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au 31 Mai 21 :
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Bec d'écaille, croc de plume
Par Jaiga
Originales  -  Romance/Fantaisie  -  fr
33 chapitres - Complète - Rating : T+ (16ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
    Chapitre 31     Les chapitres     64 Reviews     Illustration    
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Mensonge par omission

Disclaimer :  Les personnages/ lieu/ périodes m’appartiennent, je n’ai aucune excuse pour ce désastre.

Notes :

- Je m’excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d’orthographe qui m’ont échappée, j’avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur …

 

 ________________________________________________________________

Chapitre 31 : Mensonge par omission

 

-Très bien, acquiesça Derek après un petit moment de réflexion. 

Il n’ajouta rien de plus, ne montrant aucun signe qui aurait pu dévoiler ce qu’il pensait du plan qu’il venait d’entendre. Est-ce qu’il lui paraissait solide, ou bien le trouvait-il bancal et incertain ? Il n’en dit rien, et Fallnir lui en fut reconnaissant, parce qu’il ne savait pas comment est-ce qu’il aurait réagi aux éventuelles remarques du démon.

Si on lui avait dit un jour qu’il se retrouverait à discuter sereinement autour d’une table, avec Derek Isdegarde en personne…

Ils se trouvaient dans le petit salon d’un appartement que Libellule avait ouvert spécialement pour l’occasion, et que le démon utilisait depuis la veille comme QG et infirmerie. L’immeuble en face de la Volière était toujours fermé, cerné par des policiers en patrouille. Les centaines d’employés avaient été déplacés en urgence vers d’autres locaux de la compagnie, mais à la vue des monticules de papiers qui trainaient sur le canapé derrière eux, la tâche avait dû être plus complexe pour Derek qu’il n’y paraissait.

- Il ne vous reste plus qu’à décider de ce que vous aller faire, maintenant, conclut ce dernier en croisant lentement les doigts.

 Fallnir hocha doucement la tête.

Il venait de lui expliquer ce que Gallwen et Eryad, qu’il avait quitté quelques dizaines de minutes plus tôt, avaient décidé de faire lorsqu’ils rentreraient chez eux, par rapport à ce qu’ils avaient découvert ici.

Mais si la situation de ces camarades était claire, la sienne l’était beaucoup moins.

Vivre au jour le jour en profitant des petits bonheurs quotidiens,  comme il l’avait fait jusqu’à présent, lui paraissait maintenant impossible. La trahison de Garnësir et le rôle qu’il avait à jouer entre les dragons et les phénix l’obligeaient à renoncer à ses envies de quiétude.

Les jours tranquilles qu’il avait passé à la Volière en compagnie d’Ehissian étaient révolus et même si cela n’avait pas duré plus de trois semaines, cette période d’insouciance totale lui manquait déjà.

- Qu’est ce que les phénix aimeraient que je fasse ?  demanda-t-il en fixant son vis-à-vis dans les yeux, soutenant le regard violet du démon avec un aplomb étonnant.

Fallnir avait failli être Garnësir. Il savait se montrer plus fort qu’il ne le paraissait.

Il savait qu’étant donné l’enjeu, la décision ne lui appartenait plus et qu’à moins de fuir tout de suite sur un monde reculé, les phénix ne le laisseraient pas errer en paix. Il était la victime vivante des manipulations du Garnësir, qui allaient à l’encontre des fondements même de leur clan ; une arme précieuse pour tenter de maitriser l’agressif chef de clan.

Mais même s’il l’avait voulu, Fallnir n’aurait jamais pu s’enfuir de la Volière pour se tenir à l’écart du conflit. Il avait un point faible, qui s’appelait Ehissian et appartenait à l’escorte particulière du prince.

- Je pense qu’ils vous laisseront libre de vos choix tant que vous restez à portée de main, expliqua Derek en se penchant pour saisir une enveloppe dans sa sacoche. A vrai dire…

Fallnir se laissa aller sur la chaise et croisa les bras, se mettant dans une attitude de retrait pour canaliser toute saute d’humeur qui pointerait le bout de son nez.

Il avait réussi à mettre son ressentiment de côté pour parler avec Derek de manière terre à terre. Il respectait le démon, malgré toute la rancune qu’il avait contre lui, et c’était ce sentiment qui l’avait poussé à accepter de le rencontrer directement. Il avait l’impression d’être un élève forcé de discuter de son avenir avec l’instructeur qu’il aimait le moins, vexé mais obligé de rester sérieux.

- Dans votre situation, le seul problème vient de vos yeux. Ehissian est l’un des chevaliers que le prince connaît le mieux. Quand Lékilam devra quitter cet endroit, il voudra forcément que votre compagnon le suive.

Silencieux, l’auburn se renfrogna. Il avait pris conscience de cet état de fait dès les premiers jours, mais l’entendre dire de la bouche de quelqu’un ne faisait que donner un peu plus de crédibilité à cette dure réalité.

Derek se gratta pensivement la tempe. Il arborait encore un splendide pansement sur l’arcade sourcilière, marque de son combat sur le toit de l’immeuble d’en face. Il n’avait pas pris la peine de soigner ses propres blessures, préférant économiser sa magie pour d’autres cas plus urgents. Fallnir songea avec une pointe d’amusement que Gallwen et Eryad ne parviendraient certainement pas à tenir éloigné ce médecin acharné très longtemps…

- La reine vous proposera certainement de rejoindre les troupes phénix, ce qui vous permettrait de rester avec votre ami, mais…

Il s’interrompit, songeur.

Dès le début de la phrase, le dragon s’était raidi sur sa chaine comme un chat en face d’un énorme jet d’eau.

- .. Je ne pense pas que ça vous plairait vraiment, termina Derek en retenant admirablement bien le sourire qui avait menacé de poindre à la réaction de l’auburn.

Se retrouver au beau milieu de l’armée phénix était vraiment la dernière chose dont avait envie Fallnir. Même après plus de trois semaines de vie à la Volière, il lui arrivait encore de se sentir mal à l’aise lorsqu’il se retrouvait parmi les habitants.

Si c’était ainsi avec les civils, il n’osait même pas imaginer ce qu’il se passerait avec les soldats. Sans parler du fait qu’il avait participé à certaines des dernières grandes batailles entre leurs deux peuples, et que sa seule hantise était qu’un phénix ne le reconnaisse.

