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au 31 Mai 21 :
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Bec d'écaille, croc de plume
Par Jaiga
Originales  -  Romance/Fantaisie  -  fr
33 chapitres - Complète - Rating : T+ (16ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
    Chapitre 17     Les chapitres     64 Reviews     Illustration    
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Zoologie

Disclaimer : Tous les personnages/ lieux/ périodes sont issus de ma propre imagination. J’ai cependant utilisé certains personnages pour des forums Rpg, ne vous étonnez donc pas si vous les croisez un jour, au hasard du net. :3

Notes :

- Je m’excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d’orthographe qui m’ont échappée, j’avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur …

 

- Je remercie toutes les personnes qui ont pris le temps de me laisser une review, c’était vraiment très gentil de leur part. :3

___________________________________________________________________________________

Chapitre 17 : Zoologie

Ehissian poussa un hurlement de pucelle très peu glorieux lorsque l’eau glacée coula soudainement sur ses épaules dénudées. Un hurlement tellement strident que le temps que son esprit embrumé parvienne à comprendre qu’il n’avait décidemment pas tourné le mitigeur du bon côté, et qu’il réussisse à résoudre la situation d’un geste vif, un dragon inquiet passait déjà la tête dans la cabine pour s’enquérir de ce qui pouvait bien arriver d’affreux à sa bouillotte vivante.

Le phénix se sentit un instant très fier d’avoir réussi à réveiller Fallnir, marmotte proclamée, alors que ce dernier n’avait même pas bronché quand il s’était levé. Puis, il reprit ses esprits, et lui saisit la main pour l’attirer contre lui.

Cela faisait un peu plus de deux semaines qu’ils se connaissaient, et Ehissian avait déjà observé de très nombreux changements, dans l’attitude du dragon. Si au début, Fallnir se réveillait en sursaut au moindre bruit, ou à chaque fois qu’Ehissian remuait, il était aujourd’hui devenu une véritable pierre, que même un tremblement de terre ne pouvait faire broncher. Il avait également perdue sa manie des premiers jours –et qu’il n’avait pas le tout premier soir de leur rencontre, Ehissian en était certain- celle qui lui faisait jeter des coups d’œil partout, dans tous les sens, comme un gosse qui découvrait le monde. Il devenait aussi plus ouvert, beaucoup plus détendu, ce qui dans un sens se comprenait, puisqu’il commençait doucement à avaler le fait que les gens de la Volière le voyaient comme un habitant à part entière, et non comme l’ennemi héréditaire qu’il était censé être.

En revanche, Fallnir avait conservé ses yeux clairs et sa voix enrouée diablement sexy, celle là même qui lui glissait à cet instant précis un sensuel bonjour au creux de l’oreille.

Ehissian lui fondit dans les bras.

Ils sortirent de la douche quelques minutes plus tard, emmitouflés dans leurs serviettes, un sourire leur faisant trois fois le tour de la tête. Le dragon s’assit sur le bord du lit, et essora les cheveux de son amant niché sur ses genoux.

-Tu commences à quelle heure, aujourd’hui ? S’enquit-il auprès du phénix qui se laissait sécher sans protester, plus ravi que jamais.

-Tard, répliqua aussitôt Ehissian, un sourire goguenard aux lèvres.

Et sur ces mots, il pivota et l’embrassa passionnément, les bras enroulés autour du cou de Fallnir.

-Tu es pistonné, pour rester ici, non ?souffla-ce dernier avec un léger air railleur. Tu as un boulot tranquille de chevalier, et un second patron qui se fiche que tes horaires soient minimalistes. C’est la belle vie, rajouta-t-il en posant un doigt sur le nez d’Ehissian.

Le phénix fronça les sourcils, secoua la tête et poussa sans prévenir le dragon sur le dos, pour s’installer à quatre pattes au dessus de lui. Ses cheveux humides vinrent chatouiller le visage du dragon, qui fit mine de leur souffler dessus pour les repousser, piégé sous le corps du chevalier.

-Oui, j’avoue, ronronna-t-il en embrassant le dragon dans le cou. J’ai payé le prince en nature pour qu’il me garde.

-Il à l’air un peu jeune pour ça, non ? fit remarquer Fallnir, un sourcil relevé, devant le trop grand sourire d’Ehissian.

Celui-ci se laissa retomber à ses côtés, une main posée sur son torse, traçant du doigt des symboles imaginaires sur le ventre de son amant.

-Il est plus vieux que moi, tu sais. C’est juste qu’à cause de sa santé fragile, il a eu des problèmes de croissance… Il parait que la reine préfère le tenir éloigné de la cour jusqu’à ce qu’il devienne adulte, pour le protéger. C’est pour ça que je suis encore là.

Nullement ému, Fallnir renifla.

-Pistonné.

Ehissian se jeta sur lui pour le couvrir de chatouille. L’auburn se débattit aussitôt, en éclatant de rire, un rire un peu rauque qui réchauffait le corps du phénix. Celui-ci s’empressa d’ailleurs de renvoyer l’ascenseur au dragon moqueur.

-Et puis tu peux parler, toi ! Tu es au chômage depuis combien de temps ? On t’a viré parce que tu voulais jouer au docteur avec tous les petits jeunes que tu croisais ?

Après quelques instants de torture, Ehissian le relâcha enfin et fit mine de lui tourner le dos, assit sur le lit. Secrètement, il espérait enfin tirer les vers du nez du reptile qui lui servait de bouillotte vivante, aussi muet qu’une tombe en ce qui concernait son ancienne vie. Le moment était venu de lui poser la question.

Il n’eut pas à bouder longtemps, puisqu’une poignée de seconde plus tard, les bras musclés de Fallnir entourèrent sa taille, et son menton vint se poser sur son épaule.

- Non, je séquestrais tous les phénix aux yeux bleus que je rencontrais…

Il lui déposa un baiser sur la tempe, provoquant le sourire d’Ehissian.

- Je peux te poser une question ? Souffla-t-il en se laissant aller contre le torse de l’auburn, qui l’enlaçait tendrement.

Il entendit le dragon acquiescer, après une petite seconde d’étonnement.

- Tu as de la famille ?

Fallnir resta silencieux, mais ne montra aucun signe de surprise, comme Ehissian l’aurait pensé. Son étreinte ne tressaillit pas, et il déposa même un baiser dans le creux de son cou.

- Pourquoi ? Tu veux faire un plan à trois avec un cousin à moi ?

Ehissian sourit de nouveau et lui pinça amicalement les côtes.

- Non… C’était pour savoir….

Il hésita un moment, puis continua, avec une moue contrite.

- Je ne sais presque rien sur toi… Tu ne m’as jamais rien dit…

Fallnir poussa un soupir et se passa la main dans les cheveux. Si la curiosité ne l’avait pas autant poussé, Ehissian aurait peut-être renoncé à sa demande et l’aurait laissé en paix pour un temps, en attendant que le cœur de son amant ne s’ouvre de lui-même. Mais les phénix n’étaient pas réputés pour leur sagesse et leur patience.

