Disclaimer : Tous les personnages/ lieux/ périodes sont issus de ma propre imagination. Merci de ne pas me les emprunter sans m'en avoir parlé au préalable :3 Notez qu'Ethan appartient à Lia, et que je lui emprunte
Notes :
- Je remercie toutes les personnes qui ont pris le temps de me laisser une review, c'était vraiment très gentil de leur part :3 Mais je n'oublie pas non plus de remercier tous mes lecteurs anonymes pour leur fidélité, parce que si vous lisez ces lignes, c'est que vous avez aussi lu (et aimé ?) tout le reste. :D
- Je m'excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d'orthographe qui m'ont échappé, j'avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur …
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Chapitre 24 : Panique à bord
Une vielle légende de leur monde racontait que les huit peuples d'immortels avaient été créés à partir de l'influence de la magie sur les humains. Les démons naquirent du sang versé sur les champs de bataille, les nymphes des empreintes de pas dans la terre des forêts, les phénix jaillirent du dos des enfants et les anges, de leurs cœurs palpitants.
Ainsi, tous les peuples peuplèrent bientôt le sol des deux planètes de leur monde, sous leur forme originelle chargée de magie, et sous leur forme humaine, héritage de leurs aïeux mortels.
Pour les dragons, l'histoire était différente ; au début, il n'y en avait eu qu'un, issu des entrailles d'un mourant.
Ce dragon était immense, majestueux, plus fort qu'aucune autre créature ne l'avait jamais été. On le disait aveugle, ni mâle, ni femelle, et sa forme et son apparence changeaient en fonction de son milieu naturel. Sur les plaines désertiques, il se fondait dans la force du vent ; au plus profond des océans, il buvait l'essence même des eaux de leur monde. Quand il dormait au cœur des volcans, les flammes formaient son nid et la roche, sa nourriture. Bientôt, la magie des éléments qui recouvrait leur monde fusionna avec lui, faisant de lui le plus puissant des magiciens, capable de maitriser les forces de la nature de sa simple volonté. Les hommes le traquaient sans jamais parvenir à l'attraper, les enfants guettaient son passage dans les cieux, beaucoup ne le prenaient que pour une légende, tous pensaient qu'à sa mort, la race dont il était l'unique représentant disparaitrait avec lui.
Un jour cependant, pour une raison mystérieuse, ce dragon pondit un œuf.
De celui-ci naquit sa toute première progéniture et avec elle, l'intégralité de leur peuple. Au début, ils vécurent tous en harmonie, partageant les mêmes traits que leur ancêtre, qui veillait sur eux avec la jalousie d'une mère.
Mais quand les dragons furent si nombreux qu'ils commencèrent à se déchirer, le dragon originel, prit d'une peine immense, ne put supporter bien longtemps ce spectacle. Dès que le premier sang fut versé, et que la colère laissa place à la haine, il disparut tout simplement, et plus personne ne le revit jamais.
Comprenant leur erreur, ses enfants ne purent toutefois se résoudre à enterrer leurs querelles, profondément ancrées dans leur esprit combatif. Alors ils se séparèrent et formèrent les premiers clans, chacun se réunissant sous la bannière de la valeur qu'ils considéraient comme supérieure aux autres.
Bientôt, tous les clans acquirent leurs particularités, se distinguant de leurs frères d'une manière ou d'une autre.
Mais tous fonctionnaient sur le même système, en l'honneur, sans doute, du dragon originel. Le chef du clan était la tête, les guerriers les crocs et les griffes, les guetteurs les oreilles, les agriculteurs les pattes. Un clan formait un tout, plusieurs individus donnaient un être unique, aux consciences multiples mais partageant le même corps.
C'était une légende que l'on racontait beaucoup aux petits dragons, et qu'Eryad avait toujours trouvé un peu bizarre. Toutefois, il devait reconnaître qu'elle avait l'avantage de justifier beaucoup de choses que leur peuple ne s'expliquait toujours pas. Pourquoi, par exemple, est-ce qu'ils naissaient aveugle, ou pourquoi est-ce qu'ils se ressemblaient tous, si bien que l'on ne parvenait jamais à différencier les frères et les cousins des parfaits inconnus. Ou encore, pourquoi sous leur forme humaine leurs cheveux changeaient de couleur selon la magie qu'ils utilisaient, quand ce n'était pas tout leur corps qui changeait sous leur véritable apparence…
Cependant, il y avait bien une chose que cette histoire n'était pas en mesure d'expliquer. On ne savait toujours pas pourquoi est-ce que les dragons retrouvaient la vue lorsqu'ils tombaient amoureux, et se retrouvaient éternellement liés à la personne qu'ils aimaient.
Eryad ne savait pas trop ce qui lui avait fait repenser à cette vieille légende, à cet instant précis. Perchés sur un toit, dans une ville inconnue, Gallwen s'attelait à refaire son bandage, et lui se laissait manipuler en retenant ses grimaces. Il n'avait pas fait suffisamment attention, et sa plaie s'était rouverte pendant son combat contre le phénix qui accompagnait Fallnir.
Le phénix dont Fallnir était visiblement tombé amoureux.
A cette pensée, sa gorge se serra et son visage s'assombrit. A côté de lui, Gallwen dû deviner à quoi est-ce qu'il venait de penser, car il lui ébouriffa affectueusement les cheveux.
- Ne t'en fais pas, on n'a pas de preuve, peut-être que l'on se trompe…
Eryad tâcha de lui sourire, mais le cœur n'y était pas. Une expression désemparée s'afficha presque aussitôt après sur son visage.
- Alors, pourquoi est-ce que vous vous êtes tous les deux précipités, quand vous m'avez entendu crier ?
L'ainé des deux dragons ne sut pas quoi répondre.
A vrai dire, son cadet avait parfaitement raison de s'inquiéter. Il y avait peu d'explications au fait que Fallnir se soit trouvé en présence d'un phénix. De même, quand ils avaient entendu crier alors qu'ils s'affrontaient sur le toit de l'immeuble, Gallwen avait bien vu la tête qu'avait fait l'auburn et l'empressement avec lequel il s'était hâté, pour aller voir lequel du phénix ou du dragon avait été blessé.
Et pour que Fallnir refuse de venir avec eux…
La nuit était en train de tomber, tout doucement. Un voile de velours bleu descendait sur le ciel, dans lequel brillaient déjà quelques étoiles et un petit croissant de lune. Ils voyaient déjà moins bien sous cette lumière vespérale, et leurs autres sens de dragons tâchaient de prendre le pas sur leurs yeux défaillants.
Ils étaient juchés sur le toit d'un bâtiment, suffisamment haut pour être à l'abri des regards indiscrets et ne pas s'attirer plus d'ennuis. Pour cette hauteur, le vent était étrangement caressant, comme une paix provisoire avant une tempête.
Gallwen était accablé.
Il faisait de son mieux pour montrer à son compagnon une humeur placide, mais son propre désarroi le tenaillait férocement.
Il avait cru avoir un avantage sur Fallnir, quelque chose qui lui permettait enfin d'égaler son ancienne idole, d'aller même jusqu'à le dépasser. Eryad était un présent inestimable, son soleil, ses yeux, qu'il chérissait d'autant plus qu'il était son unique faiblesse. Il pensait vraiment qu'à eux deux, ils arriveraient à ramener Fallnir, dans l'hypothèse où celui-ci se serait accoutumé à sa vie d'exil et aurait refusé de les suivre.
Leur rencontre devant la maison de l'apothicaire avait tout bouleversé.
Il n'y avait pas si longtemps de cela, par une journée tranquille, Taenekos était venu demander audience au Garnësir. Les dragons, méfiants, et surtout ignorants de sa véritable identité, l'avaient laissé passer ; leur surprise avait été grande quand ils avaient entendu le chef de leur clan accorder sa confiance à ce démon inconnu. Pire encore, certains disaient que c'était ce même homme qui avait convaincu le Garnësir de déclarer la guerre aux phénix, mais ce n'était qu'une rumeur comme il en courrait des centaines, dans leur forteresse –on disait également que cet homme était en réalité l'Onikam des légendes.