Même pour Ehissian, il savait qu’il aurait énormément de mal à accepter une proposition pareille.

Mais s’il n’avait pas d’autre choix…

Les évènements de l’avant-veille lui avaient fait comprendre à quel point ces années d’exils l’avaient marqué. Fallnir était à présent très loin du puissant guerrier qu’il était autrefois. Il avait considérablement perdu de ses capacités et plus que jamais, il brûlait d’envie de redevenir aussi fort qu’avant pour être en mesure de protéger Ehissian en toutes circonstances.

- Si on en parlait à la reine, elle essaierait probablement de faire en sorte qu’Ehissian soit le plus disponible possible, continua Derek après un temps de réflexion. Mais concrètement, elle aurait du mal à justifier un traitement de faveur pareil pour un simple chevalier. Le prince, par contre…

Fallnir se redressa sur sa chaise, la curiosité aiguisée. Il pleuvait toujours, dehors, mais l’orage semblait s’être arrêté pour l’instant.

- Les démons de la Morte-Lune resteront affectés à la protection du prince jusqu’à son accession au trône. Mais cette mission gêne nos autres contrats, lui avoua-t-il en secouant la tête, et il m’est déjà arrivé plusieurs fois de recruter temporairement des soldats de confiance pour garder la frontière, surveiller la tour, ou d’autres petites tâches du genre…

- Où est-ce que vous voulez en venir ? S’enquit Fallnir en fronçant les sourcils, pas sûr de comprendre.

Derek baissa les yeux sur l’enveloppe qu’il avait sorti de sa sacoche, et qu’il tenait toujours entre ses doigts. Il l’a lui tendit, pour la plus grande surprise du dragon.

- J’ai ceci à vous remettre depuis quelques temps. Je pensais demander à Shézac de vous la donner, mais puisque nous sommes ici…

Fallnir hésita à décacheter l’enveloppe, surpris. De qui pouvait-elle provenir ? La seule personne susceptible de lui envoyer du courrier était son cousin, mais ce dernier n’aurait pas utilisé l’aide de Derek pour se faire…

Cédant à la curiosité, il l’ouvrit finalement et en sorti précautionneusement la lettre qu’elle contenait.

- Je passais quelques jours sur notre monde quand Shézac nous a appris que vous aviez trouvé vos yeux. Dès que Kay l’a su, il est parti en courant pour vous écrire, soupira Derek avec lassitude.

Fallnir écarquilla les yeux à ce nom, un peu perdu. L’émetteur de la lettre avait signé de son nom tout en haut du parchemin, selon la coutume dragonne.

- Kaytosk Telesöh ?

- Les Garnësir l’ignorent eux-mêmes, mais le clan Telesöh n’en est pas vraiment un. C’est le nom que ce sont donnés les dragons qui ont rejoint les compagnies étrangères de l’armée démone.

L’auburn commença à comprendre, mais ne sut pas sur le moment comment interpréter cette information. Ce n’était pas un secret que l’armée démone acceptait en son sein des représentants d’autres peuples d’immortels.

S’il s’agissait bien du même Kaytosk, l’homme avait été son instructeur, quand il était encore un jeune dragon. Il était alors pressenti pour devenir le prochain Garnësir, mais ne prenait pas ses fonctions très au sérieux et préférait consacrer son temps à la formation des générations futures. Il avait quitté le clan peu après que Fallnir soit devenu croc, tombé amoureux d’un dragon d’un autre clan au cours d’une mission. Les règles des Garnësir étaient trop contraignantes, et Kaytosk avait préféré choisir la liberté pure et simple plutôt que d’imposer des choix compliqués à celui qu’il aimait.

Pour Fallnir, cet homme avait été ce qui se rapprochait le plus d’une figure paternelle. Kay l’avait pris sous son aile, lui avait enseigné tout ce qu’il savait pour faire de lui le guerrier redoutable qu’il était devenu. Mais après son départ, l’auburn n’avait plus jamais eu de nouvelles. Jusqu’à maintenant.

Le voir réapparaitre dans sa vie à cet instant précis avait quelque chose de… surréaliste. Il se demanda quelques secondes si cette lettre n’en était pas une fausse, mais arriva l’instant d’après à la conclusion que cette affaire n’avait finalement aucun intérêt aux yeux de Derek et qu’il ne voyait pas pour quelle raison il serait allé jusque là.

Comprenant son désarroi, le démon continua ses explications.

- Il a toujours gardé un œil sur vous, et sur ses anciens élèves. Il a rejoint les démons de la Morte-lune quelques années après avoir quitté votre clan. Il en avait assez qu’on le surveille, rajouta-il avec un haussement d’épaules.

Kay avait dû subir le même traitement que lui et être espionné jusque dans ses moindres fait et gestes, songea aussitôt Fallnir. On ne laissait pas un dragon qui avait failli devenir chef de clan courir librement dans la nature.

Il se sentait un peu perdu, et avait finalement dû mal à croire que le papier qu’il tenait entre ses doigts provenait vraiment de ce fantôme de sa vie passée, une personne à laquelle il n’avait plus pensé depuis des siècles.

Mais en y réfléchissant un peu, cela expliquait certaines choses.

- Cette nuit, où nous nous sommes combattus pour le pacte de sang… commença l’auburn, hésitant légèrement à aborder un pareil sujet avec cet homme. Il était avec vous, n’est ce pas ? C’est lui qui a compris que nous étions des Garnësir ?

Le démon hocha la tête, silencieusement.

Quand les hommes de Fallnir et ceux de Derek s’étaient affrontés, en cette nuit funeste, les démons de la Morte-lune obéissaient aux ordres du Garnësir et croyaient alors avoir affaire à un clan de dragon ennemi. Mais ils s’étaient aperçus, trop tard, qu’on les avait trompés, et avaient fui en laissant derrière eux un monceau de cadavre.

L’auburn s’était toujours demandé pourquoi est-ce qu’ils ne les avaient pas tous exterminés jusqu’au dernier. Il comprenait à présent que Kay avait dû reconnaître au dernier moment certains visages de ses anciens élèves, parmi leurs adversaires, et avait informé Derek de la supercherie.