-Il n’y a pas grand-chose à dire, tu sais… commença lentement le dragon. Et puis c’est… compliqué à expliquer…

Il les fit basculer tous les deux sur le lit, allongés sur le flanc, chacun enlacé dans les bras de l’autre. Ehissian se tassa contre lui, cherchant une position confortable, une expression attentive sur le regard.

- Est-ce qu’on vous a appris comment est-ce que nous fonctionnons ? Continua aussitôt Fallnir. Notre système de clan ?

Ehissian hocha la tête. Les légendes et les rumeurs allaient bon train, de chaque côté des deux peuples ennemis, mais certaines histoires se révélaient parfois fondées et étaient expliquées aux jeunes enfants, sans doute dans le but de mieux leur faire comprendre qui étaient leurs adversaires. Durant son apprentissage de chevalier, Ehissian se souvenait des longues heures qu’il avait dû passer, assis sur un banc dans une grande salle de la Volière, à écouter un soldat aguerri leur faire la leçon sur tout ce qu’ils devaient savoir avant d’affronter un opposant d’un autre peuple que le leur.

-Vos clans portent le nom de la valeur morale qu’ils s’évertuent à défendre, récita scrupuleusement Ehissian, et chaque individu doit consacrer sa vie à défendre cette valeur… ?

- C’est exact, approuva Fallnir. Le nom de mon clan… signifie justice. Nous défendons l’impartialité entre chaque créature, et veillons à ce que tous soient égaux. Nous n’intervenons militairement que lorsque nous estimons qu’une injustice a été commise…

- C’est beau… chuchota Ehissian, les yeux dans le vague.

Le dragon fit une petite grimace. Il devait s’estimer heureux que l’éducation du phénix soit restée sommaire à ce sujet. Il était issu du clan Garnësir, qui était l’un des plus virulents par rapport au peuple phénix, mais le prince lui avait conseillé de faire croire qu’il provenait du clan Telësoh, sans doute l’un des plus pacifiques. Seulement, s’il voulait parler de lui à Ehissian –et au fond de lui, il le désirait sincèrement-, il ne pouvait guère lui mentir à ce sujet. Tant qu’il parvenait à ne pas prononcer le nom de son clan…

- Concrètement, mon clan applique en son propre sein la plus stricte des disciplines à ce sujet. Personne ne doit être plus avantagé qu’un autre. Les différences hiérarchiques ne sont dues qu’à la propre capacité de chacun. De cette manière, seul notre mérite peut définir notre statut à l’intérieur du groupe. Les plus valeureux et les plus sages sont appelés à diriger, les autres à les suivre, et aspirer à leur ressembler un jour.

Il marqua un temps de pause, pour laisser le temps à Ehissian de digérer les informations. Après un court moment de silence, ce dernier ouvrit la bouche pour poser une question, mais Fallnir reprit aussitôt la parole avant qu’il ne puisse prononcer le moindre de mot.

- Cela signifie que tous les enfants doivent être égaux pour la naissance. Et pour cette raison, il est interdit à quiconque d’élever lui même son propre enfant. Les familles n’existent pas. Les parents renoncent à leurs droits dès la mise au monde de leur progéniture, et les frères sont séparés et isolés les uns des autres, pour éviter la consanguinité.

Les yeux du phénix devinrent ronds comme des billes et sa bouche s’ouvrit de nouveau, comme si sa mâchoire venait de se décrocher. Fallnir se sentit embarrassé, parce qu’il se doutait parfaitement bien qu’Ehissian était en train de regretter amèrement d’avoir abordé un tel sujet.

- Je sais à quoi tu penses, dit-il avec un sourire de guingois. Mais tu sais, on nous a élevé comme ça. Ca n’a aucune espèce d’importance, pour nous, de ne pas connaître nos parents. C’est le cas de tout le monde, dans le clan.

- Mais… comment vous faites, pour contrôler tout ça ? Je veux dire… Comment vous vérifiez que…

- Il y a une catégorie de personnes, dans le clan, qui est chargée de tenir une sorte d’archive. C’est un peu ridicule, dit comme ça… hésita Fallnir en se grattant la tête. Chaque fois qu’un couple de dragons a un enfant, ils lui donnent un nom, et apposent leurs signatures sur un document ensorcelé, qui certifie qu’ils sont bien les parents. Lorsqu’ils signent, le sortilège absorbe leur mémoire pour qu’ils oublient quel nom ils ont donné à l’enfant et ne puisse pas le retrouver. Après, le nouveau né est confié aux nourrices, et le document est rangé en lieu sûr… Les archivistes sont les seuls à être au courant des liens familiaux. Ils sont une caste à part, presque intouchables. Ils n’ont pas le droit de divulguer le moindre secret, et le fait d’essayer soi même, ou d’aider quelqu’un à retrouver les membres de sa famille, est considéré comme la pire des trahisons. Les archivistes veillent sur chacun d’entre nous, durant toute notre vie, pour s’assurer que personne ne se découvre un frère ou un père… Posséder un tel lien, alors que tout le reste du clan en est dépourvu, ce serait une injustice de la pire espèce…

« Nous ne sommes autorisé qu’à connaître nos cousins, continua-t-il sur sa lancée. C’est une personne à la fois trop proche et trop éloignée pour qu’il soit injuste de ne pas en avoir ; et puis, de fil en aiguille, on se rend vite compte que tout le clan n’est composé que de cousin. A l’inverse, les relations amicales sont très fortement encoura…

Ehissian se jeta sur Fallnir sans lui laisser le temps de terminer sa phrase, et le serra dans ses bras d’une force dont le dragon ne l’aurait jamais cru capable. Hébété, ce dernier leva une main hésitante, puis lui tapota doucement le dos.

- Je suis désolé… chuchota le phénix, le visage niché dans le creux de son cou. Je voulais pas… Promis, je te poserai plus jamais de question sur ta vie…

Fallnir secoua vivement la tête et voulu assurer à son amant que ce n’était absolument pas la peine de s’excuser. Il avait été éduqué depuis sa naissance dans le respect de la justice et de l’équité entre tous. Il était persuadé que cela lui était complètement égal, de ne pas avoir connu ses parents ; d’autant plus qu’il s’estimait honteux, parce qu’étant du même âge, il avait eu une relation privilégiée avec son unique cousin, qui s’approchait le plus pour lui de l’idée qu’il se faisait d’un frère, et…

- On va prendre le petit déjeuner, ordonna abruptement Ehissian en se détachant de lui, coupant court les pensées de son amant.

- Euh… D’accord, acquiesça le dragon face à l’insistance du regard bleu nuit qui pesait sur lui. Mais tu sais, il est presque midi…

Haussant les épaules, le phénix se leva, et sous le regard perplexe de son compagnon, commença à rassembler leurs vêtements pour qu’ils puissent se vêtir.

- Je pars d’abord, et tu me rejoindras ensuite ? Osa finalement demander Fallnir à son amant, en se redressant sur le lit.