Quelques temps plus tard, Taenekos offrit un cadeau à leur chef, sous la forme d'une liste contenant la localisation de tous les anciens membres du clan, les bannis, les déserteurs, les traitres ou les révoltés. Le Garnësir commença à envoyer des troupes à leur recherche, offrant le pardon à tous les exilés qui choisiraient de revenir s'allier à eux, pour mener la guerre à bien. Pour aller quérir Fallnir, mystérieusement disparu sur un monde appartenant à leurs ennemis héréditaires, il avait choisi d'envoyer Gallwen et Eryad, convaincu qu'ils arriveraient à adoucir le tempérament volcanique du jeune homme.
Ce que les deux dragons ignoraient, c'était que le Garnësir avait longtemps hésité avant de rappeler Fallnir, à cause de la menace qu'il représentait pour la succession à la tête du clan. Mais il aurait paru étrange qu'il ne le fasse pas, et il avait pensé que le stigmate de son bannissement ôterait à jamais à Fallnir le droit de briguer la place de Garnësir ; de plus, le pacte de sang susceptible de le trahir étant tombé aux mains des phénix, toutes les preuves de son crime étaient à jamais disparues.
Etrangement, Taenekos avait demandé à profiter de l'occasion pour requérir aux services des dragons. En plus de ramener Fallnir, Gallwen et Eryad devaient donc se plier aux exigences aussi mystérieuses que peu rassurantes du démon.
Or, en ce qui concernait la première partie de leur mission, ils étaient dans une impasse. Jamais leur ancien camarade n'accepterait de rentrer au clan, maintenant qu'il était amoureux d'un phénix. Plus encore, même s'il l'avait voulu, il en aurait été incapable. Les dragons ne pouvaient pas vivre loin de ceux qu'ils aimaient.
Ils étaient donc contraints d'aller rejoindre Taenekos, comme ils l'avaient convenu quelques jours plus tôt, faute de savoir quoi faire.
A geste doux, Gallwen rajusta la cape aux bords élimés qui recouvrait les épaules de son jeune amant. Sa présence le rassurait, mais il ne pouvait toutefois s'empêcher d'être inquiet pour lui. Les démons de la Morte-lune protégeaient ce monde, Fallnir s'y était réfugié, Taenekos y avait une affaire importante à régler.
Il y avait quelque chose de très important sur cette planète, quelque chose qu'il ne connaissait pas, mais qui ne lui disait rien qui vaille.
- Allons-y, fini-t-il par soupirer. En se faufilant dans un train, on y sera dans à peine une heure.
Eryad sourit, d'une manière un peu bancale, et attrapa la main que son amant lui tendait.
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Lékilam tentait tant bien que mal de cacher son angoisse, se dandinant d'un pied sur l'autre sur la moquette sombre. Derek lui tendit une barre chocolatée que le prince engloutit sans réfléchir, pour évacuer sa peur. Il ne chercha même pas à savoir d'où le démon tirait la friandise, tellement habitué à ce genre de détails farfelus venant de sa part. Le terrible chef des démons de la Morte-lune était aussi connu pour ses effroyables réflexes paternalistes, ses subordonnés en témoignaient souvent.
- Ne vous en faite pas, lui assura-t-il en posant ses mains puissantes sur les épaules du jeune phénix. Je resterais tout le temps avec vous, quoi qu'il arrive.
Lékilam hocha la tête, la gorge nouée.
- Ca ne sera que l'affaire de quelques heures, continua Derek. Jusqu'à ce que mes hommes viennent vous récupérer et que Taenekos comprenne que son plan est tombé à l'eau…
Plan qui, soit dit en passant, lui restait toujours inconnu. La visite d'Ader la veille avait complètement chamboulé ses réflexions, qu'il n'avait pas eu le temps de reprendre depuis. Derek avait horreur de ce genre de situation, de devoir prévoir un évènement sans en connaître toutes les données, mais il n'avait pas vraiment d'autre choix.
Le prince était déjà suffisamment terrifié comme ça pour qu'il lui avoue en plus ne pas connaître exactement toutes les motivations de ses futurs kidnappeurs.
- Est-ce que vous êtes prêt ?
Lékilam n'était entré dans le bureau que depuis une petite dizaine de minutes, le temps qu'avait exigé Ader pour pouvoir préparer son enlèvement à partir de l'instant où il pénétrerait dans la tour. Ils pouvaient difficilement rester plus longtemps enfermés dans la pièce sans éveiller les soupçons.
Lékilam inspira profondément, les yeux fermés.
- Oui...
Il roula en boule l'emballage de la barre chocolatée et la fourra dans la poche de son jean. Dans le vaste bureau aux tons sombres, il n'y avait guère que la petite lampe de travail de Derek qui était allumée. Toute cette obscurité n'arrangeait pas son humeur, lui qui était habitué aux lumières chaudes et vives de la Volière.
Le démon le poussa doucement jusqu'à la porte d'entrée et lui lança un regard confiant, avant d'ouvrir la poignée.
- … Et n'oubliez pas de réfléchir à ma proposition, je suis sûr que nous parviendrons à trouver un accord…
Le prince sortit fièrement du bureau, de l'air de quelqu'un qui venait d'être outré par une proposition indécente.
-J'en doute, monsieur Heath, répliqua-t-il froidement.
Le directeur, sourire en coin, rajusta vivement le col de sa cravate et emboita le pas au jeune phénix. Les lumières du couloir étaient éteintes, à cette heure tardive. Non loin de l'ascenseur, le bureau où Anya travaillait encore deux jours plus tôt avait été vidé de toutes ses affaires. La jeune femme était rentrée sur leur monde, avec les autres réfugiés, inquiète de vivre sa grossesse sur une terre aussi éloignée. Le directeur n'avait pas encore eu le temps d'exiger une remplaçante, au service des ressources humaines.
- Permettez que je vous raccompagne, proposa Derek sur un ton doucereux avant d'actionner le bouton de l'ascenseur.
La tête haute, le prince ne répondit pas mais ne refusa pas non plus. A vrai dire, ce rôle à jouer pour donner le change auprès d'éventuels spectateurs invisibles lui convenait parfaitement, car il avait la gorge trop nouée pour entretenir une conversation fournie. Pendant une seconde, il avait cru que les mains crochues des vampires s'abattraient sur lui dès son premier pas posé dans le couloir. Il ne savait pas s'il devait redouter ou non que cela ne se soit pas passé ainsi, puisqu'au fond, cela ne faisait que repousser l'échéance.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent dans une petite note musicale, leur laissant de nouveau constater que la cabine était déserte. Ils s'engouffrèrent à l'intérieur sans dire un mot, direction le rez-de-chaussée. Lékilam eut l'impression que le trajet dura des heures et que le vide s'ouvrait sous ses pieds, tant il avait peur.
Quand ils arrivèrent à destination et qu'il aperçut, à travers les portes qui s'ouvraient et la grande baie vitrée de l'accueil, les veilleuses du hall de la Volière juste de l'autre côté de la rue, il crut un instant que les vampires avaient finalement laissé tomber et qu'il allait pouvoir regagner son lit sans encombre.
Puis, à l'instant même où le passage acheva de s'ouvrir, il discerna enfin leurs silhouettes qui se découpaient à contre jour, dans la faible lueur des lampadaires qui parvenait jusque dans la salle.
Comme une nuée de corbeaux, ils étaient au moins une vingtaine, certains assis ou agenouillés à même le sol, dans l'attente d'un mouvement.
Lékilam n'eut pas besoin de simuler la surprise lorsque, d'un même mouvement, ils sortirent de leur torpeur. Le froissement de leurs vêtements noirs évoqua le battement furieux d'un nuage d'oiseaux qui s'envolaient subitement.
Une main s'empara de lui et le poussa à l'extérieur de la cabine, sans lui laisser le temps de réagir. Il se retrouva encerclé et retenu aux bras par trois colosses, tandis que quelques autres vampires allaient vers Derek. Ce dernier les dissuada cependant de le toucher en les foudroyant de ses yeux violets, qui brillaient d'un éclat étrange dans la noirceur de la pièce.
Les vampires étaient à l'aise dans le noir, plus encore que les phénix. Si ça n'avait tenu qu'à eux, ils se seraient arrangés pour couper temporairement l'éclairage public de l'avenue, qui baignait le hall d'une lueur opaque et presque lunaire.
- J'ai cru que vous aviez laissé tombé, leur reprocha froidement Derek.
Une grande vampire aux cheveux blonds vint se placer devant lui, s'imposant comme la tête pensante du groupe présent dans le hall.