Cela expliquait aussi pourquoi l’ombre des démons de la Morte-lune, par le biais de Shézac, avait toujours planée sur tout le reste sa vie…

Fallnir se massa les tempes, tentant de mettre de l’ordre dans ses idées confuses. Lui qui avait cru que la situation allait enfin se calmer, et que la spirale infernale de ces derniers jours s’était enfin arrêtée, il tombait de haut. Il en avait même oublié de se mettre en colère contre le démon.

- Vous pourriez rejoindre l’armée démone, tout comme lui, annonça Derek d’une voix douce. Vous seriez dans le corps étrangers, sous les ordres de Kay, avec d’autres dragons. C’est une bonne place. Les soldats étrangers ont les mêmes droits que les démons, mais ne sont pas tenus de participer aux affaires qui ne concernent que notre peuple.

 Cela signifiait très clairement que si les démons s’alliaient aux phénix, les dragons du corps étrangers ne prendraient pas part aux combats, s’ils en faisaient le souhait.

Fallnir grimaça, ayant du mal à réfléchir sous cette tonne d’information. Derek le faisait certainement exprès, profitant de sa surprise et le noyant pour mieux l’endormir- il aurait dû se méfier, il savait que les démons maitrisaient la parole mieux que personne.

Il n’osa pas lire la lettre, pas en face du démon. Il la replia soigneusement et la garda sur ses genoux, comme une précieuse relique de son passé, avant de tenter de reprendre contenance.

- Et si je faisais ça… commença-t-il à dire, tout en réfléchissant. Vous pourriez me nommer comme un de ces soldats de confiance assignés à la protection du prince, c’est bien cela ?

Et ainsi, il resterait auprès d’Ehissian aussi longtemps qu’il le souhaiterait.

Fallnir eut un peu de mal sur le moment à se projeter aussi loin dans le futur. Retourner sur leur monde, reprendre les armes, imaginer une situation où il ne pourrait plus s’isoler à chaque instant avec Ehissian, comme ils avaient pris l’habitude de le faire à la Volière… Il n’arrivait même pas à imaginer son frêle amant dans l’armure flamboyante des chevaliers phénix.

Derek hocha la tête.

- Entre autres choses, oui. Mais vous pourriez aussi vivre à Abadiane, et profiter de l’entrainement des officiers pour retrouver vos capacités.

L’information raviva l’intérêt du dragon, plus peut-être que le reste. C’était la nouvelle qui était pour lui la plus tangible, la plus consistante dans son esprit. Entre une situation qui n’était encore qu’une hypothèse, celle de se retrouver séparé d’Ehissian par leurs situations respectives, et l’objectif concret de redevenir le guerrier qu’il était, son instinct était plus facilement convaincu par le second argument que par le premier.

- Il faut que j’y réfléchisse, soupira Fallnir en se massant les tempes.

Derek se laissa aller pour sa chaise, peut-être pour signifier au dragon qu’il pouvait lui aussi se relâcher.

- Bien sûr. Il y a encore des tas de choses à vous expliquer, vous ne pouvez pas prendre une décision comme ça.

La porte s’ouvrit à la volée, faisant tressauter le dragon, aussitôt sur ses gardes.

- Prendre la décision de quoi ? claironna Shézac en refermant bruyamment le battant derrière lui.

A la vue du blond, Fallnir ne sut pas s’il devait se sentir rassuré ou commencer à s’inquiéter. Derek, lui, grimaça très ouvertement.

- De t’enfermer dans un placard pour que tu arrêtes de te mêler à tout, répondit-il en entreprenant de rassembler ses affaires éparpillées sur la table.

Shézac ricana, mais ne releva pas. Il alluma la lumière, prétextant qu’on n’y voyait rien avec ces fichus nuages, et tira une chaise pour s’installer à leur table.

- Alors, vous en étiez où ? S’enquit-il avec un lumineux sourire.

Comme à son habitude, le blond débarquait comme un raz de marée et s’imposait aux autres avec la délicatesse d’un cétacé.  Fallnir avait fini par s’y habituer mais Derek, lui, avait visiblement dépassé depuis longtemps le seuil tolérable. Et pour cause, depuis le temps qu’il connaissait Shézac…

- Nulle part, on vient de terminer, lui répondit-il sans plus de tact.

La présence de son fils semblait incommoder Derek au plus haut point, comme s’il avait peur d’être gêné ou pire, espionné. Le dragon le remarqua, mais ne chercha pas à comprendre. Les histoires de famille des démons étaient trop complexes pour les autres peuples, et tout particulièrement pour le clan Garnësir, chez qui les schémas familiaux n’existaient pas.

- Nous verrons le reste dans quelques jours, proposa le maudit en jetant un œil à sa montre. Vous savez où est-ce que je peux trouver un certain Léto ?

-Tyloé lui a dit de t’attendre dans la salle commune, répondit Shézac avec décontraction, visiblement indifférent au comportement de son père envers lui.

Fallnir se demanda un court instant ce que le démon pouvait bien vouloir au phénix miniature, cette petite chose brune toujours accrochée aux pattes du meilleur ami d’Ehissian. Il avait cru comprendre que sa mère –un tyran en jupon- était partie avec les autres lors de l’évacuation, mais n’avait pas cherché à en savoir plus. Il ne s’approchait pas particulièrement des proches de son amant, pour ne pas éveiller leur méfiance. Ils ignoraient encore tout de la relation entre le chevalier et lui, et Fallnir n’avait même jamais adressé la parole à Elika, la petite sœur du chevalier.

Mais il avait bien d’autres choses auxquelles penser et replongea aussitôt dans ses réflexions.

Derek ramassait son matériel et les papiers qui trainaient un peu partout dans le salon, soucieux de ne pas laisser trop de désordre derrière lui. Il n’avait occupé cet appartement que le temps d’examiner les blessés et de superviser les évènements consécutifs à la nuit infernale qu’ils avaient vécu, en tant que Derek Isdegarde, mais aussi en temps que Derek Heath. Il avait l’air de ne pas avoir beaucoup dormi, contrairement à tous les autres. Il portait pourtant des vêtements propres, une chemise noire, un peu froissée et un jean sombre. Fallnir réalisa avec un petit temps de retard qu’il avait déjà vu ces vêtements là sur Shézac, lorsqu’il découvrait à peine le sens de la vue et enregistrait les moindres petits détails. Est-ce que le blond les avait prêtés à son père, pour dépanner ce dernier ? Lien du sang oblige, ils faisaient la même taille et avaient la même carrure.