- Pourquoi faire ? répondit Ehissian comme si il s’agissait de l’évidence même. On n’a qu’à y aller ensemble.

--

Scysios cligna plusieurs fois des paupières, sortant d’un très long moment de veille. Il se sentait comateux, il avait la tête lourde et du mal à garder les yeux ouverts. A vrai dire, une unique chose l’avait tiré de son profond sommeil ; une puissante, entêtante odeur de chocolat chaud. L’effluve était allée le retrouver jusque dans son état de stase, sans rêve aucun, et peu à peu, l’idée de remplacer cette désagréable amertume au fond de son palais par la suave douceur du cacao l’avait happé dans la réalité, à la manière d’un poisson tiré hors de l’eau pour avoir voulu gober un asticot dodu.

Il resta un moment indéterminé allongé sur son lit –étendu sur le dos, il avait reconnu le plafond de pierre grise de sa chambre-, les yeux entrouverts. Il entendait le bruit d’un robinet ouvert et de la vaisselle qui s’entrechoquait. L’odeur de chocolat se faisait de plus en plus forte, à mesure, sans doute, que le courant d’air lui en apportait le fumet. Ou alors, à mesure que son envie d’en boire une gorgé s ‘accroissait.

Poussant un profond soupir, il se passa une main sur le visage et enfin, usant de toutes ses forces pour se redresser tant bien que mal sur le matelas, se retrouva assis et bâilla profondément.

En l’entendant faire, Shézac referma le robinet et se tourna vers lui, un chiffon sur l’épaule.

- Chocolat ? Demanda-t-il en levant le thermos à la vue de son compagnon.

-Volontiers, répondit Scysios d’une voix pâteuse, une main sur le visage.

Il avait du mal à se rappeler de ce qu’il s’était passé. Il revoyait le paquet de croissant, le café dans lequel ils étaient entrés, et la douleur subite qui l’avait saisi. Il se rappelait avoir laborieusement alerté Shézac sur l’état critique dans lequel il se trouvait, suffisamment rapidement pour que le blond réagisse. Il se souvenait vaguement de quelques épisodes d’un trajet de retour épique, et de son doigt pointé vers un tiroir de sa modeste chambre.

Il comprit alors l’odeur âcre au fond de sa bouche, ainsi que la tasse vide sur sa table de nuit. En revanche, il ne souvenait pas –et ne voulait pas se souvenir- de quand ni comment Shézac lui avait fait boire cette horreur de médicament.

- Je peux savoir ce qu’il t’est arrivé, exactement ? S’enquit le démon en s’asseyant sur le rebord du lit, avant de tendre une tasse fumante au médecin. Tu m’as fichu une sacrée trouille, tu sais…

Scysios eut un petit sourire gêné et murmura une excuse d’un air penaud, avant de tremper ses lèvres dans le breuvage. Une indescriptible sensation de bien être l’envahit alors, et pendant quelques secondes, le temps que la chaleur du chocolat ne se propage en lui, il plana véritablement. Il ferma les yeux, savourant la douce brûlure de la tasse entre ses doigts et du cacao dans son estomac.

-Accident, dit-il du bout des lèvres, vautré dans un nuage cotonneux couleur chocolat au lait. Il y a trois ans. Chez nous, je me serais soigné tout de suite. Mais ici, il n’y a pas assez de magie pour que je puisse me guérir totalement.

Shézac, les sourcils froncés d’inquiétude, ou peut-être de contrariété, fixa le bout de ses chaussures.

- Et… C’est cet accident qui… ? Je veux dire… C’est comme ça qu’il est mort ?

Scysios secoua doucement la tête, avec un sourire un peu rêveur.

-Non, c’est comme ça qu’on s’est rencontré….

L’odeur de l’hôpital, le grincement du lit, inconfortable, deux sourires mêlés de gêne et de politesse.

- … Les bouquets de fleurs, c’est plutôt pour les femmes, non ?

Rougissement.

-Euh, oui… Je… Je ne savais pas trop quoi vous apporter pour vous remercier…

Silence. Il se gratta nerveusement l’arrière du crâne.

- Je… J’ai gagné la course, vous savez…. C’est grâce à vous…

Il avait les cheveux si blonds qu’ils avaient l’air blanc ; et un sourire, seigneur, un sourire si sincère et touchant qu’il donnait envie de le débaucher sur place.

Il y eut un nouveau silence.

Puis un rire.

-La prochaine fois que vous viendrez, une boite de chocolat, ça ne sera pas de refus…

Un rougissement, timide.

- Dites, j’ai vu votre prénom sur le registre, et… en fait, je me demandais…

- Je suis étranger, le C se prononce comme un K, explique Scysios dans un sourire, habitué à ce genre d’hésitation.

Silence.

-Oh… Moi, c’est Max, dit-il sans bégayer, pour la première fois depuis le début leur échange. Avec un X…

Ils échangèrent un regard complice.

Scysios se passa une main sur le visage et se frotta les yeux. Il ne se sentait pas dans son assiette, ce n’était guère le moment de laisser les souvenirs remonter à la surface. On commençait par se rappeler de la rencontre, et c’était tout le reste de la relation qui défilait, jusqu’à sa fin… brutale.

Ce n’était pas vraiment le moment, pas après l’intense douleur physique qu’il venait de ressentir, de rajouter une couche de douleur psychique.

Shézac semblait perdu dans ses pensées, fixant le sol, peut-être pour ne pas croiser le regard de son camarade. Scysios en profita pour boire une gorgée de chocolat chaud, afin de chasser une bonne fois pour toutes ses pensées négatives.

- T’as l’air complètement dans le cirage, observa finalement Shézac après un moment de silence, relevant la tête vers lui.

Le médecin se frotta une nouvelle fois les yeux, détendu par le chocolat. Il devait avouer qu’il avait du mal à garder les yeux ouverts, mais il savait parfaitement pourquoi.

Lorsqu’il subissait ce genre de crises de douleur dues à son ancienne blessure, le seul moyen qu’il avait trouvé pour se soulager était une mixture infâme à base de plante, dans laquelle il ajoutait quelques produits plus ou moins licites de fabrication humaine. Un médicament, en particulier, ne pouvait se procurer que chez le vieil apothicaire ou auprès des vampires. De fait, sa composition et ses effets naturels étaient des plus louches, et Scysios préférait le tenir à l’abri des regards indiscrets, avant que l’on ne se fasse de mauvaises idées sur lui.

- C’est à cause du médoc… Celui que je fais fondre dans le sirop que tu m’as fait boire tout à l’heure… expliqua-t-il vaguement, plus pour lui-même que pour son ami.

- Le médicament que tu caches dans ton tiroir ?

- … Fouineur. Oui, celui là… Il a des effets secondaires…

- Quel genre d’effet ? demanda aussitôt Shézac, d’une voix dans laquelle on percevait une pointe d’anxiété.