- Nous avons été un peu plus long que prévu pour prendre le contrôle de l'immeuble. Ader nous rejoindra en haut.
Le prince lança un regard terrifié à Derek, qui affichait un calme déconcertant.
L'immeuble ? Les vampires ne devaient-ils pas l'emmener dans les égouts ? Est-ce que c'était un changement de plan dont le démon était au courant ?
La question que posa se dernier un instant plus tard balaya ses interrogations et les remplaça par une crainte sourde.
- Vous allez utiliser mon immeuble pour vos histoires ? S'offusqua Derek d'un ton contrarié.
La blonde lui fit l'un de ces larges sourires plein de dents que beaucoup de vampires avaient emprunté à Ader, dégoulinant de cynisme et de fausse innocence.
- Il y a beaucoup plus de place ici… Les égouts n'ont pas été construits pour garder des otages, vous savez.
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Il fallut une bonne minute de tâtonnement à Ader pour parvenir à allumer les néons de la pièce. Le bureau du directeur prit un tout nouveau visage, sous ce flot de lumière qu'il n'avait plus vu depuis quelques temps. Malgré son absence de décoration et les tons sombres du mobilier, il paraissait presque… chaleureux. Le cadre idéal pour une partie de jambe en l'air tardive entre une secrétaire et son patron, digne de tout bon film porno qui se respectait.
Le vampire s'avouait sans aucune difficulté qu'il aurait donné beaucoup de choses pour être à la place de la secrétaire. Le simple fait de s'approcher du fauteuil de son fantasme, d'apercevoir les stylos de son fantasme et les objets qu'il manipulait tous les jours de ses grandes mains sexys lui donnait des frissons.
Soit ses penchants fétichistes remontaient à plein régime, soit cela faisait beaucoup trop longtemps qu'il n'avait plus trouvé quelqu'un à son goût, Maerys mis à part.
Le même Maerys qui se suspendit à ses basques dès qu'il eut fini le tour d'inspection du bureau.
- Ader, j'm'ennuie ! Brailla-t-il en s'accrochant à son bras.
Le susnommé dégagea son membre d'un mouvement d'épaule et poussa un soupir las. Tous les vampires de la ville étaient présents, ce soir là. Ils avaient déserté leurs égouts, aux quatre coins de la cité, répondant à l'appel du chef des lieux. Ader appréhendait un peu la rencontre avec les trois vampires qui menaient les autres quartiers de la ville, dont il était le supérieur supposé. S'ils lui étaient à priori fidèles, il redoutait toujours des mauvais coups de leur part. En fait, il était même quasiment certain que l'un d'entre eux en particulier lui réservait un mauvais tour. Le chef du quartier nord ne l'avait jamais vraiment apprécié.
- Met toi dans un coin et fait des coloriages, bougonna-t-il en fourrant une feuille de papier dans les pattes du plus jeune. Ca occupera un peu tes mains, elles sont pas habituées à rester trop longtemps sans rien faire.
Maerys ouvrit grand la bouche pour protester, mais ne trouva aucune répartie suffisamment cinglante pour réparer l'outrage qui lui avait été fait. Alors il se contenta de déchirer rageusement la feuille et de tirer très noblement la langue à son supérieur.
- Tu dis plus ce genre de choses quand elles s'occupent de toi, mes mains !
Ader ricana et abandonna là son cadet, ayant des choses plus urgentes à traiter. Chasser l'équipe de sécurité et les quelques employés qui faisaient des heures supplémentaires n'avait pas été trop difficile. Après tout, l'immeuble leur appartenait déjà quasiment ; beaucoup avaient déguerpi rien qu'en les voyant arriver. Ou peut-être était-ce à cause des armes à feu que trimballaient certains vampires ?
Il n'avait pas été très enchanté, quand il avait vu ses subordonnés se ramener avec leurs pétoires et leurs pistolets d'apprentis gangsters. D'habitude, ils se contentaient de réceptionner ce genre de jouets dans des caisses en bois, de les planquer dans d'autres caisses et de les expédier à l'autre bout du monde contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Leurs trafics habituels se passaient toujours d'interventions musclées, leur force et leur agilité naturelle suffisant amplement pour venir à bout des ennemis les plus récalcitrants. Mais le vénéré chef avait exigé que cette opération soit la mieux préparée possible, et en prévision d'une attaque massive des phénix pour venir récupérer leur petit prince chéri, l'artillerie lourde avait été sortie.
L'immeuble de la KGV était un véritable labyrinthe d'escaliers et de couloirs qui s'entrecroisaient. Ader avait tout gravi de ses petites jambes musclées, disposant des groupes de vampire un peu partout, aux endroits stratégiques. L'accès au toit avait été condamné quelques jours plus tôt à l'insu de tous sous le couvert de travaux de réfection, avec quelques sacs de ciments judicieusement utilisés. Les fenêtres étaient blindées, depuis qu'un directeur un peu paranoïaque avait pris place à la tête de la KGV. De fait, si jamais quelqu'un tentait quelque chose, le danger ne pourrait venir que d'en bas et serait contraint de gravir tous les étages avant d'atteindre le bureau où serait retenu le prince.
Une cachette beaucoup plus élaborée que leur simple couloir et leurs quelques salles aménagées dans les égouts.
Les vampires restant étaient en train de prendre leurs marques dans ce nouvel environnement. Par un sordide esprit de provocation, ils avaient décidé d'allumer toutes les lumières de l'étage, tandis que tout le reste de l'immeuble resterait dans la pénombre, plus favorable à leurs yeux de créatures nocturnes. Un peu pour narguer la Volière, juste en face, qu'ils distinguaient en contrebas. Est-ce que les phénix penseraient à aller chercher leur prince aussi près de leur tour chérie ? C'était la toute la subtilité du changement.
Ader alla attendre près de l'ascenseur, s'allumant une cigarette en jetant un œil discret à l'installation de ses subordonnés. Il avait laissé Helga et quelques autres réceptionner le prince, le temps qu'ils puissent prendre possession de l'étage. Il espérait que tout se passerait bien et que Derek ne choisirait pas ce moment pour les trahir ; il aimait bien la jeune femme, qui était son bras droit depuis de longues années, en plus d'être une solide camarade. Il n'aurait pas apprécié que son fantasme l'assassine avant de s'enfuir avec le prince.
Ce fut donc avec un certain soulagement qu'il accueillit l'ouverture des portes, et constata que « l'enlèvement » du prince s'était fait sans encombre.
Ader s'était imaginé tout un tas de chose sur le prince phénix, depuis qu'il avait appris son existence. Il avait mentalement visualisé un homme hautain portant une petite moustache et lançant des regards méprisants à tout le monde, ou bien un être un peu simplet, rondelet et maladroit.
Aussi, lorsqu'il vit arriver cet adolescent aux cheveux parme, à peine plus vieux que Maerys, qui se débattait dans tous les sens et montrait les dents comme un chat en colère, il ne put s'empêcher d'hausser les sourcils et de se gratter la tête.
Les vampires emportèrent la furie jusque dans le bureau du directeur, où ils le ligotèrent solidement à une chaise dans l'indifférence générale.
- Je vais voir en bas, avertit la blonde Helga avant de retourner dans l'ascenseur.
Hochant la tête pour toute réponse, Ader regarda les portes se refermer sur elle en tirant une longue bouffée de sa cigarette.
Ca avait été désespérément facile. Maintenant, il n'y avait plus qu'à attendre l'arrivée de Thane et de ses deux invités inconnus, pour connaître la suite des évènements. En espérant que les phénix ne viendraient pas les massacrer avant.
Certes, ils avaient de quoi les retenir pendant un long moment et même d'en éliminer un certain nombre, mais Ader doutait très franchement de leurs chances de survies si toute une armée leur tombait dessus en même temps, otage ou pas.
Et en parlant du pigeon…
Il regagna le bureau, où le jeune garçon visiblement calmé tentait d'ignorer superbement la curiosité dont il faisait l'objet.
Derek avait repris sa place derrière le bureau, mais se leva dès l'instant où il vit Ader rentrer. Ce dernier fut pris d'un sourire goguenard.
- Vous restez avec nous ? Quelle charmante attention !
Le directeur le fusilla du regard –il frissonna de la tête au pied, mais certainement pas de peur- avant de croiser les bras sur son torse, celui-là même qu'Ader avant tant reluqué la veille et qui se retrouvait à présent caché sous un costume.
