart d’heure, garder ses yeux rivés sur la même lettre de sa page afin de ne pas tourner la tête. Il avait d’ailleurs le pressentiment que le démon avait fait exprès de s’habiller aussi lentement. Lorsqu’il put enfin reprendre le cours normal de sa lecture, le blond pinçait un élastique entre ses lèvres et tentait de ramener toutes ses mèches dans son dos.

Finalement, il finit par se rallonger sur sa couchette, sans même avoir refait le lit, les bras croisés sous sa tête.

Fallnir tourna sa page.

On frappa à la porte.

Le dragon bondit sur ses pieds, farfouilla dans son sac, et se hâta d’aller ouvrir avant que le chariot repas ne se fasse la malle.

-Cookie pour moi ! lança Shézac d’une voix joyeuse, avant qu’il n’ouvre la porte.

Fallnir soupira, mais opina tout de même de la tête.

Et en plus, il devait payer à manger au démon.

Il acheta donc la boîte de cookie, plus quelques viennoiseries et une bouteille d’eau. Il remercia gentiment l’employée, referma la porte de la cabine et lança la boîte de gâteau sur Shézac, dans le vain espoir de l’assommer ou de l’estropier « par accident ». Mais le démon avait malheureusement trop de réflexes.

Fallnir retourna donc sur sa couchette, son paquet de viennoiseries dans les mains. Il sortit la première et mordit dedans avec entrain. Elles n’étaient pas particulièrement bonnes, mais c’était mieux que rien, et il avait une faim de loup. Mine de rien, les menus du wagon restaurant n’étaient pas excessivement nourrissant.

A côté de lui, Shézac grignotait silencieusement ses biscuits. Le dragon l’observa du coin de l’œil.

Le démon était étrange, parfois…

Il était tantôt bavard et gamin, complètement insouciant, tantôt calme et silencieux, plongé dans ses pensées, presque sérieux.

Comme maintenant.

Il le connaissait depuis pas mal de temps. Cela datait d’une lointaine période, où leurs travails respectifs les avaient amenés à se rencontrer. Depuis cette époque, Shézac n’avait pas changé d’un pouce ; il semblait vivre d’amour, d’air pur et d’eau fraîche, collectionnait les amants, se liait d’amitié avec quelqu’un dès le premier mot échangé, séduisait et charmait à tour de bras. Comme l’avaient sans doute fait les trois quarts de ses amis, Fallnir avait déjà partagé sa couche, une nuit ou deux. Et même s’il était bien forcé d’avouer qu’il en gardait un souvenir agréable, il n’avait jamais couru après le démon, ni tout fait pour avoir droit à une nuit de plus. Ils partageaient quelques beuveries lorsqu’ils se revoyaient, se téléphonaient –ou s’écrivaient, certains mondes n’étaient pas aussi avancés technologiquement que d’autres- à l’occasion, en somme, se comportaient comme deux vieux compagnons qui n’étaient ni ensemble pour la vie, ni de simples connaissances. Mais en fait, Shézac comptait peut-être parmi les rares amis que le dragon pouvait considérer comme tels.

Seulement le problème, avec le démon, c’était qu’il avait tellement d’amis qu’il était difficile de savoir ce qu’il pensait réellement de l’un ou de l’autre.

Mais le blond semblait tout de même plutôt attaché à lui, car sinon, il l’aurait sans doute envoyé balader sans même prendre la peine d’essayer de l’aider. A l’inverse, il avait réussi à retrouver l’endroit où vivait Ehissian, à dégotter un logement près du lieu en question, et l’accompagnait même jusque là bas –quoiqu’il se serait bien passé de ce dernier point.

A moins qu’il n’ait pas fait tout cela pour lui. Le démon lui avait bien dit qu’il devait aussi aller voir quelqu’un… Ce quelqu’un était peut-être son amant actuel (fort peu probable, étant donné sa définition toute particulière du mot fidélité), ou un ami proche, ce qui était beaucoup plus plausible. Il était difficile de savoir la vérité...

Si bien qu’à la fin, Fallnir ne savait pas s’il devait ou non vraiment lui être redevable.

-Shézac ?

-Hmmm ?

-Qui est-ce que tu veux revoir, là bas ?

Il entendit le démon ricaner, pour une raison qui lui échappait encore. Le blond s’empressa d’éclairer ses lanternes.

-Serais tu jaloux, petit lézard ?

Sa voix s’était faite charmeuse et sensuelle. Fallnir lui jeta un regard noir.

- Ne prend pas tes rêves pour la réalité.

Le dragon savait, de très longue expérience, que les démons acceptaient plus facilement la vérité qu’un mensonge. Quelle que soit cette vérité. Alors il préféra lui parler sincèrement, pensant ainsi avoir plus de chance d’obtenir une réponse.

-Je voulais juste savoir… Pourquoi est-ce que tu as voulu m’accompagner ? J’aurais très bien pu me débrouiller seul, et… je ne crois pas que tu aies vraiment un ami à aller voir, avoua-t-il franchement.

Il y eut un court moment de flottement.

-Pourquoi, hein ? Soupira Shézac.

Allongé sur le dos, il fixait toujours le plafond du compartiment, l’air rêveur.

-Parce que… tu m’inquiètes.

Il tourna la tête, pour le dévisager, et lorsque ce regard si bleu se plongea dans le sien, Fallnir se sentit frissonner. Il avait l’étrange impression d’être sondé, exploré, fouillé de fond en comble. C’était… désagréable. Si bien que qu’il détourna rapidement les yeux, pour fixer à la place la plume bleue qu’il gardait coincée dans son livre.

-Je ne vois pas pourquoi tu t’inquiètes, dit-il finalement en secouant la tête.

Il entendit de nouveau le rire moqueur de Shézac.

-Moi non plus, je ne vois pas. En fait, tu te fais des fausses idées, parce que j’ai vraiment un ami à aller voir.