Mais Scysios somnolait déjà et se sentait partir en arrière, de plus en plus léger, comme s’il était doucement absorbé par un nuage de coton. A vrai dire, son compagnon eut à peine le temps de lui arracher sa tasse des mains, qu’il tombait dans un profond sommeil.

Shézac poussa un soupir, et remonta les couvertures sur le démon endormi, avant qu’il n’attrape mal. Dire que le blond était inquiet aurait été un euphémisme ; il avait carrément eu la trouille lorsque Scysios s’était subitement senti mal, au café, et tout le reste n’avait fait qu’augmenter son anxiété. Depuis qu’il le connaissait, il était tellement habitué à ce que le médecin lui revienne dans des états de santé déplorables qu’à présent, il venait à se faire du mouron dès que Scysios lui disait se sentir un peu patraque. Il ne comptait plus le nombre de maladies bizarres, de fractures ouvertes et de plaies béantes dont le démon aux cheveux châtains l’avait mis au courant. A toujours vadrouiller partout, sur plusieurs mondes, il accumulait les prises de risques et les accidents.

S’il avait été mortel, Shézac aurait déjà eu un certain nombre de cheveux blanc.

--

-Kellnet, je pourrais te parler une seconde ?

Le phénix, la housse de sa guitare en bandoulière sur son épaule, allait ouvrir la porte de leur appartement lorsque sa compagne l’avait interpelé. Il devait se rendre au Yellow Bird pour poser son instrument et déjeuner là bas, avec les autres musiciens, comme il le faisait si souvent. Haussant un sourcil, il lâcha la poignée et se gratta la tête en considérant son épouse.

- Bien sûr, Elécy, qu’est ce qu’il y a ?

La jeune femme paraissait embarrassée. Ses longs cheveux verts étaient lâches sur ses épaules, et Kellnet pouvait imaginer très distinctement la douceur qu’ils auraient s’il y passait sa main.

-C’est à propos de Léto… répondit-t-elle en jouant avec ses doigts. Il… Il est bizarre, en ce moment… Je crois que tu devrais lui parler…

- Bizarre ? Bizarre comment ? S’étonna Kellnet en penchant la tête.

Son fils lui avait toujours paru comme extraordinaire ; le plus beau, le plus doux, le plus gentil des petits garçons. Il avait donc des difficultés à l’imaginer différemment.

- Eh bien… Je ne sais pas, il se comporte différemment… Il pose des questions étranges, des questions… presque des questions d’adultes, ces derniers temps…

Kellnet se mit à sourire, et secoua la tête. Ce n’était que ça… Elécy lui avait fait peur, pendant un moment.

-Ma chérie, c’est tout simplement qu’il grandit, répondit-il en s’avançant pour déposer un baiser sur son front. Ce n’est pas la peine de s’inquiéter, c’est normal…

Et sur ces mots, il disparut, avant que la jeune femme ait pu ajouter un mot de plus. Bouche bée, elle regarda la porte se fermer sous ses yeux, et entendit les pas de son mari s’éloigner dans le couloir.

Une colère sourde grimpa en elle, digne de ses plus beaux jours de rogne à présent entrés dans la postérité.

--

- Tu vas pas retomber dans les pommes, hein ?

Scysios soupira et lança un regard lourd de sens à son compagnon, qui ouvrit aussitôt la bouche pour protester.

- C’est vrai, quoi ! Tu m’as fait peur ! Tu t’es endormi sans prévenir et t’as ronflé plus d’une heure, j’ai le droit de me poser des questions !

- Je t’assure que ça va, répondit le médecin avec une pointe d’agacement. C’était juste les effets secondaires, rien de grave. Maintenant, je suis en pleine forme.

Il insista particulièrement sur ces deux derniers mots, en espérant secrètement que cela suffirait pour qu’ils rentrent définitivement dans le crâne vide de son cher ami blond. Il savait que c’était d’avance une cause perdue, et qu’il aurait beau insister, l’idée que les effets secondaires se soient déjà dissipés passerait de toute manière à des kilomètres des oreilles de Shézac. Mais comme disait le proverbe, l’espoir faisait vivre.

Entre leur escapade matinale et ses deux pertes de connaissances, la matinée s’était écoulée à toute vitesse, pour Scysios. Une sourde fringale l’avait tiré de son sommeil réparateur, mettant fin pour de bon aux effets narcoleptiques de son médicament maison, et il avait terriblement hâte de la combler. La meilleure solution était de se rendre à la salle à manger, où à cette heure ci il trouverait à coup sûr quelque chose à se mettre sous la dent, mais surtout une compagnie suffisamment nombreuse pour éloigner Shézac de lui le temps d’un déjeuner.

La douleur à sa jambe était définitivement partie, et ce pour un bon moment. Il n’y avait guère de cicatrice ou de séquelle handicapante, pour savoir qu’il avait une ancienne blessure à cet endroit là de son anatomie. Il ne boitait pas, ou alors, très imperceptiblement, et la plupart du temps, ne ressentait rien de plus qu’un très léger tiraillement. Seulement, parfois, il arrivait que la douleur se rappelle à son bon souvenir, pour l’informer que sa jambe n’était décidément pas en parfait état. A la Volière, la plupart des gens étaient au courant de cette blessure pourtant récente, et évitaient de faire toute allusion ou remarque sur les accidents routiers en présence de Scysios. En réalité, cette condescendance l’agaçait un peu, mais il s’estimait tout de même heureux d’avoir droit à autant d’attention venant d’un aussi grand nombre d’habitants.

Ils gravirent rapidement les quelques volées de marche qui les séparait encore de leur but. Les rumeurs des conversations étaient déjà perceptibles, et constatant que la porte de la salle à manger était fermée, quand ils pénétrèrent dans la salle commune juste à côté, ils eurent la surprise de trouver une très grande partie des habitants déjà réuni à l’intérieur.

Ils se concertèrent du regard et restèrent un instant hésitant, sur le seuil de la porte. Pendant un bref instant, personne ne les remarqua à travers la cohue ambiante, jusqu’à ce que Libellule ne les aperçoive et vienne les aborder.

- Ah, les garçons ! S’exclama-t-elle en s’approchant d’eux. J’ai eu peur que vous n’ayez pas reçu l’information...

- Quelle information ? S’étonna Shézac en haussant les sourcils.

La nymphe les considéra de haut en bas, et posa ses poings sur ses hanches.

- Vous n’étiez pas au courant ? Le prince a convoqué tout le monde pour faire une annonce. Je suppose que le hasard fait bien les choses…

- Quelque chose de grave ? interrogea Scysios, intrigué.

Libellule jeta un regard anxieux autour d’elle, pour s’assurer que personne n’était trop proche pour entendre leur conversation, et s’adressa à eux en baissant légèrement la voix.

- A vrai dire… Le prince à quelque chose à vous dire, à tous les deux en particulier… Mais ça sera pour tout à l’heure, une fois qu’il aura fait son annonce aux autres, reprit-elle sur un timbre normal. Vous n’avez pas croisé Ehissian, en chemin ? Je l’ai envoyé prévenir les gens qui sont restés au Yellow Bird toute la matinée.