Ces deux là avaient l’air de s’entendre beaucoup mieux que ce qu’ils essayaient de montrer.

Brusquement, la porte s’ouvrit à nouveau. Sous l’œil étonné des trois immortels, Ader la referma violemment et se frotta vigoureusement l’oreille, l’air ronchon.

- J’en peux plus de ce foutu téléphone, grogna-t-il à l’adresse de Derek. Je vais me coucher.

- Vous avez appelé tous les autres chefs? S’enquit le démon sans cacher sa surprise.

Pour avoir assisté aux premiers coups de fils d’Ader, la veille au soir, il n’était pas sans savoir que les conversations du vampire avec ses homologues avaient tendance à trainer en longueur. Il devait s’assurer du soutien de chacun des autres chefs dans leur volonté de se séparer de leur seigneur, et compte tenu du nombre important de groupes éparpillés à travers le continent, la tâche n’était pas aisée.

- Non, mais les autres ont qu’à aller se faire foutre en attendant ce soir.

Sur ces mots fleuris, Ader alla s’enfermer dans la chambre à l’autre bout du salon, tandis que Derek se mordait la lèvre inférieure pour retenir un sourire, et que Shézac et Fallnir échangeaient un regard perplexe.

Dans la petite chambre, la lumière était éteinte et les rideaux tirés. On entendait juste le clapotis de la pluie à l’extérieur, qui couvrait même les murmures étouffés des autres, de l’autre côté de la porte.

Ader en avait ras le bol de ces histoires de sécessions, de révolutions et de conflits entre les villes. Tout ce qu’il voulait, c’était fermer les yeux et dormir jusqu’au soir, comme il l’avait faitla veille. Dereklui avait interdit de s’éloigner de lui pour les prochains jours et si dans d’autres circonstances, la situation ne lui aurait pas déplu, cela ne faisait ici que le mettre de mauvaise humeur. Il était suffisamment grand pour se défendre tout seul, si d’autres vampires tentaient de s’en prendre à lui.

Il se délesta de ses chaussures et de son blouson au pied du lit, sans autre forme de cérémonie, puis se glissa sous les draps en poussant un soupir de bien être. La pièce, inoccupée pendant des années, était encore gelée et la température à l’extérieur n’arrangeait pas les choses. S’enfonçant sous les couvertures, Ader tâtonna sur le matelas jusqu’à trouver le corps chaud de Maerys pour le tirer fermement vers lui. Le jeune vampire geignit dans son sommeil mais ne se fit pourtant pas prier pour se blottir contre son ainé, profitant de cette trop rare occasion de glaner un semblant de tendresse –même s’il ne servait en réalité que de bouillotte vivante. Il se rendormit sitôt qu’il fut installé, rejoint par un Ader littéralement épuisé quelques secondes plus tard.

Dans un sommeil sans rêve où les problèmes n’existaient plus, et où plus rien d’autre ne comptait qu’un repos bien mérité.

 

oo

 

Au même moment, Derek quittait ses deux interlocuteurs sur une dernière recommandation. Une fois qu’il fut parti, Shézac attendit quelques secondes avant de soupirer de soulagement.

- Pardon, j’aurai dû rentrer plus tôt, s’excusa-t-il sous l’œil perplexe de Fallnir.

Est-ce que le blond avait fait exprès d’intervenir dans la discussion ? Ils avaient pourtant presque terminé, comme l’avait signalé Derek.

- Je sais comment il fonctionne, expliqua Shézac en notant son incompréhension. Il essaye toujours d’embrouiller les gens pour qu’ils acceptent plus vite sa proposition. Je suis sûr qu’il allait te balancer deux ou trois petites piques pour achever de te convaincre, avant de partir.

Le dragon ne cacha pas sa surprise. Le maudit l’avait effectivement déstabilisé, avec toutes ses révélations de dernière minute, et l’offre qu’il lui avait faite lui avait parue des plus alléchantes.

Si Shézac avait été là depuis le début, le démon n’aurait certainement pas pu tenir le même discours. Le blond n’aurait pas pu s’empêcher d’ajouter ses propres commentaires, comme il le faisait toujours, et l’état mental de Fallnir aurait échappé à la manipulation de Derek.

Ce dernier avait donc réellement fui son fils, conscient que celui-ci l’avait démasqué et avait bien l’intention de protéger son ami.

En réalisant brutalement tout cela, le dragon ne sut pas s’il devait se sentir en colère d’avoir ainsi été manipulé, ou émerveillé devant l’habilité du démon.

- Enfin bon, il a quand même souvent raison, concéda Shézac en faisant la grimace. Mais c’est ta décision, il faut que ce soit toi qui la prenne, et pas à cause de ce qu’il t’a dit.

Fallnir persista dans son silence, de plus en plus troublé. Il plissa instinctivement la lettre de Kaytosk, entre ses doigts. Est-ce qu’elle était vraie, finalement ? Il ne savait même pas encore ce qu’elle disait.

- Il m’a proposé de rejoindre l’armée démone, apprit-il à mi voix à son ami.

Celui-ci se gratta la nuque, songeur. Il avait bonne mine, beaucoup plus que la journée précédente, et paraissait même au meilleur de sa forme en comparaison avec son apparition impromptue dans la ruelle, l’avant-veille.

- Ca ne vient pas de lui, ça, conclut-il après quelques secondes de réflexion. Il aurait plutôt essayé de te recruter dans les démons de la Morte-lune.

Fallnir se raidit aussitôt sur sa chaise, et mit quelques instants à se détendre. Shézac fit comme s’il n’avait rien vu. Les mercenaires démons restaient toujours un sujet sensible aux yeux de l’auburn.

- Il t’a parlé de Kay, c’est ça… ? Hésita Shézac.

Alors que Fallnir hochait la tête en lui montrant la lettre, le blond sembla soudain inexplicablement mal à l’aise. Il regarda le temps à travers la fenêtre, comme pour se donner contenance.