Fallnir ne répondit pas. Il ne savait pas quoi répondre. Et ne savait de toute manière pas non plus comment il est-ce qu’il devait interpréter ces paroles.

--

Ehissian bâilla longuement. Kellnet, où la masse de cheveux couleur brique affalée derrière la caisse enregistreuse, semblait être du même avis que lui.

C’était ce genre de matinée où l’on pressentait que l’on aurait mieux fait de rester couché.

Le réveil d’Ehissian avait sonné trop fort, trop tôt, trop longtemps. Un matin de plus où il s’était retrouvé seul dans son grand lit, avec pour seule compagnie sa couette à triangle et son oreiller. Au début, il était même persuadé d’avoir rêvé. C’était impossible qu’il soit seul, puisque la veille, il s’était endormi au côté d’un homme aux cheveux auburn, aux yeux pâles, et à la voix enrouée tellement sexy… Il se souvenait encore du goût de ses lèvres sur les siennes, de la chaleur de ses bras quand ils l’enlaçaient, de la douceur de sa peau sous ses caresses. Il ne pouvait donc pas se réveiller comme ça, solitaire, en pyjama au lieu d’être nu, et surtout, sans même la marque d’un corps sur les draps, à ses côtés…

Il lui fallut plusieurs minutes pour réussir à différencier le vrai rêve de la réalité.

Il avait réellement couché avec cet homme, mais cela remontait déjà à la nuit de la veille. En revanche, celle qu’il venait de passer, aussi intense fut elle, n’était qu’imaginaire. Le songe d’un phénix esseulé qui commençait à peine à réaliser l’ampleur de sa frustration. Et de cette absence, qui lui pesait tant. Mais cette absence de quoi ? Il ne le savait pas, et le problème était bien là.

De son côté, Kellnet avait lui aussi été bien trop seul. Pas de petit pas pour marteler le carrelage, pas de petite main pour tourner la poignée, pas de bout d’oreille d’ours en peluche pour lui chatouiller le nez. Pas non plus de courbe d’épaule délicate, ni de chute de rein si peu dissimulée par une nuisette légère, et dont il lui suffisait de fermer les yeux pour se rappeler du moindre trait. Elécy était partie dormir avec d’autres amies chez sa Jumelle, la nymphe Libellule.

Les filles de l’immeuble se faisaient parfois une soirée entre elles, chez l’une ou chez l’autre, et désertaient leurs compagnons respectifs pour une nuit. Au programme, papotage, gagatisage, téléphage et matage. Et comme personne ne pouvait prendre en charge Léto du temps que son père serait au travail, le jeune phénix était lui aussi allé dormir chez un ami, avec un enthousiasme loin d’être dissimulé. Ils n’étaient qu’à quelques étages de lui, et pourtant, il lui semblait qu’ils étaient à l’autre bout du monde. Pour la peine, Kellnet n’avait même pas entamé la nouvelle plaquette de beurre. Et il était sorti de son mutisme matinal à dix heures et sept minutes.

Le rouquin se redressa, s’accouda au comptoir, et appuya une tête de déterré sur la paume de sa main. Ehissian lui rendit mollement son regard.

Ils soupirèrent de concert.

- C’était bien la neige, on n’était pas obligé d’aller bosser, geignit Ehissian en poussant une chaise qui était sur son passage.

-Parle pour toi. Pendant que tu dormais, je me suis tapé toute la manutention, rétorqua le roux avec un haussement de sourcil.

En guise de réponse, il n’eut droit qu’à un petit bout de langue tiré dans les règles de l’art, suivit l’instant d’après par un changement de sujet en règle.

-En tout cas, aujourd’hui aussi, ça devrait être tranquille. Les chasses- neiges sont passés, mais il y en a encore plein sur les trottoirs…

Ehissian s’accouda à la fenêtre, et à travers les losanges de fer et de verre, observa les quelques silhouettes qui déambulaient dans l’avenue. Pas beaucoup d’âmes courageuses pour oser s’aventurer au dehors par moins trois degrés. Il suivit des yeux ce qui ressemblait à une mère et sa fille, à en juger par le manteau de simili fourrure de l’une et l’anorak rose fluo de l’autre.

-Personne ne déblaye l’allée, aujourd’hui ?

Par le grincement de la chaise et des roulettes, il devina que Kellnet était en train de remuer sur son fauteuil.

-Je suppose que Lyde le fera, s’il veut donner l’illusion que son club sera ouvert se soir. A propos, tu joues, ou on se débrouille encore sans toi ?

Ehissian se retourna en haussant les épaules et s’adossa au rebord de la fenêtre.

Jouer… A vrai dire, il n’en avait pas vraiment envie. Peut-être rester au club, quelques heures, pour profiter de l’ambiance, mais rien que l’idée de devoir affronter la lumière des spots de la scène lui donnait mal à la tête. Sans parler de son envie de chanter ou de tenir une guitare.

-Hmm non, je pense pas. Pas envie.

Il se baissa pour esquiver un jet de stylo.

-Eh ! protesta-t-il vivement.

-Lâcheur.

Ehissian lui tira une nouvelle fois la langue, et s’agenouilla pour ramasser le pauvre projectile.

-Demande à Scysios ou a Libellule, ils chantent beaucoup mieux que moi, et ils n’oseront pas refuser, rétorqua-t-il en déposant le stylo sur le comptoir.

- Oh si, ils oseront. Mais dans ce cas, Ehissian…

-Oui ?

-Tu iras prévenir ta sœur que c’est toi même, qui refuse d’aller jouer. Je ne tiens pas à me faire de nouveau engueuler.

Le phénix éclata de rire.

--

Elika rangea avec difficulté un énorme carton dans sa réserve. C’était une pièce exiguë, sombre et pleine de paquets, certainement envahie par les toiles d’araignées. Elle n’aimait pas beaucoup y aller.