Ils répondirent par la négative, et la jeune femme, après leur avoir fait un sourire, repartit se mêler à la foule.

Les deux démons échangèrent de nouveau un regard, à travers lequel ils dialoguèrent en silence, et finirent pas hausser les épaules. Avisant que le canapé face à la télé était miraculeusement libre, ils s’y dirigèrent sans ajouter un mot, préférant attendre de voir ce que le prince avait à leur dire, plutôt que d’émettre des hypothèses.

Cependant, Shézac eut à peine le temps de s’asseoir que déjà, une nouvelle personne venait les aborder.

- Excusez-moi… Scysios ? Je pourrais te parler une minute ?

C’était Anya, la jeune femme qui travaillait comme secrétaire dans l’immeuble d’en face, que Scysios connaissait assez peu. Elle était une grande amie Libellule et il leur était déjà arrivé d’échanger quelques mots ; toutefois, excepté le fait qu’elle soit fiancée et qu’elle ait teint ses cheveux azur en blonds pour trouver plus facilement du travail parmi les humains, il ne connaissait quasiment rien d’elle. Elle, en revanche, savait qu’il était médecin ; Scysios comprit donc tout de suite qu’elle devait avoir un problème de cet ordre là, et haussa les épaules.

- Oui, bien entendu … Tu veux que l’on sorte ?

Elle hocha la tête, gênée, puis emboita le pas au médecin qui reprit le chemin du couloir.

Shézac resta donc seul avec lui-même, pour la énième fois de la journée. Etait-ce bien la peine de suivre Fallnir jusque sur ce monde, puis jusqu’à la Volière, si c’était pour se retrouver toujours aussi seul qu’avant ? Sans la présence de Scysios à ses côtés, il ne se serait probablement pas éternisé sur les lieux…

Un morceau de plastique pointu tenta brutalement de lui perforer l’estomac et il se plia en deux de douleur, le souffle coupé. Léto poussa une exclamation joyeuse, en brandissant victorieusement sa fausse épée, que le démon déclara aussitôt beaucoup trop dangereuse pour n’être qu’un simple de jouet.

- J’ai tué l’Onikam ! s’exclama le petit phénix en sautant sur le canapé.

Shézac haussa un sourcil surpris et considéra longuement le gnome armé qui sautillait de joie en lui lançant de grands sourires. Visiblement, l’histoire de l’autre jour l’avait plus marqué que ce qu’il pensait. Le blond regretta un instant de ne pas avoir plutôt raconté une histoire de princesse et de beau mariage, plutôt que de guerrier légendaire qui luttait contre l’incarnation du mal.

- Tu te prends pour Derek Isdegarde, petit ? Tu crois vraiment que tu lui arrives à la cheville ? Se moqua-t-il en pinçant les côtes de Léto.

Ce dernier gonfla les joues et tenta d’asséner un nouveau coup d’épée sur le crâne du démon, que Shézac para cependant avant de se faire de nouveau estropier.

- Même pas vrai ! Quand je serai grand, je deviendrai aussi fort que Derek, et même que c’est moi qui serai l’ennemi juré de l’Onikam ! Et même que c’est moi qui le battrai, d’abord !

Sa spontanéité d’enfant était touchante et Shézac, bien que rancunier pour le coup dans l’estomac, eut un sourire attendri. Il ébouriffa la tignasse brune de Léto et se pencha vers lui, pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille.

- Pour de vrai ? s’écria le petit phénix, les yeux aussi ronds que des billes. Mais je croyais qu’il était mort ?

Le démon fit les gros yeux et prit un air sévère.

-Tu n’as pas écouté la fin de mon histoire, ou quoi ?

Et il se pencha de nouveau, pour murmurer autre chose au garçon, qui lui sauta aussitôt au cou.

-T’es le meilleur, Shézac !

- Je sais, mon petit, je sais, sourit le susnommé en tapotant le crâne du jeune garçon. Maintenant, retourne voir tes petits camarades, ta maman va finir par s’inquiéter si elle ne te voit plus.

Léto hocha la tête et détala promptement rejoindre les autres enfants, qui profitaient des discutions de leurs parents pour dépenser leur énergie. Shézac le suivit du regard, et une fois qu’il eut disparu de son champ de vision, s’attarda un peu sur la foule amassée là.

Il connaissait maintenant quelques personnes de vue, quelques visages qui lui étaient devenus familiers, mais rien n’y faisait. Cette tour et la plupart de ses habitants restaient pour lui de parfaits inconnus, qu’il préférait regarder évoluer de loin, sans aucune envie de s’immiscer dans leur monde. Il ne savait même pas dire pourquoi, ni mettre de mot exact sur cette sensation, mais cet univers là ne l’intéressait pas.

Il avait envie de rentrer à la maison…

Retourner sur leur monde, en emmenant Scysios de force avec lui, le plus tôt possible. Se blottir sous la couette de sa maison à Kalisto, sentir l’odeur du bois blond du parquet, la fragrance iodée du vent de sa ville natale. Retrouver les tasses de chocolat chaud abandonnées dans l’évier depuis des jours, les tonnes de livres que laissait trainer son désordonné compagnon, les visites improvisées qu’on leur faisait toutes les semaines.

Ne pas avoir à subir le regard clair de Fallnir, qui se posa sur lui à l’instant même où il pénétra dans la salle, et sembla le découper en rondelles si fines qu’il en frissonna de tout son corps. Shézac détourna promptement le regard et se recroquevilla dans le canapé, mal à l’aise. Visiblement, le dragon ne lui avait toujours pas pardonné pour l’histoire que le démon avait raconté l’autre jour, et surtout, pour tout ce qu’il avait compris à partir de cette histoire.

Shézac ne dû son salut qu’à l’intervention de Libellule, qui appela au silence, avant que le prince n’arrive.

--

- Alors ? S’enquit Anya d’une voix blanche.

Scysios retira sa main du front de la jeune femme et rouvrit les yeux, la mine sérieuse.

- Tu as voulu modifier quelque chose dans ton esprit, récemment ?

La phénix hocha la tête, anxieuse.

Les immortels bloquaient tous la croissance de leur corps à un moment ou un autre de leur vie, et jonglaient à partir de là entre plusieurs âges différents, selon leur convenance. Seulement, pour effectuer ce genre de modification, il leur fallait se retirer dans leur propre esprit et y trouver la partie qui régissait leur corps. Une chose que très peu étaient capables de faire sans tâtonner plusieurs heures, ni provoquer de catastrophes sur leur propre physionomie.

- Oui, pour… pour le travail… J’ai voulu essayer de me laisser vieillir un peu, mes collègues ont déjà pris quelques rides… Mais…

- Il se peut que tu aies accidentellement débloqué toute ton horloge corporelle, et que ton cycle menstruel se soit remis en route, la coupa Scysios d’une voix un peu mal à l’aise. C’est souvent comme ça que ça arrive.