- Je surveille. Je n'ai pas envie que l'un de vos imbéciles tue le prince par accident et ruine toute l'opération.
Le dit prince tourna aussitôt la tête vers lui et devint pâle comme un linge, en entendant ces mots. Les vampires, eux, ne relevèrent pas l'insulte et continuèrent de déballer leurs affaires pour le siège à venir.
- Et on ne fume pas dans le bâtiment, rajouta Derek avant de venir lui arracher de la bouche ce qu'il restait de sa cigarette.
Ader papillonna des yeux, au comble du ravissement. S'il n'y avait pas eu trois autres vampires dans la pièce et un jeune prince passablement traumatisé, il aurait probablement tenté l'une de ces approches subtiles dont il avait le secret. Seulement, il avait une réputation à tenir et d'autres choses à faire… Alors il se contenta d'hausser les épaules et de faire une moue vexée.
Il s'approcha ensuite du prince, qui le regarda à la manière d'une bête blessée, à la fois craintive et agressive. Le jeune homme essaya de se débattre quand Ader trifouilla ses cheveux, bien que les cordes limitaient ses mouvements. Puis, Ader souleva son menton et le regarda droit dans les yeux, comme s'il examinait un cheval de course.
- Pas de lentille ni de teinture… Hey, Maerys ! Ramène un peu tes fesses ! Tonna le vampire suffisamment fort pour que son cadet l'entende, quel que soit l'endroit où il se cachait.
Ce dernier ne tarda pas à apparaître, son chapeau en feutre vissé sur les oreilles et une moue boudeuse sur le visage, les mains plongées dans son pantalon noir. Il jeta un regard curieux à Derek, que ce dernier lui rendit, puis s'aperçut de la présence du prince et se refroidit aussitôt.
-Tu peux me dire si ce type est bien un phénix ? Questionna Ader sans se soucier des réactions de son subordonné.
Maerys haussa les épaules, pas coopératif pour un sou.
- Qu'est ce que tu veux que j'en sache ? J'en ai jamais vu de ma vie !
Il marquait un point. Ader se gratta la tête, perplexe.
- Bah, tu viens du même monde que lui. Peut-être que…
- J'avais trois semaines quand on est venu vivre ici, le coupa le jeune vampire, attitude qui ne lui ressemblait pas, lui qui se pliait toujours aux quatre volontés de son chef.
Puis il se renfrogna et tourna les talons, voulant ainsi montrer qu'il n'en dirait pas plus. Ader poussa un soupir las.
- Les gosses, je vous jure… Maerys ! Gronda-t-il d'une voix forte, sous les gloussements de quelques vampires. Tu poses ton petit cul étroit sur une chaise et tu le bouges de là pas avant que je t'en donne l'ordre, c'est clair ?
Le jeune garçon rentra la tête dans les épaules, mais ne se montra pas deux fois téméraire. Couper la parole à Ader était une chose, lui désobéir en était une autre. En pestant et trainant les pieds, il revint dans le bureau et se laissa tomber sur un fauteuil, les bras croisés et la mine renfrognée.
Ader se massa les tempes, passablement agacé. Il n'avait aucun moyen de vérifier que la personne ligotée sur cette chaise était bien de sang royal. Le seul point positif, c'était qu'avec la couleur de ses yeux et de ses cheveux, s'il n'était pas prince, il était au moins étranger, et très probablement phénix. Ader regretta un instant de ne jamais avoir bu le sang de l'un d'entre eux, ce qui lui aurait grandement facilité la tâche en lui permettant d'identifier la créature furibonde.
Derek, de son côté, décida qu'il avait suffisamment perdu de temps comme cela. Après avoir sommairement rédigé un plan au crayon gris, donnant sans doute l'illusion qu'il travaillait, il lança son appel mental aussi fort qu'il le put. Tyloé avait beau lui avoir montré mille fois comment faire, l'exercice était toujours aussi difficile pour qui ne possédait pas un talent inné.
A vrai dire, il dut s'y prendre à plusieurs fois et crier si fort qu'il eut peur que toutes les personnes dans la pièce aient aussi entendu sa voix raisonner dans leurs têtes. Mais comme personne ne sembla remarquer quoi que ce soit, il continua.
- Tyloé ! J'ai besoin de toi !
La démone en fut si surprise qu'elle lâcha le livre qu'elle tenait sur ses fragiles orteils. Elle n'avait pas l'habitude qu'on la contacte par le biais du monde des esprits, encore moins quand elle n'y était pas elle-même présente. C'était plutôt elle qui faisait ce genre de chose, d'habitude.
Reprenant un peu ses esprits, elle s'engouffra sans attendre dans son royaume pour répondre à Derek.
- Préviens tout de suite Scysios, j'ai à lui parler ! Tonna de nouveau la voix du démon dans le monde imaginaire.
Le contact fut rompu aussi brutalement qu'il avait été établi, laissant la jeune femme comme deux ronds de flans. Le grand et terrible Derek Isdegarde n'avait jamais été très à l'aise dans le monde des esprits. Lorsqu'elle aurait happé Scysios, elle serait sans doute contrainte d'aller chercher Derek jusqu'aux tréfonds de sa tête pour qu'ils puissent se parler.
Elle se mit à réfléchir à toute vitesse, plongée dans ses pensées au sens propre comme au figuré. Contacter Scysios était une chose, le trouver en était une autre. Cette andouille avait l'habitude de se cacher d'elle, une chose qu'elle lui avait elle-même appris à faire, parce qu'il avait prétexté que « parfois, il avait envie d'un peu d'intimité et de ne plus entendre une pipelette commenter tous ses faits et gestes ». « Parfois », cela signifiait « à peu près tout le temps ». Tyloé était une petite sœur très envahissante.
Elle songea qu'elle aurait sans doute plus rapidement fait de contacter quelqu'un d'autre, quelqu'un qui pourrait appeler Scysios dans le monde réel et lui dire d'abaisser cette fichue barrière qu'il arborait en permanence autour de son esprit.
La démone se surprit elle-même d'avoir eu cette illumination.
Sans plus attendre, elle partit à la recherche de son messager, qu'elle trouva en moins d'une seconde. Elle avait passé tellement de temps à l'observer de loin qu'elle savait parfaitement où et comment elle pouvait le joindre. D'autant plus que, depuis qu'elle s'était présentée à lui quelques jours plus tôt, ils avaient passé tout le reste de leurs nuits à discuter dans la roseraie imaginaire, partageant leurs très nombreux points communs. Elle savait qu'il arborait dans le monde des esprits une apparence qui n'était pas la sienne dans le monde réel, et à vrai dire, ne connaissait que très peu de choses sur sa véritable identité ; en revanche, la première fois qu'elle avait senti sa présence, c'était parmi les phénix qui vivaient à la Volière. Il n'était donc pas difficile de deviner qu'il s'y trouvait aussi lui-même.
Effectivement, en entendant la voix de Tyloé l'appeler en tout début de soirée et alors qu'il ne dormait même pas encore, Léto fit un bond prodigieux dans son lit. Avant de secouer son père de toutes ses maigres forces, en clamant qu'il voulait parler tout de suite à Scysios.
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Pavel était blême, presque aussi blanc qu'un bonhomme de neige. Assis sur une chaise de la salle commune, en face de Libellule, il fixait le vide, immobile.
-Donc, Lékilam a été enlevé, répéta-t-il laconiquement.
Comme Derek et Ader l'avaient initialement prévu, un message des vampires leur était parvenu quelques minutes seulement après que le prince ait été capturé. Seulement, une dizaine de minutes plus tard, un Léto complètement affolé avait déboulé en criant qu'une certaine Tyloé voulait absolument parler à Scysios.
A cet instant précis, Libellule avait compris que Derek avait encore monté une sale combine qui était en train de mal tourner. Mais elle n'avait rien dit et laissé le médecin jouer aux innocents, tout en s'occupant de l'état mental de Pavel, qui était au plus bas.
Le garde du corps ne se pardonnait pas d'avoir laissé partir Lékilam tout seul. Qu'est ce qui était bien passé par sa petite tête vide pour qu'il ait envie d'aller faire un tour dehors ? Cela faisait des siècles qu'ils vivaient là et le prince n'avait encore jamais manifesté ce genre d'envies, encore moins fait de fugue pour aller explorer les environs.
Alors pourquoi précisément ce soir là ?