Petite et menue, les cheveux et les yeux d’un orange flamboyant, Elika semblait encore être une adolescente. Elle possédait pourtant sa propre boutique, dans les étages intermédiaires de l’immeuble, et était beaucoup plus vieille qu’on ne le croyait. Seulement, la croissance des phénix était très, très longue, et là jeune fille ne faisait absolument son âge…

Tant et si bien que pour tout le monde, elle restait toujours « la petite Elika », la mignonne sœur d’Ehissian. La gentille petite fille, celle qui était si adorable quand elle s’énervait pour un rien, et qui était toujours si polie et si bien élevée avec les inconnus.

C’en était presque épuisant. Rares étaient les personnes qui la prenaient au sérieux, y compris son frère. Pour lui, elle resterait éternellement le petit bout haut comme trois pommes, qui avait serré sa main si fort lorsqu’ils étaient arrivés ici.

C’était alors une époque lointaine, un temps très reculé. Les jeunes femmes se paraient de leurs plus belles robes, sortaient leurs plus beaux éventails, les jeunes hommes se peignaient avec soin et portaient à leurs flancs des lames toutes plus belles et plus fines les unes que les autres. C’était encore le temps des lustres aux innombrables cristaux, des poèmes récités aux demoiselles convoitées, des bals à en perdre la tête, des palais plus somptueux et plus riches que dans les rêves les plus fous.

Il n’y avait pas encore de tours de verre, de villes anonymes, de bars miteux et enfumés, de jeans, de chemises et de baskets. Il n’y avait que des villages aux toits de chaumes, des gens vivant de leurs récoltes, des seigneurs juchés sur leurs hauts destriers blancs.

Un matin, une tour s’était élevée, au beau milieu d’une forêt. Une tour de pierres sculptées, comme une grande cathédrale, ou plutôt comme une immense volière aux fenêtres larges et dépourvues de vitres, encadrées d’arcades et d’ornières ouvragées. Une volière sublime, conçue pour des oiseaux majestueux.

Des gens étaient arrivés. Des colonnes de personnes, traînant leurs maigres affaires derrière eux ou sur leurs épaules, des enfants dans les jupes de leurs mères, des couples enlacés, des soldats en armes, des familles entières.

Et une petite fille, tenant fermement la main de son grand frère.

Eux n’avaient plus de parents, plus de famille, plus de mère à qui se raccrocher. Juste la main de l’autre, un maigre sac pour chacun, et une épée, ébréchée, émoussé, mais à la garde encore finement ouvragée. Tout ce qui restait de leur père.

Elle ne comprenait même plus ce qui leur arrivait, jetant des regards furtifs de tous les côtés, se sentant si fragile et minuscule face à l’immense tour de pierre. Dans la cohue des nouveaux arrivants, un homme en armure leur avait attribué une chambre, dans les premiers étages de la tour. Sans même prendre le temps de se dévêtir, ni de chercher à comprendre, ils s’étaient endormis comme des masses, l’un contre l’autre, serrés dans ce grand lit inconnu et froid qui serait désormais le leur. Au matin, une jeune femme était venue la chercher. Elika avait d’abord refusé de la suivre, de peur d’être séparée de celui qu’elle aimait, et d’entendre une nouvelle fois des flèches enflammées s’abattre sur la tour, les hurlements des hommes et des dragons derrière les murs, et de voir toutes ces flammes, tous ces corps qui jonchaient les couloirs, tout ce sang qui coulait sur les marches, toute cette souffrance qui…

Son frère l’avait poussé doucement dans le dos, et lui avait murmuré que c’était fini, que plus jamais ils ne verraient ça, qu’ici ils étaient enfin à l’abri. Elle l’avait cru. Car ici, ils étaient loin. Personne ne savait où ils étaient. Ce monde ignorait qui ils étaient, et aucune armée de dragon ne songerait à s’abattre contre des murailles aussi hautes, épaisses et impénétrables…

Elle avait suivi la jeune femme, qui l’avait conduite dans une pièce très large où de très nombreux enfants, petits et grands, s’affairaient autour de leurs feuilles ou de leurs assiettes.

Elika reconnu tout de suite cette pièce.

C’était presque comme chez elle. Tous les matins, sa mère lui souriait, et en prenant sa main, l’emmenait dans une pièce tout aussi grande, elle aussi pleine d’enfant, et elle y passait la journée, à apprendre à lire, compter, et écrire….

La jeune femme lui avait désigné une table, et apporté un broc de lait ainsi qu’une corbeille de fruit et de pain, qu’elle avait dévoré avec appétit. Quand elle eut terminé, on l’avait emmenée à une autre table, pleine de petites filles de son âge. Elles étaient très vite devenues amies.

Son frère, elle ne l’avait revu le soir, quand on l’avait ramenée à sa chambre. Aussitôt, elle avait couru vers lui, pour lui raconter ses aventures, ses nouvelles amies, cette grande pièce qui ressemblait tellement à l’ancienne, et les énormes parts de galettes qu’on lui avait servies vers le milieu de la journée, mais qui étaient tout de même moins bonnes que celles de maman…

Mais son frère était trop occupé à retirer les pièces d’armures qui recouvraient ses bras, ses flancs et ses genoux. Ca aussi, c’était pareil qu’avant. Mis à part qu’autrefois, leur père était également là, retirant en même temps que son fils l’armure entière des Chevaliers ardents, orange comme les flammes du grand Feu, et comme ses cheveux, disait-il en ébouriffant ses couettes. Il aidait Ehissian à retirer ses protections d’apprenti, pendant que celui-ci lui racontait son entraînement, et qu’elle, n’ayant rien à faire de ces jeux de garçon, courait aider sa mère à préparer le dîner…

Elle s’était couchée dans le grand lit, toujours aussi froid, et s’était mise à pleurer. Ehissian s’était allongé à ses côtés, mais elle n’avait pas fait un mouvement pour se blottir contre lui. De toute manière, il s’était déjà endormi, assommé par le sommeil.

Le lendemain matin, la jeune femme était revenue la chercher. Et tout avait recommencé.