Anya le regarda avec de grands yeux ronds, subitement déstabilisée.

- Ca veut dire que…

- Oui, tu es très certainement enceinte, Anya, acquiesça le médecin avec un sourire rassurant. De quelques semaines. C’est très faible, mais on peut sentir le flux magique en train de se former… Regarde.

Il prit délicatement sa main et la posa sur le ventre de la jeune femme. Sous l’action de la magie du médecin, celle-ci ressentit très nettement un léger crépitement sous ses doigts, un léger vrombissement, comme le frémissement de deux tissus que l’on ferait glisser l’un contre l’autre.

- La magie se regroupe autour du noyau pour le consolider, expliqua doucement le démon, sachant bien qu’il s’agissait de la première fois pour la jeune secrétaire. Ensuite, le corps se formera, et en dernier lieu, l’esprit. Dès que la deuxième étape commencera, il te sera impossible de jongler entre tes deux formes, pour ne pas perturber la physionomie du bébé. Donc, il faudra que tu choisisses si tu préfères accoucher sous ta forme humaine, ou pondre un œuf sous ta véritable apparence…

Il se tut un instant, puis reprit, gêné.

- A moins que tu veuilles avorter…

- Ca ira, l’interrompit la jeune femme d’une voix mal assurée. Je vais déjà en parler à mon mari, et après… Je pense que nous verrons…

- Vous êtes enceinte ? S’exclama Lékilam d’une voix guillerette.

Il venait à l’instant de surgir de la cage d’escalier, accompagné par Pavel, qui suivait quelques pas derrière. Il avait très probablement entendu la fin de leur conversation, au grand dam de la jeune femme, qui avait déjà du mal à accueillir la nouvelle.

- Il semblerait, en effet, répondit Scysios en prenant l’initiative de parler à la place de la secrétaire.

Cette dernière lui en fut intérieurement reconnaissante, encore trop sonnée pour réussir à parler. Le prince s’approcha d’elle, un sourire aux lèvres, et s’inclina légèrement.

- Félicitation, Anya, c’est une très bonne nouvelle. Néanmoins, je vous demanderais de regagner tous deux la salle commune, j’ai une importante annonce à faire…

Et comme les deux jeunes gens acquiesçaient et ouvraient déjà la porte de la pièce, il ajouta :

- J’aimerais aussi que vous m’excusiez, car je vais sans doute gâcher votre joie et celle de votre époux…

--

- Eryad ? Appela doucement Gallwen en passant une main dans les mèches blondes de son compagnon.

Le jeune dragon était étendu sur un lit, une couverture remontée sur son corps épuisé, un bandage recouvrant son épaule blessée. Les dernières heures avaient étaient éprouvantes pour lui, en particulier lorsqu’il avait dû combattre une forte fièvre qui s’était déclarée peu après leur arrivée chez l’apothicaire.

Gallwen était reconnaissant au vieil elfe de les avoir accueillis sans se poser de question. Peu de personnes auraient fait de même, d’autant plus qu’il y avait sous ce toit trois enfants encore jeunes.

Les paupières d’Eryad papillonnèrent un peu, tandis que le jeune homme poussait un gémissement de fatigue, se réveillant visiblement avec difficulté. Il bâilla et voulu s’étirer, mais son visage fit une grimace très expressive lorsqu’il tenta de bouger son bras, si bien qu’il se ravisa.

- Gallwen… Ai-je dormi longtemps ? S’enquit-il d’une voix faible.

Son compagnon secoua la tête, lentement.

- Plus d’une demi-journée… Tu as perdu connaissance peu après notre arrivée.

Il désigna d’un geste de la tête le bandage d’Eryad, et continua.

- Nous sommes toujours chez l’apothicaire. Il t’a soigné, et il a accepté de nous héberger ici au moins jusqu’à ce que tu ailles mieux.

Eryad ferma les yeux et garda le silence, sous le regard bienveillant de son compagnon. Aussi longtemps que Gallwen veillerait sur lui, il ne pourrait rien lui arriver. Le brun était pour lui un protecteur, un soleil. Il croyait tout ce qu’il lui disait, sans jamais remettre sa parole en doute, quelles que soient les circonstances. Si le dragon lui disait que tout allait bien, alors tout allait effectivement bien.

- Et la mission … ? demanda-t-il encore en rouvrant les paupières.

- Nous avons encore quelques jours pour atteindre le repaire des vampires. Cet homme… commença Gallwen en retenant une grimace de dégoût à l’évocation du démon qui les avait accompagnés un temps, cet homme a dit qu’il lui restait encore des choses à régler sur ce monde, avant de commencer notre mission. Tu peux prendre ton temps, nous ne partirons pas tant que tu n’auras pas récupéré.

Le brun caressa doucement la joue de son compagnon et ce dernier appuya son visage contre la paume de sa main, quémandant plus de contact. Mais dans son état, ils ne pouvaient guère se permettre d’échanger plus que ces simples touchers, pour leur plus grand désespoir.

Pourtant, Gallwen n’irait certainement pas s’en plaindre. Il avait déjà eu tellement peur pour le blond, était déjà tellement soulagé que ses jours ne soient plus en dangers et que sa condition se soit amélioré, qu’il estimait que le prix à payer pouvait bien être quelques jours sans pouvoir le serrer dans ses bras.

Ils auraient tout le loisir de rattraper le temps perdu plus tard…

Assis sur le bord du lit, le brun caressa doucement la courte chevelure de son compagnon, qui après plusieurs jours de voyage, ressemblait à un champ de blé saccagé par une tempête. Aucun des deux dragons n’avait encore pu procéder à des ablutions, l’un à cause de sa blessure, l’autre à cause de son inquiétude.

La nuit précédente, Gallwen n’avait pas fermé l’œil, ni quitté un instant son compagnon du regard. Il avait refusé de le laisser, même lorsque l’apothicaire était venu le soigner, même lorsque Ethan, l’homme qui vivait chez le vieil elfe, était venu lui proposer un bain chaud et un bon repas. Il aurait préféré s’arracher le cœur que de le quitter des yeux un seul instant.

- Gallwen… Et si… Et s’il refusait de venir… ?

Le brun lança à son cadet un regard interloqué, surpris par la soudaineté de la question.

- Pourquoi est-ce qu’il refuserait ? Il n’aurait aucune raison, voyons…

Gallwen passa doucement sa main sur le front du blond, pour le rassurer. Mais cela ne suffisait visiblement pas, à en voir le doute qu’il pouvait lire dans ses yeux.

- Je ne sais pas… Je ne comprends pas pourquoi est-ce qu’il a quitté notre monde. Même avec tout ce qu’il s’est passé… murmura-t-il doucement. Et pourquoi est-il allé vivre chez des phénix ?

Le brun dû avouer que son compagnon avait raison. Et à vrai dire, il se posait lui-même les mêmes questions.

- Qu’est ce qu’il se passera s’il ne veut pas venir… ? Continua Eryad à voix basse.