Il ne comprenait pas.
Shézac remplit soigneusement quatre tasses de café, qu'il distribua ensuite sur la petite table ronde. Il jetait des regards patients sur la porte de la salle à manger, dans laquelle Scysios s'était isolé pour parler avec Tyloé et Derek. Même si c'était une conversation qui ne faisait aucun bruit et n'avait pas de risque d'être espionnée.
- Pourquoi est-ce que c'est aussi long ? Grogna soudain Pavel en lui jetant un regard noir, reportant sa culpabilité sur autre chose. On devrait déjà être parti pour aller chercher Lékilam !
- Tu as déjà essayé de parler à quelqu'un à travers son esprit ? demanda le démon en guise de réponse.
Comme le garde du corps ne répliquait pas, il prit son silence pour un non.
- Tu as ta réponse. Le monde des esprits ne se laisse pas manipuler comme ça. Même Tyloé en apprend encore tous les jours. Ca fait des siècles qu'elle m'entraine et j'arrive à peine à entrer dans la tête des gens que je connais depuis toujours, alors parler avec eux à distance…
Pavel grogna. A vrai dire, ce domaine là lui était complètement inconnu et il n'y entendait strictement rien. Manipuler son horloge biologique était bien la seule chose qu'il savait faire avec son esprit ; le reste, ce que Léto explorait et découvrait depuis des semaines, il n'en soupçonnait même pas l'existence.
- En plus, Tyloé est une vraie pipelette. Elle n'est pas capable de mettre deux personnes en contact sans leur raconter sa vie. Même en cas d'urgence, rajouta-t-il avec une grimace explicite.
Comme pour le contredire, la porte de la salle à manger s'ouvrit sur un Scysios à la mine excédée. Pavel bondit de son siège comme si celui-ci avait tenté de le mordre, et se rua sur le médecin sans autre forme de sommation.
- Dit moi où est-le prince ! Siffla-t-il en le saisissant par le col pour le toiser de toute sa hauteur –et ce même si Scysios, démon de pure souche, était plus grand que lui d'une bonne poignée de centimètres.
Celui-ci ne se laissa d'ailleurs pas démonter, et dénoua un par un les doigts agressifs qui s'étaient saisis de son vêtement.
- Détend toi, Pavel, il ne risque rien. Derek est avec lui et les vampires ont trop peur de notre réaction pour oser ne serait-ce que l'effleurer.
Libellule poussa un soupir sonore, soulagée d'apprendre que ces inconscients n'avaient pas laissé le prince se faire kidnapper aussi bêtement. Même si à dire vrai, cela ne la rassurait qu'à moitié de le savoir avec Derek, car cela laissait très fortement sous entendre que ce dernier était d'une manière ou d'une autre responsable de la manigance.
- Nous allons attendre un peu, expliqua posément le démon. Pour que les vampires ne remarquent pas que nous savons déjà où ils cachent le prince. Et dès que nous serons prêts, je te conduirais jusqu'à leur repaire et nous le ramènerons.
- Combien de temps ? grogna Pavel, peu enchanté par cette perspective.
- Un peu moins d'une heure. C'est suffisamment long pour qu'ils ne se doutent de rien, et pas assez pour qu'ils commencent à s'attendre à des représailles.
Il ne fallait pas être physionomiste pour voir à quel point cela déplaisait à Pavel, de devoir attendre pour aller arracher le prince des griffes de ses ravisseurs. Cependant, il ne dit rien et contrôla sa colère, faisant preuve d'une maitrise de lui-même qu'on ne lui soupçonnait pas.
- Je n'ai pas besoin de toi pour aller là bas, lâcha-t-il d'une voix froide à l'attention de Scysios, comme une menace. Dis-moi où ils sont, au lieu de trainer dans mes pattes.
- Et comment est-ce que tu vas faire si le prince est blessé ? Ou si toi, tu te faisais estropier sur le chemin ? Répondit du tac au tac le médecin, les bras croisés sur son torse.
Pavel grogna de nouveau, lui lança un regard noir.
- Je t'attends au pied de la Volière dans trente minutes, maugréa-t-il avant de tourner les talons.
L'atmosphère parut s'alléger en un éclair à l'instant même où il quitta la pièce. Discrètement, Libellule termina de boire sa tasse de café, puis s'appropria celle que le garde du corps n'avait même pas entamé.
- Bon courage pour supporter ce boulet, lança-t-elle d'un ton compatissant avant de se cacher derrière sa boisson.
- A qui le dis-tu, soupira Scysios en se massant les tempes. Je vais aller me préparer…
Il leur sourit en guise de salut et sortit à son tour, laissant Shézac et Libellule à leurs pensées.
- Ca sent pas bon, tout ça. J'espère que tout ce passera bien.
- Bah, temporisa la nymphe, ce n'est pas une mission très difficile. Les vampires sont à peine plus forts que des humains, ils ne seront pas longs.
Dans le silence velouté de la salle commune, une petite minute s'écoula, uniquement perturbée par les bruits que faisait la jeune femme en sirotant son café et les volutes de fumée qui s'échappaient de leurs tasses.
Puis Shézac se leva, les yeux dans le vague.
- Une demi-heure, c'est long, quand même. Je vais voir si Scysios ne s'ennuie pas.
Libellule lui fit un sourire entendu, et ne manqua pas de récupérer le fond de son café lorsqu'il eu quitté la pièce ; elle en avait bien besoin, pour réfléchir à un plan de secours au cas où ça tournerait mal.
--
Scysios était déjà sous la douche, tournant le dos à la porte de la salle de bain, lorsque Shézac arriva. Le blond se déshabilla et le rejoignit sans un mot, coulant son corps contre le dos de son amant aussi suavement que l'eau chaude qui tombait sur leurs peaux.
- Tu as vraiment besoin de prendre une douche pour te préparer ? Glissa-t-il à son oreille pour couvrir le bruit des flots qui tombaient du plafond.
Scysios sourit et lui lança un regard en coin, se laissant aller dans les bras de son compagnon.
- Oui, surtout quand c'est une douche trafiquée.
Shézac fronça les sourcils et leva les yeux vers le pommeau de la douche, fixé au dessus de leurs têtes. Pour la première fois, il remarqua les petites gravures tarabiscotées qui le recouvraient et qui ressemblaient très fortement à ces runes que Scysios passait tellement de temps à apprendre par cœur.
-Oh. C'est pour ça que je me sentais toujours en forme quand je sortais de ta salle de bain, alors qu'on avait passé la nuit à faire des galipettes…
Même la nuit précédente, où le médecin avait brusquement inversé leurs positions pour prendre le contrôle de la situation. Shézac avait protesté pour la forme, préférant tout de même être celui qui dirigeait plutôt que celui qui subissait, mais avait finalement baissé les bras pour mieux profiter. Les pulsions actives de Scysios ne duraient jamais très longtemps, le médecin aimait trop se laisser aller aux bons soins de son partenaire. C'était d'ailleurs exactement ce qu'il était en train de faire, à cet instant précis, tandis que les doigts agiles de Shézac glissaient le long de ces hanches. L'eau chaude aidant, il s'abandonna complètement aux cajoleries attentionnées.
- Tu sais qu'il y a des moyens plus efficaces pour se préparer… ?
Le blond appuya ses dires en mordillant voracement le lobe de son oreille, puis en déposant une série de baisers sur son épaule et dans le creux de son cou. Scysios inclina doucement la tête, autant pour l'inciter à continuer que pour mieux lui offrir sa gorge. D'un geste, il poussa sa chevelure trempée pour dégager sa nuque.
- Ce n'est pas vraiment le moment, fit-il remarquer avec un léger sourire.
- Bien sûr que si. Tu vas partir je ne sais pas où à cause d'un plan fumeux de mon père. J'ai envie de profiter de chaque minutes, c'est peut-être les dernières…
L'allusion aurait complètement refroidi les ardeurs de Scysios, en d'autres circonstances, mais Shézac fit en sorte de ne pas lui en laisser le temps. Tout en parlant, il s'était enduis les mains de savon et après avoir coupé l'eau, s'appliquait à présent à parcourir de ses mains chaque muscle de son amant. Il y avait déjà de la vapeur dans la cabine exigüe, qui recouvrait la porte et les murs et flottait dans l'air comme de la brume.