Au fil du temps, le monde commença inexorablement à changer, alors que la vie dans la tour semblait toujours être la même. Elle grandissait, pas de beaucoup, son frère aussi, beaucoup plus qu’elle. Un jour, il ne fut plus apprenti, et eut le droit de revêtir l’armure partielle du guerrier.

Un village s’était construit non loin de la tour, et déjà, quelques phénix commençaient à quitter cette dernière pour s’établir ailleurs, dans d’autres mondes.

Peu à peu, les villageois commencèrent à évoquer cette étrange tour, où vivaient tellement de gens aux vêtements bariolés et d’animaux ressemblant à de grands oiseaux sombres. Dans leurs conversations, ils la baptisèrent « La volière ». Ce nom perdura.

Les modestes huttes se consolidèrent, d’autres furent bâties, des routes furent tracées, de plus en plus de personnes quittaient la Volière. Ehissian devint un Chevalier ardent, et eut le droit de porter l’épée de son père. Elika grandissait de plus en plus.

Le béton remplaça la pierre, les prairies et les arbres se couvrirent de bitumes, plus des deux tiers de la tour étaient à présent désertés. Les quelques Chevaliers ardent encore présent quittèrent en urgence ce monde, pour prêter main forte à l’armée de la reine. Le prince demeura, Ehissian aussi. Ce fut également l’époque où quelques poignées de personnes vinrent s’établir dans l’immeuble à la population renouvelée, dont Kellnet et Elécy, encore un jeune couple à l’époque.

Le cycle continua, jusqu’à ce que la Volière ne soit plus que cet immeuble étrange, inchangé depuis des siècles, et connaissant une seconde jeunesse en tant que centre commercial. Ils n’étaient plus très nombreux, encore moins l’hiver, et Elika se rappelait parfois du temps où les cuisines occupaient tout un étage, et pas cette unique pièce derrière la salle à manger, et où elle pouvait autrefois se faufiler entre les jupes des cuisinières pour chiper quelques pâtisseries. C’était fini, à présent. Libellule, en tant qu’unique nymphe et cuisinière en chef de l’immeuble, veillait à ce que personne n’y entre sans sa permission.

La petite chambre quelle partageait avec son frère n’existait plus depuis longtemps. On avait fait démolir les murs, pour créer une librairie, et ce n’était pas plus mal ainsi. Sa nouvelle chambre était plus grande, beaucoup moins chargée de mauvais souvenir, et surtout, elle y dormait seule, fière de son autonomie. Ehissian avait son propre appartement quelques étages plus bas, et ne lui rendait que très rarement visite.

Elika trébucha sur un carton et ne parvint à rétablir son équilibre qu’en laissant tomber celui qu’elle tenait entre ses mains. Tout son contenu se renversa, des dizaines de stylos colorés roulant sur le sol pour s’éparpiller un peu partout dans la pièce. Elle les regarda faire avec une pointe de panique dans le regard.

-Eh, revenez !

Elle se jeta à quatre pattes et les ramassa à pleines poignées, pour les remettre dans leur carton.

La jeune fille tenait une boutique des plus hétéroclites. Des feuilles de toutes les couleurs, tailles et textures, des stylos à bille, à encre, garnis de plumes, de perles, fluo, des portes clefs, des tasses et des verres, des bougies parfumées, des animaux en fer… Le meilleur endroit pour trouver un cadeau original ou de quoi bricoler.

Elle était d’ailleurs particulièrement fière de sa collection de plume de couleur, douces, brillantes, dans tous les tons de l’arc en ciel. Plus vraies que nature. D’ailleurs, elles étaient vraies. Mais les humains n’étaient pas censés savoir que chacune d’entres elles avaient en réalité été dérobées aux habitants de la Volière. Elle avait néanmoins apporté un soin tout particulier à leur rangement. Par exemple, les bleu nuit étaient juste à côté des oranges, et les noires, avec de très léger reflets verts, étaient juste entre les rouges brique et les émeraude.

-Petit petit petit, revient là, ordonna-t-elle à un stylo en faufilant sa main sous une étagère.

Lorsque les deux premières clientes de la journée, deux lycéennes profitant du fait que leur établissement soit encore enfoui sous la neige, se présentèrent à la boutique, elles trouvèrent Elika toujours à quatre pattes sur le sol, à la poursuite de ses stylos échappés.

--

Un rayon de soleil pâle filtrait à travers les carreaux du dernier étage, révélant la multitude de particules de poussières se trouvant sur son passage. A chaque respiration, à chaque mouvement, elles se mettaient à tourbillonner, à virevolter, comme les flocons de neiges l’avaient fait la veille. Et comme eux, Lékilam pouvait passer des heures à les observer.

Le jeune prince avait toujours été fasciné par la poussière. Tout ces petits morceaux volants, toujours présents où que l’on se trouve, mais que seule la lumière du soleil à travers une vitre révélait pleinement. Cette petite couche fine et opaque qui recouvrait tout, peu à peu, sans que l’on puisse l’en empêcher, et qui revenait sitôt après qu’on l’ait balayée. Comme un signal d’alarme, un moyen de prévenir quelqu’un qu’on ne s’était pas servi de quelque chose depuis trop longtemps. Pour lui, un livre poussiéreux était un livre oublié, malade et seul, que l’on avait laissé de côté pendant une trop longue période, et qui réclamait de toute sa grisaille et son ancienneté que l’on ouvre de nouveau ses pages, que l’on parcoure sa reliure du bout des doigts pour en chasser toute trace de poussière.

C’était peut-être pour ça qu’il relisait régulièrement chacun des livres de sa bibliothèque. Pour que chaque livre connaisse son tour d’oubli et de gloire. Cela faisait des siècles qu’il parcourait les mêmes pages, qu’il relisait les mêmes mots, qu’il s’emplissait la tête des mêmes histoires, sans jamais se lasser.