Son ainé secoua la tête, souriant d’une manière qu’il voulait rassurante. Aucun des deux ne comprenait vraiment le fin mot de l’histoire, et ils partageaient les mêmes interrogations. Seulement, si le blond avait le droit de ne pas avoir une confiance aveugle en la réussite de leur mission, c’était quelque chose que Gallwen, lui, ne pouvait pas se permettre.

- Alors nous le ramènerons de force, et il comprendra que cette décision était la meilleure. Tu sais… rajouta-t-il après une courte pause, il a passé tellement de temps seul, isolé… Nous devrions plus nous inquiéter de l’état dans lequel nous allons le retrouver.

Eryad sourit tout doucement, en hochant la tête. Confiance aveugle. Même si ce que les mots de Gallwen signifiaient ne lui plaisait pas.

Parce que le ramener de force, cela voulait dire se battre contre lui, quelque chose qu’autrefois, il n’aurait voulu faire pour rien au monde. Et à présent… A présent, il ne savait pas trop ce qu’il devait en penser.

Une défaite dans de telles conditions serait humiliante, briserait sans doute à jamais ses ambitions. Et une victoire lui laisserait un goût amer, celui du héros d’enfance que l’on découvrait plus bas que terre, du mythe longtemps adulé qui se brisait de la pire des façons.

- De toute manière, nous avons un avantage, par rapport à lui… chuchota doucement Gallwen en se penchant vers lui, sa main lui caressant la joue.

Eryad ferma doucement les yeux et accueillit avec joie les lèvres de son amant contre les siennes. Ce ne fut qu’un simple baiser, bref et délicat, qui leur suffit néanmoins à partager beaucoup plus que ce que leur permettaient de simples mots.

De la complicité, de la tendresse, une chaleur rassurante. De l’amour.

-Berk, vous vous échangez des microbes, renifla une voix derrière eux.

Gallwen rompit le baiser et se redressa, pour darder un regard accusateur vers le gêneur. Sur le seuil de la pièce, Morgan ne se laissa pas déstabiliser par les yeux noirs du dragon, et haussa les épaules.

-Mon père m’a dit de vous apporter à manger, expliqua-t-il simplement, un plateau repas entre les mains.

Le garçon alla porter les victuailles sur le lit, mais ne quitta pas la pièce pour autant une fois sa tâche accomplie. Il se mit dans un coin, immobile comme une statue, scrutant attentivement les deux dragons de l’autre côté de la chambre. Gallwen décida de l’ignorer, préférant se concentrer sur son amant plutôt que sur un enfant curieux. Il aida Eryad à se redresser, callant un oreiller sous son dos, afin que ce dernier puisse s’alimenter. Le blond grimaça à plusieurs reprises, mais ne desserra pas les dents pour autant. Ils ne connaissaient guère la nourriture qu’on leur servait, une soupe verte dans laquelle flottaient des légumes inconnus, ainsi que ce que l’ainé des deux dragons identifia comme deux parts de gâteau au fruit. Néanmoins, ils étaient tous deux trop affamés pour pouvoir se méfier, n’ayant rien mangé depuis des jours, aussi se contentèrent-ils de renifler sommairement les plats, à la recherche de la moindre odeur suspecte. De toute manière, si leurs hôtes leur avaient voulus du mal, ils s’y seraient certainement pris d’une autre façon, et n’auraient pas attendu de soigner Eryad pour l’empoisonner ensuite.

Gallwen remplit un bol de soupe et y remua la cuillère, vérifiant que ce ne soit pas trop chaud avant d’en donner à son cadet. Ce dernier saisit le récipient à deux mains et avala goulument, l’estomac vide depuis des jours.

-Vous êtes ensemble depuis longtemps ? S’enquit soudainement Morgan d’une voix enfantine.

Le blond faillit en lâcher sa soupe, et cette dernière ne dû son salut qu’aux réflexes développés de l’ainé des deux dragons. Ce dernier foudroya le gamin de son regard sombre.

-Qu’est-ce que ça peut te faire ?

Le gamin haussa les épaules, nullement impressionné. Il se contenta de jouer avec les perles dans ses cheveux, toujours adossé contre le mur.

- Mon père arrive pas à trouver d’amoureux, et je change de second papa tous les mois. J’aurais voulu savoir comment vous faisiez pour rester ensemble.

Eryad regarda aussitôt son amant d’un air réprobateur, lui reprochant silencieusement d’avoir été rude avec le jeune garçon. Le brun fit semblant de l’ignorer, mais n’en ressentit pas moins de peine pour Morgan. Légèrement gêné, il se frotta l’arrière du crâne, cessant toute manifestation d’hostilité envers leur hôte miniature.

- … Ce n’est pas vraiment une question à laquelle on peut répondre, tu sais.

Le garçonnet se rapprocha timidement d’eux, les sourcils incurvés.

- Pourquoi ?

Gallwen allait lui rétorquer qu’il était trop curieux, mais Eryad anticipa la réaction de son ainé et l’en dissuada d’un regard désapprobateur. Le blond tapota même l’espace libre sur le lit, pour inviter le frêle garçon à venir s’y asseoir, ce que ce dernier fit sans hésiter.

- J’aimerais te répondre, commença-t-il alors d’une voix douce, mais les dragons comme nous ne savent pas ce que c’est que de tomber plusieurs fois amoureux…

Morgan posa ses grands yeux noirs sur les deux adultes, les dévisageant sans aucune honte, dans la lumière grise du jour. Gallwen, le brun aux traits sévères, et Eryad, le blond doux et souriant. Dans un sens, ils étaient un peu comme lui et son père, à la fois terriblement proches et diamétralement opposés.

- Vous vous aimez pour toujours, alors ? Comment vous faites ?

Les deux dragons échangèrent un regard, un peu pris de court. Ils ne savaient vraiment trop comment expliquer cela au petit bout d’homme.

- C’est une particularité de notre peuple, répondit l’ainé avec un haussement d’épaule. On n’y peut rien.

Les démons avaient été victimes d’un sort qui enchainait à jamais leur cœur à l’un de leur congénère, dès l’instant où ils en tombaient amoureux. Une punition pour leur antique bestialité, qui les avait tellement marqués que tout le fonctionnement de leur peuple s’en était trouvé changé. C’était une histoire si ancienne qu’aujourd’hui, beaucoup pensaient qu’il ne s’agissait que d’une légende…

La plupart des gens ignoraient que cette malédiction avait été inspirée par le peuple dragons, et croyaient tout simplement que ces derniers avaient subis la même malédiction.

Ils avaient toujours vécu reculés du monde, regroupés en meutes en haut de montages inaccessibles. Vivant perpétuellement sous leur véritable forme, on avait longtemps cru qu’ils n’étaient que des animaux sauvages, et jamais personne n’aurait pensé qu’ils appartenaient à la race des immortels, l’engeance issue du mélange des humains et de la magie à l’état pure. Il avait fallu attendre qu’un mercenaire parvienne à en capturer un vivant, pour que l’on apprenne que comme les huit autres peuples d’immortels, ils étaient capables de prendre forme humaine, et de communiquer dans un langage certes simple, mais compréhensible.