Scysios poussa un soupir, qui se transforma en léger gémissement quand Shézac s'aventura en terrain sensible. Les mains savonneuses étaient plaquées sur sa peau, glissant autant qu'elles caressaient son épiderme frissonnant.
Il savait que c'était mal, qu'il n'avait qu'une petite demi-heure pour se préparer à aller sauver le prince. Mais il ne pouvait décidemment pas résister à l'appel sensuel de Shézac, au contact de leurs peaux déjà enflammées, aux baisers qu'il éparpillait sur sa nuque et sous sa mâchoire.
Le blond le poussa doucement, jusqu'à le forcer à s'appuyer de ses deux avant-bras contre le mur froid de la douche, sans cesser de le caresser. Scysios se mordit la lèvre quand les doigts de son amant se refermèrent autour de son entrejambe, et qu'il sentit palpiter contre son dos le désir brûlant de son compagnon.
-J'ai envie de toi… lui glissa le blond à l'oreille, son souffle caressant la peau de son visage.
Cette simple phrase envoya des ondes électriques dans tout le corps du médecin, lui arrachant un autre soupir de désir.
Shézac était un monstre. Il savait exactement où le toucher, où appuyer, quoi lui dire et sur quel ton pour le faire mourir de plaisir. Des vagues de chaleurs irradiaient depuis son bas ventre, lui faisant tourner la tête. Le blond en avait parfaitement conscience. Pire, il en jouait, se délectait de le voir lutter contre les sensations qui l'assaillaient pour ne pas succomber tout de suite. Les doigts insistants qui s'activaient autour de son membre ne l'aidaient pas à se contrôler.
-'Zac ! hoqueta-t-il alors qu'un pouce s'attardait un peu trop à titiller une extrémité rougie et particulièrement sensible.
L'interpellé se contenta de glousser dans sa nuque, et de marquer sa peau d'un suçon possessif.
- Je te fais tant d'effet que ça ?
Scysios lui avait déjà cassé la figure et laissé en plan pour moins que ça. Mais il était d'humeur clémente, pour ne pas avouer qu'il avait lui aussi férocement envie de ce qui allait indubitablement suivre.
Alors il se contenta d'échapper à l'étreinte pour se retourner, de saisir le blond par la nuque et de l'embrasser férocement. Shézac eut bien du mal à rompre le baiser et les caresses enflammées qui l'accompagnèrent. Ce ne fut qu'une fois le corps recouvert de savon par les mains avides du médecin, et les lèvres rougies et gonflées par sa voracité, qu'il put détacher son amant de lui et calmer sa respiration haletante, front contre front.
Il y avait une lueur de défi, dans les yeux violets de Scysios, et un sourire amusé qui s'esquissait sur ses lèvres.
Le regard du blond se plissa, inquisiteur.
- Dire que monsieur jouait au raisonnable…
Scysios le fit taire d'un nouveau baiser, les doigts accrochés au dos puissant de son amant. Leurs bouches se cherchaient, leurs mains s'égaraient, les muscles roulaient sous les caresses et les contacts appuyés. Le désir brûlant ne faisait que croitre, à mesure que le passage à l'acte était repoussé, comme un feu dont on attiserait les flammes pour mieux le laisser resplendir. Leurs hanches se frôlaient, leurs corps se pressaient avec envie, comme s'ils voulaient se fondre l'un dans l'autre.
Rompant brutalement le baiser, Shézac retourna de nouveau son amant et lui agrippa passionnément la taille. Il se glissa en lui d'un seul mouvement, provoquant un nouveau gémissement de son compagnon. Celui-ci, les mains posées contre la paroi dorénavant brûlante de la douche, ferma les yeux et courba la tête le temps de s'habituer à la troublante présence. Shézac nicha son visage contre son cou, sa respiration erratique balayant l'épiderme humide et frémissant de son compagnon.
Lorsqu'il les apposa à la base de la gorge de son amant pour y déposer un baiser, le blond put presque sentir sous ses lèvres la pulsation du sang qui battait furieusement dans ses veines.
Le cœur de Scysios tambourinait à en exploser. Et d'ailleurs, ce n'était pas la seule partie de son anatomie qui avait déjà enclenché le compte à rebours. Shézac était là, en lui, autour de lui, protecteur, possessif, passionné.
Il planta ses dents dans la chair rougie de sa propre bouche lorsque le blond commença à bouger, envoyant des ondes de chaleurs partout dans son corps. Les mains qui lui tenaient les hanches le brûlaient presque, le torse puissant collé contre son dos le rendait fou. Sans même s'en rendre compte, il commença à pousser des soupirs de plus en plus forts, qui devinrent des gémissements lorsque Shézac s'appliqua à toucher en lui une partie plus sensible.
Ils l'avaient déjà fait des milliers de fois, dans des milliers d'endroits, des milliers de circonstances différentes. Mais c'était toujours aussi bon.
A chaque fois, ils avaient l'impression de se redécouvrir avec la même passion, le même empressement que deux adolescents. Shézac se gorgeait des sons érotiques de son amant, des mouvements incontrôlés de ses muscles qui se crispaient sous les coups de reins et les vagues de sensations qui les traversaient. Scysios s'abreuvait des baisers que son amant déposait sur sa peau pendant qu'il bougeait, de la manière dont ses doigts le retenaient, comme pour s'assurer que tout cela était réel, que son compagnon n'allait pas s'évaporer en plein milieu de leur étreinte.
L'indécence et le malaise leurs étaient inconnus. Quand ils étaient ensembles, il n'y avait guère plus que la complicité, la tendresse et la volupté qui comptaient.
Ils ne s'aimaient pas, n'en étaient pas capables, parce qu'ils étaient des démons et qu'ils avaient chacun de leur côté une personne à chérir. Mais le lien qui les unissait était au-delà de ça, dépassait toute relation amicale ou amoureuse que des êtres vivants pouvaient entretenir. Du moins, c'était la seule chose qu'ils avaient trouvé pour définir ce qu'ils ressentaient l'un pour l'autre, et ce qu'ils partageaient chaque fois qu'ils se laissaient aller dans les bras de l'autre.
Encouragé par les mouvements de hanche de son amant, Shézac se fit plus rapide, plus puissant dans ses actes. L'une de ses mains glissa, revint cajoler le membre délaissé de son compagnon comme elle l'avait fait plus tôt. L'autre soir, il s'était fait avoir ; il voulait faire crier Scysios, mais c'était Scysios qui l'avait fait crier. Aujourd'hui, il tenait sa revanche et même si le temps leur était compté, il avait bien l'intention d'en profiter.
Il se fit plus pressant contre lui, l'emprisonnant entre son corps et la paroi de la douche. Sa seconde main quitta à son tour les hanches de son amant, glissant dans une longue caresse appuyée jusqu'à ce que ses doigts puissent se saisir d'un grain de chair brun qui avait jusque là été épargné. Ses deux bras enserraient le corps bouillant de Scysios, autant protecteurs que tortionnaires par les zones que ses mains malmenaient. Shézac sentait son compagnon gémir, se tendre contre lui, percevait qu'il avait de plus en plus de mal à aligner deux pensées cohérentes. Ses propres gestes tenaient plus du réflexe que de la réflexion. Le plaisir lui vrillait les tympans, lui faisait perdre la tête à un point tel qu'il avait de plus en plus de mal à se contrôler. L'espace d'un instant, il crut même qu'il allait atteindre le point de non retour avant son amant.
Comme galvanisé par cette pensée, il ne se fit que plus attentif à la jouissance de Scysios. Il s'immisça avec plus de vigueur, dévora la nuque et la gorge offertes de baisers passionnés, tandis que ses mains se faisaient plus présentes et se resserraient sur les endroits qu'elles maltraitaient.
Scysios, aussi résistant fut-il, ne tint pas longtemps à ce rythme là. Il était pris dans un tourbillon de chaleur, de plaisir, de sensations qui ne cessaient de l'appeler pour qu'il leur succombe. Ce qu'il fit, dans un gémissement un peu plus fort que les autres qui ravit les oreilles de son amant.
Irradiant de ses entrailles, le plaisir l'aveugla un instant, à moins que sa cervelle n'ait cessé de fonctionner l'espace d'une demi-seconde, déconnecté par l'orgasme fulgurant.