La légende du chevalier améthyste, il la connaissait par cœur. La ballade des démons de la Morte- Lune, il l’avait récitée à chaque fois que l’on évoquait les mercenaires dont était tiré l’histoire. Le mythe de l’Onikam, qui ne laissait que mort et destruction sur son passage, il était capable de se le remémorer comme s’il s’agissait d’un souvenir récent. La propre histoire de sa naissance, ainsi que celle de son monde, il l’avait lue et relue, racontée et écoutée, des centaines, peut-être même des milliers de fois.

Mais pourtant, à chaque fois, il les relisait avec le même plaisir. Il redécouvrait les tournures des phrases et les enluminures discrètes, les illustrations colorées et les rimes croisées, à chaque fois identiques, et à chaque fois différentes. Il voyait le chevalier améthyste se lever pour prendre son épée, s’agiter devant ses yeux, et la princesse bleue mener ses soldats à la victoire alors qu’elle venait à peine d’échapper à la mort, comme un film que l’on regarderait pour la centième fois, avec toujours le même plaisir et le même enthousiasme. C’était presque magique.

Et surtout, pendant qu’il lisait, Libellule n’osait pas lui rappeler tout le travail qui l’attendait.

La nymphe était comme ça. Lorsqu’elle entrait dans la grande pièce, et qu’elle le trouvait penché sur une vieille table, le nez entre les pages jaunies et cornées de l’un de ses livres, elle n’osait jamais le déranger, peut-être par respect. Aussi, Lékilam en profitait dès qu’il lui était possible de le faire.

Qu’importe que l’Onikam terrasse pour la trois cent quatre vingt-septième fois la déesse de la lune, d’un tragique coup d’épée fatal, si la pile de feuilles rébarbatives nichée dans un coin de la table restait à bonne distance de lui. Parce qu’un prince, ça n’avait jamais de vacances…

Deux lèvres fraîches et douces se nichèrent dans le creux de son cou, si vulnérable ainsi incliné vers les pages de ce vieux livre.

Lékilam en frissonna de bonheur.

Pavel, lui, n’hésitait jamais à le déranger. Bien au contraire. Le garde du corps sautait sur la moindre occasion, et éventuellement, lui sautait également dessus tout court.

-Libellule est partie ? Murmura-t-il au creux de son oreille, son souffle balayant les courtes mèches de cheveux de son prince.

-Elle part toujours, quand je lis…

-Et moi, j’en profite pour te récupérer.

C’était vrai. Les rares moments où la nymphe tournait le dos, et laissait son prince seul et sans défense, étaient pour eux le temps des caresses furtives, des baisers volés, des étreintes complices.

Elle devait certainement être au courant de leur relation, depuis le temps qu’elle durait, et les occasions de les découvrir n’avaient d’ailleurs pas manqué. Mais le prince et son protecteur continuaient toujours à se cacher, à ne se révéler que lorsqu’ils étaient seuls. Une sorte de précaution, ou peut-être un jeu, un jeu amoureux.

Jamais un baiser tendre en public, ni le moindre effleurement trop suspect.

Quoiqu’en fait, Lékilam ne se privait pas de faire des avances à son garde du corps, ou des allusions plus qu’évocatrices, en présence de n’importe qui. Depuis qu’il était tout petit, il était réputé pour son espièglerie et sa malice. Les autres ne prenaient ses mots et ses caresses que pour des jeux, destinés à faire tourner en bourrique son garde du corps peut-être un peu trop collant. En même temps, les phénix avaient toujours été reconnus pour leur extrême naïveté.

-Elle revient quand ?

-Dès que j’aurai besoin de ses services…

-Pas avant un long moment, j’espère… ?

-Bien sûr que non. Pas avant un très long moment. Un peu plus bas, s’il te plait…

Les mains de Pavel s’étaient posées sur les épaules de son prince, et il avait entreprit de les masser, avec douceur et savoir. Le prince s’était donc laissé allé contre le dossier de sa chaise, la tête penchée vers l’arrière, les yeux clos, pour mieux savourer.

Les doigts de son amant réussissaient toujours à tout balayer, la fatigue comme la tension accumulée au cours de la journée. Magique. Sans doute un don qu’il avait acquis aux fils des longues soirées de veillées, celles où les soldats attendaient dans l’angoisse que résonne enfin le chant d’appel à la bataille.

Un petit gémissement s’échappa des lèvres de Lékilam.

- Quelle idée a eu ta mère de te coller une conseillère…

Le prince sourit, sans ouvrir les paupières.

- C’est aussi ma mère qui a eu l’idée de me coller un garde du corps, tu sais…

Il entendit le reniflement dédaigneux de son blond, tout comme il sentit les mains divines qui continuaient leur œuvre, sur ses épaules endolories par des heures de lecture.

-Oui, mais ça, c’était nécessaire.

-Tout comme il est nécessaire que je sois capable de me débrouiller au milieu d’une foule de conseiller affamés de pouvoir et plein de démotivations.

Il soupira de nouveau. Tellement agréable… Pavel savait s’y prendre, pour le détendre en un clin d’œil.

-Libellule n’est même pas de notre peuple. Elle n’a aucun lien avec nous.

- C’est justement pourquoi c’est elle que ma mère a choisi. Elle a une confiance absolue en elle…

Lékilam ouvrit un œil, avec un sourire amusé, rien que pour le plaisir d’observer la mine contrariée de son garde du corps.

C’était une discussion qu’ils avaient déjà dû avoir des dizaines de fois. Lékilam s’en amusait toujours autant, comme il s’amusait à relire ses livres. Pavel avait du mal à l’avouer, mais en réalité, il était jaloux de la nymphe. Il était tellement habitué à être le seul, avec sa mère la reine, à avoir un tant soit peu d’autorité sur le jeune prince, que lorsque Libellule était arrivée quelques années plus tôt, il avait été pris de court par l’assurance et la fausse douceur de la jeune femme. Et surtout, il regrettait le temps où il y avait, certes, plusieurs conseillers, mais des conseillers que son prince pouvait congédier en un geste de la main. Une nymphe n’était pas aussi docile, surtout pas avec une personne étrangère à son peuple, fut-elle paysan ou prince des phénix.