- Ouais, ça faisait longtemps qu’il voulait t’approcher… Désolé de ne pas t’avoir parlé de lui plus tôt, finit-il par avouer d’un air penaud.

- Tu connais Kay ? S’étonna Fallnir, comprenant d’où venait la gêne de son camarade.

- En fait, c’est lui qui m’a demandé de veiller sur toi, lui révéla le blond en croisant les mains sur la table. Mais il ne voulait pas que tu le saches, il avait peur que tu ne comprennes pas pourquoi il avait quitté votre clan pour rejoindre les démons.

Contre toute attente, le dragon ne s’énerva pas en apprenant que son ami lui avait une fois de plus menti sur toute la ligne. C’était peut-être la preuve irrémédiable qu’il avait changé, depuis quelques temps. A vrai dire, il comprenait même le bien fondé de ce mensonge par omission.

- Je crois que je l’aurai mal pris, oui, avoua-t-il avec un demi-sourire.

Mais à présent qu’il avait lui-même quitté les Garnësir et peu à peu abandonné leur manière de penser, il savait qu’il aurait eu la même attitude que son mentor.

Celui-ci vouait une vraie passion pour les jeunes et n’avait jamais caché son désir de fonder une vraie famille, un jour. Quand il était tombé amoureux d’un dragon d’un autre clan, l’un des deux aurait forcément dû quitter les siens pour rejoindre l’autre. Mais rester chez les Garnësir les aurait empêché d’être parents, comme ils le souhaitaient tous les deux, et rejoindre l’autre clan aurait fait renoncer Kay à sa passion d’enseigner ; on ne confiait jamais l’éducation des futurs guerriers à une pièce rapportée du clan.

Alors ils étaient partis tous les deux. Comment ils avaient atterri chez les démons, c’était certainement une autre histoire. Mais ils étaient là bas tout à fait libre d’avoir autant de petits casse-pieds que possible, et Kay devait pouvoir torturer tous les jeunes étrangers qu’il voulait, à présent.

Fallnir réalisa que l’irruption de Shézac lui avait fait le plus grand bien. Cela lui avait permis de penser à autre chose pendant un court instant, d’échapper à la présence étouffante de Derek pour pouvoir enfin se détendre.

A présent que la confrontation tant redoutée était terminée, il allait pouvoir souffler.

- Au fait, je voulais te parler d’une autre chose… commença Shézac, toujours hésitant.

Profitant du calme retrouvé de son vis-à-vis, il se jeta à l’eau avant que celui-ci ne soit trop intrigué.

- Quand est-ce que tu comptes le dire à Ehissian ?

Fallnir se pinça aussitôt l’arrête du nez.

Il n’y avait qu’un seul sujet capable de l’irriter aussitôt, dans l’état léthargique où il se trouvait, et le blond avait sauté dedans à pieds joints.

Il était fatigué de tout cela, en avait assez de toujours devoir réfléchir. D’abord Gallwen et Eryad, ensuite Derek, et à présent Shézac.

Pourquoi est-ce qu’il ne pouvait pas simplement vivre au jour le jour avec son amant, sans se soucier de rien ?

Il poussa un profond soupir.

- Je n’en sais rien, Shézac. Je ne sais même pas si j’ai envie qu’il le sache, et de toute manière, je ne crois pas qu’il soit amoureux de moi.

Le démon s’accouda à la table, sceptique.

- Vous êtes un peu trop soudé pour un simple flirt, tu sais ? rétorqua-t-il sans se laisser décontenancer. Et puis, quoi que tu fasses, il finira bien par l’apprendre un jour. Il suffit qu’il croise quelqu’un qui soit au courant pour les yeux des dragons, que la discussion se lance, et…

- Je sais, le coupa Fallnir avec lassitude.

Ce fut à son tour de regarder à travers la fenêtre, pour réfléchir et chercher un moyen de fuir la conversation.

Il savait très bien qu’Ehissian ne découvrirait rien à propos des dragons dans l’univers aseptisé de la Volière. Mais dès qu’il se rendrait à l’extérieur, côtoierait d’autres personnes que des phénix…

Il n’avait pas envie que son amant apprenne par accident qu’un dragon ne pouvait aimer qu’une seule personne au cours de sa longue vie. Il voulait trouver la bonne circonstance, la bonne manière de le formuler…

Ou bien trouver le moyen de protéger Ehissian de tout cela à jamais.

Mais cela rejoignait ses conversations précédentes avec Derek et Shézac ; il fallait qu’il sache ce qu’il allait faire de lui, à présent, et cette décision lui appartenait entièrement.

Même en écartant l’influence que le chef des démons de la Morte-lune avait eue sur lui, sa proposition –celle de Kaytosk ?- restait à ses yeux l’une des meilleures. Mais il pouvait aussi rejoindre, il ne savait trop comment, les troupes de l’armée phénix. Peut-être que s’il demandait au prince, ce dernier accepterait de l’intégrer à sa protection rapprochée ? C’était bien mieux que de dépendre des démons.

Il pouvait aussi s’enfuir en emmenant Ehissian avec lui, comme Gallwen et Eryad allaient le faire croire au reste de leur clan. Cependant, il doutait que le jeune phénix apprécie, et à moins de se cacher sur une planète reculée, il y avait de forte chance pour qu’on les retrouve très vite.

Il sentit une migraine poindre, et fit une grimace explicite.

Fallnir commençait à saturer, ayant dû fournir beaucoup trop d’efforts psychologiques pour une simple matinée. Il voulait se reposer, laisser la journée s’écouler, prendre son temps avant de recommencer à réfléchir pour prendre la moindre décision. Il voulait retrouver sa vie d’avant, calme et tranquille comme un lac gelé.

- Je vais voir Ehissian, décida-t-il en se levant.

Shézac ne dit rien, se contentant d’acquiescer en silence. Il ne se faisait pas d’illusion, il savait que cette résolution n’avait rien à voir avec leur conversation, et qu’aujourd’hui non plus Fallnir ne dirait rien à son amant.

Il voulait simplement être avec lui.

- Moi aussi, je vais monter surveiller Scysios…

Il préférait renoncer, sachant que ce n’était pas le jour pour insister.

 

oo

 

Cela faisait déjà un petit moment qu’Ehissian était assis en tailleur sur son lit, songeur.