Shézac ne mit pas pour autant un terme à ses attentions. Bien au contraire, il continua de bouger et de le cajoler éperdument, glissant baisers et caresses avec une tendresse renouvelée pour accompagner son assouvissement. Jusqu'à se libérer à son tour, cédant à la chaleur qui l'entourait et à la vision définitivement irrésistible de son amant en pleine jouissance.
Comme un pantin désarticulé, ses mains retombèrent le long des flancs de Scysios, s'appuyant à lui jusqu'à recouvrer suffisamment de force pour tenir seul sur ses jambes. Le médecin se retourna pour lui faire face, et l'enlaça tendrement. Ils haletaient tous les deux, un sourire complice sur les lèvres et une expression comblée sur le visage.
Ils s'embrassèrent de nouveau, plus tendrement que la première fois, les bras noués autour du corps de l'autre. D'un geste rapide, Shézac remis la douche en marche avant de retourner enlacer son amant. L'eau chaude tomba sur leurs épaules brûlantes comme une réconfortante cape liquide, les rinçant de tout le savon et autres fluides un peu moins innocents qui étaient répandus sur leurs peaux.
Dans un bulle cotonneuse de chaleur et de bien-être, ils récupéraient doucement, serrés l'un contre l'autre. La douche trafiquée accomplissait son œuvre, détendant leurs muscles et les revigorant. Tellement efficace, que Shézac s'aperçut qu'il n'avait pas envie que Scysios s'en aille. Il voulait le garder contre lui, et recommencer autant de fois qu'il le faudrait pour qu'ils soient tous les deux rassasiés. Bercé par cette envie, ses baisers se firent un peu moins tendres, un peu plus brûlants. Doucement, ses mains glissèrent de nouveau sur le dos de son amant. Scysios était beaucoup plus musclé que ce que l'on croyait, sous ses airs de gentil médecin dont le seul sport régulier était la montée des marches de la Volière.
- Zac'… soupira-t-il en le repoussant.
Le blond fit une mine apitoyée, mais cela ne sembla pas affecter son compagnon outre mesure. Pire, Scysios se dégagea complètement de son étreinte et quitta la cabine de douche, s'emmitouflant dans une serviette.
-Il faut que j'y aille…
Shézac poussa un soupir à fendre l'âme. Ce n'était pas juste, son compagnon était trop raisonnable. Pourquoi est-ce qu'il devait partir, déjà ? Il avait oublié. Ca ne devait pas être si important que ça…
« Quoique ? » songea-t-il en voyant Scysios sortir, une simple serviette autour des hanches, pour commencer à vider le sac besace centenaire qui lui servait d'ordinaire de trousse de soin.
Intrigué, Shézac le suivit pour aller observer ce qu'il faisait. La chambre du médecin avait toujours été un capharnaüm impressionnant dans lequel s'entassaient toute sorte de choses, une véritable antre d'adolescent désordonné. Pourtant, il fallait reconnaître que ce désordre apparent offrait en réalité une cachète insoupçonnée pour tout un tas de babioles. Comme, par exemple, le monceau d'arme que Scysios était en train d'aligner soigneusement sur les draps défaits de son lit, et qui semblaient sortir de nulle part.
- T'as vraiment besoin de tout ça ? Tiqua Shézac en s'approchant. Le prince a été enlevé par des vampires ou par un corps d'élite de l'armée royale ?
Son compagnon ne répondit pas, les yeux rivés sur les alignements d'objets. Il était accroupi devant son lit, ses cheveux à peine essorés gouttant sur son dos jusqu'à marquer la moquette de petites gouttes rondes. Lentement, il se redressa et choisit avec soin les armes qu'il rangeait ensuite consciencieusement dans la besace. Le sac avait été ensorcelé par ses propres soins quelques décennies plus tôt et ne le quittait jamais, tantôt pharmacie, tantôt armurerie ambulante. Shézac vit passer entre les mains adroites de son ami quantité de petits poignards, une dague qu'il mit de côté, et tout un florilège de parchemins soigneusement roulés qui devaient contenir bon nombre de sortilèges explosifs. La magie était la spécialité de Scysios, autant pour soigner que pour se défendre. Seulement, sur ce monde, elle ne lui serait pas d'une grande utilité…
Le blond s'appuya contre le chambranle de la porte de la salle de bain, croisant les bras sur son torse.
- Ce n'est pas les vampires que tu te prépares à affronter, c'est ça ?
Scysios lui fit l'un de ces sourires qu'il haïssait par-dessus tout, celui qui voulait très clairement dire « oups, je suis grillé ?». Quand il avait appris pour la blessure à la jambe de son compagnon, Shézac avait espéré que cela signifierait que le médecin serait tranquille, qu'il n'était vraiment là qu'en tant que guérisseur et porte parole, et pas comme un soldat démon.
Visiblement, il s'était trompé. Le léger handicap de Scysios n'était apparemment pas un problème pour les autres.
- Laisse-moi venir, lâcha-t-il brutalement.
Alors qu'il était en train de boucler son sac et d'achever de rassembler tout ce qu'il avait sorti, le maudit s'interrompit en plein geste et le regarda avec des yeux de merlan fris.
- Pardon ?
- Laisse-moi venir, répéta Shézac avec détermination. C'est suicidaire de sortir avec cette andouille de Pavel. Il est peut-être fort pour un phénix, mais il n'a pas la moitié de notre âge. En plus, il ne doit même pas te faire confiance…
Scysios ouvrit la bouche, cherchant quoi lui répondre.
-Ou alors, demande à Libellule de venir. Elle est aussi forte que mon père, vous n'avez qu'à la laisser passer devant, et…
- Zac…
Le médecin s'était levé et était venu le rejoindre, posant une main sur sa nuque et son front contre le sien. Le blond poussa un soupir résigné, l'air défait.
Il aurait voulu renverser toutes les armes disposées sur le lit et coincer Scysios à leur place, pour l'empêcher de partir. C'était une chose de savoir ce qu'allait faire le médecin, c'en était une autre de le voir se préparer et partir.
- S'il te plait… tenta-t-il une dernière fois.
Son amant le fit taire d'un baiser, le serrant contre lui. Shézac s'agrippa à son corps encore humide, le cœur serré.
Zenon s'était fait attaquer par l'Onikam alors qu'il allait effectuer une mission de routine, pour le compte des démons de la Morte-lune. Il n'y avait que deux choses, qui effrayaient Shézac ; que Taenekos ne lui rende jamais la personne qu'il aimait, et qu'il arrive à Scysios la même chose qu'à Zenon.
Disparaître en mission.
- Tu seras prudent, hein ? Chuchota Shézac d'une petite voix qui ne lui ressemblait pas.
- Qu'est ce que tu veux qu'il m'arrive ? assura Scysios en lui embrassant le front.
- La même chose que d'habitude, renifla son compagnon. Tu reviens toujours avec un trou quelque part ou un bout en moins. T'es pas fichu de te protéger tout seul.
Scysios lui tira très glorieusement la langue, avant de lui fausser compagnie. Légèrement consolé, son ami le laissa s'échapper, le couvant d'un regard tendre.
- Laisse-moi me préparer, au lieu de dire des bêtises aussi grosses que toi.
Avec un sourire, Shézac le regarda fouiner dans son placard, dans l'espoir certain de trouver de quoi s'habiller. Le blond constata avec amusement que les cheveux trempés de son compagnon laissaient toujours un sillon humide sur le sol, derrière lui.
Il soupira.
- Hey, Scy, vient par là…
Sans attendre la réponse, il s'était levé et passait déjà ses doigts dans les longs cheveux mouillés de Scysios. L'eau semblait refluer sous son passage, quitter les mèches imbibées pour suivre ses gestes, comme un fauve apprivoisé. Il fallut une seule petite minute pour que la tignasse châtain du démon soit débarrassée de toute humidité, plus efficace encore qu'un sèche cheveux. Shézac se mit à jouer avec la bulle d'eau qui s'était formée, la faisant sauter autour de la paume de sa main, l'œil rêveur. Puis il envoya la bulle s'écraser à l'intérieur de l'évier dans un splash sonore, tandis que le maudit, sourire aux lèvres, nouait rapidement ses cheveux à présent sec et achevait de se vêtir.
- Scysios… appela doucement le blond, en se mordillant la lèvre.
Le susnommé ajusta la lanière de sa besace sur son épaule, et leva les yeux vers lui.
- Hm ?
- Fais attention… souffla Shézac, la mine subitement sérieuse.