Il était loin, le temps où la Volière était tellement peuplée qu’on ne faisait pas attention au petit héritier du trône…

-Un peu trop confiance, si tu veux mon avis. Il a suffi d’un seul mot de ta mère, et elle a accouru ici. Je trouve que c’est…

- Louche ? Parce que nous sommes mieux, peut-être ?

Lékilam le fixait avec un sourire un peu plus grand, les deux paupières grandes ouvertes. Les mains sur ses épaules se relâchèrent un peu, comme troublées. C’était la première fois que cette discussion dérivait sur ce terrain là. Le prince émit un soupir de frustration, en sentant l’accalmie de son massage.

-…. Ce n’est pas pareil, protesta le blond.

Le sourire du prince se fit malicieux.

-Si, c’est exactement la même chose.

D’un coup sec, Pavel lâcha complètement ses épaules, tira la chaise en arrière, et se plaça devant son prince, penché sur lui, les deux mains posées sur le dossier, de chaque côté de la tête du jeune homme.

-Non.

Ses lèvres capturèrent celles de son amant, impérieuses, dominatrices, mais douces, tellement douces, et tendres…

La main de Lékilam s’enfouit dans les mèches blondes de son garde du corps, alors qu’il répondait au baiser avec ardeur, comme si son appétit s’était soudain réveillé.

Le souffle court, ses lèvres malmenées furent abandonnées, et un front se posa sur le sien, tendrement.

-Non, ce n’est pas pareil, répéta Pavel, en un murmure aux creux de son oreille.

Ses yeux étaient comme recouvert pas un épais manteau de brume. Le prince sentit les battements de son cœur s’accélérer, et ses doigts se crispèrent dans la chevelure de son amant.

Il avait faim, tout d’un coup.

Sa main quitta les mèches dorées et descendit, suivant la ligne du torse, pour s’arrêter sur la ceinture, qu’elle dégrafa d’un geste expert.

-Tu as raison, ce n’est pas pareil. Il y a des choses qu’elles, elles ne peuvent pas faire.

Parfois, Pavel ne savait plus s’il devait adorer ou détester l’espièglerie de son prince.

--

-Franchement, Kellnet, quelle idée de crier comme ça par un froid pareil !

Le phénix répondit par un regard noir, bien appuyé.

Les lumières principales du Yellow bird avaient été allumées, le temps pour tous le monde de vérifier les câblages, de donner un coup de propre à la salle, et de raccorder tous les instruments juchés sur la scène.

Les Feather étaient au grand complet, ainsi que toute la troupe habituelle. Le libraire-bassiste aux cheveux pâles, le disquaire-guitariste au visage peu expressif, le batteur-expert comptable de la Volière, le pianiste-petit ami du libraire, Lyde, propriétaire et barman du club, Elécy et Libellule, plus Jumelles que jamais, et encore quelques uns, tous membres à part entière du clan du repas du soir qui venait justement de se terminer.

Kellnet était au beau milieu de ce petit monde, assis sur une chaise, les bras croisés en signe de bouderie. Ils étaient installés à quelque pas de la scène, qui servait d’ailleurs de siège improvisé à une bonne partie du petit groupe.

Pas sa faute à lui, si un adolescent crétin avait trouvé marrant de se faire la malle avec un énorme paquet de sucrerie très mal camouflé sous son pull. Il l’avait rattrapé en deux coups de jambe, et sermonné comme du poisson pourri, la gorge encre froide de son petit tour dehors pour se dégourdir les pattes.

Sa voix n’avait pas apprécié. Mais alors vraiment, vraiment, vraiment pas apprécié.

Scysios n’eut même pas le temps de lui demander de faire semblant, que le phénix fut soudain prit d’une violente quinte de toux, qui lui écorcha les entrailles. Il sentait sa gorge à vif, sa voix avait du mal à s’échapper de ses lèvres, et chaque mot était pour lui une torture.

-Ne pense même pas à chanter ce soir, conclut le démon en s’agenouillant, pour fouiner dans sa sacoche. Il te faudra au moins deux jours pour te remettre, peut-être moins si tu ne forces pas trop sur ta voix. Prend une cuillère à soupe de ça à chaque repas.

Kellnet attrapa avec une grimace le flacon que lui tendait Scysios. La couleur du sirop était peu engageante, mais de toute manière, dans l’état où était sa gorge, il ne sentait même plus le goût de quoi que ce soit. Et puis le démon était médecin, il devait pouvoir lui faire confiance. Même s’il aurait préféré un coup de lumière bleue magique.

Il savait bien que c’était impossible, et que pour un guérisseur, soigner une douleur de ce genre dans un lieu aussi peu doté de magie revenait à prévoir de passer la semaine suivante à dormir comme un loir, afin de récupérer les forces perdues dans le soin.

Mais il mourrait d’envie de monter sur scène, de prendre son micro et de chanter pendant des heures et des heures, comme il le faisait presque tous les soirs depuis si longtemps.

-Qui va prendre ça place, alors ? S’enquit le libraire en triturant les cordes de son instrument, posé sur ses genoux.

Ehissian soupira, continuant à balancer ses jambes dans le vide. La demande du bassiste s’adressait directement à lui. Ils pouvaient se passer d’un guitariste, il y en avait encore un autre dans l’immeuble, mais pas d’un chanteur. Et s’il se proposait pour l’un des deux postes, on l’obligerait de toute manière à faire l’autre par la même occasion. Et dire qu’il comptait passer une soirée calme, assis au bar en écoutant les nouveaux potins de la ville… Le poids de tous les regards posés sur lui le poussa à prendre la parole.

-S’il le faut, je peux participer dit-il d’un ton morne. De toute manière, ca faisait longtemps que je n’avais pas joué.