Plus tôt dans la matinée, Shézac l’avait accompagné jusqu’à un autre étage, pour que Derek examine l’évolution de sa blessure. Les flammes du phénix avaient fait le plus gros du travail, mais il avait fallu encore quelque soins pour que la plaie qui transperçait son torse se referme proprement et ne soit plus qu’une cicatrice de plus, sur le corps du jeune homme.

Il était ensuite allé chercher Fallnir pour qu’à son tour, le dragon rencontre Derek, puis il était finalement retourné dans sa propre chambre.

Il avait dormi dans la chambre de Fallnir depuis la veille et leur retour mouvementé dans la tour, et il lui semblait que cela faisait une éternité qu’il était parti. En réalité, leur escapade hors de la Volière n’avait durée qu’une demi-journée ; mais il s’était passé tant de choses…

Leur confrontation avec Gallwen et Eryad, devant la maison de l’apothicaire, puis toutes ces révélations autour du pacte de sang qu’ils étaient partis chercher. Un petit moment d’intimité dans l’ancien appartement de Fallnir  et à leur retour, cette énorme frayeur sur le toit de la Volière…

Il venait de retrouver avec un certain soulagement sa couette à triangles. Fallnir devait venir le rejoindre ici, dès qu’il aurait terminé. Le phénix en avait profité pour mettre un brin d’ordre dans ses affaires, mais avait vite réalisé que quelqu’un était déjà passé pour dégrossir le travail dans son armoire.

Le forfait n’était pas signé, mais il n’y avait qu’Elika pour oser pénétrer dans sa chambre en son absence et en profiter pour faire en sorte que ses vêtements ne débordent plus des étagères comme une baignoire trop pleine.

Il avait achevé le travail, poussant sous le lit le sac de Fallnir jusqu’au retour de ce dernier. Une fois le travail terminé, vêtu d’une chemise beaucoup trop grande qu’on lui avait offerte il y a longtemps et qu’il ne mettait plus que pour dormir, il avait retiré son pantalon et s’était assis en tailleur sur le lit pour attendre patiemment le retour de son amant.

Ce n’était qu’à cet instant qu’il avait aperçut le livre sur la table de chevet.

Cela l’avait tout de suite intrigué. Il avait plusieurs fois vu cet épais volume entre les mains de Fallnir, mais ce dernier le faisait disparaître au pied du lit chaque fois que le phénix rentrait dans la pièce. Il fut donc étonné de le voir là, sur la table de nuit, en toute évidence. Il s’était penché pour le prendre, cédant à sa curiosité, et avait alors remarqué la plume qui dépassait d’entre les pages.

Ehissian ne pouvait pas se douter que c’était sœur qui était à l’origine de tout cela, croyant faire une petite plaisanterie amicale à son frère, en retirant le marque-page pour le mettre bien en évidence. Le phénix, lui, crut simplement que Fallnir avait tout simplement oublié de ranger le livre comme il le faisait d’ordinaire.

Et passa cinq bonnes minutes à faire tourner la plume entre ses doigts, songeur.

Il ne savait pas trop comment est-ce qu’il devait interpréter cela. Pourquoi est-ce que le dragon conservait cette plume ? C’était celle qu’il lui avait laissé le soir de leur première rencontre, il n’y avait pas de doute possible – le dragon n’avait de toute manière pas eu d’autre moyen de s’en procurer une autre. Et ce livre ne le quittait jamais, suivant dans un sac à dos leurs déplacements entre la chambre de l’un ou de l’autre. Par conséquent, le marque-page non plus.

Mais peut-être que le dragon conservait juste cet objet sans vraiment y faire attention… ?

Tout cela le laissait parfaitement perplexe.

Ehissian ramena ses genoux près de son menton, pensif. Quand il y réfléchissait, il se doutait bien que Fallnir ne devait pas savoir ce que cela signifiait, pour un chevalier ardent. Offrir de soi même l’une de ses plumes…

D’un autre côté, il devait avouer qu’il n’avait pas lui-même vraiment songé à ces vieux préceptes chevaleresques, sur le moment. Il n’avait simplement pas eu envie de partir comme un voleur, après cette nuit passée ensemble, et avait trouvé sur le moment que lui laisser cette plume, trouvée dans les débris de verres, aurait été sympathique…

Il rougit de honte en songeant à sa propre stupidité. Les chevaliers phénix avaient autrefois pour coutume d’offrir une plume à leurs dames, lorsqu’ils partaient combattre. Cependant, cela faisait longtemps qu’il n’y avait plus de vraies batailles, et il n’avait jamais vu personne le faire, depuis sa naissance.

Mais ça n’en rendait pas moins cet acte complètement stupide de sa part.

Pourtant, quand ils en avaient reparlé deux jours plus tôt, dans son ancien appartement, Fallnir lui avait assuré qu’il n’avait pas trouvé cela bête…

Cela ne fit que convaincre le phénix que son amant ne savait heureusement rien de cette vieille coutume ; en revanche, repenser à cette discussion le fit tout à coup douter, et il se gratta la tête en fronçant les sourcils.

Peut-être que ce n’était vraiment pas qu’une simple babiole, pour Fallnir.

Il sourit malgré lui et se perdit dans ses réflexions, faisant tourner la plume entre ses doigts.

Un long moment dû s’écouler sans qu’il en ait conscience, trop occupé à laisser son esprit vagabonder et monter des dizaines d’hypothèses fumeuses. Cette petite découverte l’avait touché plus que de raison, il en avait conscience, mais était bien incapable de dire pourquoi.

Il finit toutefois par replacer la plume et le livre avec les affaires de Fallnir, sous le lit ; rangeant le marque-page au hasard, caché entre les pages comme il l’était jusqu’alors, pour que le dragon pense simplement l’avoir mal positionné. Ehissian préférait garder cette trouvaille pour lui, comme un précieux secret, qu’il chérirait avec affection. Et puis, il voulait surtout leur épargner à tous les deux un moment très gênant.

Le hasard fit que le dragon arriva quelques minutes après cela, frappant doucement à la porte pour se glisser à l’intérieur dès que le phénix l’y invita.

- Alors ? S’enquit le chevalier en se poussant pour lui laisser une place.

Pour toute réponse, Fallnir soupira et après avoir vidé ses poches sur la table de nuit, vint s’allonger à ses côtés, tourné sur le flanc.