La véritable raison de leur exclusion volontaire n’avait alors pas tardé à se faire connaître, après de rapides examens effectués par des savants de tous bords.

- Lorsque nous venons au monde, nous sommes en quelque sorte… aveugles… tenta d’expliquer Eryad, faisant appel à ses lointains souvenirs. En réalité, nos yeux sont capables de voir, mais… différemment…

- Nous ne sommes pas sensibles à la lumière du soleil, clarifia Gallwen, pour qui cette époque avait été plus marquante, car beaucoup plus longue que pour son cadet. Le jour, la nuit, les nuances de couleur, ça nous est égal... Jusqu’à ce que l’on tombe amoureux.

Personne ne savait vraiment pourquoi, ni comment cela était possible. Les choses étaient ainsi, tout simplement. La magie faisait parfois des choses qu’il était impossible d’expliquer.

- Lorsqu’on tombe amoureux, reprit doucement le blond d’un air un peu rêveur, il se passe quelque chose de bizarre… comme un déclic… On s’endort un soir en pensant à la personne que l’on aime, et le lendemain matin, pour la première fois de notre existence, c’est la lumière du jour qui nous réveille…

Morgan écoutait attentivement, émerveillé par ce prodige qui lui rappelait les contes de fées et de chevaliers qu’on lui racontait quand il était petit. Ce n’était pas qu’il était friand de cette sorte de chose, ah ça non, il n’était pas une fillette, mais son père, lui, adorait vraiment tout ce qui touchait de près ou de loin à ce genre d’histoires. Alors il aimait aussi.

- C’est comme si l’amour nous avait ouvert les yeux. Et les premiers jours, c’est assez impressionnant… raconta calmement le brun. La moindre lumière peu nous éblouir, on découvre les choses comme on ne les avait jamais vues avant. Un peu comme une seconde naissance.

Eryad hocha doucement la tête, en jetant sur son compagnon un regard qui exprimait toute la force de ses sentiments.

- La personne que l’on aime devient une sorte de soleil, pour nous. Loin d’elle, les choses nous paraissent plus ternes, plus grises. A ses côtés, même le plus sombre des jours de pluie nous donne l’impression d’être en plein été…

Gallwen attrapa délicatement la main de son amant, pour la ceindre avec tendresse.

- Et quand ce soleil s’éteint… souffla-t-il, les yeux plongés dans ceux de son cadet.

- La nuit s’abat si brutalement sur nous que l’on ne peut pas y survivre… termina ce dernier, si bas que Morgan dut tendre l’oreille pour l’entendre.

Ainsi, les dragons ne vivaient qu’entre eux afin de ne pas prendre le risque de mourir précocement en se liant à quelqu’un d’un autre peuple, ou pire, à un mortel.

Ils évitaient le plus qu’il leur était possible les contacts avec les étrangers, et ne se déplaçaient jamais seuls, quel que soit leur clan. Chez les Garnësir, les jeunes dragons formaient des équipes de cinq, puis de deux lorsqu’ils devenaient plus âgés et plus fort, ou qu’ils trouvaient l’élu de leur cœur. L’efficacité des binômes ainsi formés se voyait alors accrue, chacun étant galvanisé, littéralement transporté par la perpétuelle présence de l’autre à ses côtés.

C’était ce qui était arrivé à Gallwen et Eryad. Le blond, pourtant encore très jeune, avait été transféré aux côtés de son amant dès l’annonce officielle de leur couple au chef du clan. Depuis, il progressait à une vitesse faramineuse, au point que le Garnësir avait accepté de leur confier à tous les deux une mission de la plus haute importance, au lieu d’envoyer uniquement le brun avec d’un coéquipier temporaire.

Néanmoins, il arrivait encore fréquemment qu’un dragon tombe amoureux de la mauvaise personne, et ne soit contraint de quitter sa vie et son clan pour suivre son amant.

Les deux compagnons avaient échappé à cela pour leur plus grande joie, car c’était peut-être l’une des pires craintes des membres de leur espèce. Toutefois, ils avaient conscience que cela n’en restait pas moins une situation à double tranchant. D’un côté, l’assurance de vivre dans le bonheur aussi longtemps que l’autre vivrait, aimant et étant aimé en retour. De l’autre, la crainte que le couperet ne s’abatte au mauvais moment, mettant ainsi fin non pas à une, mais à deux vies en même temps. La perspective que sa propre mort causerait celle de son amant était peut-être pire encore que la simple idée de périr un jour.

Seuls les démons comprenaient aussi bien qu’eux toute la douleur que l’on retirait de cette situation, bien que de part le fait qu’on leur ait lancé une malédiction et que ce ne soit pas leur état naturel, leur condition était légèrement différente, mais aussi plus complexe que celle des dragons.

Morgan se mit à jouer avec l’une de ses perles, perplexe.

- Alors vous ne pouvez pas m’aider, pour mon papa…

Les deux dragons répondirent par la négative, un peu à contre cœur.

-Navré… susurra Eryad, juste avant que son estomac ne se mette à grogner.

Il s’empourpra, provoquant le sourire attendri de son amant, et ramenant le petit garçon à la réalité. Ce dernier sauta au pied du lit et se dirigea vers la porte, en leur faisant un signe de main.

-Merci de m’avoir raconté. Pardon de vous avoir dérangé !

Et il déguerpit, sous le regard amusé des deux amants, qui se jetèrent sur le reste de la nourriture dès que la porte ce fut refermée.

A suivre…

ooo

Je me demande souvent si vous suivez toujours cette histoire ou si j’ai fini par achever tous mes manylecteurs… TT

Le mystère Scysios est enfin levé dans ce chapitre : sa blessure, et le médicament qu’il doit prendre, soit la raison pour laquelle il s’est rendu chez les vampires au chapitre 10, et pourquoi il paraissait aussi stone lors du retour d’Ehissian à la Volière, au chapitre 11… Et encore beaucoup d’autres détails disséminés par là, tellement que je dois être la seule à savoir où ils sont. :p J’ai un peu honte de faire une histoire aussi embrouillée…

Il y a également beaucoup de révélations concernant les dragons, d’où le titre du chapitre. J’ai d’ailleurs l’impression que certaines explications sonnent un peu faux…

Mais assez de jérémiades, je vous remercie infiniment d’avoir lu jusqu’ici. Comme d’habitude, si vous avez des questions ou quelque chose à me signaler, n’hésitez pas à me laisser une review ou m’envoyer un mail, voire à venir voir si je ne suis pas sur le chat ! :p

J’aimerais vraiment connaître votre ressentit par rapport à ce chapitre, d’autant plus que je suis en train de rédiger la dernière ligne droite de cette fiction ; vos attentes et vos sensations sont donc vraiment importantes pour moi et cruciales pour le dénouement. :)

A très bientôt !

 
 
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