-Seulement chanter, le prévint Scysios. Ta main n’est pas encore prête pour gratter de la guitare pendant toute une soirée.

Le phénix lui adressa un regard emplit de reconnaissance.

Libellule décroisa les bras, sa longue tresse se balançant dans son dos.

-Je pourrai peut-être prendre le relais pour quelques chansons, si ça peut vous être utile...

Une vague d’approbation accueillit ses paroles. La voix de la nymphe n’était pas particulièrement exceptionnelle… pour une nymphe. Elle était donc d’une qualité bien supérieure à bon nombres de voix. Elle leur était déjà venue en aide plusieurs fois, et cela avait toujours été un régal pour les oreilles de tout le monde.

-Mais seulement quelques chansons, appuya-t-elle en se tournant vers Ehissian.

La mimique innocente que lui fit le phénix en retour provoqua un éclat de rire général.

Seulement quelques chansons… Bah, il arriverait bien à lui laisser le micro une bonne moitié de la soirée.

--

Fallnir boucla soigneusement son sac de voyage, accroupi sur le sol du train à l’arrêt. Il se redressa, enfila remonta la fermeture éclair de son manteau jusqu’à son menton, et souleva l’anse de son sac pour le poser en bandoulière sur son épaule. Avec un soupir, il jeta un dernier coup d’œil, pour vérifier qu’il n’avait rien laissé traîner.

Shézac était déjà dans le couloir, son propre sac à ses pieds, un épais bonnet soigneusement ajusté sur sa tête pour lui donner un air faussement rebelle.

Avec ses longs cheveux blonds attachés en catogan, ses vêtements dignes d’un champion de glisse et le petit anneau bleu qu’il avait accroché à son oreille, le démon lui faisait penser à un jeune passionné de sport d’hiver qui s’apprêtait à s’élancer du haut des pistes, avec sa bande de copain et sa jolie petite amie.

Ca aurait presque pu être le cas, si la station de ski la plus proche n’était pas à des centaines de kilomètres de la ville. Et puis, honnêtement, il voyait très mal Shézac à la montagne. Leur première rencontre s’était déroulée dans un port, la seconde sur un bateau. Pour lui, l’image du démon irait peut-être toujours de pair avec celle de la mer…

Et Fallnir aimait bien la mer. C’était calme, reposant, et en même temps plein de fougue et de vie. Une petite voix vicieuse lui susurrait que la mer avait aussi l’avantage d’être d’une couleur aussi bleue que la nuit, et que cette si jolie plume plume qui était toujours cachée entre deux pages de son livre. Il la fit taire promptement.

-Tu viens ? Il ne va plus rester que nous !

Sur ces mots, le démon disparut dans le couloir. Il lui emboîta le pas.

La gare était bondée et surpeuplée, les quais noirs de monde, remplis de voyageurs, de familles, d’étrangers, de retrouvailles chaleureuses ou d’attentes épuisantes. La neige avait retardé la plupart des trains, et certains s’étaient vus contraint de reporter la date de leur départ en vacances.

Les deux jeunes hommes s’extirpèrent avec difficulté de la marée humaine, jouant des coudes et des regards noirs pour l’un, de sa taille et de son sourire ravageur pour l’autre. Le dragon tenait fermement la lanière de son sac, jamais à l’aise dans des foules aussi compactes.

Il y avait tellement de monde amassé qu’il ne sentait qu’à peine le froid mordant de l’air ; de plus, il était habillé en conséquence. Cependant, il avait toujours été d’un naturel frileux, comme bon nombre de dragon. Ce n’était pas pour rien, qu’il avait emménagé dans une grande ville du sud…

Pourtant, il ne regrettait pas son appartement.

Il n’avait pas fait réparer la vitre, par manque de temps. A son réveil, après la rencontre d’Ehissian, il était d’abord resté rêveur une bonne partie de la matinée, à contempler cette plume bleue sur ses draps blancs, comme un songe éveillé. Il n’avait pris sa décision qu’aux alentours de midi, lorsqu’il avait dévisagé, les yeux vagues, le rouleau de gaze qui avait chuté au sol durant leur nuit plutôt agitée, et qui gisait maintenant sur le sol, complètement défait.

Quelques minutes après, un dragon nu comme un vers mettait son appartement sans dessus dessous, à la recherche de son téléphone portable, et une bonne heure plus tard, la même personne, lavée et habillée de frais, scrutait avec un sourire niais sa baie vitrée en morceau.

Et lorsqu’il était revenu du centre ville, encore un peu après, il s’était contenté de rassembler le plus d’affaires possible dans un grand sac, de déposer les maigres réserves de sa cuisine dans un panier, devant la porte de ses voisins de pallier, et de refermer soigneusement les volets roulants.

Il n’avait pas réellement d’effets personnels, ni rien qui ait de la valeur à ses yeux, et n’avait acheté le reste de ses vêtements que quelques jours après son arrivée dans ce même appartement, une poignée d’années plus tôt. La plupart de ses objets étaient purement décoratif, sans aucune valeur marchande ni sentimentale, et s’il ne revenait pas avant un bout de temps, il n’aurait pas de mauvaise surprise dans son frigidaire.

Les rares humains avec qui il avait noué des liens ne remarqueraient probablement pas son absence avant quelques jours, mais par précaution, il avait préféré débrancher son répondeur. Autant laisser le plus de signe possible pour leur montrer qu’il était bien parti de son plein grès, et pas assassiné dans une ruelle sordide ou enlevé à la suite d’un long affrontement, comme pourrait l’indiquer l’état de désordre avancé de son appartement.

Les humains se faisaient rapidement des films pour peu de chose. Il ne tenait pas à se retrouver au milieu d’un quiproquo judiciaire.