C'était un air que l'on n'avait pas souvent l'habitude de voir chez lui. La preuve que ça n'allait vraiment pas. Lorsque le blond était sérieux, c'était toujours mauvais signe.
Sachant parfaitement ceci, le médecin lui fit un sourire rassurant, teinté d'amusement.
- Ne t'en fais pas. Si je mourrais, il n'y aurait plus personne pour te protéger. Je n'ai pas envie que tes petites fesses se retrouvent à la merci du premier venu…
Shézac lui fit les gros yeux, profondément outré. C'était lui qui faisait ce genre de réflexion, d'habitude. Avait-il trop déteint sur son compagnon, pour qu'il en vienne à lui voler ses réactions ? Ce dernier s'approcha de lui, suffisamment pour que le blond puisse le saisir par la taille, et l'attirer vers lui pour l'embrasser.
Ils restèrent ainsi enlacés plusieurs minutes, échangeant un baiser tendre, complice, jusqu'à ce que le blond finisse par relâcher doucement son étreinte.
- Ne m'abandonne pas. Je n'ai plus que toi.
Scysios posa encore une fois son front contre le sien et entremêla délicatement leurs doigts, les yeux fermés, pour profiter encore un peu de la douce chaleur de son compagnon.
- Je te le promets.
Leurs doigts se frôlèrent une dernière fois, avant de se séparer définitivement.
L'instant d'après, Scysios était parti.
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- L'entrée de leurs égouts est juste derrière, dans la ruelle d'en face, expliqua le démon en désignant du doigt la direction. Mais ils surveillent le coin, alors il vaut mieux s'arrêter ici pour l'instant.
Dans l'obscurité de la venelle, il vit Pavel acquiescer, la mine sombre. Celui-ci portait ostensiblement à la taille son éternelle épée, n'avait même pas pris la peine de la cacher lorsqu'ils avaient quitté la Volière et sillonné les rues de la ville. Scysios était soulagé qu'à cette heure tardive, personne ne trainait encore dehors ; ils n'avaient pas besoin d'avoir en plus à gérer la réaction paniquée des badauds.
- Je resterai derrière pour ne pas te gêner, annonça Scysios en fouillant dans son sac. Si tu as besoin d'armes supplémentaires, j'en ai préparé quelques unes. Tiens, prend ça, ça nous permettra de nous retrouver si jamais on doit se séparer.
Pavel attrapa le papier plié que lui tendait le démon et le fourra sans un regard dans une poche de son jean. Son visage était fermé et ses traits s'étaient durcis, ce que Scysios mit sur le compte de l'énervement et de la concentration.
- Dès qu'on sortira de là, on sera exposé à la lumière des lampadaires. Il faudra tout de suite neutraliser les veilleurs, et pénétrer dans les sous-sols. D'après Libellule, le prince devrait se trouver au fond du couloir principal, sur la droite. Ce sera le passage le plus dangereux, mais je pense que ça devrait aller… Eh, tu m'écoutes ?
Pavel fit mine de sursauter et planta son regard doré dans les yeux violets de son vis-à-vis. S'il l'avait écouté, ce n'était que d'une oreille, mais le connaissant, cela avait dû suffire pour qu'il retienne le principal. Scysios soupira et se massa les tempes, essayant de chasser cette boule de stress qui commençait à se creuser en lui.
Il ne fit pas tout de suite attention au glissement métallique que produisit l'épée de Pavel, lorsqu'il la tira de son fourreau. Au lieu de ça, il se remit à fouiller dans sa besace, à la recherche d'un poignard à glisser sous sa veste, en cas de problème. Théoriquement, c'était le garde du corps qui devrait se charger de toute la partie « démolition de masse » de l'opération, mais il préférait prendre ses précautions. Si jamais ils étaient séparés pour une raison ou une autre, il devrait se débrouiller tout seul pour sauver sa peau.
Il était toujours en pleine fouille quand la voix de Pavel retentit, froide comme de la glace.
- Scysios, je sais qui tu es.
Le démon interrompit son geste et releva la tête, les sourcils froncés.
Une réponse amusée lui brûla la langue, quelque chose comme « oui, et… ? ». Mais face à lui, le phénix paraissait plus sérieux que jamais, la main resserrée autour de la poignée de son arme. Il paraissait immobile, mais Scysios remarqua aussitôt qu'il était prêt à bondir.
- Capitaine Scysios Ravenhir, continua Pavel d'un ton glacial, membre des démons de la Morte-lune, successeur de Derek Isdegarde au titre de démon de la mort. Je me suis renseigné sur toi dès que tu es arrivé à la Volière. Je savais bien que ta tête me disait quelque chose…
Scysios recula d'un pas, les yeux rivés sur son camarade. Cette andouille n'allait quand même pas faire ça ? Profiter qu'il n'y ait aucun témoin pour lui annoncer ses quatre vérités ? Ses yeux se posèrent sur la lame de Pavel, qui reflétait le moindre rayon de lumière dans la ruelle obscure. Le phénix était un épéiste hors pair ; avec si peu de magie disponible, il avait un gros avantage sur le médecin. Il ne valait mieux pas parler de la jambe blessée de ce dernier, qui restait cruellement instable et l'handicapait au plus au point
- J'ai longtemps hésité, mais maintenant, ce n'est plus possible. J'ai voulu te dissuader de venir, mais tu as insisté pour m'accompagner… Je ne sais pas de quoi tu es capable, ça serait trop dangereux et je ne veux pas courir le risque que les démons nous trahissent. En plus, tu m'aurais gêné.
- Pavel, ne fais pas ça, tenta anxieusement Scysios.
Il recula d'un pas, sur ses gardes, guettant le moindre mouvement du garde du corps. Il s'efforçait de rester calme, malgré le mauvais pressentiment qui lui dévorait les entrailles.
Il avait du mal à croire que Pavel puisse faire quelque chose d'aussi inconscient. S'il savait qui il était, pourquoi est-ce qu'il ne lui faisait justement pas un peu plus confiance ? Sa réaction aurait dû être inverse !
Et dire que le démon pensait que son camarade saurait se maitriser, et faire la part des choses… Mais non, un simple doute et une superstition idiote allaient tout gâcher.
Pavel agrippa des deux mains la poignée de son arme.
- Arrête, c'est complètement stupide, répéta gravement Scysios. Tu sais très bien qu'on ne vous trahirait jamais. Surtout pas moi…
Cela eut autant d'effet qu'un caillou jeté dans la mer. Le démon inspira, se préparant à l'inévitable.
Dire qu'il avait promis à Shézac qu'il rentrerait en un seul morceau…
Pavel bondit sans prévenir, mortellement efficace, comme à son habitude.
Une gerbe de sang écarlate éclaboussa les murs de la ruelle.
A suivre...
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ooo
Comme prévu, voilà donc le début des folles aventures de la Volière, durant l'absence d'Ehissian et de Fallnir. J'espère une fois encore ne pas vous avoir trop embrouillé…
Les derniers secrets de Scysios sont révélés dans ce chapitre, son véritable travail et sa petite sœur cachée. :p De même, le voyageur dans le monde des esprits était en fait Léto, terreur miniature de la Volière…
J'en profite du coup pour faire un petit topo sur les différents esprits qu'il a visité, dans les premiers chapitres, parce que c'est très vieux et que ça mérite sans doute d'être clarifié. La toute première fois, sur la naissance du prince, était donc le souvenir de ce dernier d'une discussion avec Libellule. Au chapitre 4, il s'agissait du souvenir d'un bal (ça sera plus développé dans le chapitre 27 :p) auxquels assistaient le prince et Derek. Quatre chapitres plus loin, il y a l'évocation d'un esprit qui est représenté par « une grande forteresse » : il s'agit de l'esprit de Scysios, qui se protège des papotages mentaux incessants de Tyloé. Quelques lignes plus loin, Léto visite une salle gardée, contenant un coffre ; c'était l'endroit où était caché le pacte de sang du Garnësir, là où les démons de la Morte-Lune et les hommes de Fallnir se sont confrontés. Voilà voilà, pour ceux qui s'en souvenaient et que ça intriguait… :p
Comme d'habitude, n'hésitez pas à me laisser un petit mot pour me dire ce que vous en avez pensé, ou me signaler quelque chose qui vous aurait fait tiquer. ^^
Sur ce, merci encore d'avoir lu jusqu'ici, et à bientôt ! :3