- Heureusement que Shézac était là…

Ehissian sourit, amusé. Au moins, Derek et lui ne s’étaient pas entretués, comme ce qu’ils craignaient. Il ne chercha pas à savoir ce qu’ils s’étaient dit, ni ce qui avait bien pu se passer pour mettre le dragon dans cet état de lassitude. Cela ne concernait pas seulement son amant, mais aussi les affaires de Derek Isdegarde et de ses mercenaires ; par conséquent, il n’avait pas particulièrement envie d’être au courant.

- On lui doit beaucoup de chose, à Shézac…

Fallnir hocha silencieusementla tête. C’était entièrement vrai. Même si le blond leur avait caché beaucoup de choses, c’était grâce à lui qu’ils s’étaient retrouvés, et qu’ils avaient pu vivre ensemble sous les yeux des autres sans que ceux-ci ne se doutent de rien. Sans parler de son intervention de l’avant-veille.

- On lui rendra la pareille, un jour… murmura l’auburn en fermant les yeux.

Il était épuisé, et la douce chaleur d’Ehissian tout proche de lui ne faisait que l’inciter à se laisser aller. Ne plus penser à rien, se laisser bercer par la pluie et la respiration de son compagnon…

Mais ce dernier ne l’entendait visiblement pas de cette oreille, car sitôt que Fallnir eut clos les paupières, il le poussa sur le dos pour s’asseoir à cheval sur son bassin.

- On a déjà passé toute la journée d’hier à dormir et à manger, tu vas pas recommencer ? Bouda le phénix en croisant les bras sur son torse.

Ce dernier était d’ailleurs découvert, la chemise trop large d’Ehissian étant complètement déboutonnée. Ses jambes nues enserraient les hanches du dragon et une fois installé, il lui jeta un regard malicieux. Il n’était pas trop difficile de deviner le fond de sa pensée.

-Encore ? Interrogea le dragon en levant un sourcil perplexe.

Après tout, leur dernière fois ne remontait qu’à l’avant-veille, dans son appartement… Certes, il s’était passé beaucoup de choses juste après, ce qui poussait peut-être le phénix à quémander de l’affection en guise de réconfort. Mais ils avaient passé les dernières vingt-quatre heures à somnoler l’un contre l’autre, enlacés.

L’auburn en arriva à la conclusion que l’appétit d’Ehissian était juste un peu trop développé.

- T’en as pas envie ?  L’aguicha le phénix avec une petite moue adorable, celle qu’il faisait toujours quand il voulait le faire craquer.

Mais cette fois-ci, Fallnir était mentalement trop épuisé pour se laisser avoir. Lassé de tout, son humeur n’était pas excellente et rien ne s’arrangea lorsqu’il pensa que de toute manière, sa relation avec Ehissian n’était presque exclusivement basée que sur le sexe et les attentions physiques.

- Pas vraiment, souffla-t-il en échangeant un regard fugace avec son amant, hésitant. J’aurais juste aimé… Qu’on reste comme ça, tous les deux…

C’était la première fois qu’il repoussait de manière aussi tranchée les ardeurs du phénix. Il eut même peur que ce dernier ne le repousse, ou se mette à lui faire la tête, vexé de ne pas avoir eu la seule chose qu’il exigeait d’ordinaire de Fallnir, en plus de sa présence.

Mais Ehissian n’afficha qu’une petite moue déçue, qu’il remplaça bien vite par un sourire carnassier.

- Dommage, pour une fois que j’avais l’un des plus forts dragons du clan Garnësir juste entre mes cuisses…

Fallnir faillit rétorquer qu’il l’avait quasiment tout le temps entre ses cuisses quand ils faisaient l’amour, le phénix adorant surplomber son amant, mais il n’avait pas particulièrement la tête à ça et préféra se retenir.

Troublé et soulagé à la fois par cette réaction, il lui renvoya son sourire, un peu plus fatigué et beaucoup moins joueur. Son amant avait l’air de comprendre son désir de tendresse platonique, et ne lui en voulait visiblement pas. Il sentit son cœur s’emballer, gonflé d’amour et d’admiration pour le jeune homme.

- Et moi donc, chevauché par un chevalier phénix…

Souriant de plus belle, Ehissian attrapa ses mains pour entremêler leurs doigts, et se pencha sur lui pour l’embrasser. Sa langue mutine franchit ses lèvres sans difficulté, mais cela resta un baiser tendre et joueur, où le plaisir restait supérieur au désir.

- Il est quand même un peu estropié, ton chevalier phénix, se moqua Ehissian en se redressant légèrement.

Il restait néanmoins vouté au dessus de lui, ses mèches bleues nuits chatouillant le visage du dragon. Le visage de ce dernier se voila un instant, à cause de souvenirs trop récents qui lui revinrent en mémoire, alors qu’il aurait voulu les garder enfouis à jamais.

Ses yeux glissèrent sur le torse nu du phénix, jusqu’à cette disgracieuse marque qui striait sa peau.

- Tu en as deux, maintenant, fit-il remarquer en penchant très légèrement la tête sur le côté.

Ehissian baissa la tête, observant la blessure à son tour.

Il avait toujours eu une cicatrice qui témoignait d’un objet qui lui était passé à travers le corps, depuis que Fallnir le connaissait. Il en avait à présent une seconde, pas très loin.

- Celle là, c’est parce que j’ai trébuché dans un escalier de la maison où j’avais caché le pacte de sang, expliqua-t-il avec une grimace, en effleurant du doigt la plus vieille. J’ai lâché la clef et ça a déclenché un piège…

Le phénix venait de réaliser qu’il n’avait jamais expliqué d’où elle venait à son amant, et tenait en quelque sorte à le rassurer. Peut-être que l’auburn s’était imaginé des choses horribles sur cette plaie, en croyant que c’était Pavel qui la lui avait faite, ou pire encore…

- Je me doutais que c’était quelque chose comme ça, avoua Fallnir sans parvenir à retenir un sourire moqueur.

Ehissian lui pinça les côtes pour se venger, faussement vexé.

L’ambiance était légère et le ton décontracté. Pourtant, le mal venait d’être fait et ils sentirent tout deux que ce qu’ils tachaient d’oublier depuis la veille était en train de leur revenir en tête plus violemment que jamais.