Fallnir ne savait pas combien de temps il comptait partir. Mais au moins plus d’une dizaine d’année. Faire un petit tour du monde, si jamais il ne pouvait pas rester dans la ville où vivait Ehi… Si jamais l’occasion s’en présentait, corrigea-t-il promptement. Cela faisait déjà trop longtemps qu’il vivait au même endroit. Autant saisir l’occasion de changer d’air.

La neige gelée des trottoirs crissait sous leur pas, émettant des craquements sinistres chaque fois qu’elle s’effritait.

Visiblement, ils se tenaient à présent dans les vieux quartiers de la ville, le centre historique, à en juger par les façades et les balcons des petits immeubles. Les boutiques de grandes marques se succédaient, et devant lui, Shézac s’arrêtait parfois pour jeter des coups d’œils aux vitrines. Un moment, Fallnir fut tenté de l’imiter ; mais il se reprit, partant de l’idée qu’avant de refaire sa garde robe, il faudrait déjà un endroit pour entreposer celle qu’il tenait déjà contre lui. Et puis faire du lèche-vitrine n’avait jamais été sa grande passion. Quoiqu’il n’aurait pas dit non à une petite écharpe…

- Shézac, on va où, maintenant ? S’enquit-il en frottant ses deux mains l’une contre l’autre, profitant de leur arrêt provisoire face à un panneau de signalisation.

Le blond haussa les épaules, examina les inscriptions, et reprit sa marche, sans prévenir.

- D’abord, on trouve là où habitent les phénix, et après, on cherche le logement provisoire que je nous ai dégoté. C’est pas très loin de chez les emplumés…

Fallnir n’eut pas l’occasion d’en demander plus, quelque peu angoissé toute fois à l’idée de vivre si près es ennemis héréditaires de son peuple. Est-ce que l’on tolérerait sa présence, si jamais elle venait à être découverte ?

Le démon les menait d’un pas sûr à travers les rues presque désertes de la ville. La nuit n’était plus très loin, quelques éclairages étaient déjà allumés, et par dessus tout, l’état des trottoirs n’encourageait pas vraiment à mettre le nez dehors.

Les gens ne savaient pas ce qu’ils rataient.

Fallnir était, sans le savoir, du même avis que le prince des phénix. La neige, à l’instar de la poussière, recouvrait de son grand manteau blanc toute la grisaille et la laideur du monde, tout en signifiant qu’il était plus que temps qu’une nouvelle année commence, et que la nature s’éveille de nouveau.

Peu à peu, ils s’éloignèrent des grands boulevards. Les immeubles commencèrent à s’allonger, à s’affiner, à préférer le verre et le béton au fer et à la pierre.

Le nez levé vers les cimes, Shézac semblait chercher quelque chose. Le dragon en fronça les sourcils. Il y avait vraiment des phénix qui vivaient dans ce quartier ? Au beau milieu de tout ces immeubles ? Lui s’était plutôt attendu à les trouver dans le centre historique, près d’une vieille église, ou dans les quartiers populaires, qui pouvaient être si chaleureux et vivant à la nuit tombée… De plus, les phénix vivaient en communautés restreintes, dans des tours dont les larges fenêtres sculptées permettaient l’envol des oiseaux majestueux.

Même si dans ce monde, la quasi-absence de magie rendait les phénix aussi majestueux que des pigeons mouillés à taille humaine.

Aussi, lorsque la silhouette gracieuse de la Volière perça à travers les immeubles de verre, Fallnir en fut un peu décontenancé. Tellement surpris, qu’il faillit rentrer dans Shézac, qui s’était arrêté à un croisement de rue pour observer le bâtiment.

Il ne s’attendait vraiment pas à trouver un édifice pareil, au beau milieu d’un quartier pareil. Et pourtant… Si au premier aspect, on pouvait prendre la vieille bâtisse pour une cathédrale oubliée par le temps, il n’y avait aucun doute quant à sa nature.

Même si le style du bâtiment tentait de s’approcher de l’architecture des humains, le dragon reconnaissait une foule de petit détail, de l’ornement de certaines petites colonnes à la forme des fenêtres, qui trahissait inexorablement que cette tour était d’origine étrangère.

Bizarrement, une sensation d’être en terrain connu l’envahi peu à peu.

Depuis combien de temps n’était-il pas retourné dans leur monde ? Des décennies, peut-être même des siècles… Si longtemps qu’il n’avait pas foulé la terre de son pays, qu’il n’avait pas parlé avec des personnes comme lui, fait connaissance avec des dragons ou discuté avec un immortel… Shézac ne comptait pas, il le connaissait trop.

C’était peut-être pour ça qu’il avait tant envie de revoir Ehissian. Cette simple nuit, ce simple moment partagé avait éveillé en lui des sentiments et des sensations qu’il croyait oubliés depuis des années. Le premier renouement avec son passé, depuis si longtemps… Son cœur fut soudain étrangement lourd.

Mais il ne sut dire si c’était à cause de ses soudains souvenirs, ou parce qu’il allait bientôt pouvoir poser ses yeux la silhouette qu’il avait si âprement désiré, ne serait-ce qu’un instant.

-Shézac, maintenant qu’on sait où ils sont… fit remarquer le dragon, alerté par le fait qu’ils n’avaient pas bougé depuis plusieurs minutes. La nuit tombe, tu ne crois pas qu’on devrait se dépêcher de trouver l’appartement que tu nous as déniché ?

Le blond se tourna vers lui, avec un immense sourire.

-Mais on l’a déjà trouvé, mon petit Fallnir.

A suivre…

ooo

Je n'ai pas grand-chose à dire sur ce chapitre, si ce n'est que comme la quasi totalité des premiers chapitres, je ne l'apprécie pas trop... Pas de nouveaux personnages, juste quelques petites informations dévoilées... C'est un peu une charnière avant les évènements du 6 et du 7. :p

Je vous remercie d'avoir pris la peine de lire jusqu'ici. J'espèce de tout coeur que cela vous a plu, et que je vous reverrai pour la suite. :3

A très bientôt !

 
 
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