Ils n’avaient jusqu’à lors pas eu la force de repenser à cette nuit éreintante. Sa fin avait été trop brutale, trop brusque, les laissant tous les deux assommés et incapables d’y réfléchir posément.

Mais cela faisait maintenant plus de vingt-quatre heures. Ils avaient dormis, repris lentement le cours normal de leurs vies, réglés un tas d’autres problèmes qui leurs couraient alors à l’esprit.

Ehissian fut d’ailleurs le premier à oser aborder le sujet, après quelques minutes dans un silence pensif, passé à se sourire les yeux dans les yeux.

- Hey, Fallnir… commença-t-il doucement, en se redressant convenablement.

Il posa les deux mains sur le torse de son amant, à la fois pour prendre appui mais aussi pour garder une sorte de contact entre eux deux, bien qu’il soit toujours installé à califourchon sur ses hanches. Intrigué, Fallnir inclina un peu plus la tête sur le côté.

- Pourquoi est-ce que tu ne t’es pas écarté, avant-hier soir ? Se lança finalement le phénix.

Le dragon se raidit aussitôt, malgré tout le contrôle qu’il tentait d’exercer sur sa propre personne. Il savait que cette question resurgirait tôt ou tard, et s’étonna même qu’Ehissian ne l’aie pas posée plus tôt.

Quand cette épée avait transpercé le corps de son amant… La violence de cette pensée lui fit fermer les yeux, et il sentit les doigts frais du phénix se glisser sous son haut pour caresser affectueusement la peau autour de son nombril.

- Tu savais que je n’allais pas mourir… continua Ehissian à mi-voix.

Oui, Fallnir était parfaitement au courant des flammes magiques des phénix, mais avait tellement été terrorisé sur l’instant qu’il n’y avait pas songé une seconde, ne voyant que le sang et la douleur de son amant.

Ou plutôt si, il y avait pensé, hanté par l’idée que si quelqu’un tentait quelque chose à cet instant, Ehissian périrait pour de bon.

En réalité, ses pensées avaient été si confuses lors de cette scène qu’il ne savait plus vraiment, et se voyait bien incapable de fournir une réponse à son amant. Il ne se rappelait plus que de cette douleur, aigue et brutale, quand il avait vu cette épée se planter dans le corps d’Ehissian… La sensation que sa tête allait éclater sous la violence de sa souffrante, que son cœur était en train de brûler dans sa poitrine, que son sang s’était changé en acide. Pour avoir déjà vu ses camarades y succomber, il savait que la mort d’un dragon qui venait de perdre ses yeux était d’ordinaire trop brutale pour être vraiment douloureuse. Mais dans le cas où les yeux en question étaient un phénix, suspendu un long moment entre deux eaux…

La seule vraie réponse qu’il aurait pu lui fournir, c’était lui avouer qu’il l’aimait, que sa perte lui aurait été fatale, et qu’à cet instant, il avait en réalité pris la décision de le laisser consumer sa vie pour sauver la sienne.

- J’ai juste… eu très peur pour toi, souffla-t-il finalement, tentant de chasser les souvenirs douloureux avant qu’ils ne s’expriment sur son visage par une grimace explicite. Sur le coup… J’ai pas vraiment pu réfléchir…

Il fut incapable d’en dire plus, fermant les yeux tandis que la main d’Ehissian caressait sa joue, et que le phénix venait se blottir tout contre lui.

Le jeune homme n’était pas satisfait par cette réponse, cela se sentait, et il restait dans l’incompréhension face à la réaction qu’il avait eu ce soir là. Si Gallwen et Shézac n’avaient pas eu le réflexe de retenir Fallnir, celui-ci aurait été vidé jusqu’à la mort de toutes ses forces par les flammes du phénix.

- Ca me touche que tu te sois inquiété à ce point, lui chuchota Ehissian avec un sourire, prenant son visage en coupe pour lui embrasser le front. Mais à l’avenir, évite de me coller des frousses pareilles…

Leurs regards se croisèrent et Fallnir sourit, tout doucement.

- Je peux en dire autant pour toi…

Ils rirent tous les deux, légèrement, presque nerveusement, s’enlaçant l’un l’autre et se réfugiant dans leurs chaleurs respectives pour chasser ces souvenirs de leurs têtes.

La pluie battait toujours contre les carreaux et l’orage sembla reprendre, tandis que l’heure du repas approchait. Mais ils n’avaient pas faim, et savaient qu’on les laisserait tranquille à ce moment de la journée. Autant en profiter pour se consoler mutuellement, et profiter simplement de la présence de l’autre, sans penser à rien d’autre.

Contrairement à ce qu’il avait d’abord voulu, Fallnir fut le premier à ressentir le besoin d’un peu plus que de la tendresse. Il avait senti que son amant était perturbé, comme s’il se posait des centaines de questions en même temps, et qu’ils éprouvaient tous les deux le besoin de se vider agréablement la tête.

Enlacés sous la couette, ils firent l’amour quelques heures plus tard, avec complicité et douceur. Les gémissements d’Ehissian se perdirent contre la gorge de Fallnir tandis que celui-ci caressait ses reins avec douceur, le plaisir les enveloppant peu à peu, jusqu’à les transporter tous les deux dans une bulle cotonneuse.

Après quoi ils joignirent leurs mains et, échangeant des rires complices, ils finirent par s’assoupir quelques temps plus tard pour une sieste bien méritée, leurs deux corps toujours entremêlés.

Sans aucune pensée pour les phénix, les dragons, les démons, ou toute autre chose qui aurait pu parasiter leur bien-être. Car s’ils avaient bien appris une chose, après toutes les épreuves qu’ils avaient traversé, c’était bien de pouvoir maintenant faire abstraction d’absolument tout et de ne plus songer qu’au sourire de l’autre.

 

oooooooooooooooooooooooo

 

Voilà, le chapitre 31 a fini par arriver…

Je vous remercie infiniment d’avoir lu jusqu’ici. Si vous avez la moindre chose à me faire part, une faute, une incohérence, ou juste un petit moment à perdre, n’hésitez pas à me laisser un petit mot pour marquer votre passage. ^^

 

A dans un mois !


 
 
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